L`AMOUR, L`HARMONIE, LA BEAUTE.

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CHAPITRE I
L’AMOUR, L’HARMONIE, LA BEAUTE.
Que les mots, « amour, harmonie, et beauté » enchantent le cœur de tous ceux qui les entendent ! Mais que
contiennent ces mots qui exercent un pouvoir si naturel sur l’âme humaine ?
C’est l’amour, c’est la beauté qui touche le plus profondément notre âme. Et si vous demandez : « Qu’y a-t-il
de plus ? » On vous répondra : « Il n’y a rien de plus émouvant que cela. » Pourquoi ? Parce que l’amour est la
nature de la vie, la beauté en est le résultat et l’harmonie est le moyen par lequel la vie atteint son but. Sans
elles, la vie se désagrège et se détruit.
Quand nous réfléchissons à la création toute entière, il est impossible de ne pas voir que son but est
d’exprimer un idéal d’amour, d’harmonie et de beauté. L’amour n’aurait pu se manifester s’il n’y avait rien eu à
aimer ; les yeux n’auraient pas pu voir s’il n’y avait rien eu à voir. Qu’aurait pu faire l’amour si la beauté
n’avait pas existé ? L’amour serait resté muet. On peut dire que l’amour existe lorsqu’il est passé du silence à
l’expression.
Une question se pose : « Qui a créé la beauté ? » On peut répondre : « C’est l’amour qui a créé la beauté ».
Quand un soufi vous appelle : « Bien-aimés de Dieu », il a cette pensée à l’esprit. Tout ce que Dieu a créé, Il l’a
créé par amour, pour être l’objet de son amour. Dès lors, tout ce qu’Il a créé, et toutes ses créatures, sont Ses
« bien aimés ».
Nous autres humains avons nos préjugés, nous aimons l’un mais nous n’aimons pas l’autre ; nous
considérons l’un digne d’une haute estime et nous estimons moins l’autre, mais pour Dieu tous sont pareils
puisqu’ils sont créés par Lui. Il en serait de même pour un poète qui verrait le feuillet sur lequel il a écrit une
strophe, jeté, perdu ou dédaigné. Comment pourrait-il s’exprimer sans toutes les ressources de sa voix ? Ainsi
en est-il du Créateur : Il ne peut être satisfait de voir ses feuillets mésestimés.
Dieu est amour, et Il a créé l’homme par amour. Comment pourrait-Il admettre que vous ayez de la haine ou
de l’inimitié envers votre prochain en oubliant que, si indigne qu’il paraisse, il n’en est pas moins un être aimé
de Dieu ! Il l’a créé pour L’aimer. Par conséquent Dieu (qui est à la fois le Père et la Mère de tout être vivant)
l’aime également.
Mais une chose n’est-elle pas plus belle qu’une autre, un objet plus beau qu’un autre, une personne plus
attirante qu’une autre, que ce soit extérieurement ou intérieurement ? Quelle en est la raison ? On la découvre
en considérant l’œuvre d’un artiste, d’un poète, d’un compositeur ou d’un écrivain. Nous pouvons juger une
composition supérieure à une autre ; un tableau peut être le meilleur que l’artiste ait exécuté au cours de sa vie.
Il arrive au poète de s’émerveiller : « Est-il possible que j’ai écrit ces vers ! D’où peuvent-ils provenir ? Ils sont
tellement supérieurs aux autres ! Ces mots, ou ces rimes, m’ont été inspirés de façon merveilleuse ! »
Nous devons découvrir dans l’œuvre du Créateur ce que nous constatons dans l’œuvre de l’individu.
L’amour est la seule puissance qui a créé ou qui peut créer.
Dans ce sens Dieu devient en même temps Celui qui aime et l’objet de l’amour. Les mystiques sanscrits les
nomment : Shiva et Shakti, ou Purusha et Prakriti, ou Ishwara et Maya.
Trois couples de noms dont l’un est l’amour, l’autre la beauté. L’amour a créé la beauté pour qu’il lui soit
possible d’aimer. Dieu est amour, c’est pourquoi Il est appelé le Créateur, car seul celui qui aime a le pouvoir
de créer, et ce qu’il crée est l’objet destiné à recevoir son amour. Dans le Coran il est dit : « Dieu est beau et Il
aime la beauté ».
Mais la beauté ne s’applique pas à la forme de Dieu, car Dieu est sans forme. Il n’a pas de personnalité tant
qu’Il ne se manifeste pas à Lui-même. Par conséquent, ce n’est pas Sa personnalité qui est belle, car Dieu est
au-delà de ce que l’on appelle personnalité.
Quelle est l’origine de la beauté ? Dieu est beau parce qu’Il a créé la beauté. S’il n’y avait pas de beauté en
Dieu, il n’y en aurait pas dans la création. Si la beauté n’existait pas dans la pensée du poète, il ne pourrait
écrire de beaux vers. S’il n’y avait pas de beauté dans la pensée de l’artiste, il n’aurait jamais pu peindre de
beaux tableaux. Personne ne peut voir la beauté que contient le cœur du peintre, sauf à travers la beauté du
tableau qu’il a fait. Ce n’est pas seulement la peinture qui est belle, mais c’est le cœur du peintre qui est beau en
premier lieu. Nous en arrivons alors à voir la beauté, non seulement dans ses manifestations, mais même avant
qu’elle ne se soit manifestée ; et avant cela elle existait dans l’amour. En d’autres termes, la beauté est cachée
dans l’amour, et la beauté que l’amour a comme objet est sa propre beauté. Dans la mesure où la beauté est
belle, l’amour est beau, et même davantage, car le Créateur est plus beau que ce qu’Il a créé.
Tout ce que nous faisons est l’œuvre de nos mains. Nous en sommes les créateurs. Nous sommes plus grands
que nos mains. Ainsi en est-il de l’amour. L’amour est plus grand que la beauté, parce que l’amour est le
créateur de la beauté.
Sans doute, en aimant l’amour se limite comme la beauté. Mais c’est là le but de l’amour. Si la beauté
n’existait pas, l’amour n’aurait pu connaître la joie enfouie dans sa propre nature. La joie de son existence serait
morte.
Dès que nous pouvons orienter nos pensées dans cette voie, nous arrivons à voir que l’amant est plus grand,
incomparablement plus grand, que l’objet de son amour.
Le véritable amour, la vraie beauté, se trouvent dans celui qui aime ; l’objet de son amour est plus petit
quoique celui qui aime ne s’aperçoive pas de la différence pour l’instant.
« Tu es celle devant qui je m’incline. Tu es celle à qui je pense nuit et jour, devant qui je suis sans force, tu es
celle que j’admire et que j’adore » Ainsi pense l’amant. Toutefois, il ne se rend pas compte de l’immensité de
son amour, et cependant, strictement parlant l’Amour est plus grand que celui qui aime.
Lorsque l’on commence à s’initier à l’amour, l’on est enclin à s’effrayer des souffrances, des difficultés et
des ennuis que l’on rencontrera à cause de cet amour. Quand on se compare à l’être aimé, on pense que celui-ci
est plus enviable que soi. « Celui qui accapare ma pensée, qui me cause du tourment, qui blesse mon cœur est
beaucoup plus heureux. Quand je me compare à celui que j’aime, je pense qu’il est plus favorisé » Et l’on
continue à penser : « Si j’étais aimé, ce serait beaucoup mieux ». Chaque âme éprouve cette impression mais
une fois qu’elle est arrivée à la dépasser, alors elle commence à connaître l’amour. L’âme qui n’a pu échapper
à cette impression n’arrive pas à la plénitude de l’amour.
Un autre aspect de l’amour est l’égoïsme auquel l’homme doit se soustraire. Celui qui aime vraiment dit :
« Je donnerai tout, j’endurerai toutes choses, toutes les tortures, tous les tourments qui me seront imposés au
cours de ma vie. Je m’inclinerai en toute humilité devant tout ce qui pourra m’arriver, je donnerai tout ce que
j’ai, je supporterai tout, je croirai tout, j’espèrerai tout et je supporterai toutes choses » Mais l’autre aspect de
l’amour dit : « Es-tu insensé ? As-tu perdu la raison ? Tu es ridicule. Pourquoi ces plaintes ? Vois combien
l’aimé est heureux. Sois heureux comme lui, et comme lui sois triomphant au lieu de te sentir humilié. Entre
dans cette royauté et fuis l’anéantissement. »
Puis l’on raisonne et à la longue, on comprend. Une voie mène à l’anéantissement, une autre à la sécurité.
Mais dans l’anéantissement se trouve la main de Dieu, tandis que dans la sécurité se trouve celle de Satan. Tout
ce qui est égoïste est enseigné par son pouvoir et par sa science qui est l’ennemie du genre humain. Satan en est
l’ennemi parce qu’il détourne l’homme du but de sa vie, il est celui qui nous égare. Il s’efforce de faire changer
de place celui qui aime avec l’aimé et lui fait dire : « Tu es plus heureux que moi ; je désire être à ta place. » Et
peut-être celui qui aime attendra t-il toute sa vie pour atteindre cette position convoitée, ce qui n’arrivera jamais
car l’aimé ne voudra pas abandonner sa richesse quand l’occasion s’offrira à lui.
La vie d’un être serait complètement transformée une fois fondue au feu de l’amour. Le feu de l’amour
élèvera cet être au point où son pouvoir se fera sentir sur les animaux et les oiseaux. Le sage et l’insensé seront
tous deux attirés à lui, car une fois purifié, brûlé au feu de l’amour, il attirera les âmes de tous les êtres visibles
ou invisibles. Seul le conseil de Satan l’empêche d’atteindre à cela.
Le maître est celui qui souffre. Songeons à Jésus-Christ lavant les pieds de ses disciples. Quelle beauté dans
ce geste et cette humilité ! Trouve-t-on cela chez l’orgueilleux ? L’orgueilleux conquiert-il les cœurs depuis des
siècles et des siècles ? L’orgueilleux est guidé par Satan, il est égoïste, personnel, froid ; chacun est glacé en sa
présence, car sa présence refroidit et ne peut répandre la tiédeur du bien-être.
Mais comme celui qui a traversé toutes les souffrances devient prêt à pardonner ! Y avait-il autre chose dans
la vie du Christ qu’indulgence et pardon ? « Pardonne toujours, pardonne toujours et sois toujours indulgent »
disait-Il. C’est parce que l’amour dans le cœur du maître était si grand qu’il attirait tout le monde. L’amour était
toute la philosophie que les pêcheurs pouvaient comprendre, et si l’amour était placé avant la philosophie et la
religion, combien les fidèles deviendraient pieux ! Les animaux ainsi que les oiseaux seraient attirés par le
pouvoir du cœur de l’homme embrasé d’amour.
Tandis qu’à présent l’homme épouvante l’amour et l’amour le fuit. Que de fois l’on emploie le mot « amour »
pour ce qui n’est rien d’autre qu’un amusement, un plaisir, ou un passe temps qui dégrade.
L’amour est tellement plus haut ; ce n’est pas une chose que vous pouvez donner ou dont on peut dire : « Je
vais le développer » On ne peut l’apprendre ou l’étudier dans un livre ; ce que l’on peut seulement faire, c’est
lui permettre d’envahir notre cœur et d’y croître.
Personne ne peut vivre sans cœur, et le cœur ne peut exister sans amour. Si privé d’amour et si froid que l’on
apparaisse, si mauvais et si cruel que l’on semble être, l’amour est caché en chacun. Un mur épais est élevé
autour de lui ; il ne peut s’évader. Il est continuellement enfermé dans cette coquille, et il est mal à l’aise et
inquiet.
C’est pourquoi l’homme devient froid et malheureux, et attend toujours une vague de bonheur parce qu’il ne
comprend pas sa véritable aspiration. La puissance de l’amour est captive sous une épaisse carapace, qui est la
prison de glace de l’amour, et cette prison s’oppose au courant de l’amour et au pouvoir divin qui essaye de
s’élancer du cœur. Quand l’homme ne laisse pas développer son amour, il devient un fardeau pour les autres, et
pour lui-même ; sa présence est insupportable à ceux qui l’entourent, son influence devient une lourde charge
pour lui-même. Bien souvent c’est cela qui a rendu les gens désagréables. Certains deviennent même fous pour
cette raison. Ne sachant pas ce qu’ils désirent dans la vie, ils blâment toujours les autres de ne pas les avoir
aimés, de ne pas sympathiser avec eux, ou de ne pas avoir été bons pour eux. Ils n’ont pas compris que la clef
est en eux-mêmes, que leur cœur a le pouvoir d’ouvrir et de faire fondre un autre cœur. C’est notre propre
pouvoir qui peut amener un autre à nos pieds.
Quiconque apprend cette vérité cesse de reprocher aux autres leur froideur, leur manque d’amabilité, leur
manque de sympathie à son égard, il découvre que la cause réside en soi. En recherchant uniquement la
sympathie et les bons sentiments chez autrui, on ferme son propre cœur et on l’empêche de s’exprimer. Le
pouvoir de l’amour cherche toujours à s’extérioriser, à pénétrer l’entourage ; et cependant il semblerait qu’on a
toujours tenu les portes fermées pour empêcher Dieu de sortir et d’atteindre le but de Sa propre création.
Comme les paroles que prononce le Prophète sont belles quand il dit : « Le tabernacle de Dieu est le cœur de
l’homme. » Comme c’est vrai ! Doit-on chercher Dieu dans une mosquée, un temple ou une église, ou dans tout
autre endroit où se réunissent les hommes pour chanter des hymnes et offrir leurs prières ? Peut-on Le trouver
où il n’y a pas d’amour ? On ne Le trouvera pas dans les maisons que les hommes ont construites pour le culte.
Ce sont seulement des écoles pour les enfants et leur terrain de jeu. Les enfants aiment s’amuser avec des
jouets, et cependant ils se préparent eux-mêmes à quelque chose d’autre.
Quand l’homme est arrivé à connaître la réelle beauté de Dieu, il découvre qu’elle ne se trouve qu’en un seul
endroit : dans son propre cœur. Dieu est amour et on Le découvre dans le cœur de l’homme. Celui qui
comprend cela peut adorer Dieu même dans l’homme, car s’il se tient à cette philosophie il considère
constamment qu’à chaque instant de sa vie il peut blesser les sentiments de Dieu, et qu’il risque de briser Son
tabernacle en brisant le cœur de son semblable.
On peut penser que les philosophes, les mystiques, les sages qui sont si proches de Dieu et qui sont dans Son
intimité peuvent prendre trop de liberté vis-à-vis du monde. Mais ils sont au contraire les plus tendres et les plus
délicats des hommes. Ils sont prêts à soulager les peines et les tristesses de tous, à partager les découragements
et les désespoirs de chacun. Ils sont prêts à consoler tous les êtres, à leur rendre service et à répandre
constamment leur sympathie à ceux qui en ont besoin. Ils ne reculent devant aucun sacrifice de temps, d’argent,
de plaisir ou de confort. Comme le Christ l’enseigne : « Si l’on vous demande d’accompagner qui que ce soit
sur sa route pendant un kilomètre, marchez avec lui pendant deux. »
Qu’est-ce que cela nous apprend ? C’est une leçon de sympathie envers notre prochain, cela veut dire
participer à ses misères et à son désespoir. Pour celui qui expérimente cette joie de vivre, elle devient si grande
qu’elle remplit son cœur et son âme. Peu lui importe qu’il ait moins de confort ou que sa situation soit modeste
par rapport à celle des autres, parce que la lumière de sa bonté, de sa sympathie, de l’amour qui va croissant, et
la force qui jaillit dans son cœur, tout comble son âme de lumière. Plus rien ne lui manque dans la vie parce
qu’il en est devenu roi.
Un tel être devient un guérisseur, un véritable thérapeute. Il guérit son semblable par son regard, par un mot
affectueux, par sa main, par le bien être qu’il répand par sa nature même. Et quel art de guérir ! Il est modeste et
sans prétention.
L’art de guérir est le propre de l’homme qui est en sympathie avec les chagrins d’un autre, et qui lui tend une
main secourable. C’est lui qui possède le véritable « vin ». C’est lui dont le regard peut émettre l’éclair qui
prouve la compassion et l’aide qu’il aspire à répandre. Cette puissance de guérison qu’il possède, n’est elle pas
comme un oiseau qui vous abriterait sous la tiédeur de ses ailes ! Parmi toutes les méthodes de guérison, il ne
peut y en avoir de plus belle.
On peut demander : « Quel pourrait être ici-bas l’objet de notre amour ? » Y a-t-il un objet particulier que
l’on puisse recommander à l’homme d’aimer ? Est-il préférable d’aimer les parents ou les amis, d’aimer un seul
être ou de n’aimer qu’un être de l’autre sexe ? Devrait-on aimer quelque chose d’abstrait, un esprit, un idéal, un
nom, ou quelque chose qui soit au-delà de la nature humaine ? ou devrait-on aimer un idéal conçu comme
Dieu ? Nombreux sont ceux qui prétendent qu’il n’est pas d’autre amour utile que celui de Dieu. Tout le reste
est sans valeur.
L’un dit : « Je ne peux aimer personne du sexe opposé. » Pourquoi ? « Parce qu’une fois j’ai été déçu. » Un
autre affirme: « Je n’aimerai aucun être humain, je préfère mon chien ou mon chat ; ils ne me déçoivent pas
comme les humains. » Un autre encore dit : « J’aime mon argent, parce que si je suis dans le besoin, c’est le
seul ami qui viendra à mon secours. Le compte que j’ai en banque fait plus pour moi que quiconque. Alors
pourquoi n’aimerais-je pas mon argent ? » Un autre : « Si Dieu est tout, Il doit avoir tout notre amour, alors
pourquoi ne pas aimer la chaise ou la table, ou un livre, ou l’œuvre d’un artiste, une œuvre d’art, une œuvre
musicale, une sculpture. N’est-ce pas la même chose ? »
Mais toutes ces questions sont exprimées par des cœurs qui ont été déçus ou brisés et qui se sont fermés, et
une fois les portes du cœur fermées, il n’est plus de lumière pour éclairer la route.
C’est ce qui est si beau dans cette petite chanson anglaise : « La lumière de toute une vie meurt quand l’amour
est fini. Il n’y a plus de lumière quand l’amour est mort. Quand l’amour est mort, le cœur s’est fermé. »
On rencontre souvent des êtres qui se plaignent de la déception causée par l’insuffisance de l’amour d’autrui
qui a causé leur désespoir et leur détresse.
Quel bénéfice le soufi et le sage retirent-ils de cette constatation ? Ils apprennent que ce sont ceux qui aiment
qui sont vainqueurs. Ceux qui ont aimé et ne sont pas allés plus avant, sont les vaincus. Leur dépendance à
l’objet de leur amour est la raison de leur échec avant d’avoir atteint leur destinée. Le soufi est averti de la
présence de ce grand abîme qui borde sa voie.
Toutes les fois que l’amour de celui qui aime et qui a été attiré par la beauté devient un échec, c’est qu’il
dépendait de la beauté. C’est la beauté qu’il aimait et son amour ne pouvait durer que tant que cette beauté
restait son idéal. Celui qui aime se relève quand il s’examine lui-même intérieurement et dit : « Je créerai un
idéal qui suffira à ma vie. L’idéal sera un moyen de faire croître mon cœur. Chaque fois que l’amour a été brisé,
c’était parce que mon idéal n’était pas en harmonie avec mon attente. Je vais donc éviter l’aveuglement de la
vie extérieure, mais je tracerai la route qui me conduira dans mon propre cœur. Cet idéal suffira et comblera
tout ce qui peut manquer à l’être aimé. »
Celui qui aime ainsi est celui qui aime vraiment, parce que l’amour a une beauté en soi, et de son propre
amour il produit la beauté qui fait défaut à l’être aimé. Ainsi il ne remarque plus les défaillances de l’être qu’il
aime. Dès lors, l’être aimé devient son amour, parce qu’il l’a réalisé dans sa pensée, dans son imagination, et il
peut perpétuellement ajouter de la beauté à la manifestation.
C’est de cette manière que l’hymne d’amour et de beauté a été chanté à toutes les époques de l’histoire. Sa’di
en Perse, Dante en Italie, et tous les grands qui ont aimé et ont fait appel au cœur humain, ont laissé des paroles
qui pénètrent aujourd’hui dans nos cœurs grâce à la grandeur de leur idéal. Ils ont eux-mêmes créé leur idéal
dans leur propre cœur. Pour tous ceux-là il ne peut être question que l’être aimé se montre indigne de l’amour.
L’amant est devenu le créateur de l’amour. Dieu n’a-t-il pas créé l’amour ? N’avez-vous pas hérité cette beauté
de Dieu Lui-même ? N’êtes-vous pas aussi à même de créer l’amour ? Vous pouvez toujours vous fier à ce que
vous pouvez créer.
Il existe un autre aspect : l’idéal d’amour créé par l’homme est conforme à son évolution.
S’il est matérialiste il apprécie la beauté matérielle d’un être ou d’un objet. Il ne peut s’en empêcher, ce n’est
pas sa faute. Il est naturel d’admirer ce qui attire. Un autre préférera la beauté de l’esprit, de la vertu, de la
personnalité, de la sympathie ou de la bonté qui le touchera. Il appréciera une personnalité remarquable, une
présence sympathique. Une autre aimera l’âme sous forme d’inspiration, d’intuition, de paix de l’esprit, de joie.
Il y trouvera son idéal.
Dès lors on ne peut pas considérer un objet particulier comme étant le seul digne d’amour, parce que la beauté
est conforme à l’évolution de l’individu. Celui dont l’évolution est inférieure ne peut aimer un objet plus élevé,
mais un être plus évolué peut aimer l’inférieur aussi bien que le supérieur. Celui qui a aimé une fois ne peut
haïr. Celui qui hait ne peut pas aimer.
La haine se trouve au plus bas degré de l’évolution, non au plus haut. Et plus l’évolution s’élève, plus la haine
et les préjugés diminuent. Dans le royaume le plus élevé il n’y a pas de venin, car l’objet est plus haut, le plan
est supérieur, la sphère est plus étendue. Si haut que vous placez votre idéal, vous devez l’atteindre ; et c’est en
élevant le plan de la beauté, degré par degré, que l’on s’élève de plus en plus vers les cieux les plus hauts.
C’est en s’avançant et en se maintenant toujours dans la voie de l’amour que, même des profondeurs
extrêmes, l’âme peut atteindre le ciel le plus élevé. L’homme peut toujours élever son idéal jusqu’à cette
hauteur, d’où il devient capable d’aimer le « Dieu sans forme », le « Dieu sans nom », qui est au-delà de toute
bonté et de toute vertu. Il ne peut même pas être limité par la vertu, car Il est au-delà de la bonté.
Il y a des sages qui ont été émus aux larmes par un seulement mot disant la vérité essentielle, la vérité
abstraite. Qu’est-ce qui causait cet effet ? Une douleur, une émotion étaient-t-elles cachées dans ce verbe ? Non,
c’était leur idéal placé si haut qu’ils voyaient dans la beauté parfaite dans la vérité. La vérité de l’Etre s’était
révélée splendide. Celui qu’ils aimaient était devenu Dieu et quand un mot de vérité arrivait à leurs oreilles, ils
en étaient émus jusqu’aux larmes.
Pour ces sages tout est une manifestation réelle de la beauté de Dieu. Dans la musique qu’ils entendent ils
sentent Dieu, ils voient Dieu. S’ils contemplent un tableau, ils voient leur Bien Aimé dans la beauté de la
peinture. S’ils se trouvent mêlés à la foule, tous les visages forment ensemble un tableau d’harmonie, une vision
du sublime, et ils peuvent y voir toute la beauté.
Que ce soit le désert ou la mer, le ciel ou la terre, tout ce qui frappe leur regard leur offre une vision de beauté.
Et c’est de cette manière que la création entière est devenue pour eux l’immanence de la beauté de Dieu.
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