Le capital-investissement : Source de développement économique

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Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
__
Cahier de recherche
Le capital-investissement :
Source de développement économique ou
nouvelle forme de colonialisme?
L'exemple du Maghreb
Gaëtan Irrmann
Septembre 2008
Majeure Alternative Management – HEC Paris
2007-2008
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
1
Genèse du présent document
Ce cahier de recherche a été réalisé sous la forme initiale d’un mémoire de recherche dans le
cadre de la Majeure Alternative Management, spécialité de troisième année du programme
Grande École d’HEC Paris. Il a été dirigé par Karim Medjad, professeur à HEC-Paris, coresponsable de la Majeure Alternative Management et soutenu le jeudi 9 octobre 2008 en sa
présence.
Origins of this research
This research was originally presented as a research essay within the framework of the
“Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business school
program. The essay has been supervised by Karim Medjad, Professor in HEC Paris, codirector of the “Alternative Management” specialisation and delivered on October, 9th 2008 in
his presence.
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Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Le capital-investissement :
source de développement économique ou nouvelle forme de colonialisme?
L'exemple du Maghreb
Résumé : Qu'est-ce que le capital-investissement (CI)? Quels sont les ressorts de son
expansion? Contribue-t-il au développement économique des pays émergents ou au contraire
signe-t-il l'avènement d'une nouvelle forme de colonialisme? Le travail de recherche mené ici
vise à étudier les dynamiques qui sous-tendent l'évolution du CI. Son expansion s'est
accélérée dans les économies émergentes, sous l'impulsion des institutions financières de
développement et des autorités locales, qui y voient un moyen de catalyser le secteur privé.
Au Maghreb, la montée en puissance du CI semble confirmer l'existence de synergies entre le
besoin des fonds d'investissement de trouver de nouvelles opportunités et les problèmes des
économies émergentes. Pourtant, le CI, en accélérant la mutation des économies émergentes,
renforce l'emprise de la mondialisation sur ces pays et s'apparente en cela à une nouvelle
forme de colonialisme.
Mots-clés : Capital-investissement, Colonialisme, Développement économique, Économies
émergentes, Impérialisme, Innovation, Maghreb, Mondialisation, Théorie d'agence
Private Equity:
Factor of economic growth or new form of colonialism?
The case of Maghreb
Abstract: What is Private Equity (PE)? What are the mechanisms of its expansion? Does it
contribute to the economic growth of emerging countries or is it rather a new form of
colonialism? The purpose of this paper is to analyse the underlying elements behind the
evolution of PE. PE being considered as a booster of the private sector, it has been advocating
by both development finance institutions and local authorities and has therefore expanded
rapidly in emerging economies. The growth of PE in Maghreb seems to confirm the existence
of synergies between PE firms’ need to find new opportunities and the problems faced by
emerging economies. However, by accelerating the mutation of these countries, PE increases
the grip of globalization on them and can thus be seen as a new form of colonialism.
Keywords: Private Equity, Colonialism, Economic development, Emerging economies,
Imperialism, Innovation, Maghreb, Globalization, Agency theory
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Remerciements
Je tiens à remercier M. Karim Medjad pour son soutien et sa patience et, plus
généralement, pour avoir contribué à la création d'un programme qui prend à contre-pied
l'enseignement traditionnel de la gestion.
Un petit mot également à l'intention de mes parents, pour lesquels le financement de
mes études s'apparente à une opération de LBO, à l'avenir incertain.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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«Toute économie-monde est un emboîtement, une
juxtaposition de zones liées ensemble, mais à des niveaux
différents. Sur le terrain, trois « aires », trois catégories
au moins se dessinent : un centre étroit, des régions
secondes assez développées, pour finir, d’énormes marges
extérieures. (…) Le « cœur » réunit tout ce qui existe de
plus avancé et de plus diversifié. L’anneau suivant n’a
qu’une partie de ces avantages, bien qu’il y participe (…)
L’immense périphérie, (…) c’est au contraire l’archaïsme,
le retard, l’exploitation facile par autrui.»
Fernand Braudel,
Civilisation matérielle, économie et capitalisme,
Armand Colin (1979)
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Table des matières
1. Introduction .......................................................................................................................... 8
2. Le capital-investissement : une boulimie sans frontières ............................................... 11
2.1. Définitions et fonctionnement........................................................................................ 11
2.1.1. Une classe d'actifs qui intervient à toutes les étapes de la vie d'une entreprise ..... 12
2.1.2. Généralisation de la « Limited Partnership » ......................................................... 14
2.1.3. Acteurs et structure................................................................................................. 16
2.1.4. Un processus d'investissement centré sur le contrôle de l'information .................. 19
2.2 Évolution et tendances du capital-investissement : l'éternel retour de Schumpeter...... 21
2.2.1. Entre adaptation à l'environnement économique et capacité à façonner
l'environnement légal : Darwin ou Nietzsche?................................................................. 23
2.2.2. Évolution du capital-investissement et destruction créatrice schumpéterienne ..... 27
2.2.3. Crise du marché des LBO : éclipse et mutation du capital-investissement ........... 30
2.2.4. A la découverte de territoires vierges..................................................................... 36
3. Le capital-investissement : facteur de développement?.................................................. 40
3.1 Une pratique financière controversée............................................................................ 40
3.1.1. Prédateurs ou libérateurs? ...................................................................................... 40
3.1.2. Capital-investissement et théorie d'agence............................................................. 43
3.2 Dialectique du développement ....................................................................................... 48
3.2.1. Les bienfaits du capital-investissement : partenariat stratégique et financement de
l'innovation ....................................................................................................................... 48
3.2.2. Les institutions financières de développement, nouvelles adeptes du capitalinvestissement .................................................................................................................. 53
4. Capital-investissement et développement économique: le cas du Maghreb ................. 57
4.1. Panorama du capital-investissement au Maghreb........................................................ 57
4.1.1. Une industrie naissante........................................................................................... 58
4.1.2. De nombreuses opportunités d'investissements ..................................................... 64
4.1.3. Des obstacles récurrents ......................................................................................... 67
4.2. Complémentarités entre capital-investissement et problèmes économiques du Maghreb
71
4.2.1. Transition économique des pays du Maghreb........................................................ 71
4.2.2. L'impact potentiel du capital-investissement sur le développement du Maghreb.. 74
4.2.3. L'argument des complémentarités pour justifier la libéralisation de
l'environnement légal ....................................................................................................... 80
5. Le capital-investissement : une nouvelle forme de « colonialisme ».............................. 88
5.1. Une tentative de définition ontologique ........................................................................ 89
5.1.1. “Capital” et “investissement”, deux concepts chargés de sens .............................. 90
5.1.2. Christophe Colomb, ancêtre du capital-investissement ......................................... 92
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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5.2. Fonds d'investissement et géopolitique ......................................................................... 94
5.2.1. Système-monde et zones d'influences : le Maghreb entre Moyen-Orient et Europe
95
5.2.2 Capital-investissement et néo-colonialisme .......................................................... 100
5.3 Capital-investissement et civilisation globale.............................................................. 103
5.3.1 L'argument du développement économique au service de l'expansion du
capitalisme...................................................................................................................... 104
5.3.2. Capital-investissement et colonialisme total ........................................................ 107
6. Conclusion......................................................................................................................... 111
7. Bibliographie..................................................................................................................... 114
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1. Introduction
Malgré une croissance formidable et un impact considérable sur l'économie mondiale,
le fonctionnement du capital-investissement reste largement méconnu du grand public. Il
suffit de lire la presse généraliste pour constater que le capital-investissement, dans
l'imaginaire collectif, se limite à n'être qu'une nouvelle forme d'expression d'un capitalisme
débridé et inhumain. Ignacio Ramonet, journaliste du Monde Diplomatique, résume, sur le ton
caractéristique du journal, l'opinion que se fait une grande partie de l'opinion public sur cette
pratique financière : «un nouveau capitalisme s’installe, encore plus brutal et conquérant.
C’est celui d’une catégorie nouvelle de fonds vautours, les private equities, des fonds
d’investissement à l’appétit d’ogre disposant de capitaux colossaux.»1
C'est sans doute à dessein que Ramonet met dans le même panier fonds de CapitalInvestissement et «fonds vautour», - ces fonds d'investissement qui ont fait grand bruit en
rachetant les dettes de certains pays africains au tournant du 21éme siècle, pour réclamer,
quelques années plus tard, des remboursements et des arriérés exorbitants. L'amalgame de ces
deux formes de véhicules financiers met en exergue la perception négative qu'en ont la plupart
des gens. Le capital-investissement serait une fois de plus une tentative par le monde financier
de faire main basse sur le labeur des entreprises et de leurs salariés.
Certes, l’ampleur prise par le capital-investissement (CI) a de quoi troubler. Une étude
de Morgan Stanley en 2006 estimait que les 2700 fonds de CI recensés engendraient, à eux
seuls, 25% de l’activité globale en fusions acquisitions et 33% des introductions en bourse.
Au Royaume-Uni, le capital-investissement emploierait indirectement 25% de la population
active. Avec un encours total estimé à près de mille milliards de dollars, cette pratique
financière est devenue incontournable.
Cette classe d’actifs qui ne constituait qu’une sous-branche de la gestion d'actifs
«alternative» est sortie de ses gonds et s’impose désormais comme un nouveau modèle
managériale susceptible de détrôner un système financier traditionnellement basé sur une
dichotomie entre les propriétaires du capital de l’entreprise et ses managers.
1
Ignacio Ramonet, « Voracité », Le Monde Diplomatique, novembre 2007
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Pourtant, si de nombreuses personnes voient dans le capital-investissement une
véritable révolution du capitalisme et l'avènement d'une économie mondiale entièrement aux
mains de la finance, le CI ne compte pas que des détracteurs.
Les économies développées, affaiblies par le vieillissement de leur population, sont de
plus en plus dépendantes, - pour pérenniser le paiement des retraites de leurs seniors-, des
rendements financiers que ces fonds d'investissement font miroiter. Par ailleurs, les partisans
du capital-investissement mettent en avant les atouts offerts par ce type de financement
«actif», notamment le financement de l'innovation technologique. En effet, pour les
entreprises, qu'elles soient en création, en difficulté ou en phase de croissance, le CI est
également une alternative aux banques, souvent frileuses lorsqu'il s'agit de prendre des
risques. A ces entreprises, les fonds apportent à la fois les capitaux nécessaires à la croissance
de leur activité et une expertise technique et stratégique. Loin de s'apparenter à un coup d'État
de la finance sur l'économie réelle, le capital-investissement symboliserait au contraire une
nouvelle forme de partenariat entre les mondes de l'entreprise et de la finance.
Bref, le Capital-investissement fait débat. Il fait d'autant plus débat que sa pénétration
dans les rouages de l'économie réelle ne se limite plus aux économies développées et se
propage, depuis quelques années, aux économies émergentes. Après des débuts poussifs, il
s'est, sous l'impulsion des principales institutions financières de développement, incrusté dans
la quasi-totalité des économies émergentes. Les organismes de développement ne jurent plus
que par lui, louant notamment sa capacité à dynamiser le secteur privé des pays pauvres. Ces
institutions s'efforcent de faciliter son expansion, en incitant les autorités de ces pays à
adapter leur système juridique aux exigences des fonds d'investissement et à mettre en place
un ensemble de mécanismes institutionnels pour les soutenir.
L'apparition et l'institutionnalisation du CI au Maghreb en quelques années seulement
est symptomatique de cette nouvelle tendance qui voit dans le CI un remède aux principaux
maux dont souffrent les économies du Maghreb.
Or, si indiscutablement le CI semble contribuer au développement économique des
pays émergents, force est de constater qu'il induit des changements qui dépassent la simple
problématique économique. En effet, le capital-investissement impose à l'environnement,
notamment légal, de s'adapter à ses conditions de possibilités.
En ce sens, si le CI révolutionne en profondeur le fonctionnement et les habitudes des
populations de ces pays, ne serait-il pas un moyen de «civiliser» les pays émergents?
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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En d'autres termes, le CI ne s'apparente-il pas à une nouvelle forme de colonialisme,
un colonialisme plus subtil qui cherche à mondialiser ce que Braudel considérait comme une
civilisation : le capitalisme?
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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2. Le capital-investissement : une boulimie sans frontières
Le CI fait continuellement les gros titres de l'actualité financière et pourtant son
fonctionnement reste obscur. Cette classe d'actifs s'est imposée en 60 ans au point de devenir
un maillon essentiel du système financier contemporain. Il s'est institutionnalisé au fil des
années grâce notamment à la généralisation de la «Limited Partnership» comme principale
forme organisationnelle.
La boulimie du CI ne semble plus avoir de limite : initialement destiné aux entreprises
en création, il s'est attaqué à des entreprises de plus en plus grosses, au point d'être désormais
en mesure d'acquérir des entreprises cotées en bourse pour les «sortir» du marché.
Nous verrons, en analysant son évolution, qu'il s'agit d'une activité particulièrement
cyclique, marquée par des périodes d'innovations déterminantes. La tendance aujourd'hui,
après la remise en question des LBO générée par l'assèchement du marché de la dette, est aux
économies émergentes. Plus rien ne semble en mesure d'arrêter l'expansion du CI.
2.1. Définitions et fonctionnement
Le capital-investissement est entouré de mystère. Cet aspect mystérieux ne s'explique
pas tant par la volonté des gestionnaires de ces fonds de rester discret que par la nature même
du capital-investissement. «Private Equity», traduction anglaise pour capital-investissement,
fait référence au fait que ce type de financement s'adresse principalement à des entreprises
non cotées en bourse et, par là-même, suppose des transactions financières exemptées
d’enregistrement auprès des autorités de marché. En conséquence, l’information sur ces
transactions privées est souvent limitée. L'opacité du CI complique l’analyse de ce marché et
explique qu'un certain nombre de rumeurs et de clichés circule à son sujet. En cela, il est
nécessaire de regarder plus en détail les principes et les mécanismes qui sous-tendent son
fonctionnement.
Il existe plusieurs définitions du Capital-Investissement et nous reprenons celle
proposée par Mike Wright2 : «Le capital-investissement est traditionnellement défini comme
l'investissement, à long terme, réalisé par des investisseurs professionnels dans les fonds
propres de firmes non cotées, en contrepartie d'un gain en capital aléatoire complété par un
rendement en dividende». D'autres définitions insistent sur le fait que le CI se distingue des
2
Mike Wright, “Le capital-investissement”, Revue française de gestion, 2002
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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autres investissements, dans la mesure où l'investissement dans le capital d'une entreprise non
cotée se fait par un processus de négociation.
Quelles que soient les variations des définitions, il s'agit avant tout d'un sous-ensemble
de l'univers de la gestion d'actifs alternative au même titre que les hedge funds ou les fonds
Real Estate. En pratique, les fonds de CI procèdent de la mise en commun de capitaux, par
des compagnies d'assurance, des fonds de pension ou des entreprises, pour racheter des
participations dans d'autres entreprises. Une fois l'entreprise ciblée rachetée, elle est
transformée dans le but d'accroître sa valeur et de revendre la participation du fonds plus
chère. Plus que toute autre forme de financement, le capital-investissement a vocation à
“transformer” l'entreprise ciblée, dans l'objectif d'augmenter sa valeur, et se veut, en cela, une
forme “active” de financement.
Le succès grandissant du CI s'explique par la capacité de certaines équipes de gestion
à dégager des rendements significativement supérieurs aux investissements traditionnels sur
les marchés boursiers. En contrepartie, ce type d'investissement s'avère beaucoup plus risqué
et nettement moins liquide.
2.1.1. Une classe d'actifs qui intervient à toutes les étapes de la vie d'une
entreprise
Le Capital Investissement est extrêmement hétérogène et ne se limite pas aux quelques
fonds gigantesques qui tiennent en haleine les commentateurs économiques. Le CI est un
terme très large, utilisé pour définir différents types de fonds ou d'investissements.
On dénombre une multitude de fonds qui se distinguent selon :
leur
stade
d’intervention
(capital-amorçage,
capital-risque,
capital-
développement, capital-transmission ou LBO,…),
leur secteur cibles (généralistes, sectorielles, géographiques)
Le capital-investissement peut investir dans une entreprise tout au long de sa vie et
s'adresse aussi bien à des entreprises en création, en pleine croissance ou en restructuration. A
chaque étape de la vie d'une entreprise correspond une sous-branche du capitalinvestissement, aux caractéristiques suivantes :
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Capital-amorçage : très risqué, il cible les projets entrepreneuriaux encore au
stade de la Recherche et Développement avec pour objectif de parfaire le
développement d'une technologie et de commencer à tester son potentiel sur le
marché.
Capital-risque: également très risqué, il consiste à apporter du capital, ainsi que
réseaux et expériences, à une entreprise en création et à fort potentiel. Les
investisseurs espèrent que les quelques projets qui réussissent permettent de
compenser les pertes en capital de ceux qui échouent.
Capital-développement : il s'adresse à des entreprises déjà établies sur un
marché et qui ont besoin de nouveaux financements pour supporter leur croissance
(interne ou externe).
Capital-transmission: également connues sous le terme anglais LBO,
(Leveraged buy-out), il consiste à acquérir la totalité du capital d'une entreprise,
généralement rentable et en pleine maturité, par une combinaison de capitaux et de
financements bancaires (dette structurée).
Capital-retournement : il consiste à acquérir en totalité ou la majorité du capital
d'une entreprise en difficulté, pour y injecter les ressources financières qui permettront
son redressement.
La grande hétérogénéité du capital-investissement explique que ces fonds soient gérés
par de véritables professionnels pourvus de qualifications et d'expertises spécifiques aux
différentes étapes de la vie d'une entreprise. Dans la mesure où le CI se veut un mode de
financement actif, les professionnels du CI se doivent de comprendre avec précision les
différents facteurs qui font qu'une entreprise ait du potentiel ou non. De même, l'expertise de
ces investisseurs est nécessaire pour limiter les coûts d'agence, c'est-à-dire le risque que
l'asymétrie d'information engendre des décisions sous-optimales.
Le CI est une classe d'actifs à part. Plus qu'ailleurs, les investisseurs en capital se
veulent des actionnaires engagés aux côtés des dirigeants de l'entreprise lors des prises de
décision stratégiques et s'immiscent dans la gestion de l'entreprise. Nous verrons que cette
dimension active est un des arguments utilisés pour souligner l'apport bénéfique du CI dans
une entreprise. Les CI justifient leur métier par leur capacité à créer de la valeur.
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2.1.2. Généralisation de la « Limited Partnership »
Le capital-investissement s'est professionnalisé au fil des années. Progressivement la
plupart des fonds, quelle que soit leur domiciliation, se sont structurés sur le modèle de la
“Limited Partnerships”(LP). Cette version anglo-saxonne de la Société en Commandite
Simple française permet de dissocier les rôles et les responsabilités des investisseurs
institutionnels, - les “limited partners”(Lps)-, et des gestionnaires professionnels du fonds, les “general partners”(Gps).
Dans une “Limited Partnership”, les “general partners” se spécialisent dans la
recherche, la structuration et la gestion des investissements. Ce type d'actionnariat est plus
actif et influent que les autres, puisqu'il permet de contrôler l'entreprise de manière formelle et
informelle et de garantir ainsi la maximisation des intérêts des actionnaires.
Chaque fonds a une durée de vie contractuelle, généralement de dix ans. Pendant les
trois ou cinq premières années, le capital du fonds est investi. Après cette première phase
d'investissement, les investissements sont suivis et gérés puis progressivement “liquidés”.
Au fur et à mesure de la liquidation des investissements, le fonds redistribue aux Lps
le profit généré par ces investissements en cash ou en titres financiers. Généralement une
équipe de gestion lève un nouveau fonds à partir du moment ou l'ensemble des capitaux ont
été investis (et donc tous les 3 ou 5 ans). Chaque fonds est une entité légale distincte, gérée
indépendamment des autres fonds affiliés à une même société de gestion.
Les LP ne sont pas sans contraintes : les fonds investis sont assez peu liquides pendant
leur durée de vie et les investisseurs manquent de moyens pour contrôler la manière avec
laquelle ils sont gérés. Il existe néanmoins des mécanismes permettant d'aligner les intérêts
des différentes parties prenantes : la rémunération des Gps dépend en grande partie de la
performance de ses investissements et certains arrangements donnent aux Lps un droit de
regard (et éventuellement de validation) sur les activités des Gps.
Jusqu’aux années 70, le CI était peu structuré et s'adressait essentiellement à quelques
familles aisées et quelques grandes entreprises industrielles. Les LP étaient encore peu
utilisées. Ce n'est qu'à partir des années 80 que la gestion de la plupart des investissements
s'est vue déléguée sous cette forme à des intermédiaires professionnels pour le compte
d’investisseurs institutionnels.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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La généralisation de cette structure organisationnelle a plusieurs raisons. D'abord, les
réformes législatives de la fin des années 70 ont permis le succès du CI en donnant aux fonds
de pension et de retraite le droit de placer plus facilement leurs avoirs dans des fonds de ce
type. L'impact de ces réformes est impressionnant : entre 1980 et 1995, l'encours sous gestion
des fonds de CI aux États-Unis est passé de $4.7 milliards à $175 milliards.
Ensuite, cette structure permet à des institutions financières, dont ce n'est pas le
métier, de déléguer à des professionnels la gestion de leurs placements en capitalinvestissement. Cela limite considérablement les risques pour ces investisseurs institutionnels.
Incontestablement, l'adoption de cette structure a permis d'attirer de nouveaux investisseurs.
Enfin, la LP s'est rapidement imposée comme la forme la plus adaptée aux problèmes
caractéristiques de l'investissement dans des entreprises non-cotées : problèmes d'asymétries
d’information entre Lps et Gps, problèmes d'incitations à la performance. La durée de vie
limitée du fonds contraint les Gps à lever régulièrement levé de nouveaux fonds et donc à
satisfaire les attentes en termes de performance des Lps (les mauvaises performances d'un
fonds rendent quasiment impossibles des levées de fonds ultérieures).
La généralisation de la LP est intéressante à plus d'un titre. A la fois cause et
conséquence du succès du CI, elle est la preuve qu'une innovation organisationnelle, couplée
à des réformes fiscales et légales, peut générer de l’activité dans un marché particulier. Cette
structure a indéniablement permis l'institutionnalisation du CI.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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2.1.3. Acteurs et structure
L'industrie du CI se structure autour de trois acteurs principaux et d'un assortiment
d'acteurs mineurs : les investisseurs, les professionnels du CI, les entreprises candidates et une
myriade d'intermédiaires.
Les investisseurs
Les principaux investisseurs en capital-investissement sont les fonds de pension, suivis
des compagnies d'assurance, des banques d'affaire, de familles et de particuliers aisés et des
entreprises. On assiste depuis peu à l'émergence d'une nouvelle catégorie d'investisseur : les
institutions financières de développement.
Au fur et à mesure de la croissance du capital-investissement, le marché s'est
sophistiqué. Un marché secondaire s'est organisé, avec la mise en place de mécanismes
permettant aux investisseurs de revendre leur participation dans un fonds à d'autres
investisseurs. De fait, dans les pays développés, le marché du capital-investissement est
devenu plus liquide (et donc plus attractif).
Il existe pour un investisseur trois manières de rentrer sur le marché:
Le marché primaire, en s'engageant dans un fonds, depuis sa construction
jusqu'au désinvestissement,
Le marché secondaire, en rachetant à des investisseurs leur participation dans
un les fonds et en reprenant son engagement résiduel, au cours de la vie du fonds.
Le co-investissement, en investissant directement dans une entreprise aux côtés
du fonds (certains investisseurs peuvent parfois s'engager dans un fonds et obtenir de
lui la possibilité de co-investir de manière opportuniste).
La plupart des investisseurs institutionnels investissent dans des fonds de CI pour des
raisons strictement financières : obtenir des rendements supérieurs aux autres types
d'investissement et diversifier leurs portefeuilles. D'autres institutions, comme les banques,
s'intéressent à cette industrie pour les synergies potentielles avec leurs propres activités. Les
banques commerciales sont habituées à prêter aux petites et moyennes entreprises et sont en
contact avec de nombreuses entreprises potentiellement candidates au CI. Parallèlement, en
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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investissant dans des fonds de capital-investissement, les banques peuvent générer de l'activité
en prêtant ensuite aux entreprises dans lesquelles le fonds investit. Autre exemple de synergie
potentielle, les entreprises peuvent, en investissant en capital-amorçage ou en capital-risque,
repérer des start-up qui, à terme, pourraient correspondre à leurs propres objectifs
stratégiques.
Dans les années 90, une nouvelle forme d'investisseurs est apparue. La chute des
régimes communistes et l'amélioration manifeste des économies en transition semblaient alors
donner raison aux tenants du libéralisme. Les principaux organismes de développement ont
réorienté leur politique d'aide, estimant désormais que le secteur privé, plus que l'État, devait
jouer le rôle de catalyseur du développement.
L'environnement politique et légal des
économies émergentes a favorisé la libéralisation des marchés et l'abaissement des barrières
commerciales, et les institutions de financement du développement ont rapidement décelé le
potentiel du CI à dynamiser le secteur privé de ces pays.
Les gestionnaires
Les gestionnaires, c'est-à-dire les Gps, gèrent les investissements. La plupart de ces
gestionnaires sont issus du monde de l'entrepreneuriat, de l'industrie, de la banque d'affaire ou
du conseil. Ils sont le plus souvent affiliés à une société de gestion spécialisée indépendante.
Les sociétés de gestion les plus célèbres sont KKR, Carlyle, Blackstone ou encore Texas
Pacific Group. Quelques équipes de gestions peuvent également être affiliées à des
institutions financières (compagnies d'assurance, holding de banques, banques d'affaires).
Quelle que soit l'affiliation des Gps, tous les fonds sont gérés sur le même mode.
Il est nécessaire pour un fonds de CI d'asseoir sa réputation, sinon il ne pourra plus
lever de nouveaux fonds. Cette réputation dépend de certains facteurs tels que le «track
record» de l'équipe de gestion. En finance, la confiance se gagne par la performance et les
fonds se livrent une concurrence acharnée pour lever des capitaux. L'historique des
performances est souvent le principal facteur de différenciation.
Les gestionnaires se rémunèrent sur la base de frais de gestion prélevés sur les
montants investis et sur une part des profits dégagés par leur investissement. Les frais de
gestion sont fixés à un pourcentage qui varie entre 1 et 3% de l'encours. Le « carried interest »
(la participation au profit) est généralement de l'ordre de 20% de la surperformance du fonds
(surperformance par rapport à un « benchmark » fixé autour de 7%).
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Les entreprises candidates
Les entreprises candidates au capital-investissement varient selon leur taille et les
motivations qui les poussent à lever du capital. Dans la mesure où le CI est une forme de
financement très contraignante, elles partagent toutes un point commun : la difficulté ou
l'impossibilité à lever de la dette auprès des banques ou des capitaux sur les marchés boursier.
Les entreprises ciblées par des fonds de capital-risque sont généralement des
entreprises jeunes, souvent des entreprises innovantes développant des activités susceptibles
de connaître une forte croissance dans le futur. Elles peuvent également être des entreprises
en création, encore au stade de R&D et des premières tentatives de commercialisation, ou des
entreprises plus mûres à la recherche d'opportunités de croissance.
Depuis le début des années 80, le capital-risque est devenu marginal et a laissé la
place, en termes de volumes d'investissement, aux autres segments du capital-investissement
ciblant des entreprises plus établies.
La majorité des capitaux est investie dans des entreprises de taille moyenne (avec un
chiffre d'affaire compris entre 25 millions US$ et 500 millions US$). Ces entreprises sont
souvent stables et bénéficiaires, avec des activités dans la production, la distribution, les
services et les biens de consommation. Elles lèvent des capitaux auprès des fonds de PE pour
financer leur expansion – en renouvelant leur moyens de production ou en faisant l'acquisition
d'autres entreprises - ou pour modifier la structure de leur capital (dans les années 90, une
vague de départ à la retraite de nombreux dirigeants d'entreprises a accéléré la croissance du
CI).
Des entreprises cotées en bourse peuvent également faire appel à des fonds en
émettant une combinaison d'obligations et d'actions pour financer des «Management Buy
Out» ou des «Leverage Buy Out».
Il est également fréquent que des entreprises cotées en difficulté financière se tournent
vers des fonds d'investissement, pour éviter la mise en faillite; dans la mesure où ils
investissent à plus long terme que les acteurs des marchés boursiers, ces fonds peuvent plus
facilement prendre le risque d'investir dans des entreprises au bord de la faillite.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
18
Agents et consultants
A mesure de la croissance du capital-investissement, tout un secteur d'activité s'est mis
en place, spécialisé dans l'intermédiation et la production d'information. Ces agents sont
spécialisés dans les levées de fonds, l'intermédiation entre les investisseurs institutionnels et
les sociétés de gestion, l'évaluation et la sélection des fonds. Leur existence est
essentiellement due aux coûts importants liés aux problèmes d'information.
Ils facilitent également l'accès des entreprises en recherche de financement à des fonds
de CI et peuvent intervenir au niveau de la structuration de l'investissement, de la valorisation
et des négociations. Ils sont particulièrement utiles pour les institutions financières peu
familières avec le fonctionnement du capital-investissement.
En quelque sorte, ces intermédiaires ont permis de fluidifier l'industrie du CI.
2.1.4. Un processus d'investissement centré sur le contrôle de
l'information
Le principal problème auquel les investisseurs en CI doivent faire face est lié à
l'asymétrie d'information : les propriétaires et les dirigeants de l'entreprise connaissent mieux
les conditions de leur entreprise que toute personne extérieure3. Ils peuvent avoir intérêt à
accentuer les facteurs positifs et à diminuer les difficultés potentielles et profiter de cette
asymétrie d'information aux dépens des investisseurs. Cela suppose de la part des
investisseurs une phase intensive d'investigation en préliminaire à tout investissement (la «due
diligence») et un suivi constant des performances de l'entreprise une fois le contrat
d'acquisition signé. Cette phase d'investigation ne pourrait pas être effectuée efficacement par
un trop grand nombre d'investisseurs. Un des intérêts de la LP consiste précisément à déléguer
la résolution de ce problème d'information à un intermédiaire unique.
Les gestionnaires des fonds sont particulièrement impliqués dans les premières phases
de l'investissement afin de réduire les problèmes de sélection contraire. Une équipe de gestion
reçoit un nombre considérable de propositions d'investissement par an et le nombre
d'entreprises sélectionnées pour investissement est proportionnellement très faible.
3
Nous verrons que l'étude de cette asymétrie d'information a donné naissance à un vaste corpus théorique : la
“théorie d'agence”
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
19
Le succès d'une équipe de gestion repose sur sa capacité à sélectionner ces entreprises
efficacement. Les propositions d'investissement sont filtrées, afin d'écarter celles peu
prometteuses ou ne correspondant pas aux critères d'investissement du fonds, généralement
spécialisé par type d'investissement, secteurs d'activité ou localisation géographique.
Cette spécialisation réduit le nombre des opportunités d'investissement et souligne le
degré d'expertise nécessaire pour prendre des décisions d'investissement fructueuses. Les
informations clé fournies avec la proposition d'investissement sont vérifiées et les principales
hypothèses du Business Plan sont analysées.
D'après Wright4, «les CI utilisent trois critères génériques pour filtrer leurs
investissements : la viabilité et la nouveauté du projet, l’évolution de la performance des
dirigeants et leurs qualités en termes d’intégrité et de leadership, la rentabilité espérée du
projet et les possibilités de sortie.»
En fonction de la maturité de l'entreprise, certains facteurs sont plus déterminants que
d'autres. Pour les investissements dans des entreprises en création, les critères principaux sont
la qualité des dirigeants de l'entreprise et la viabilité économique des produits ou des services
développés par l'entreprise. Dans le cadre d'investissements dans des entreprises plus établies,
le principal objectif consiste à obtenir une connaissance précise de l'entreprise et de son
environnement. Si l'entreprise est en difficulté, l'effort est mis sur les discussions avec les
principaux prêteurs. Dans le cas d'une entreprise familiale, les problèmes de succession sont
au centre de l'attention. Pour les acquisitions avec beaucoup d'effet de levier, l'effort est mis
sur la modélisation des flux de trésorerie.
Ce processus d'analyse peut prendre plusieurs mois, avec de fréquentes visites au sein
de l'entreprise, des rencontres avec le personnel clé et la participation d'avocats d'affaire,
d'auditeurs et de consultants stratégiques.
Des due diligences intensives sont nécessaires dans la mesure où peu d'information est
accessible publiquement et où très souvent l'équipe de CI n'a jamais eu de relation avec
l'entreprise. De fait, un fonds de CI repose en grande partie sur l'information qu'il est luimême capable de générer. L'asymétrie d'information entre les investisseurs extérieurs et les
dirigeants de l'entreprise peut fausser la capacité des financiers à évaluer l'entreprise et leur
faire prendre des décisions sous-optimales.
4
Mike Wright, “Le capital-investissement”, Revue française de gestion, 2002
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
20
Les fonds mettent en place des mécanismes de contrôle à chaque étape du processus
d'investissement. Lorsqu'il s'agit de structurer l'opération d'acquisition, les fonds s'efforcent
d'inciter les entrepreneurs et les dirigeants à la performance et à révéler l’information
pertinente, en liant les rémunérations à la richesse créée, et en activant des clauses qui les
récompensent en cas d'atteinte des objectifs (“earn-out”) ou d'échec. Il est également fréquent
que les managers se voient octroyer des parts significatives dans l'entreprise. L'acquisition se
fait généralement de manière graduée et par l'utilisation d'instruments financiers convertibles
en actions.
Les fonds garantissent leur contrôle de l'entreprise en négociant des sièges et des droits
de vote aux conseils d'administration. Leur connaissance de l'entreprise, permise par les due
diligences, et l'expertise acquise avec les autres investissements leur permet d'avoir un regard
affuté sur le fonctionnement de l'entreprise. Même dans le cas d'un investissement
minoritaire, il s'agit généralement au moins d'une minorité de contrôle. Les fonds de CI sont
toujours parmi les principaux actionnaires, - ce qui leur donne une influence considérable
pour garantir le respect de leurs intérêts-, et aucune décision stratégique majeure ne peut être
prise sans leur accord.
2.2. Évolution et tendances du capital-investissement : l'éternel retour
de Schumpeter
Au fil des années, le marché du CI s'est considérablement sophistiqué. La
généralisation de la LP comme principale forme organisationnelle régissant les interactions
des différents acteurs du CI témoigne de la capacité de cette industrie à se structurer de
manière optimale. Cette structure est optimale, au moins en apparence, dans la mesure où elle
semble adaptée aux problèmes d'agence, particulièrement cruciaux lorsqu'il s'agit d'investir
dans des entreprises non-cotées, pour lesquelles peu d'information est disponible. Nous
verrons ultérieurement que la capacité du CI à surmonter les problèmes d'asymétrie
d'information en fait un véhicule de financement privilégié pour les entreprises des économies
émergentes, qui ont, pendant longtemps, brillé par leur manque de transparence. La montée en
puissance du CI dans les pays émergents serait une conséquence de cette propension à
analyser le risque d'un investissement dans ses moindres détails et la preuve que ce type de
financement est le plus adapté à un environnement risqué.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
21
L'analyse de l'évolution du CI suggère que ce mode de financement n'a cessé de
s'adapter au gré de son environnement. En réalité, il ne s'est pas simplement adapté et il a,
notamment par le biais d'un intense lobbying auprès des autorités publiques, crée ses propres
conditions de possibilité en stimulant les réformes du système législatif et fiscal. On peut
donc s'interroger : le succès du CI est-il dû au fait qu'il soit et qu'il se soit adapté à son
environnement, ou au contraire a-t-il exploité, «du dedans», son environnement pour
s'imposer?
D'une certaine manière, cette question est propre à tout débat ayant trait à l'analyse de
l'évolution, en biologie ou en sciences humaines. L'économie s'inspire souvent du darwinisme
et de la théorie de la sélection naturelle pour expliquer l'évolution de certains phénomènes
économiques. Les théories de l'évolution et de la sélection naturelle ont imposé l'idée, à
l'ensemble des champs d'investigation scientifique, que tout processus de changement et
d'innovation se fait en réaction à des facteurs exogènes. Cela reviendrait à dire que le CI en
tant qu'«espèce» économique, pour filer la métaphore biologiste, aurait évolué selon un
processus d'adaptation aux contraintes imposées par son environnement économique, social et
politique. On trouve dans Wikipedia une définition intéressante de la théorie de l'évolution :
«L'environnement «encadre» ces mutations par le biais d'un phénomène appelé sélection
naturelle : un gène présentant un avantage pour une espèce dans un environnement donné,
permettant à ses représentants d'atteindre le mieux possible la maturité sexuelle, se répand
chez les individus d'une même espèce, a contrario s'il est néfaste, il disparait. [...] C'est donc
l'environnement qui décide de l'évolution des espèces, celles-ci évoluant pour être toujours
plus adaptées à celui-ci.»
La théorie de l'évolution, fournie par la biologie moderne et appliquée au CI,
suggèrerait que le succès du CI s'explique avant tout par son adaptation à son environnement.
En ce sens, la Limited Partnership, en tant que principale forme organisationnelle du CI, serait
de facto la structure la plus adaptée aux contraintes agissant sur le CI.
Pourtant, nous verrons que, pour s'imposer, le CI a dû agir sur son environnement. Son
institutionnalisation s'est faite par la création d'une multitude d'associations, calquées sur le
modèle de la US National Venture Capital Association (1973), qui ont milité auprès des
autorités pour assurer leur propre croissance. En d'autres termes, l'évolution du CI s'est
également faite de manière endogène par, pour reprendre un concept cher à Nietzsche, cette
«volonté de puissance» qui permet à une espèce de s'imposer à son environnement. Dans un
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
22
fragment posthume intitulé « Contre le Darwinisme », Nietzsche proposait une conception de
l'évolution radicalement opposée à celle de Darwin : «L'utilité d'un organe n'en explique pas
la genèse, au contraire! Pendant la plus longue partie du temps où une qualité se forme,
l'individu n'en bénéficie pas, elle ne lui sert pas, surtout dans la lutte contre les circonstances
extérieures et ses ennemis.» Et Nietzsche d'aller plus loin: «L'influence des circonstances
extérieures a été follement exagérée par Darwin. L'essentiel du processus vital est justement
cette force immense de formation, qui crée des formes "du dedans", qui utilise, exploite les
"circonstances extérieures".»
Bref, dans une telle optique, l'environnement économique ne constituerait qu'un
moyen pour le CI de se développer.
Nous verrons que le CI procède à la fois d'une évolution nietzschéenne et darwinienne.
D'un côté le CI a pu se développer en s'adaptant à sa réalité ambiante. D'un autre côté, il s'est
imposé à l'environnement en exploitant les opportunités offertes par celui-ci. Deux
conceptions de l'évolution aussi contradictoires que celles de Nietzsche et de Darwin semblent
a priori impossibles à concilier. Pourtant, nous verrons que Schumpeter, qui s'était fait une
spécialité de concilier l'inconciliable, a dessiné une théorie de l'évolution économique qui
correspond bien au CI.
2.2.1. Entre adaptation à l'environnement économique et capacité à
façonner l'environnement légal : Darwin ou Nietzsche?
La gestation du CI et sa propagation se sont accélérées au rythme de la mondialisation.
Apparu il y a 50 ans aux États-Unis, il a mis 30 ans pour s'imposer en Europe et 15 ans en
Europe de l'est et en Amérique latine. Sous l'impulsion initiale des principales institutions de
développement, le CI s'est attaqué aux économies émergentes. Il est solidement implanté en
Asie depuis 10 ans et on assiste, depuis environ 5 ans, à son institutionnalisation dans les
économies africaines et maghrébines.
En 2007, 71% des investissements en CI avaient lieu aux États-Unis (contre 66% en
2000). Entre 2000 et 2007, la part de l'Europe est passée de 20% à 15%, essentiellement à
cause d'une activité plus intense aux États-Unis. Pendant la même période, le CI est montée
en puissance en Asie Pacifique, - particulièrement en Chine, à Singapour, en Corée du Sud et
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
23
en Inde-, et est passé de 6% à 10%. En 2007, les fonds de LBO concentrent une large majorité
des investissements et représentent 89% du marché, contre 20% en 2000.
Indéniablement, le CI a une influence considérable sur le fonctionnement du
capitalisme mondiale au point que certains auteurs, à l'image de Michael Jensen5, y voient une
véritable révolution et une remise en cause radicale du système traditionnel fondé sur les
grandes entreprises cotées en bourse. Cet auteur, dès les années 80, prédisait l'éclipse du
système traditionnel des entreprises financées par les marchés boursier au profit du monde du
non coté. Pour Jensen, cette transformation s'expliquait par une mutation en profondeur du
mode de gouvernance des entreprises et la nécessité d'une relation plus solide entre
actionnaires et dirigeants. Cette idée d'une «éclipse» du système traditionnel au profit du CI
s'est vue renforcée par la tendance des méga-fonds de LBO à racheter intégralement et à
«sortir» des entreprises cotées des marchés boursiers.
Comment en est-on arrivé là? Quels facteurs ont permis à ce modèle de financement
de s'imposer comme une alternative possible au système traditionnel?
Jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, seuls quelques riches particuliers et familles
aisées s'intéressaient à ce type de financement et le Capital-Investissement tel qu'il fonctionne
aujourd'hui existe depuis la seconde moitié du 20e siècle seulement.
L'origine du CI serait la création en 1946 de l’American Research and Development
Corporation (ARD), dont le but consistait à lever des fonds auprès d’investisseurs
institutionnels pour financer et aider les entreprises crées par des soldats revenant de la
seconde Guerre Mondiale. Constatant que la distribution de la richesse aux États-Unis était
de plus en plus concentrée entre les mains des institutions financières, les fondateurs de
l'ARD souhaitaient initier la création d'institutions privées, susceptibles d'attirer des
investisseurs institutionnels tout en subvenant aux besoins en capital et en expertise
managériale des entreprises dans lesquels ils investissaient. Parallèlement à la création de
l'ARD, on assistait à l'époque à la création d'organisations professionnelles similaires gérant
les investissements en capital-risque des familles fortunées.
Dans les années 50, le congrès américain a pris un certain nombre de mesures
permettant de dynamiser le financement des petites entreprises. Avec le Small Business
5
Michael C. Jensen, “Eclipse of the Public Corporation”, Harvard Business Review, 1989
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
24
Investment Act (SBIC) de 1958, les législateurs ont favorisé la création d'organismes privés
dont le but consistait à apporter du capital géré professionnellement à des entreprises risquées.
Ces organismes étaient autorisés à apporter du capital sous forme de prêts et avaient droit à
des réductions fiscales. Ils étaient néanmoins soumis à certaines restrictions, concernant la
taille des entreprises dans lesquelles ils investissaient et la possibilité de prendre le contrôle
des compagnies qu'ils rachetaient. Ces restrictions expliquent que les investisseurs
institutionnels s'en soient détournés dans un premier temps. Dans les années 50, le fisc
américain passait une loi, le code 1244, autorisant les petits investisseurs à défiscaliser les
pertes engendrées par des investissements inférieures à $25000.
A l'époque, le CI ne ciblait encore que des petites entreprises en création et se limitait
au capital-risque. Les SBICs ont progressivement disparu sans jamais connaître de succès
auprès des investisseurs institutionnels. Elles ont néanmoins permis à toute une classe de
professionnels d'acquérir une expérience considérable. A partir des années 60, ces
gestionnaires, estimant que les SBICs ne leur permettaient pas suffisamment de s'enrichir, ont
formé un nombre significatif de «Limited Partnerships». La généralisation de cette forme
organisationnelle par les gestionnaires de fonds de CI a attiré des investisseurs plus
sophistiqués. Moins d'une décennie plus tard, le CI était finalement reconnu comme une
industrie à part entière et, en 1973, la très influente US National Venture Capital Association
voyait le jour.
Un aspect remarquable du CI, au regard de son évolution historique, est la capacité de
cette industrie à adapter son mode opératoire à la réalité économique et à transformer, sur un
mode quasi dialectique, les obstacles en opportunités.
Dans les années 70, un certain nombre de facteurs contribuaient à ralentir le rythme
des investissements et freiner l'essor du CI. Entre autres facteurs, la faiblesse du marché des
introductions en bourse limitait les possibilités de sortie des investissements.
Paradoxalement, ce manque d'opportunités de «sortie» s'est révélé propice au CI. En
incitant les gestionnaires à recentrer leur activité sur les investissements en cours au détriment
de la recherche de nouveaux investissements, ce manque d'opportunités de sorties leur a
permis de prendre conscience de l'importance à donner au suivi et au contrôle des entreprises
en portefeuille. Loin de les décourager, ce contexte difficile a poussé les investisseurs à
élaborer de nouvelles stratégies d'investissement. Malgré le ralentissement du financement
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
25
des start-up, les rendements des fonds de CI et les capitaux à disposition continuaient
d'augmenter, annonçant la montée en puissance de l'industrie du CI des années 80.
Progressivement, de nombreux fonds se sont redirigés vers l'acquisition d'entreprises
plus établies. Le LBO était né. Grâce un intense lobbying entre 1978 et 1980, les fonds de CI
sont parvenus à modifier la régulation des fonds de retraite (qui étaient jusqu'alors contraints
d'investir en obligations), engendrant une croissance explosive de l'industrie. Le Ministère du
Travail américain a réformé les règles limitant les investissements des fonds de pension et les
a autorisé à investir dans le CI. La croissance du CI des années 80 a été renforcée par de
nouvelles réformes législatives. L'industrie s'est servie de nouveaux décrets tels que le Small
Business Investment Act de 1980 qui les définissait comme des entreprises de développement
(ce qui offrait de nombreux avantages fiscaux). Par ailleurs, une nouvelle loi sur les stockoptions en 1981 a élargi la possibilité d'utiliser les stock options comme une alternative aux
mécanismes de rémunération traditionnels, attirant ainsi de nouveaux investisseurs.
En Europe, le développement de l'industrie du CI a peiné à démarrer dans les années
80 et a réellement pris forme dans les années 90. Des changements structurels et législatifs,
notamment concernant la législation régissant les fonds de pension et les compagnies
d'assurance, ont permis la libéralisation des choix d'investissements pour les investisseurs
institutionnels. Le déplacement des actifs financiers des produits obligataires vers les
investissements en actions s'est accéléré à la fin des années 90, grâce à un environnement
économique marqué par une faible inflation et la libre circulation des capitaux permise par la
création de l'Euro. Comme aux États-Unis, des réformes fiscales sur l'impôt sur les bénéfices
ont servi de catalyseur pour les investissements en CI en Europe.
Ce bref aperçu de l'évolution du CI aux États-Unis et en Europe révèle plusieurs
choses. D'abord, le CI a pu prendre forme grâce à un environnement légal qui s'est
progressivement ouvert à ce type de financement. Avec un système légal plus contraignant, le
CI en serait certainement resté à sa version embryonnaire des années 50. Cela semble donner
raison à une conception darwiniste de l'évolution du CI puisqu'il s'est développé en réaction à
un certain nombre de mesures qui ont permis son existence. Nous sommes ici dans un schéma
où les facteurs de changements sont exogènes.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
26
D'un autre côté, le CI s'est développé grâce à sa capacité à innover. Incontestablement,
la création de l'ARD par Doriot, français naturalisé américain, était une innovation en soi et
non le fruit d'une décision exogène des autorités publiques. De même, le fait que le CI ait
milité pour son propre développement et ait su convaincre les autorités de faciliter son
expansion (en permettant notamment aux fonds de pension de réorienter leurs capitaux vers le
CI) donne raison à une conception davantage nietzschéenne, à savoir une forme de «volonté
de puissance», une volonté de s'imposer à l'environnement.
2.2.2. Évolution du capital-investissement et destruction créatrice
schumpéterienne
Malgré les apparences, ces deux types d'évolution ne sont pas contradictoires.
Schumpeter6, dans ses réflexions sur l'évolution économique laissait entendre que ces deux
modes d'évolution peuvent coexister. Les allusions précédentes à Darwin et Nietzsche nous
semblent pertinentes dans le sens où Schumpeter s'est inspiré de ces deux penseurs pour
dessiner sa propre théorie de l'évolution économique (avec néanmoins une préférence plus ou
moins implicite pour la philosophie de Nietzsche)7.
Jusqu'à Schumpeter, les économistes, notamment les néoclassiques, avaient conçu un
système économique «statique», fondé sur l'existence d'équilibres de type walrasien. Les
changements et les innovations étaient alors perçus comme des réponses adaptatives à des
chocs exogènes, tels que des changements technologiques, en capital, en besoins, en main
d'œuvre, etc. Pourtant, pour Schumpeter, ces chocs exogènes ne peuvent provoquer que des
réponses «adaptatives» de la part de la majorité des agents économiques.
Il estimait de fait, -et cette idée était révolutionnaire en économie à l'époque-, que
l'essence de l'évolution repose sur les activités humaines qui engendrent ces innovations, plus
que sur les changements technologiques. Ainsi, Schumpeter est un des premiers économistes
libéraux à remettre en question l'idée néoclassique (calquée sur la biologie darwiniste) de
6
J. A. Schumpeter, “Business Cycles. A Theoretical, Historical, and Statistical Analysis of the Capitalist
Process”, McGraw-Hill Book Company
7
H. Reinert & E. Reinert, “Creative Destruction in Economics : Nietzsche, Sombart, Schumpeter”, Cambridge
University
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
27
changements uniquement exogènes et à proposer un modèle économique dynamique, capable
de changer de manière endogène.
Dans son modèle de l'évolution capitaliste, les innovations donnent de l'impulsion à
l'économie, elle-même dans un état constant de tumulte. Toutes les entreprises réagissent au
changement induit par l'innovation en s'adaptant, mais les «réponses» créatives viennent des
entrepreneurs.
L'innovation peut prendre plusieurs formes. A titre d'exemple, Schumpeter mentionne
le cas d'un nouveau produit, d'une nouvelle forme d'organisation ou la création d'un nouveau
marché. Pour Schumpeter, les innovations arrivent souvent groupées, il parle de «grappes
d'innovation», et émergent, dans une industrie, dans les périodes qui suivent des ruptures
organisationnelles ou technologiques.
Un concept clé dans la théorie schumpéterienne était celui des «nouvelles
combinaisons», à savoir une réallocation innovante des ressources économiques, cumulée à
des changements des formes organisationnelles. Dans un système économique, ces nouvelles
combinaisons posent de sérieux problèmes d'ajustement : elles coexistent dans un premier
temps avec les activités établies avant de commencer à les concurrencer puis à les remplacer.
On retrouve ici un concept central dans l'ensemble de l'œuvre de Schumpeter, la
«destruction créatrice», dont il propose une définition dans Capitalisme, socialisme et
démocratie8 :
«L'impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est
imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et
de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle - tous
éléments créés par l'initiative capitaliste. [...] [C'est un] processus de mutation industrielle si l'on me passe cette expression biologique - qui révolutionne incessamment de l'intérieur la
structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant
continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction Créatrice constitue la
donnée fondamentale du capitalisme : c'est en elle que consiste, en dernière analyse, le
capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter. »
8
J. A. Schumpeter, “Capitalisme, socialisme et démocratie”, 1947
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
28
Cette définition du concept de destruction créatrice est au centre de sa description
analytique de l'évolution, telle qu'il l'a présentée dans Business Cycles. L'évolution
économique s'articulerait de la manière suivante :
Équilibre initial : le point de départ analytique est un système économique basé
sur des comportements routiniers solidement enracinés. Ce système a atteint un
équilibre qui permet aux agents, année après année, d'opérer de la même manière
Innovation : l'équilibre initial se rompt lorsqu'une minorité d'innovateurs créent
leurs entreprises. Cela mène à une reprise de l'économie, mais progressivement la
diffusion des innovations s'éteint à cause de l'épuisement des nouvelles qualifications
nécessaires et des difficultés à innover dans des conditions de déséquilibre
Nouvel équilibre par un processus de destruction créatrice : éventuellement,
l'impulsion innovante est insuffisante pour maintenir la reprise économique. La baisse
d'activité accentue le processus concurrentiel de destruction créatrice, avec certaines
anciennes entreprises éliminées du système économiques tandis que d'autres survivent
en détruisant leur manière de faire. A la fin un nouveau système émerge et s'établit.
Le concept de destruction créatrice et la théorie de l'évolution proposée par
Schumpeter prennent tout leur sens en regard de l'évolution du CI :
Indéniablement le CI est en soi une innovation apportée par Georges Doriot,
fondateur de l'ARD et considéré comme le «père du Capital-Risque». Le premier, il a
posé les bases de l'institutionnalisation du CI.
Le remplacement des SBICs par les «Limited Partnerships» est un exemple
d'innovation organisationnelle et de destruction créatrice (en s'imposant, la «Limited
Partnership» a rendu obsolète les formes organisationnelles précédemment utilisées
par le CI).
La capacité de certains professionnels du CI dans les années 70 à élaborer de
nouvelles stratégies d'investissement constitue un autre exemple, dans la mesure où
ces professionnels ont, tout simplement, inventé une nouvelle branche du CI en ciblant
des entreprises plus établies. Cette nouvelle branche du CI a pris de l'ampleur au point
de prendre largement le pas sur le Capital-Risque. Les Gps ont constamment innové et
imaginé de nouvelles modalités de financement, l'innovation la plus flagrante à ce jour
étant sans doute le LBO.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Le CI a su trouver de nouveaux débouchés, en terme de capitaux, en incitant
les autorités publiques à autoriser les fonds de pension à diversifier leurs
investissements.
Nous verrons plus tard que la référence à Schumpeter est d'autant plus intéressante que
le CI est sans doute la pratique financière la plus à même de financer l'innovation.
Ce qui nous intéresse ici, c'est que le paradigme proposé par Schumpeter semble tout à
fait en mesure d'expliquer l'évolution du CI en tant qu'«espèce» économique. Le CI est en
perpétuel renouvellement, à la fois par les contraintes imposés par son environnement et par
la capacité de certains professionnels à innover et à imaginer de nouvelles modalités
d'investissement. La récente remise en question du LBO est représentative d'une activité qui, alors qu'elle était devenu quasiment routinière et que de nombreux auteurs s'imaginaient que
le LBO constituait une forme d'équilibre pérenne du CI -, tend par essence à trouver de
nouvelles sources de développement.
2.2.3. Crise du marché des LBO : éclipse et mutation du capitalinvestissement
L'envol du CI a été interprété comme l'avènement d'un nouvel ordre financier. Depuis
le début du 20ème siècle, les entreprises cotées en bourse étaient au cœur du système
économique et financier. Or la dimension colossale de certains fonds de LBO, - lesquels,
depuis le début du 21e siècle, concentrent plus de 80% des capitaux en CI -, et la
normalisation de transactions de type «public-to-private» (acquisition d'une entreprise cotée
pour la sortir de bourse) étaient en effet susceptibles de modifier en profondeur le
fonctionnement du système économique.
La poussée des opérations de «public to private» par des fonds d'investissement
semblait remettre en question la prééminence des entreprises cotées. L'économiste et
spécialiste des organisations Michael Jensen, dans un article très commenté intitulé The
Eclipse of Public Companies paru en 1989, émettait déjà l'hypothèse d'une marginalisation à
venir des entreprises cotées. Les implications tant sur la gouvernance que sur les
investissements étaient considérables.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Pour Jensen, le fait que les fonds de CI possèdent la quasi totalité des entreprises dans
lesquelles ils investissent permet une rémunération plus incitative des dirigeants et une
organisation plus efficace et moins coûteuse. Les leviers d'action de ces fonds sur les
entreprises qu'ils possèdent sont plus importants que pour les actionnaires traditionnels, trop
dispersés. La substitution du CI au système traditionnel était révolutionnaire selon lui car elle
modifiait complètement le mode de gouvernance de ces entreprises, en favorisant des
relations beaucoup plus solides entre dirigeants et actionnaires.
Pourtant la crise des subprimes a remis en question la pérennité du LBO et suggère
que les spéculations de Jensen sur l'avenir des entreprises cotées étaient un peu hâtives. Les
fonds de LBO sont spécialisés dans l'acquisition d'entreprise en ayant recours à de la dette,
remboursée par les cash-flows générés par l'activité de cette même entreprise. Certaines
opérations de LBO ont fait grand bruit du fait de l'endettement massif des entreprises
rachetées. Dans certain cas, le ratio equity/endettement était de 1 sur 8. Les banques se
prêtaient d'autant plus facilement au jeu qu'elles s'étaient par ailleurs spécialisées dans la
structuration de la dette LBO, qu'elles revendaient à d'autres véhicules financiers comme les
fonds de titrisation (qui portaient également de la dette immobilière).
Le système était devenu un peu délirant. Ces fonds avaient trop de liquidités à
disposition et, ne pouvant pas laisser stagner les capitaux qui leur étaient confiés, se sont mis
à se revendre des entreprises entre eux pour faire tourner leur portefeuille. Bref le système des
LBO tournait à vide.
Or cet âge d'or du LBO semble bel et bien révolu. L’assèchement du marché du crédit
rend incertain le future des fonds de LBO qui ne peuvent plus se reposer sur un marché de la
dette suffisamment liquide. Avec ces modifications des conditions de financement, les fonds
de LBO perdent leur attrait. Les fonds de LBO brillaient par leur sophistication et
symbolisaient l'innovation financière du CI, et aujourd'hui ils ne trouvent plus de quoi
continuer leur activité. Ils se voient reprocher tous les maux des économies dans lesquelles ils
étaient pourtant appelés à régner. Peut-être à tort, on met sur leur compte l'endettement
généralisé des entreprises européennes et américaines. Le crédit se raréfiant, les acquisitions
seront désormais plus difficiles à clôturer et les fonds auront de plus en plus de mal à revendre
leurs participations dans de bonnes conditions.
Les fonds de LBO, compte tenu de la conjoncture actuel, semblent discrédités et il
parait probable que les autorités, sous la pression populaire, modifient les conditions légales
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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qui régissent les fonds de CI. On devrait logiquement tendre vers davantage de régulation (du
moins dans les économies développées).
Steven N. Kaplan et Per Strömberg9 estiment que le LBO avait atteint une apogée en
2007. Pour ces auteurs, les rendements des investissements des fonds de LBO effectués
pendant la période 2005-2007 seront certainement décevants : la mauvaise conjoncture,
notamment sur le marché de la dette, rend difficile les sorties d'investissements à des
valorisations aussi élevées qu'au moment des acquisitions.
Ils pensent que de nombreuses transactions effectuées pendant la période faste du CI
étaient davantage tirées par la disponibilité de la dette pour financer les acquisitions que par
les améliorations potentielles des opérations et de la gestion de ces entreprises. La baisse des
rendements de ces fonds devrait en retour freiner le niveau des levées de fonds.
Cela ne veut pas dire pour autant que l'industrie du CI n'a plus de beaux jours devant
elle. Le CI a démontré sa capacité à s'adapter et à façonner la réalité économique. Pour Brian
Cheffins et John Armour10, il ne s'agit que d'une «éclipse du capital-investissement» qui
devrait mener à une mutation de son fonctionnement.
Ici encore, la théorie de Schumpeter sur les dynamiques qui sous-tendent l'évolution
du système économique prend tout son sens. Schumpeter nous expliquerait certainement que
le succès des fonds des LBO portait en lui les conditions de possibilité de son propre déclin.
Incontestablement, le CI est sujet à des cycles, où des phases de prospérité alternent avec des
phases de dépression. Les cycles en CI dépendent notamment : des rendements des fonds de
CI, du niveau des taux d'intérêt, de la situation sur les marchés boursiers et de l'environnement
légal, ainsi que de la capacité des professionnels du CI à innover et imaginer de nouveaux
débouchés à leur activité.
Cette dimension cyclique est mise en évidence dans le graphique suivant. La période
actuelle, marquée par une remise en question du fonctionnement du LBO pourrait être
interprétée comme une phase de récession du CI.
9
Steven N. Kaplan & Per Strömberg, “Leveraged Buyout and Private Equity”, 2008
10
Brian Cheffins & John Armour, “The Eclipse of Private Equity”, 2007
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
32
Graphique 1. Cycles du Capital-Investissement
Source : Annual Reports, Venture Economics
Kaplan et Strömberg estiment que les difficultés actuelles des fonds de LBO devraient
contraindre ces derniers à faire, au moins dans un premier temps, des investissements avec
moins d'effets de levier. Certes, cela risque de réduire les rendements potentiels des fonds de
CI (et leur niveau de rémunération), mais, - dans la mesure où le CI parvient en théorie11
(nous y reviendrons) à créer de la valeur -, ils devraient continuer à générer des rendements
supérieurs aux marchés boursiers. Les fonds de CI auront probablement davantage tendance à
prendre des positions minoritaires, au lieu d'acquérir des entreprises dans leur totalité (cela
suppose également un ralentissement des transactions «public to private»).
Les fonds ont acquis par le passé l'expertise nécessaire aux investissements
minoritaires, notamment en capital-risque et en capital-développement. En retour, le progrès
et la sophistication des transactions générés par les LBO donnent aux professionnels du CI un
savoir-faire supplémentaire pour mieux gérer les investissements minoritaires. Souvenonsnous, les difficultés connues par les capitaux-risqueurs dans les années 70 avaient poussé les
11
Deux écoles s'opposent pour déterminer dans quelle mesure le CI crée de la valeur : d'un côté les tenants de la
“théorie d'agence”, pour lesquels le CI minimise les coûts d'agence, de l'autre ceux qui pensent que le CI apporte
un soutient stratégique aux dirigeants d'entreprise.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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fonds de CI à imaginer de nouvelles stratégies d'investissement et à redéployer l'expérience
acquise au fil des ans vers l'investissement dans des entreprises plus établies. On devrait
assister, avec la difficulté actuelle des fonds de LBO, à un retournement similaire. La
demande en investissements minoritaires de la part des entreprises et de leur dirigeants a cru
ces dernières années. Même dans le cas d'entreprises cotées en bourse, l'hostilité des
dirigeants à l'égard des hedge funds et de leur vision court-termiste pourrait contribuer à
améliorer l'image des fonds de CI, en les présentant comme une alternative bénéfique au
cynisme des spéculateurs.
La zone de turbulence actuelle traversée par l'industrie du CI n'est pas sans rappeler la
phase de déséquilibre décrite par Schumpeter dans son séquençage analytique des
dynamiques de l'évolution économique. Certes les facteurs de turbulence sont en partie
exogènes (en l'occurrence la contrition du marché du crédit), néanmoins les fonds de CI qui
s'imposeront seront ceux capables à la fois d'innover et de s'adapter à la nouvelle réalité
économique. Dans un processus similaire à la sélection naturelle en biologie, les fonds
incapables de s'adapter seront éliminés et les fonds survivants calqueront leur mode opératoire
sur les plus innovants.
La tendance sera dorénavant aux entreprises plus petites. Les fonds s’attaqueront
davantage aux marchés étrangers et émergents ou s’allieront à des partenaires stratégiques,
dans de nouvelles formes de transaction. Sans surprise, le retournement économique explique
la résurgence des investissements dans les entreprises en difficulté, dans la mesure où les
prêteurs, comme les investisseurs s’adaptent aux nouvelles réalités. Le CI a démontré par le
passé sa capacité à transformer sur un mode quasi dialectique les obstacles en opportunités.
De toute évidence, une économie faible est synonyme d’opportunité du point de vue de
l’investisseur.
Ainsi, loin de signer sa mort, la crise actuelle du LBO devrait marquer l'avènement
d'un nouveau type de CI.
Les 300 fonds de pension les plus importants ont dépassé la valeur cumulée de 10.000
milliards de dollars en Septembre 2007, or la baisse récente sur les marchés boursiers, les
faillites de nombreux hedge funds et la crise du LBO poussent ces investisseurs institutionnels
à redéployer leur capitaux.
Les grands gagnants seront certainement les fonds qui, avant les autres, ont innové et
exploré de nouveaux territoires. Les fonds spécialisés dans les économies émergentes
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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devraient bénéficier de la crise et attirer les capitaux des fonds de pension, contraints, compte tenu de l'incapacité des fonds de LBO à générer des rendements suffisants -, de se
rediriger vers des activités autrefois jugées trop risquées ou trop peu rentables.
En outre, les fonds de CI dans les économies émergentes devraient bénéficier de la
convergence de deux tendances actuelles de la mondialisation.
La première procède de ce qu’Aglietta et Le Cacheux appellent la « diachronie des
transitions démographiques »12 qui remodèle les rapports Nord-Sud :
«les pays du « Nord », dont les populations sont riches et vieillissantes, ont une capacité
d’épargne et d’accumulation patrimoniale élevée, mais des possibilités d’investissement
productif rentable chez eux relativement limitées, en raison du faible dynamisme de leur
population active ; les pays « du Sud » sont moins développés mais leurs populations, plus
jeunes et plus dynamiques (bien qu’ayant, pour la plupart, déjà entamé leur transition
démographique) ont des capacités d’épargne bien moindres, mais font face à des potentialités
d’investissement rentable plus importantes».
La deuxième tendance favorable au CI dans les économies émergentes résulte de
l'accumulation de liquidités par les autorités des pays asiatiques et arabes. Cette accumulation
de liquidités, couplée à la baisse du dollar, a poussé les autorités de ces pays à trouver de
nouveaux moyens d'investir notamment par le biais de fonds souverains13, lesquels tendent à
investir des montants de plus en plus importants dans les fonds de CI, voir à lever des fonds
eux-mêmes.
Les licenciements massifs dans les milieux financiers forcent déjà les banquiers
d'affaires à s'ouvrir vers de nouveaux horizons professionnels ; certains d'entre eux mettront
certainement leur expertise technique au service des fonds d'investissement émergents.
Ainsi, les économies émergentes, y compris africaines et maghrébines, constituent un
nouvel eldorado pour le CI.
12
13
M. Aglietta & J. Le Cacheux, “De la première à la seconde globalisation”, Revue de l'OFCE, 2007
J. de Larosière, “Les nouvelles dynamiques de la finance mondiale : un rééquilibrage par les pays émergents?”
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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2.2.4. A la découverte de territoires vierges
Malgré la crise actuelle, l'expansion du CI semble inéluctable. Initialement limité aux
pays développés, il prend du terrain dans les pays émergents. Une étude de l'Emerging
Markets Private Equity Association révèle que ce phénomène d'expansion s’est accéléré
considérablement en 2007. 204 fonds ciblant les pays émergents auraient levés près de 59
milliards de dollars, soit une augmentation de 78% par rapport aux 33 milliards de dollars
collectés en 2006.
Tous les continents sont concernés, même l'Afrique où, selon l'African Venture
Capital Association, les levées de fonds en 2006 ont plus que doublé par rapport à 2004 pour
atteindre 2,3 milliards de dollars. En 2006, l'Asie concentrait 58% des fonds de CI,
l'Amérique latine 8%, la Russie et les anciens pays soviétiques 10%, le Proche-Orient et
l'Afrique du Nord (MENA) 8% et l'Afrique 7%. Les fonds destinés à la zone MENA ont cru
de 50% sur la période.
Pourtant, les débuts du CI dans les économies émergentes furent difficiles14. Dès les
années 90, les investisseurs identifiaient de nombreuses entreprises insuffisamment
capitalisées. Les investisseurs y voyaient une opportunité, dans la mesure où ce manque de
capitaux impliquaient des valorisations faibles (et donc des rendements intéressants). Les
conditions macroéconomiques s'amélioraient et les gouvernements locaux semblaient plus
réceptifs aux sirènes du CI. Néanmoins, si toutes les conditions paraissaient réunies, la
myriade de fonds levés dans les années 90 n'a pas généré les rendements escomptés.
Ces fonds se contentaient de répliquer le fonctionnement du CI dans les pays
développés. Les institutions financières de développement, dans l'objectif de promouvoir le
développement du secteur privé, encourageaient les investisseurs à reproduire les mêmes
structures et les mêmes approches d'investissement, malgré les différences flagrantes en
termes de régulation et de système légal. Les gestionnaires utilisaient les processus habituels
pour identifier, analyser, valoriser les entreprises ciblées et structurer les transactions, ce
malgré les différences en termes de normes comptables, de gouvernance d'entreprise et
d'opportunités de sorties.
14
R. Leeds & J. Sunderland, “Private Equity investing in Emerging Markets”, John Hopkins University, 2003
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Malgré l'injection massive de capitaux par les principaux organismes de
développement, - tels que l'IFC (la branche de la banque mondiale dédiée au développement
du secteur privé), la Banque Européenne d'Investissement, la Banque Européenne de
Reconstruction et de Développement ou encore la Proparco (filiale française de l'Agence
Française pour le Développement), la FMO (néerlandaise) et la CDC (anglaise) -, le CI dans
les économies émergentes ne générait pas les résultats escomptés.
Les principales raisons mises en avant pour expliquer l'échec initial du CI dans les
économies émergentes sont les suivantes :
Un problème de gouvernance: les entreprises des économies émergentes sont
peu transparentes et leur dirigeants ont du mal à se faire à l'idée qu'il faille rendre des
comptes à des personnes extérieures à l'entreprise. C'est d'autant plus le cas lorsqu'il
s'agit d'entreprises familiales, où les intérêts de l'entreprise et du fondateur sont
intrinsèquement mêlés. Les coûts d'agence induits par ce manque de transparence sont
particulièrement élevés et peuvent facilement engendrer des décisions d'investissement
sous-optimales.
Des possibilités limitées de recours légal : de nombreux exemples ont montré
la limite des recours possibles en cas de litiges sérieux avec les dirigeants, même
lorsque les accords signés sont valables.
Des marchés des capitaux déficients : le rendement d'un investissement est
entièrement dépendant de sa valorisation à la sortie. Dans les économies développées,
les fonds préfèrent souvent sortir par le biais d'une introduction en bourse. Or il est
d'autant plus dur d'orchestrer une sortie profitable dans un pays émergent puisque les
places boursières y sont peu développées.
Malgré ces problèmes initiaux, les fonds n'ont pas lâché le morceau. Une deuxième
vague de fonds, à la fin des années 90 en Asie et en Amérique latine et au début du 21ème
siècle dans les autres économies émergentes, a connu un plus grand succès. A la différence
des premières tentatives, les fonds se sont davantage adaptés à la réalité économique de ces
pays et ont innové leur manière d'investir.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
37
Alors que les premiers fonds étaient essentiellement dirigés par des occidentaux, basés
aux États-Unis et en Europe, ils se sont progressivement rapprochés des marchés ciblés, en
créant des antennes sur place et en embauchant des professionnels originaires de ces régions.
Ce rapprochement géographique et culturel s'est avéré la seule manière d'acquérir ce «sixième
sens» indispensable pour discerner les bonnes opportunités des mauvaises.
Le CI dans les économies émergentes est, financièrement, moins sophistiqué mais
requiert de la part des investisseurs une plus grande implication dans la gestion des affaires
courantes de l'entreprise. Ce qui compte, ce n'est pas tant d'optimiser la structuration de la
transaction que de garantir activement l'amélioration de l'entreprise tout au long de la
participation. Cela explique qu'on trouve proportionnellement davantage d'anciens consultants
que d'anciens banquiers d'affaire par rapport au CI dans les pays développés. La dimension
humaine est également très importante, lorsqu'il s'agit d'entreprises familiales.
Les fonds de CI ont également modifié leur manière de sélectionner les
investissements potentiels. Plutôt que d'attendre des propositions d'investissements ou des
«pitchs» apportés par des banquiers d'affaire, les fonds ont adopté une approche plus
proactive. Les investisseurs choisissent d'abord les secteurs dans lesquels ils veulent investir
(soit parce qu'ils ont l'expertise nécessaire soit parce que le secteur leur paraît prometteur)
puis sélectionnent et démarchent les entreprises qui leur paraissent adaptées.
Enfin, dans la mesure où les possibilités de sortie par le biais d'une introduction en
bourse sont limitées, les investisseurs élaborent les sorties envisageables dès les premières
phases du processus d'investissement. Souvent la décision d'investir dépend des possibilités
de sortie.
Ainsi, le CI a dû imaginer de nouveaux modes opératoires pour s'imposer dans les
pays émergents.
On retrouve ici cette idée chère à Schumpeter de changements endogènes permis par
les innovations de certains fonds. Par ailleurs, à l'image du CI aux États-Unis, le CI a facilité
son expansion dans les pays émergents en incitant les autorités locales à faire évoluer leur
système légal. En effet, le CI ne peut exister que dans la mesure où on l'y autorise. Arguant de
la nécessité de ces économies à s'ouvrir aux investissements étrangers pour accélérer leur
développement, les institutions de développement ont joué un rôle de catalyseur en
promouvant des réformes telles que :
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
38
de nouvelles réglementations garantissant le respect des droits des actionnaires,
notamment minoritaires,
la mise en place de normes de gouvernance et de réglementations forçant les
entreprises à une plus grande transparence,
la libéralisation des contraintes auxquelles les investisseurs institutionnels
locaux sont soumis
des mesures permettant de faciliter l'accès aux marchés boursier et de les
stimuler.
Paradoxalement, alors que le CI est en crise et fait débat dans les économies
développées, il semble au contraire être encouragé dans les économies émergentes. Les
institutions financières de développement considèrent le CI comme un instrument privilégié
pour le développement économique. Il serait à la fois un facteur de dynamisme, d'accélération
économique et de création de valeur. Il permettrait de fluidifier la machine économique en
servant d’intermédiaire dans le processus de financement. Il contribuerait à la diversification
économique et à la croissance et créerait des emplois. Enfin cette forme active
d'investissement permettrait de transférer des compétences en injectant du savoir faire dans
les entreprises.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
39
3. Le capital-investissement : facteur de développement?
On pourrait trouver curieux que des organismes de développement s'acharnent à
faciliter l'expansion du CI dans les économies émergentes alors que ce mode de financement
soulève de nombreux débats dans les pays développés.
Avec le récente crise des LBO, certains commentateurs économiques ont pointé du
doigt les dérives d'un système qui s'est goinfré lorsque le marché de la dette était
suffisamment liquide et a permis à certains dirigeants de fonds d'amasser des fortunes
colossales. Le cynisme des fonds de CI et le manque de considération pour les salariés des
entreprises rachetées permettent à certains de décrire le CI comme une nouvelle forme de
parasitisme financier.
Pourtant, certains économistes mettent en avant les atouts de cette forme de
financement : le CI permettrait entre autre d'optimiser la résolution des problèmes liés aux
coûts d'agence et de stimuler l'innovation. Par ailleurs, le CI jouerait un rôle important pour
améliorer la transparence des entreprises. En cela, le CI serait particulièrement adapté aux
problèmes auxquels les économies émergentes doivent faire face.
3.1.
Une pratique financière controversée
Nous verrons dans cette partie que les critiques à l'égard du CI se font beaucoup plus
virulentes. Les fortunes amassées par quelques stars du private equity dérangent. Le CI dans
l'imaginaire collectif s'apparente à de la prédation financière. Les acteurs du private equity se
défendent en arguant de leur utilité économique.
De nombreux économistes ont pris la défense du CI, notamment les tenants de la
théorie d'agence pour lesquels le capital-investissement permet de résoudre les problèmes
inhérents à l'investissement : les problèmes d'asymétrie d'information.
3.1.1. Prédateurs ou libérateurs?
Les critiques à l'égard du CI interviennent essentiellement à deux niveaux. Le premier
niveau, très général, rassemble tous les opposants à un capitalisme débridé. On y trouve à la
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
40
fois des syndicats, des chantres de l'altermondialisme ou des politiques jugeant immoral le
fonctionnement actuel du système capitaliste.
Le deuxième niveau est d'ordre technique. Certains économistes remettent en question
la pertinence du CI et réfutent l'argument selon lequel le CI serait une forme organisationnelle
de financement plus efficace que les autres.
Nous citions précédemment les propos du journaliste Ignacio Ramonet pour lequel
«un nouveau capitalisme s’installe, encore plus brutal et conquérant [...] celui d’une catégorie
nouvelle de fonds vautours, les private equities, des fonds d’investissement à l’appétit d’ogre
disposant de capitaux colossaux.»
Ces propos résument bien l'opinion que se fait une large partie de l'opinion publique,
déroutée par l'ampleur prise par le CI ces dernières années et l'enrichissement personnel de
certains investisseurs professionnels, dans un contexte où les journaux télévisés rabâchent
continuellement la baisse du pouvoir d'achat des classes moyennes.
Stephen Schwarzman, le P-DG de Blackstone, a fait couler beaucoup d'encre en
s'exhibant en couverture du magazine américain Fortune en 2007 et en annonçant avoir gagné
plus de 400 millions de dollars en 2006. La pilule était dur à avaler pour les milliers de
salariés victimes des restructurations imposées par la logique de rentabilité des fonds de LBO.
Jusqu'alors, les financiers préféraient rester discrets sur leur richesse personnelle, conscients
d'être associés, dans l'imaginaire collectif, au cynisme et au fameux «Greed is good» de
Gordon Gekko, ce financier incarné par Michael Douglas dans le film Wall Street.
L'arrogance des fonds d’investissement et leur pénétration dans l’ensemble de la
sphère économique signerait pour certains l’avènement d’une nouvelle ère du capitalisme.
Des syndicats et des personnalités politiques de tous bords y voient la marque d’un «monde
qui marche sur la tête» pour reprendre l'expression de Nicolas Sarkozy, un monde où une
poignée de financiers avides s’approprieraient les richesses créées par les entreprises et leurs
salariés. Le CI s'apparenterait à une forme de coup d’état de la finance sur l’économie réelle.
Buzz Hargrove, le patron du Syndicat du secteur privé des travailleurs canadiens de
l'automobile (TCA), la plus importante organisation syndicale canadienne, expliquait dans un
article du New York Times de 2007 que «l’histoire du capital-investissement a consisté à
acheter, puis détruire de nombreux emplois et enfin partir avec beaucoup d’argent pour une
poignée de personnes».
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
41
Le CI est attaqué de toutes parts. En 2007, l'Union internationale des employés des
services (UIES), un syndicat américain qui rassemble plus de 1,8 millions de salariés aux
États-Unis et au Canada, a lancé une vaste campagne de sensibilisation sur les dérives des
fonds de CI, particulièrement les méga-fonds de LBO. L'UIES critiquait notamment le fait
que le « Carried Interest » (la part de rémunération des CI prélevés sur le rendement de leurs
investissements) soit soumise à un traitement de faveur par la législation fiscale.
D'autres économistes critiques à l'égard du CI se sont davantage intéressés à son
fonctionnement. Ils cherchent à contrecarrer l'argument avancé par le CI, selon lequel le CI
permettrait, par sa nature même, de «créer de la valeur».
Pour Edward Chancellor15, économiste pour Breakingviews.com, la capacité des fonds
de LBO à créer de la valeur s'expliquerait par l'utilisation d'astuces financières permettant de
gonfler les rendements affichés, en s'offrant par exemple des dividendes considérables juste
après une acquisition.
Par ailleurs, les rendements élevés des fonds de LBO dériveraient largement de
l'utilisation massive de l'effet de levier (pour Chancellor les entreprises cotées auraient affiché
des résultats similaires à celles achetées par des fonds de LBO avec un endettement
équivalent).
Certains chercheurs mettent en avant l'existence de conflits d'intérêt entre Gps et Lps.
Ainsi les opérations «public to private» permettraient aux fonds de LBO de dissimuler au
public le risque associé à un fort endettement (lequel ferait baisser le cours de l'entreprise sur
le marché boursier) et de faire paraître leur investissement moins volatiles aux yeux des Lps
qu'ils ne le sont vraiment. Enfin la liquidité du marché de la dette aurait contribué à gonfler
artificiellement les performances des fonds de LBO.
Pourtant, les professionnels du CI se sentent injustement mal-aimés. Ils justifient leurs
salaires mirobolants en expliquant que le système capitaliste ne fonctionnerait pas aussi bien
sans eux. Ils s'appuient sur des études prétendument scientifiques qui démontreraient la
capacité des fonds de CI à :
créer de la valeur pour les entreprises achetées,
générer des performances supérieurs pour les fonds de pension et autres
investisseurs,
15
E. Chancellor, “The Case against Private equity”, Breakingviews.com, 2007
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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générer de l'emploi.
Indéniablement l'attitude des représentants politiques et des syndicats à l'égard du CI
est paradoxale. D’un côté, les salariés et leurs représentations syndicales redoutent la montée
en puissance de ces fonds d’investissement et le cynisme avec lequel ils restructurent en
profondeur les entreprises qu’ils acquièrent. D’un autre côté, le système actuel de financement
des retraites, notamment dans les économies les plus développées (États-Unis, RoyaumeUni), est de plus en plus dépendant des performances des investissements des fonds de
pension.
En d’autres termes le capital-investissement est vécu comme une menace par de
nombreux travailleurs tout en étant un facteur décisif du financement de leur retraites et de
leurs contrats assurances. Aux États-Unis, de nombreux syndicats, - ceux-là même qui
critiquent le fonctionnement du CI -, siègent aux conseils d’administration de ces fonds de
pension qui nourrissent en capital les fonds de CI (et bénéficient de leurs performances
supérieures). Ainsi, le CI, quoique controversé, est devenu un rouage essentiel du système.
On constate également que c'est avant tout les opérations de LBO qui sont visées par
les critiques. Les autres branches du CI, telles que le capital-risque ou le capitaldéveloppement sont jugées plus favorablement par l'opinion public. Quels que soient les
reproches faits au CI, force est de constater que le CI offre une alternative intéressante au
modèle traditionnel des entreprises cotées en bourse.
3.1.2. Capital-investissement et théorie d'agence
La publication en 1932 de The Modern Corporation and Private Property par Adolf
Berle et Gardiner Means a marqué un tournant dans l'histoire du capitalisme. Les auteurs
révélaient les tensions potentielles qui peuvent émerger entre dirigeants d'entreprise et
investisseurs extérieurs. Ils expliquaient qu'une entreprise, en ouvrant son capital à un public
dispersé, permet aux dirigeants de contrôler les opérations quotidiennes de l'entreprise à l'abri
des regards et de profiter de leur position privilégiée pour s'enrichir aux dépens des
investisseurs extérieurs. Les faillites retentissantes d'Enron ou de WorldCom suggèrent que
les craintes de Berle et de Means restent d'actualité. Les actionnaires des entreprises cotées
sont souvent trop dispersés pour pouvoir surveiller les agissements des dirigeants et réagir en
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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cas de dérive (les procédures judiciaires sont très coûteuses pour les actionnaires
minoritaires).
Depuis les travaux de Berle et de Means de nombreux chercheurs se sont penchés sur
la question. Elle est d'autant plus épineuse pour les tenants du néo-libéralisme qu'elle remet en
cause l'idée libérale selon laquelle les marchés seraient parfaits et donc capables de réaliser
l'équilibre économique du marché walrasien. Les questions liées à ce nouveau paradigme ont
donné naissance à un vaste corpus théorique sous le nom de théorie de l'agence.
La théorie de l'agence s'intéresse aux problèmes qui surgissent lorsqu'«une ou
plusieurs personnes (principal) engage une autre personne (agent) pour exécuter à son nom
une tâche quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent».
Les managers sont les «agents» et les actionnaires extérieurs les «principal».
Cette théorie part du principe que tous les individus cherchent à maximiser leur utilité
et sont susceptibles de chercher à profiter de l'asymétrie d'information. Les problèmes
viennent du fait que les fonctions d'utilité de l'agent et du principal divergent. Pour Jensen et
Meckling16, le dirigeant, laissé à lui-même, cherche à détourner certaines ressources de
l'entreprise pour son propre usage et à se maintenir à sa place, au détriment de l'intérêt des
actionnaires. De plus, dans une entreprise familiale où le dirigeant est lui-même actionnaire,
les différences entre les horizons de temps des actionnaires-dirigeants et actionnaires
extérieurs engendrent des divergences supplémentaires (le dirigeant est davantage préoccupé
par le long terme et donc moins enclin à prendre les risques qui contribueraient à augmenter la
valeur de l'entreprise à moyen terme).
Il existe des mécanismes de gouvernance qui permettent de limiter ces conflits
d'agence, tels qu'une surveillance renforcée ou la limitation du pouvoir décisionnel de l'agent,
mais ces mécanismes ont des coûts. Les coûts associés à la relation agent-principal sont
appelés coûts d'agence. Ils incluent le temps et l'argent que le principal doit dépenser pour
négocier des protections contractuelles avec l'agent et pour surveiller l'agent pendant la durée
de vie du contrat. Si les termes du contrat ne sont pas respectés ou si le contrat s'avère
16
M. Jensen & W. Meckling, “Theory of the firm : managerial behavior, agency costs, and ownership structure”,
Journal of Financial Economics, 1976
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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incomplet, des coûts supplémentaires seront générés par les procédures d'arbitrage et les
interventions judiciaires.
Certains théoriciens, parmi lesquels Jensen et Meckling, vont jusqu'à dire que les
entreprises sont en réalité des “nœuds de contrats” entre toutes les parties prenantes (acheteurs
et fournisseurs, salariés et employeur, actionnaires et dirigeants, etc.). Ces coûts d'agence
ajoutent des coûts supplémentaires au coût du capital et donc à l'ensemble des coûts générés
par l'activité de l'entreprise. Pour les tenants de la théorie d'agence «normative», il serait
possible de minimiser ces coûts en élaborant efficacement les lois et les contrats et donc
augmenter l'attractivité d'un investissement. La théorie d'agence, ou «théorie juridicofinancière» suggère, comme l'explique Stephen Diamond17, que le corpus légal américain et
les structures financières élaborées au fil des décennies auraient principalement pour but de
résoudre les problèmes hérités des conflits entre managers et investisseurs.
Pour Jensen, certaines formes organisationnelles sont plus aptes que d'autres à
minimiser ces coûts d'agence (théorie d'agence «positive»). Ce serait le cas notamment du CI,
en concentrant le contrôle et la propriété en une seule institution. Ainsi, le succès des
transactions «public to private» s'expliquerait par la capacité du CI à résoudre les problèmes
d'agence des entreprises cotées. M. Jensen dans Eclipse of the Public Corporation prédisait la
fin des entreprises cotées déjà en 1989 et n'a eu de cesse depuis de se faire le chantre du CI.
En effet, en CI, le contrôle exercé par le principal sur l'agent limite considérablement
le risque que l'agent profite des asymétries d'informations. Les fonds mettent en place un
ensemble de mécanismes de contrôle et d'incitation pour garantir le respect de leur intérêt.
Non seulement le mandant peut s'immiscer dans le processus décisionnaire, mais il peut
également déterminer la composition de l'équipe dirigeante. Par ailleurs, le fait que les
investissements aient une durée limitée (et, dans certains cas, comme en LBO, imposent à
l'entreprise le remboursement de la dette contractée pour financer la transaction) place le
dirigeant dans une situation d'urgence et de performance. Enfin, les transactions de CI se
caractérisent par un usage considérable de mesures incitatives (participations à la
performance, participations au capital) pour aligner les intérêts des dirigeants à ceux des fonds
de CI. Dans la mesure où les dirigeants savent que la participation du CI a une durée de vie
17
S. Diamond, “Beyond the Berle and Means Paradigm : Private Equity and the New Capitalist Order”,
Santa Clara University, 2007
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
45
limitée, ils ont d'autant plus intérêt à optimiser la performance de l'entreprise sur cette
période.
Pour Jensen, le fait que les entreprises détenues par des fonds performent mieux que
les entreprises cotées en bourse (notamment dans le cadre de transactions « public to
private ») démontre la supériorité manifeste du modèle managériale proposé par le CI. Il
s'étonne même que ce système ne se soit pas encore généralisé à l'ensemble des entreprises18.
De nombreux auteurs ont continué dans cette voix et ont cherché à déterminer l'ensemble des
mécanismes utilisé en CI pour minimiser les coûts associés aux problèmes d'agence.
Wright19, dans une tentative de synthétiser la recherche existante sur les mécanismes utilisés
par le CI pour créer de la valeur, montre qu'il existe des mécanismes spécifiques à chaque
étape du processus d'investissement :
Création et sélection des opportunités : les CI limitent les risques de sélection
contraire (le fait de mal juger les performances futurs du dirigeant d'entreprise) en
adoptant une attitude proactive (sélection d'investissement dans des domaines
d'expertise) et en s'impliquant dès les premières phases d'investissement. Ils arbitrent
leur décision d'investir en fonction de critères tels que la viabilité du projet, le track
record des dirigeants et leurs qualités humaines.
Évaluation et Due Diligence : la spécialisation de l'équipe de CI est
certainement la meilleure garantie contre l'asymétrie d'information. Une Due
Diligence approfondie permet aux CI de réduire autant que possible l'asymétrie
d'information.
Décision d'investir et structuration de l'opération : les fonds s'engagent de
manière graduée (par exemple avec l'utilisation d'obligations convertibles) afin de se
prémunir contre le risque d'avoir été trompé par les dirigeants et de conditionner
l'acquisition à la réalisation de certains objectifs. Dans les situations où plusieurs tours
de table sont prévus, les CI peuvent fixer les conditions permettant d'éventuels coinvestissements. Les fonds peuvent le cas échéant négocier des actions privilégiées.
Surveillance post-contractuelle : les CI établissent des contacts et des échanges
d'information fréquents avec les dirigeants. Les CI sont particulièrement présents lors
18
19
M. Jensen, “The Economic Case for Private Equity (and some concerns)”, Harvard Business School, 2007
M. Wright, “Le capital-investissement”, Revue française de gestion, 2002
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
46
des périodes clés de la vie de l'entreprise telles que le remplacement d'un dirigeant.
Les compétences financières des CI sont valorisées et mises à profit par les dirigeants;
des études ont montré que le volume et la fréquence des informations comptables
échangées avec les dirigeants sont plus importants que dans des entreprises cotées. Par
ailleurs, d'autres études ont révélé qu'un climat de confiance mutuelle, garanti par un
cadre contractuel solide, diminue l'incertitude et le besoin en mécanismes formels de
surveillance (plus les dirigeants partagent l'information, plus les CI réduisent leur
contrôle).
La sortie de l'investissement : ici encore les mécanismes de surveillance
(présence au conseil et conseils informels donnés aux dirigeants) et d'incitation à la
performance permettent la sortie à un moment jugé optimal.
Incontestablement, le fonctionnement du CI permet de limiter les coûts d'agence, mais
la théorie d'agence appliquée au CI ne saurait seule expliquer la capacité des fonds
d'investissement à créer de la valeur. Des études ont montré qu'une surveillance trop étroite
des dirigeants risque de créer des tensions contre-productives entre investisseurs et
dirigeants20.
La capacité du CI à réduire les coûts d'agence n'explique pas tout et certains
chercheurs estiment que le CI crée de la valeur en sa qualité de partenaire stratégique du
dirigeant.
En réalité le CI, lorsqu'il ne connaît pas les excès du LBO, joue un rôle de catalyseur
pour l'entreprise. Il est perçu comme un facteur de développement économique en cela qu'il
permet, au niveau micro-économique, de magnifier les performances de l'entreprise et, au
niveau macro-économique, de financer efficacement l'innovation.
20
J. Ruhnka, H. Feldman & T. Dean “The “Living Dead” Phenomenon in Venture Capital Investments”, Journal
of Business Venturing, 1992
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
47
3.2.
Dialectique du développement
Le CI est sous le feu des critiques, mais c'est avant tout le LBO qui est visé. Les sousensembles comme le capital-risque et le capital-développement sont jugés plus intéressants
économiquement. Les fortunes des professionnels de ces pratiques financières sont moins
exubérantes qu'en LBO et donc moins enclines à associer le CI à une nouvelle forme de
parasitisme financier.
Le CI fournit la base du dynamisme des PME en leur facilitant l'accès au capital
nécessaire à leur croissance. Il s'avère d'autant plus utile dans un contexte où les banques
rechignent à leur accorder des crédits. Les investissements des fonds donnent une crédibilité
aux entreprises investies et apportent soutien stratégique et recul aux entrepreneurs.
Plus généralement les fonds de CI, particulièrement de capital-risque, jouent un rôle essentiel
pour financer et permettre la réalisation des innovations.
Tout le monde y trouverait son compte : les fonds, s’ils font correctement leur travail,
génèrent du profit pour leurs investisseurs, les entreprises trouvent un soutien actif à leur
propres activités, et la société dans son ensemble bénéficie des innovations. On est loin de
l'image du capitalisme cynique et immoral symbolisé par les méga-fonds de LBO et c'est
précisément cet aspect vertueux du CI qui explique que les institutions financières de
développement ne jurent plus que par lui.
3.2.1. Les bienfaits du capital-investissement : partenariat stratégique et
financement de l'innovation
L'impact positif du CI intervient à deux niveaux. Au niveau micro-économique, il
accélère et participe à la croissance de l'entreprise. Au niveau macro-économique, il finance
l'innovation et donc crée de l'emploi. Les allusions précédentes à Schumpeter ont d'autant plus
de sens que le CI redonne toutes ses lettres de noblesse au rôle de l'entrepreneur, ce ressort
indispensable au bon fonctionnement du capitalisme.
Un partenariat stratégique bénéfique à l'entreprise
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
48
La théorie d'agence apporte quelques éclaircissements sur l'impact du CI au niveau
micro-économique mais ne peut tout expliquer. Ces théories juridico-financières donnent au
CI un rôle uniquement disciplinaire. Une approche davantage cognitive a vu le jour qui
cherche à déceler les processus qui permettent de créer de la valeur. Pour Guéry-Stévenot21,
«dans les interactions entre l’actionnaire et le dirigeant se forment les décisions et se jouent
la construction des connaissances ainsi que l’évolution des schémas mentaux. À la différence
de l’approche contractuelle, c’est la connaissance, et non plus l’information, qui est l’enjeu
de la relation CI/dirigeant».
Une étude de l'AFIC22 (association française en charge de promouvoir le CI) sur la
valeur ajoutée du CI suggère que les dirigeants d'entreprise perçoivent davantage les CI
comme des partenaires que des surveillants. On peut certes contester l'impartialité d'une étude
faite par un organisme dont le but est de promouvoir le CI, mais force est de constater que les
dirigeants se font une opinion favorable du rôle du CI.
En réalité, CI et dirigeants forment un binôme, dont l'efficacité repose à la fois sur
l'alignement de leurs intérêts et la confiance qu'ils s'accordent mutuellement.
Selon cette étude de l'AFIC, les entrepreneurs reconnaissent généralement que l'entrée
dans le capital de l'entreprise est bénéfique parce que le professionnel du CI :
contribue à financer le projet,
partage son expérience du monde des affaires et sa vision stratégique
incite les dirigeants à une plus grande rigueur
a souvent une vision plus globale et internationale du fonctionnement et du
potentiel d'une entreprise
apporte son expertise financière aux moments clés de la vie d'une entreprise
(lors des opérations d'acquisition par l'entreprise)
encourage les dirigeants à plus de transparence et les force à sophistiquer leur
compétences en matière de Business Plan
21
A. Guéry-Stévenot, “Conflits entre investisseurs et dirigeants. Une analyse en termes de gouvernance
cognitive”, Revue française de gestion, 2006
22
AFIC & Ernst&Young, “La création de valeurs, résultat d'une alchimie entre entrepreneurs & investisseurs en
capital”, 2005
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
49
renseigne les dirigeants sur les mécanismes de financement (particulièrement
utile pour les dirigeants qui cherchent des financements supplémentaires).
Les exemples de contributions des professionnels du CI à la croissance d'une
entreprise sont légion. Même si l'investisseur n'est pas un expert du secteur d'activité de
l'entreprise, son expérience plus large du monde des affaires se révèle un atout supplémentaire
pour l'entrepreneur.
Dans la mesure où le CI cherche à accroître la valeur de l'entreprise pour générer une
plus-value sur son investissement, il incite à la fois le dirigeant à se concentrer sur les sources
de valeur de son entreprise, à explorer de nouvelles stratégies et à s'ouvrir à de nouveaux
horizons. Souvent, les investisseurs font appel à un expert du secteur d'activité de l'entreprise,
un «operating partner», qui enrichit les réflexions stratégiques de l'entrepreneur.
Les due diligences, lorsqu'elles sont bien menées, permettent à l'entrepreneur luimême de se faire une idée précise des ressources de son entreprise et des problèmes éventuels.
Le diagnostique établi lors des phases de pré-investissement sont riches d'enseignement et
peuvent générer de nouvelles idées d'amélioration et de croissance.
Le CI encourage une plus grande transparence financière en insistant sur la mise en
place d'un système adapté de reporting et améliorer ainsi les process de communication
interne. Par ailleurs, les dirigeants de l'entreprise sont mieux armés lorsqu'il s'agira à l'avenir
de convaincre d'autres investisseurs de participer au capital de leur entreprise.
Plus que toute autre forme de financement, le CI se veut actif. L'entrée dans le capital
d'un CI a des répercussions considérables sur le fonctionnement de l'entreprise. Le contrôle
stratégique opéré par l'investisseur stimule le dirigeant, dont les idées sont constamment
challengées. Le CI joue un rôle de garde-fou stratégique : les professionnels du CI sont
spécialisés en gestion des risques et identifient mieux les risques d'une activité que
l'entrepreneur, souvent emporté par son optimisme. Les investisseurs se caractérisent par une
culture du Business Plan et incitent les dirigeants à mieux structurer leur perspectives
stratégiques.
Une forme active de financement de l'innovation
La fonction économique du CI dépasse la simple fonction d'apporteur en capital risqué
(la fonction de n'importe quel actionnaire). Dans la mesure où il est directement intéressé par
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
50
la création de valeur et le projet de l'entreprise, il permet à l'innovation induite par
l'entrepreneur de se réaliser. On sait depuis Schumpeter que la croissance d'une économie
dépend de sa capacité d'innovation, or, incontestablement, le CI, en soutenant l'action de
l'entrepreneur, augmente cette capacité d'innovation et bénéficie à l'économie dans sa
globalité. On touche sans doute là à un des principaux arguments en faveur du CI.
L'innovation, définie au sens large de Schumpeter, est une tentative d'aller au-delà des
structures établies. Dans la mesure où l'innovation ouvre des horizons encore inconnus, elle
est, du point de vue financier, extrêmement risquée. L'innovation n'a pas les mêmes
caractéristiques qu'une activité routinière et prévisible, et pose donc la question de son
financement. Or le CI est sans doute la forme de financement privé la plus apte à prendre un
tel risque.
Dans son célèbre Capitalisme, socialisme et démocratie, Schumpeter s'interroge sur
l’esprit et l'avenir du capitalisme. Il s'inquiète des conséquences de la rationalisation et de la
bureaucratisation du monde, qui risquent selon lui de dévaloriser le rôle de l'entrepreneur et
d'inhiber sa capacité créatrice et donc la capacité d'innovation d'une économie dans son
ensemble. Car en effet, être un entrepreneur suppose de rompre avec la routine
«rationnalisée». Bref, être entrepreneur, c'est être irrationnel.
Pour Schumpeter, décidément très inspiré par les travaux de Nietzsche23,
l'entrepreneur serait la version en économie de l'Übermensch, cet homme capable de prendre
son destin en main et d'imposer sa vision. L'entrepreneur a une place centrale dans la
réflexion schumpéterienne dans la mesure où c'est à lui qu'on doit les innovations nécessaires
au dynamisme économique.
« [L’entrepreneur est] révolutionnaire de l’économie, pionnier involontaire de la révolution
sociale et politique », nous dit Schumpeter.
La théorie schumpéterienne a fait des émules. Comme le montrent Iftekhar Hasan et
Haizhi Wang, on assiste depuis les années 80 et 90 à un renouveau des théories économiques
tentant d'évaluer le rôle des petites entreprises et des entrepreneurs24. Ces recherches laissent
23
H. Reinert & E. Reinert, “Creative Destruction in Economics : Nietzsche, Sombart, Schumpeter”, Cambridge
University
24
I. Hasan & H. Wang, “The Role of Venture Capital on Innovation, New Business Formation, and Economic
Growth”, 2006
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
51
penser qu'un large consensus s'est construit autour de l'idée que l'innovation, et donc
l'entrepreneuriat, est un facteur clé pour expliquer la croissance économique. D'autres études
citées par ces auteurs montrent également que ces entreprises innovantes créent davantage
d'emplois que les autres.
Mais l'entrepreneur, en créant des idées nouvelles, crée de l'incertitude. Cette
incertitude intrinsèque à l'innovation complique fortement les modalités de son financement.
Un entrepreneur a rarement les moyens financiers suffisants pour concrétiser seul ses idées
novatrices. Il est donc nécessaire qu'un certain nombre de mécanismes financiers accompagne
la réalisation des idées innovantes de l'entrepreneur. Comme le rappelait déjà Schumpeter:
« [One] can only become an entrepreneur by previously becoming a debtor.....What [the
entrepreneur] first wants is credit. Before he requires any goods whatever, he requires
purchasing power. He is the typical debtor in capitalist society [...] The banker, therefore, is
not so much primarily the middleman in the commodity `purchasing power' as a producer of
this commodity..... He is the ephor of the exchange economy »
Faruck Ülgen, dans un article décrivant «la dynamique de financement de
l'innovation», montre que l'innovation est particulièrement incertaine25. Cette incertitude peut
engendrer la myopie des investisseurs, notamment des banques, qui préfèrent prêter aux
entreprises plus établies et plus solvables.
Les fonds de CI sont certainement, dans le secteur privé, les organismes de
financement qui ont le moins d'aversion au risque. En prenant une participation au capital, le
CI peut tolérer des risques supérieurs aux banques. De même, la diversité du portefeuille
permet de compenser certains investissements désastreux par quelques succès.
En réalité, les mécanismes, décrits plus hauts, utilisés par le CI pour limiter les coûts
d'agence permettent également de limiter l'incertitude intrinsèque à l'innovation et à tout
projet entrepreneurial. La Due Diligence, notamment, analyse la viabilité financière du projet
d'innovation. Un entrepreneur peut avoir une idée géniale mais être par ailleurs incapable de
gérer une entreprise. Les fonds de CI interviennent alors en conseillant l'embauche par
l'entrepreneur de cadres dirigeants expérimentés.
25
F. Ülgen, “La dynamique de financement de l'innovation”, Innovations, 2007
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
52
L'activité du CI, en prenant le risque de financer l'innovation et de soutenir le projet
entrepreneurial, aurait donc un impact considérable sur le développement d'une économie.
Schumpeter suggérait que les innovations fonctionnent par grappe et, en quelque sorte, le CI,
en finançant ces «grappes d'innovation», contribue à accélérer le processus d'innovation.
Bref, le CI serait un acteur central du développement économique. Ce rôle de
catalyseur explique que les institutions financières de développement en ait fait leur nouveau
cheval de bataille.
3.2.2. Les institutions financières de développement, nouvelles adeptes du
capital-investissement
On trouve dans le glossaire de la Banque Mondiale la définition suivante du
développement économique :
«Évolution d'ordre qualitatif et restructuration de l'économie d'un pays en rapport avec le
progrès technologique et social. Le principal indicateur de développement économique est la
hausse du PNB par habitant (ou du PIB par habitant), qui témoigne d'une augmentation de la
productivité économique et d'une amélioration, en moyenne, du bien-être matériel de la
population d'un pays. Développement économique et croissance économique sont étroitement
liés.»
A l'aune de cette définition il semble incontestable que le CI soit, au sens proposé par
la Banque Mondiale, un facteur de développement économique.
En effet, il permet à l'innovation de se réaliser, laquelle, comme l'a montré
Schumpeter, restructure l'économie par un processus de destruction créatrice.
Par ailleurs, le CI a démontré sa capacité à financer le progrès technologique (et par
dérivation la productivité économique). Des entreprises comme Google, Sun Microsystems ou
Yahoo!, n'auraient jamais vu le jour si elles n'étaient pas passées, à un moment ou un autre,
entre les mains d'investisseurs professionnels.
Ainsi le CI jouerait un rôle de catalyseur du développement économique en permettant
à l'innovation apportée par l'entrepreneur de se réaliser, laquelle engendrerait à son tour des
améliorations vertueuses pour l'économie.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
53
De nombreuses études vont dans ce sens et montrent qu'une intense activité du CI a
des effets vertueux sur l'économie26. Une croissance rapide des entreprises innovantes
soutenues par des fonds de CI augmente la demande en main d'œuvre qualifiée et attire de
nouveaux talents dans les zones où elles sont implantées (la Silicon Valley en Californie en
est un exemple flagrant). Avec l'arrivée de cette nouvelle main d'œuvre, la demande de biens
et de services augmente, attire de nouvelles entreprises (innovantes ou pas), et engendre de la
demande supplémentaire de main d'œuvre.
Les études qui ont cherché à déterminer empiriquement la capacité du CI à créer de
l'emploi et à contribuer à la croissance suggèrent que les entreprises investies par des fonds de
CI génèrent davantage de création d'emploi que les autres et croissent plus rapidement27.
En effet, entre 1991 et 1995, les emplois dans les entreprises européennes soutenues
par des fonds de capital risque ont cru en moyenne de 15% par an tandis que les 500
entreprises européennes les plus profitables non soutenues par des fonds de capital-risque ont
crée 2% d’emploi en plus seulement chaque année. Les entreprises soutenues par des fonds de
capital-risque ont également expérimenté une croissance de leur chiffre d’affaire de 35% en
moyenne, soit deux fois plus que les 500 entreprises les plus profitables.
Aux États-Unis, l’emploi dans les entreprises soutenues par des fonds de capital-risque
a cru de 25% par an en moyenne pour la période 1989-1993, tandis que, dans les 500 plus
grandes entreprises il a baissé en moyenne de 3% par an sur la même période. De même,
pendant cette période, les entreprises soutenues par des fonds de capital-risque affichaient une
croissance du chiffre d’affaire moyenne de 41% contre 2% pour les 500 plus grosses
entreprises américaines, tandis que la croissance moyenne du PNB était de 5%.
Dans la mesure où elles ont pour mission d'encourager le développement économique
des pays émergents et donc leur capacité d'innovation, on comprend mieux l'engouement des
institutions financières de développement pour le CI.
26
I. Hasan & H. Wang, “The Role of Venture Capital on Innovation, New Business Formation, and Economic
Growth”, 2006
27
Coopers & Lybrand, “The economic Impact of Venture Capital in Europe”, European Venture Capital
Association Report, 1995
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
54
Ces institutions ont, dès les années 90, envisagé le potentiel du CI à dynamiser le secteur
privé des économies émergentes. En 2003, la principale d'entre elles, l'IFC, avait déjà investi
1,3 milliards de dollars en CI, répartis sur tous les continents.
Dans une présentation28 sur l'impact du CI sur le développement économique (2003),
Teresa Barger, la directrice en charge de superviser les activités de la Banque Mondiale et de
l'IFC sur les questions liées à la gouvernance d'entreprise, explique que le CI se caractérise
par :
un impact énorme sur la création d'emploi,
des entreprises qui croissent plus rapidement que les autres,
une augmentation de la productivité,
un transfert de la propriété (transmission des entreprises familiales),
une diversification des compétences des dirigeants (professionnalisation des
dirigeants d'entreprise familiale),
un impact sur la croissance économique,
le renforcement de la gouvernance d'entreprise,
une plus grande transparence de l'information.
Ainsi le CI contribuerait à améliorer les principaux obstacles au développement de ces
pays (chômage, opacité, manque de qualifications, entreprises familiales sclérosées, faible
productivité). Il sert également d'intermédiaire dans le processus de financement, dans des
économies marqués par des secteurs bancaires fragiles.
Par ailleurs, les deux principales sources de création de valeur du CI (mécanismes
permettant de limiter les problèmes d'agence et partenariat stratégique) s'avèrent
particulièrement utiles dans les économies émergentes.
Les problèmes d'agence sont plus flagrants encore dans ces pays que dans les pays
développés, du fait notamment des possibilité limitées de recours en cas de litiges avec les
entreprises29. L'opacité de l'information financière des entreprises nécessite des due
Diligences intensives, lesquelles, en retour, mettent les comptes de ces entreprises aux normes
28
T. Barger, “Sustainable Growth and Development through Private Equity Funds”, IFC, 2003
J. Lerner & A. Schoar, “Private Equity in the Developing World : The Determinant of Transaction Structures”,
Harvard Business School
29
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
55
comptables internationales. Enfin les mécanismes utilisés pour aligner les intérêts des
dirigeants permettent aux investisseurs de limiter le risque d'être trompé.
Par ailleurs, l'intervention du CI en tant que partenaire stratégique génère des transferts
de compétences. La plupart des professionnels de ces fonds d'investissement se sont formés
dans les pays développés et contribuent à professionnaliser les process de gestion des
entreprises dans lesquelles ils investissent en les mettant aux normes des entreprises des pays
développés. Des études suggèrent que les entreprises des pays émergents bénéficiant du
soutient de fonds d'investissement développent rapidement un avantage concurrentiel.
Autre atout non négligeable, en finançant les petites et moyennes entreprises, le CI
permet de densifier le tissus industriel des économies émergentes. Les économies les moins
développées sont généralement marquées par un clivage du tissus industriel, avec d'un côté
des entreprises multinationales et d'un autre une myriade de micro-entreprises et peu
d'entreprises de taille intermédiaire. Un CI dynamique permettrait a priori de combler cet
écart.
Cet impact positif sur les pays en développement justifie a priori la volonté des
institutions financières de développement de contribuer à l'expansion du CI. Elles utilisent cet
argument pour inciter les autorités locales à modifier leur environnement légal et le rendre
favorable au CI. En finançant intensivement les fonds ciblant les économies émergentes, ces
institutions ont permis au CI de s'imposer malgré les obstacles récurrents auxquels il était
confronté.
Aujourd'hui la dynamique d'expansion est en route, et le CI, progressivement, semble
en mesure de poursuivre ses activités sans le soutient de ces institutions.
L'expansion du CI dans les économies du Maghreb est représentatif de la montée en
puissance du CI dans les économies émergentes.
Au Maghreb également, les fonds arguent de leur impact positif sur l'économie pour
pousser les autorités locales à façonner un environnement légal qui leur soit favorable.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
56
4. Capital-investissement et développement économique: le cas
du Maghreb
Le Capital-Investissement est en pleine expansion au Maghreb. Les professionnels du
CI considèrent que la transition économique des pays du Maghreb génère des opportunités
considérables pour ce type d'investissement.
Mais les obstacles subsistent et ces pays tardent à adapter leurs institutions et leur
environnement légal aux besoins des fonds d'investissement.
Compte tenu des défis auxquels les économies maghrébines devront faire face, de
nombreux économistes mettent en avant les atouts du CI pour catalyser le développement
économique du Maghreb. Le CI permettrait en effet d'accroître la compétitivité des
entreprises du Maghreb et, plus généralement, d'augmenter la capacité d'innovation des
économies maghrébines et de créer des emplois supplémentaires.
En ce sens, il paraît d'autant plus urgent pour les autorités des pays du Maghreb de
s'adapter encore plus aux exigences des fonds d'investissement et de façonner un
environnement susceptible de renforcer leur expansion.
4.1.
Panorama du capital-investissement au Maghreb
Malgré quelques tentatives peu fructueuses dans les années 90, l'essor du CI au
Maghreb remonte au début des années 2000. L'analyse des levées de fonds destinées au
Maghreb suggère que le CI y connait une phase d'accélération. Les liquidités abondantes des
pays du Golf et la volonté des fonds occidentaux de diversifier leur portefeuilles, couplées à
une relative amélioration des conditions macroéconomiques des pays du Maghreb, renforcent
l'attractivité de cette zone géographique. Pourtant, de nombreux obstacles risquent de freiner
les ardeurs du CI dans cette région.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
57
4.1.1. Une industrie naissante
Malgré de bons résultats économiques, les pays d'Afrique du Nord ont longtemps été
jugés peu attractifs par les fonds de CI. Cet essor tardif a sans doute des explications
culturelles, telles que la réticence des premières générations d'entrepreneurs à ouvrir leur
capital à des investisseurs extérieurs.
Après des débuts poussifs dans les années 90, 46 fonds dédiés aux pays du Maghreb
ont été levés, pour un montant total de 2,5 milliards US$. Depuis 2005, leur expansion
s'accélère. Une large majorité intervient à des stades d'investissement avancés (capitaldéveloppement et LBO) et les sous-branches du CI comme le capital-amorçage et le capitalrisque peinent encore s'imposer.
Expansion du CI au Maghreb
Figure 1. Fonds et capitaux levés, par pays
Pays hôte
Fonds (nombre et %)
Capital levé (montant, Mln US$ et %)
Algérie
1
2,2%
2
0,1%
Alg./Mar./Tun.
16
34,8%
1579
62,1%
Libye
2
4,3%
52
2,0%
Maroc
18
39,1%
846
33,3%
Tunisie
9
19,6%
64
2,5%
Total Maghreb
46
100,0%
2543
100,0%
Source : ANIMA
2005 a été une année charnière pour le CI au Maghreb, avec un accroissement
considérable du nombre de fonds et de capitaux levés. En trois ans à peine, 25 fonds, pour un
montant de 1,9 milliards US$, ont été levés.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
58
Figure 2. Nombre et pourcentage de fonds levés par pays et par date
Pays hôte
1990 – 1999
Algérie
1
12,5%
Alg./Mar./Tun.
1
12,5%
2000 – 2004
8
61,5%
Libye
2000 – 2004
Total
1
2,2%
7
28,0%
16
34,8%
2
8,0%
2
4,3%
Maroc
1
12,5%
4
30,8%
13
52,0%
18
39,1%
Tunisie
5
62,5%
1
7,7%
3
12,0%
9
19,6%
Total Maghreb
8
100%
13
100%
25
100%
46
100%
Source : ANIMA
Cette augmentation soudaine a plusieurs raisons. D'une part les investisseurs
institutionnels internationaux font preuve d'un engouement croissant pour les opportunités
représentées par les économies émergentes, et le Maghreb en a bénéficié.
D'autre part, les pays du Golfe croulent, à ne plus savoir qu'en faire, sous les liquidités
générées par l'exploitation de leur réserves pétrolières. Depuis les attentats du 11 septembre, il
est plus difficile pour ces pays d'investir dans les pays occidentaux. Contraints de reconsidérer
leurs stratégies d'investissement, les pays du Golfe ont redéployé leur capitaux dans les pays
limitrophes et dans les pays partageant une culture commune.
Enfin, la croissance soutenue des pays du Maghreb les a rendus plus attractifs aux
yeux des fonds de CI.
On note cependant une grande disparité entre les quatre pays du Maghreb, en terme de
pénétration du CI. L'industrie du CI au Maroc et en Tunisie a connu un développement
important. Il y 18 fonds actifs au Maroc pour un montant total de 846 millions US$ et 9 fonds
actifs en Tunisie pour 64 millions US$ de capitaux levés. Il existe au Maroc comme en
Tunisie des équipes de gestion locales à l'image de Tuninvest Finance Group, Alternative
Capital Partners, Accès Capital Atlantique, Capital Invest, Upline Investment, BMCE Capital
ou Attijari Invest. L'Algérie et la Libye sont à la traîne, avec néanmoins un potentiel certain,
compte tenu des nombreuses privatisations à venir.
Le décalage entre l'implantation du CI en Tunisie/Maroc et Algérie/Libye s'explique
par la volonté précoce des gouvernements marocains et tunisiens à libéraliser leur économies
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
59
et à prendre des mesures incitant les investissements directs étrangers. L'Algérie et la Libye,
de leur côté, ont longtemps favorisé un modèle de développement auto-centré.
Phénomène intéressant, de plus en plus de fonds sont levés dans l'objectif d'investir à
une échelle régionale, à l'image de Maghreb Invest, filiale de Tuninvest. A noter également,
les fonds recensés ici ne prennent pas en compte les fonds basés au Maghreb qui ciblent des
zones beaucoup plus large (par exemple les fonds qui investissent de manière opportuniste sur
l'ensemble de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient comme Swicorp ou Emerging Capital
Partners).
Les équipes locales, tunisiennes ou marocaines, sont encore en grande partie financées
par des institutions financières de développement (ces institutions se distinguent des fonds de
pension et des autres investisseurs dans la mesure où ils n'ont pas les même exigences de
rentabilité). A elle seule, la BEI (Banque Européenne d'Investissement) a pris pour 450
millions US$ de participations dans une vingtaine de fonds investissant autour de la
méditerranée. En dehors de la BEI, les principaux bailleurs de fonds internationaux sont la
Proparco (française), la FMO (néerlandaise), l'IFC, l'OPIC (américaine) et la Banque
Africaine de Développement.
Des acteurs étrangers commencent néanmoins à s'intéresser au potentiel du Maghreb,
signe que le marché est en train de se sophistiquer et de s'ouvrir à la concurrence. Pour
preuve, trois fonds dédiés au Maghreb ont été levé dans des pays européens : Altermed (2007)
détenu par Viveris Management, basé à Marseille et doté de 110 millions US$ ; Euromed
(2005) basé à Milan et doté de 75 millions US$ ; et Mediterranià (2008) basé à Barcelone
avec 150 millions US$.
Typologie des fonds de CI au Maghreb
Les deux tableaux suivants présentent la répartition des fonds et des capitaux levés en
fonction des stades d'investissement auxquels ils sont destinés.
A noter, lorsqu'un fonds destine une partie de son capital à plusieurs stades
d'investissement, il est comptabilisé plusieurs fois.
Figure 3. Nombre de fonds par stade d'investissement et par pays
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
60
Pays hôte
Amorçage
Capital-Risque
Développement LBO
Algérie
1
1
Alg./Mar./Tun.
3
7
9
Libye
1
1
2
1
Maroc
3
7
14
9
Tunisie
1
7
7
5
Total Maghreb
5
19
31
24
Source : ANIMA
Pays hôte
Amorçage
Algérie
Alg./Mar./Tun.
CapitalRisque
Dévelop.
1
1
18
627
733
1378
LBO
Total
2
Libye
2
6
36
12
56
Maroc
86
48
534
266
934
Tunisie
1
12
46
7
66
Total Maghreb
89
85
1244
1018
2436
Figure 4. Montants levés par stade d'investissement et par pays (Mln US$)
Source : ANIMA
Deux constats ressortent de ces deux tableaux. D'abord, taille du fonds et stade
d'investissement sont corrélés. En l'occurrence, plus un fond est gros, plus il cible des
entreprises matures (capital-développement et LBO) et vice versa.
Ensuite, la majorité des fonds cible des entreprises à des stades avancés.
Effectivement, le ticket moyen d'un investissement est de 7,4 millions US$30. C'est une
différence majeure avec les pays développés où les fonds de capital-risque et d'amorçage sont
plus nombreux (pas en montant des capitaux, évidemment).
30
ANIMA Investment Network, “Med Funds : Panorama du capital investissement dans la région MEDA”, avril
2008
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
61
Autre différence majeure, - qui s'explique par le manque de sophistication de
l'industrie du CI-, les fonds au Maghreb ont une approche plus généraliste et opportuniste que
dans les pays développés. Ils se concentrent essentiellement sur les secteurs les plus porteurs.
Sur 2,5 milliards US$ levés, 1, 8 milliards US$ étaient destinés à des fonds multisecteurs, 380 millions pour les services et 251 millions pour les travaux publics. Les fonds
spécialisés par secteur sont rares. Dans l'agro-alimentaire, on trouve Agram Invest au Maroc
avec 26 million US $ levés (2006) et OLEA Capital avec 75 millions levés (Maroc, 2008).
Dans les nouvelles technologies, il y a Sindibad au Maroc avec 4 millions levés (2002) et
Upline Technologies (Maroc, 7 millions, 2000).
Les sorties
Compte tenu du fait que le CI au Maghreb est un phénomène récent on ne dispose pas
encore de suffisamment de données pour se faire une idée des rendements des fonds de CI.
Une enquête d'ANIMA auprès de 17 fonds (principalement maghrébins) donnent les résultats
suivants :
Figure 5. Stratégie d'exit et TRI
Sur 17 fonds
Tous exits
<15%
15 – 20%
20 – 25%
25 – 30%
>30%
Total
2
3
1
1
3
10
2
2
IPO/exit privé
IPO/option de revente
1
2
Option de revente
Total
3
5
1
4
1
1
3
1
5
17
Source : ANIMA
Ces données, si elles sont exactes, laissent à penser que le CI au Maghreb est en
mesure de s'aligner sur les performances des fonds des pays développés. Elles sont néanmoins
à prendre avec circonspection, car les fonds préfèrent généralement communiquer sur les
succès plutôt que les échecs.
Quoi qu'il en soit, le manque d'opportunités de sorties (du fait notamment du manque
de sophistication des marchés financiers maghrébins) est un handicap pour le CI au Maghreb.
L'option la plus utilisée reste la revente à un acheteur stratégique (une entreprise étrangère ou
locale avec une stratégie de croissance externe).
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
62
Tendances du CI au Maghreb
Lors d'une conférence sur le fonctionnement et l'avenir du CI dans les pays arabes en
2006, Arif Masood Naqvi31, le président d'Abraaj Capital (un des principaux fonds domicilié
à Dubai) expliquait que le CI dans ces pays tend à se sophistiquer.
Au Maghreb, ce processus de sophistication est en marche. Dans la mesure où le CI
commence à y faire ses preuves, de nombreux investisseurs régionaux et internationaux
envisagent d'investir dans des fonds destinés au Maghreb. Le marché du CI devrait devenir de
plus en plus liquide (avec a priori la mise en place d'un marché secondaire dans un futur
proche).
Le degré de concurrence entre fonds d'investissement va continuer à croître et, à
mesure qu'ils seront plus nombreux à se partager le marché, les variations entre les fonds les
plus performants et les plus mauvais devraient augmenter. Les différences avec les fonds de
CI en Occident vont progressivement s'estomper. Les fonds de taille moyenne, avec un
marché national unique pour cible, vont devoir davantage se spécialiser. Par ailleurs, de plus
en plus de fonds auront une approche régionale. La concurrence entre les fonds se jouera à la
taille (c'est déjà le cas au Proche-Orient avec une surenchère de la part des principaux
concurrents).
Autre évolution probable, la finance islamique, particulièrement en phase avec le
fonctionnement du CI, devrait se démultiplier et proposer des produits plus innovants.
Indéniablement, le CI au Maghreb, compte tenu de sa montée en puissance en trois
années seulement, semble avoir de beaux jours devant lui. Initialement poussé par les
institutions de développement, il devrait progressivement pouvoir fonctionner sans l'apport de
ces bailleurs de fonds. En effet, les économies du Maghreb présentent des opportunités
considérables pour les investisseurs.
Il est à noter cependant qu'une augmentation trop rapide des levées de fonds pose
problème. Un excès de liquidité pourrait donner lieu à une bulle spéculative, où les projets
viables seraient en quantités insuffisantes par rapport aux fonds disponibles. Les fonds, dans
31
A. M. Naqvi, “The Significance of Private Equity in the Middle East”, 2006
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
63
l'obligation de placer leur capitaux, seraient contraints d'investir dans des entreprises à faible
potentiel et engendreraient une «inflation» des valorisations des entreprises maghrébines.
4.1.2. De nombreuses opportunités d'investissements
L'accélération de la croissance du CI au Maghreb suggère que cette pratique financière
a du potentiel dans la région, notamment du fait de l'incapacité des instruments traditionnels
(dettes, actions) à satisfaire les besoins en financement des entreprises maghrébines. Si la
croissance économique se maintient, il n'y a, a priori, pas de raison à ce que l'expansion du CI
au Maghreb ralentisse. Les fonds de CI, au Maghreb et dans les autres pays arabes,
bénéficient d'un afflux record de capitaux, générés par l'augmentation du prix du pétrole.
Les mentalités des gouvernements des pays maghrébins ont changé ces dernières
années. Ils réforment leur économie, privatisent à tour de bras et libéralisent les échanges, ce
qui contribue en retour à encourager les transactions transfrontalières. Chaque privatisation
est une opportunité pour le CI.
L'attractivité d'un marché émergent, du point de vue, d'un investisseur dépend
principalement de quelques facteurs clés tels que :
la taille du marché local ;
les conditions macroéconomiques, avec idéalement une croissance économique
et un environnement macroéconomique stables ;
l'existence d'un marché boursier ;
l'existence d'un
tissus d'entreprises qui présentent un
potentiel
de
développement ;
l'environnement légal, avec une législation qui offre des garanties aux
investisseurs et facilite l'investissement et qui s'adapte aux mécanismes nécessaires au
bon fonctionnement du CI ;
l'état d'avancement de la restructuration économique, avec des politiques
économiques qui favorisent les privatisations et l'intégration dans l'économie
mondialisée ;
la disponibilité du capital, avec des institutions financières ou des fonds de
pension qui disposent de capitaux ;
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
64
les mécanismes de sortie, avec l'existence de voies de sorties sous la forme
d'introductions en bourse ou de revente à un acquéreur ;
des normes de gouvernance, avec des mécanismes qui protègent les
actionnaires en cas de litige et garantissent la transparence de l'information comptable.
Certains facteurs, comme l'environnement légal, la stabilité macroéconomique ou
l'existence d'opportunités de sortie sont plus importants que les autres ; c'est du moins ce que
suggère une enquête auprès de 50 investisseurs institutionnels susceptibles d'investir dans des
fonds de CI actifs dans les pays émergents.
Autres
Marchés boursiers
Taille du marché local
Normes de gouvernance d'entreprise
Stabilité politique
Intensité de l'activité du CI
Opportunités de sorties
Stabilité macroéconomique
Environnement légal
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
Figure 6. Facteurs décisifs pour investir dans les marché émergents
Source : Almeida Capital Research; enquête auprès de 50 investisseurs institutionnels
A bien des égards, les pays du Maghreb ont effectué des réformes qui vont dans ce
sens. Les quatre pays de Maghreb, y compris la Libye, ont connu une croissance relativement
stable, de l'ordre de 3 – 4% au cours des cinq dernières années. La question de la taille du
marché est un peu plus problématique dans la mesure où les tentatives de créer un espace
économique commun au Maghreb n'ont rien donné.
On comprend mieux également la raison pour laquelle le CI s'est davantage propagé
au Maroc et en Tunisie qu'en Libye et en Algérie.
En effet, le Maroc et la Tunisie sont parmi les pays arabes qui ont, le plus tôt, mis en
place des mesures favorables (avantages fiscaux, etc.) aux investissements directs étrangers. Il
est plus facile pour une entreprise étrangère d'investir ou de s'implanter dans ces deux pays
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
65
qu'en Algérie ou en Libye. La Tunisie et le Maroc ont toutes les deux des places boursières
dynamiques (le Maroc a même privatisé l'entreprise qui gère la bourse de Casablanca) alors
qu'il n'y a, virtuellement, pas de place boursière à Alger et à Tripoli.
Paradoxalement, l'absence relative de réserves de ressources naturelles (gaz, pétrole)
au Maroc et en Tunisie a poussé les gouvernements de ces deux pays à explorer des voies
alternatives de développement économique, contrairement à leurs voisins qui se sont reposés
sur la rente générée par la manne pétrolière. Très tôt, le Maroc et la Tunisie ont libéralisé leur
économie en privatisant quelques entreprises publiques emblématiques.
L'Algérie et la Libye ont tardé à libéraliser leur économie, mais les gouvernements algériens
et libyens affichent depuis quelques années leur volonté de combler le retard accumulé et
annoncent des privatisations en cascades.
Le Maghreb dans son ensemble offre des opportunités intéressantes pour le CI,
particulièrement dans certains secteurs clés, que nous présentons dans le tableau suivant.
Figure 7. Secteurs économiques à fort potentiel au Maghreb
Secteurs
Opportunités d'investissement
Énergie
Les entreprises d'exploration et de production de ressources énergétique vont
continuer
de
s'ouvrir
au
secteur
privé
et
aux
investisseurs
étrangers
(particulièrement en Libye et en Algérie).
Technologie, Média &
Cette industrie est encore très fragmentée et offre des opportunités de consolidation.
Télécommunications
De nouvelles licences d'exploitation sont proposées au secteur privé notamment
dans
les
télécommunications
(internet
devrait
particulièrement
croître).
Parallèlement les gouvernements cherchent à faire participer le secteur privé dans
les entreprises télécom dans lesquelles l'État est parfois encore majoritaire. Le
marché des télécommunications et des médias devrait croître dans la mesure où les
attentes des consommateurs ont évolué et se sont sophistiquées.
Services publics /
La privatisation des entreprises de travaux publics et de construction et la tendance
Infrastructure
aux partenariat public / privé vont attirer de nouveaux investisseurs. Les
améliorations du budget des pays du Maghreb devraient générer de nouvelles
dépenses publiques dont les entreprises privées devraient profiter.
Distribution & biens de
L'augmentation du pouvoir d'achat des populations maghrébines et la faiblesse
consommation
relative du secteur de la grande distribution vont engendrer de nouvelles
opportunités. Les entreprises de distribution étrangères ont un réel potentiel de
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
66
croissance et vont générer de nombreuses activités annexes.
Logistique
Ce secteur devrait bénéficier de la croissance des investissements dans les
infrastructures et dans la grande distribution. Les entreprises avec une présence
internationale vont bénéficier de l'intensification des échanges transfrontaliers.
Le secteur de la santé et des produits pharmaceutiques connait un taux de
Santé
croissance considérable du fait de l'augmentation des dépenses en santé. Des
facteurs tels que la croissance démographique (plus élevée que dans les pays
occidentaux), l'apparition de nouvelles régulations sur la protection du droit
intellectuel,
la prévalence de certaines maladies chroniques (diabète, cœur),
l'alphabétisation (et donc une prise de conscience de l'importance des traitements
pharmaceutiques) tirent la croissance de ce secteur au Maghreb.
Plutôt que
d'importer
entreprises
directement
les
produits
pharmaceutiques,
les
pharmaceutiques devraient à l'avenir importer les matières premières et fabriquer
les médicaments sur place.
Éducation
Le secteur de l'éducation devrait également profiter de l'amélioration générale de
l'économie.
Source : auteur
Certes, le Maghreb offre des opportunités considérables pour les fonds de CI. On
constate néanmoins que ces opportunités concernent principalement des secteurs d'activité
très «capitalistiques» ; cela suppose qu'en l'état actuel seules les plus grosses entreprises
devraient attirer l'attention des gestionnaires de fonds. L'expansion du CI est inégale. Il tarde à
se développer particulièrement dans les entreprises en création ou de taille moyenne. En effet,
de nombreux obstacles freinent le développement de l'industrie du CI.
4.1.3. Des obstacles récurrents
Les professionnels du CI s'accordent à penser que le Maghreb a un potentiel
considérable. Ce potentiel est attesté par la croissance des levées de fonds depuis 2005.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
67
Pourtant, une fois les fonds levés, les investisseurs rencontrent des difficultés majeures
lors des étapes ultérieures, notamment lorsqu'il s'agit d'intervenir dans la gestion de
l'entreprise et lorsqu'il faut sortir de l'investissement.
Les obstacles culturels
Les entreprises privées au Maghreb, même les plus importantes, sont souvent des
entreprises familiales. L'idée d'un investisseur de CI qui rentre dans le capital, prend sa part
des profits et dit aux dirigeants fondateurs ce qu'ils doivent faire leur paraît incongru. De
nombreux investisseurs soulignent les résistances auxquels ils doivent faire face, une fois le
contrat d'acquisition signé32.
Ces dirigeants sont généralement des entrepreneurs qui fonctionnent à l'instinct et
gèrent leur entreprise selon les règles qu'ils ont eux-mêmes fixées. Dans la mesure où
certaines de ces entreprises ont connu un succès considérable, ils ne voient pas en quoi un
investisseur extérieur, pas forcément spécialisé dans le secteur d'activité concerné, aurait quoi
que ce soit à redire. Les dirigeants peuvent être réfractaires aux propositions des investisseurs
et refuser de voir que le monde dans lequel leur entreprise évolue change.
Les obstacles liés à l'environnement macro-économique et légal
Malgré les efforts des gouvernements pour faciliter les investissements, la législation
(avec certes des écarts entre Tunisie/Maroc et Algérie/Libye) tarde à se familiariser avec les
spécificités du CI. Les fonds de CI structurent généralement leurs investissement avec une
combinaison d'actions ordinaires et privilégiées, afin qu'une partie de leur investissement soit
protégée. Par ailleurs, le manque de réglementations régissant les différents types d'actions
contraignent les investisseurs à créer des structures complexes pour garantir le fait que leur
investissement aille à l'entreprise et pas directement aux autres actionnaires (les cas de
spoliation sont assez fréquents dans les pays émergents).
32
KPMG & GVCA, “Private Equity and Venture Capital in MENA region in 2006”
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
68
Pendant longtemps, dans certains pays, les investisseurs étrangers n'étaient pas
autorisés à prendre des parts majoritaires dans une entreprise locale (c'est toujours le cas en
Libye). Par ailleurs, certains secteurs ne sont pas ouverts aux entités étrangères.
Des pays comme l'Algérie ou la Libye peinent à se mettre aux normes comptables
internationales. L'information (c'est le cas dans l'ensemble du Maghreb) est moins
transparente que dans les pays développés et complique considérablement la tâche de
l'investisseur qui doit presque systématiquement apurer les comptes de l'entreprise ciblée et
tout vérifier.
Autre obstacle majeur pour les investissements en CI : les difficultés à sortir. Les plus
grands succès des fonds de CI dans les pays développés sont liés au marché des introductions
en bourse. Les investisseurs au Maghreb ne peuvent pas compter sur cette possibilité (à
l'exception peut-être du Maroc et, dans une moindre mesure, de la Tunisie). Les investisseurs
misent sur une revente à des investisseurs stratégiques, ce qui est problématique lorsque le
nombre d’acheteurs potentiels est limité. En effet, l’acheteur peut exploiter le besoin de
l’investisseur à sortir de son investissement pour acquérir l’entreprise à un prix inférieur à sa
valeur.
Autres obstacles
Dans les pays développés les fonds de CI sont habitués à financer une partie de
l'acquisition avec de la dette. Au Maghreb, la plupart des transactions se font uniquement sous
la forme d'achat en actions. En effet, les banques et les institutions financières de la région, à
l'exception de certaines banques internationales, ne sont pas habituées à ce type de
financement.
Le manque de qualifications de la main d'œuvre locale est également un obstacle.
Certes le retour au pays de cadres formés à l'étranger a bénéficié aux économies du Maghreb,
mais cela ne semble pas suffire.
Il n'existe pas à notre connaissance d'étude détaillée concernant les obstacles
rencontrés par le CI au Maghreb. Nous citerons cependant une enquête réalisée par Florence
Eid. Elle a enquêté auprès de 10 sociétés gérants des fonds de CI dans la zone MENA
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
69
(Afrique du Nord et Proche-Orient). Ces sociétés devaient classer par ordre d'importance une
série d'obstacles au CI dans la zone MENA.
Figure 8. Obstacles au Capital-Investissement dans la zone MENA
Quels sont d'après vous les principaux obstacles au CI dans l'économie dans
laquelle vous travaillez
Score total
Nombre de
sociétés de
gestion
Intensité
L'absence d'opportunités de sortie
20
8
2,5
Environnement légal et régulations inadéquats
19
7
2,7
La nature familiale des entreprises
17
7
2,4
Manque général de compétences managériales
16
6
2,7
Manque de créativité et d'entrepreneurs talentueux
13
4
3,3
Protections inadéquates pour les actionnaires minoritaires
13
6
2,2
Manque de fonds destinés aux entreprises en création
1
1
1
Culture qui n'accepte pas le fonctionnement du CI
1
1
1
Difficultés à lever des fonds
0
0
Score total : classement aggrégé
Nombre de sociétés de gestion : celles qui ont classé un facteur particulier dans les quatre premiers
Intensité : score moyen d'un facteur lorsqu'il fait partie des quatre premiers
Source : Florence Eid
La colonne « score total » comptabilise les résultats en accordant 4 points pour le
facteur classé en premier et 1 point pour le facteur classé en quatrième. Ce résultat est
décomposé en fonction du nombre de sociétés de gestion qui ont classé ce facteur parmi les
quatre premiers (Nombre de sociétés de gestion) et le score moyen des facteurs qui ont été
classés parmi les quatre premiers (Intensité).
Florence Eid interprète les résultats de son enquête comme étant la preuve que les
obstacles au CI sont avant tout d'ordre institutionnel. En ce sens, il suffirait que l'État réforme
certaines institutions comme les marchés financiers, le système d'éducation et la législation,
pour rendre l'économie plus attractive aux yeux du CI.
A l'image de nombreux observateurs et acteurs du CI, Florence Eid justifie la mise en place
d'institutions favorables au CI au motif qu'il serait un facteur de développement économique.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
70
4.2.
Complémentarités entre capital-investissement et problèmes économiques
du Maghreb
Les économies du Maghreb ont choisi des voies de développement divergentes. Le
Maroc et la Tunisie d'une part ont cherché à compenser l'absence relative de ressources
naturelles sur leur territoire en libéralisant leur économie et en cherchant à bénéficier des
investissements étrangers. L'Algérie et la Libye d'autre part ont opté pour un modèle de
développement auto-centré. Pourtant, la rente générée par leurs réserves de gaz et de pétrole
ne suffit plus à stimuler leur développement et ces deux pays ont en quelques années décidé
d'ouvrir leur économie au commerce international.
Malgré leur divergences, les pays du Maghreb vont devoir faire face à des enjeux
communs. Leur croissance démographique, avec une population qui a doublé en trente à
peine, fait poindre le spectre d'un chômage massif. Les pays du Maghreb sont contraints de
trouver des moyens de stimuler leur croissance. Le CI semble tout indiqué pour endiguer les
problèmes auxquels ces économies devront faire face.
Chercheurs et acteurs du CI pointent du doigt les bienfaits potentiels du CI pour
convaincre les gouvernements de façonner un environnement qui favorise l'expansion du CI.
4.2.1. Transition économique des pays du Maghreb
Au lendemain de leurs indépendances, les États du Maghreb optaient pour des
politiques économiques dirigistes et centralisées. L'Algérie et la Tunisie choisissaient le
socialisme et le Maroc une monarchie populiste auto-centrée33.
Malgré la volonté des gouvernements de tourner la page de la période coloniale, ces
pays avaient du mal à se départir d'un fonctionnement économique hérité de la période
coloniale, centré autour de l'agriculture et de l'exploitation des réserves énergétiques (pétrole
en Algérie et en Tunisie, phosphate au Maroc). Dans les années 70, les gouvernements ont
mis en place des mesures visant à industrialiser leurs économies, profitant de la rente générée
33
KPMG & GVCA, “Private Equity and Venture Capital in MENA region in 2006”
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
71
par leur ressources naturelles. Le taux d'alphabétisation augmenta considérablement en
quelques décennies (le taux d'alphabétisation en Algérie passa de 25% au milieu des années
60 à 60% au milieu des années 80).
Malgré des efforts manifestes de modernisation et d'industrialisation, l'État restait
omniprésent dans tous les secteurs économiques. Les stratégies de développement consistant à
favoriser les exportations et à restreindre les importations ont été mises à mal lors des crises
provoquées par les chocs pétroliers des années 70 et les pays maghrébins ont dû recourir
massivement à l'endettement. Maroc, Tunisie et Algérie ont tous les trois été contraints de
signer des Programmes d'ajustement structurel avec le FMI. Les États ont dû restreindre leur
dépenses et diminuer leur masse salariale. Le FMI a encouragé les économies maghrébines à
augmenter leur compétitivité en restructurant leur économie.
Dans les années 90, la Tunisie et le Maroc ont libéralisé leur système bancaire et
accordé davantage d'indépendance à leurs banques centrales. Les économies tunisiennes et
marocaines se sont diversifiées (notamment dans le textile et le tourisme), tandis que
l'Algérie, désireuse de garder son indépendance, a maintenu un système économique basé sur
la manne générée par ses réserves d'hydrocarbure. Les économies tunisiennes et marocaines
ont connu des améliorations manifestes. Elles se sont ouvertes aux investissements étrangers,
ont bénéficié des investissements en capital humain effectués dès les années 70 et ont
progressivement vu leurs soldes courants passer positifs. Le poids de la dette de ces trois pays
s'est considérablement allégé (en Algérie, l'allègement de la dette s'explique essentiellement
par l'augmentation du prix du pétrole).
Pourtant, les problèmes structurels persistent. Malgré les efforts des gouvernements
pour développer les secteurs secondaires et tertiaires, l'agriculture garde un poids important
dans la croissance. Sa contribution au PIB est estimée entre 13 et 20% au Maroc, à 12% en
Algérie et entre 13 et 16% en Tunisie. Elle emploie 40% de la population active au Maroc,
25% en Algérie et 22% en Tunisie. C'est d'autant plus problématique que l'agriculture en
Afrique du Nord est fortement dépendante des aléas climatiques.
La part des Investissements Direct Étrangers (IDE) dans le PIB reste insuffisante. Ils
sont concentrés dans certains secteurs clés. En Algérie la majeure partie des IDE sont destinés
aux hydrocarbures alors que ce secteur emploie moins de 4% de la population active. La
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
72
Tunisie et le Maroc attirent davantage d'IDE que l'Algérie, mais l'incertitude politique et
l'opacité de l'environnement des affaires posent problème aux investisseurs étrangers. Dans un
classement des pays en fonction de leur climat d'affaire, élaboré par la Banque Mondiale34, les
pays du Maghreb sont en mauvaise posture. La Tunisie, la Maroc et l'Algérie sont
respectivement 73e, 128e et 132e sur 181 en 2008.
Les marchés maghrébins sont trop fragmentés et étroits, alors que les perspectives
d'intégration régionale s'éloignent au gré des tensions diplomatiques entre l'Algérie et le
Maroc sur la question du Sahara occidental.
Enfin, les secteurs qui génèrent une grande partie des revenus du Maroc et de la
Tunisie (textile et tourisme) subissent de plein fouet la concurrence des pays d'Europe de l'Est
et d'Asie. L'Algérie, quant à elle, reste dépendante du prix mondial du pétrole, dont les
revenus représentent encore plus du tiers du PIB.
Pour Assaad Jabre35, Vice Président Exécutif de l'IFC, les trois principaux défis pour
les économies du Maghreb sont :
le chômage
l’insuffisante diversification des économies
la difficulté à trouver un positionnement optimal pour profiter de la
mondialisation
De toute évidence, le chômage reste un problème crucial dans la région. Il est passé de
12% en moyenne en 1990 à 18,8% en 2000. Il est aujourd'hui de 15% en Tunisie et de 30% en
Algérie. C'est problématique car la croissance démographique des pays du Maghreb reste
forte et, cumulée au chômage, fait craindre une augmentation de la pauvreté.
Par ailleurs, les économies maghrébines, - même si elles sont su profiter de leurs
avantages et de leur ressources (hydrocarbures, tourisme, agriculture, textile) -, sont
dépendantes d’un nombre limité de secteurs, eux-mêmes soumis à des aléas externes.
Ainsi les pays du Maghreb sont face à des défis considérables. Ils doivent
impérativement créer davantage d'emplois et accroître leur compétitivité. La mondialisation
34
http://francais.doingbusiness.org/economyrankings/
Discours prononcé lors de la “Table Ronde du Maghreb : Emploi, Commerce extérieur, Genre et
Gouvernance”, Tunis, 2005
35
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
73
met en concurrence les pays du Maghreb avec d'autres pays en développement, notamment
asiatiques, qui ont su créer des environnements économiques plus sains et attractifs pour les
investissements.
Le seul moyen pour les pays du Maghreb de tirer leur épingle du jeu, dans un contexte
de mondialisation effrénée, consisterait à se libéraliser davantage, à diversifier leur économie
et à mettre en place des infrastructures légales et physiques favorables aux investissements.
Le CI aurait indéniablement un rôle à jouer pour accélérer le développement des pays du
Maghreb et pour renforcer leur position sur l'échiquier économique international.
4.2.2. L'impact potentiel du capital-investissement sur le
développement du Maghreb
Le CI peut dynamiser le développement économique du Maghreb en impactant les
économies maghrébines sur deux niveaux :
Au niveau micro-économique, le CI permet d'améliorer la compétitivité des
entreprises maghrébines.
Au niveau macro-économique, le CI semble en mesure de contribuer à la
résolution de certains problèmes cruciaux des économies maghrébines, en accélérant
la qualité des infrastructures, en diversifiant l'économie et en créant de l'emploi.
Impact micro-économique du CI au Maghreb
En apportant des fonds propres à l'entreprise, le CI constitue une alternative aux
banques, souvent défaillantes au Maghreb et réfractaires à l'idée de prendre des risques. Les
entreprises soutenues par un fonds d'investissement sont mieux armées et plus crédibles
lorsqu'elles souhaitent accéder à des sources de financement additionnelles. Pour les éventuels
prêteurs, les fonds garantissent la solvabilité de l'entreprise.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
74
Cependant, les raisons qui poussent les entreprises à faire appel à des fonds ne sont pas
seulement financières.
Le CI se veut une forme active de financement et s'apparente en cela à un partenariat
avec les entrepreneurs. Le CI suppose un engagement constant aux côtés des entreprises.
L'investisseur participe aux prises de décisions stratégiques. Plus que tout, il cherche à
garantir la croissance de l'entreprise dans laquelle il investit.
Une enquête réalisée par KPMG en 2006 pour le compte de la Gulf Venture Capital
Association auprès d'un panel représentatif de 15 entreprises ayant fait appel au CI donne
quelques indications sur les attentes spécifiques des entrepreneurs.
Figure 9 : Enquête auprès d'entreprises candidates au CI
Pour quelles raisons faire appel aux fonds de CI?
13%
7%
40%
13%
Besoin en capital
additionnel pour
financer la croissance
de la société
Pour des raisons de
transmission de
capital
Pour institutionnaliser
la société
Pour acquérir d'autres
sociétés
Autres
27%
Source KPMG & GVCA; Private Equity and Venture Capital in MENA region 2006
En quoi le CI est-il un allié précieux pour les entreprises du Maghreb? Généralement,
les fonds siègent aux conseils d'administration des sociétés et influent sur les affaires
courantes et les orientations stratégiques.
Les investisseurs apportent une expérience précieuse du monde des affaires et un
regard critique sur le fonctionnement de l'entreprise. Ils peuvent mettre à profit leur expertise
financière pour conseiller les dirigeants dans le cadre de cessions de certaines branches
d'activité ou d'acquisitions (en les aidant à cibler, analyser et valoriser les investissements
potentiels).
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
75
Il arrive qu'un fonds intervienne dans un contexte de transmission de la société à de
nouveaux actionnaires et joue le rôle de relai. Dans la mesure où de nombreuses entreprises
maghrébines sont des entreprises familiales, les problèmes de transmission d'entreprises vont
de plus en plus se poser.
Les fonds peuvent apporter une expertise technique en faisant appel à un «operating
partner», spécialisé dans un secteur d'activité spécifique. De la sorte, le CI injecte un savoirfaire et une expertise supplémentaire dans l'entreprise et familiarise les dirigeants maghrébins
aux «best practices» des entreprises occidentales.
Par ailleurs, les exigences de transparence des fonds sont bénéfiques à l'entreprise, car
elles limitent les risques de spoliation du capital de l'entreprise par les différentes parties
prenantes (risque élevé dans les entreprises familiales où la pression sociale est
particulièrement forte).
Enfin, les fonds peuvent parfois intervenir efficacement dans le cadre de négociations
avec les autorités locales. L'omniprésence de l'État à tous les échelons décisionnaires dans les
pays maghrébins est souvent un frein au développement des entreprises et la présence d'un
investisseur institutionnel dans les négociations renforce leur crédibilité aux yeux des
autorités. D'une manière générale, les fonds mettent à profit leur carnet d'adresses pour
faciliter la croissance de l'entreprise.
L'enquête de KPMG suggère que les dirigeants d'entreprises sont conscients que le CI
leur apporte plus qu'un simple financement. Les dirigeants questionnés laissent entendre que
le CI a renforcé leur entreprises et augmenté leur compétitivité.
Figure 10 : Domaines de contributions du CI
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
76
Contribution autre que financière du CI
Contribution
essentielle
Contribution
considérable
Contribution limitée
Marketing
25%
13%
13%
Conseil pour le recrutement
38%
38%
13%
Conseil financier
38%
38%
13%
Stratégie
50%
25%
Savoir-faire
25%
13%
25%
Carnet d'adresses et alliances stratégiques
25%
25%
13%
Expertise spécifique au marché
38%
13%
25%
Domaines de contribution
Gouvernance d'entreprise
Gestion d'actif
13%
13%
13%
Source KPMG & GVCA; Private Equity and Venture Capital in MENA region 2006
Indéniablement le CI semble propice à la croissance des entreprises du Maghreb. Il
devrait notamment contribuer à augmenter leur compétitivité. Elles en ont d'autant plus besoin
qu'elles sont, avec la mondialisation, mises en concurrence avec les entreprises d'autres pays
émergents.
Impact macro-économique du CI au Maghreb
Les pays du Maghreb sont mis au défi d'améliorer leurs infrastructures et de créer de
nombreux emplois. La croissance démographique nécessite des investissements conséquents
dans des secteurs clés comme la santé, l'éducation, les infrastructures et les services. Les
gouvernements du Maghreb ne semblent pas en mesure de subvenir seuls à ces nouveaux
besoins ; ils doivent impérativement mettre à contribution le secteur privé, faute de quoi le
retard avec les économies émergentes concurrentes s'accentuera.
Sur un mode presque dialectique, CI et besoins des économies du Maghreb sont
complémentaires. La montée en puissance de certains secteurs d'activité est à la fois une
opportunité pour le capital-investissement et le signe d'un manque que les États doivent
s'efforcer de combler. En ce sens le private equity serait une pratique financière
particulièrement adaptée aux pays en développement.
L'intérêt du capital-investissement pour les investissements dans les infrastructures est
spécifique aux pays émergents. Cela révèle, en quelque sorte, la capacité des fonds à adapter
leur cibles d'investissement en fonction du contexte économique.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
77
Par ailleurs, le CI, s'il fonctionne efficacement, permettrait de diversifier les
économies maghrébines. Le manque de diversification des économies du Maghreb est
problématique. Nous avons vu que le capital-risque est certainement la pratique financière la
plus à même de financer l'innovation. Schumpeter, le premier, a montré l'importance à donner
à l'innovation. En finançant les projets innovants, le CI contribue à la restructuration des
économies du Maghreb.
Les entreprises du Maghreb, pour rester compétitives dans un environnement toujours
plus concurrentiel, ont besoin de capitaux et de sang neuf. Le modèle de l'entreprise familiale
tel qu'il existe au Maghreb ne paraît pas suffisamment armé face à l'internationalisation de la
concurrence. Les fonds de CI poussent ces entreprises à se restructurer, à se séparer des
activités qu'elles maîtrisent mal, à améliorer leur process de gestion et facilitent la transition
vers un modèle d'entreprise moins centré sur les intérêts familiaux.
Pour l'économiste Florence Eid36, le principal problème auquel les économies du
Maghreb vont devoir faire face, c'est le chômage. La population du Maghreb a doublé en
trente ans et les 80 millions d'habitants actuels devraient doubler d’ici 50 ans. Au rythme où
vont les choses, la population active du Maghreb devrait croître à des rythmes sans précédent.
Dans un rapport datant de 200537, la Banque Mondiale tirait la sonnette d'alarme :
«Entre 2000 et 2020, la croissance de la population active dans ces pays aura été en moyenne
de près de 2,4 % par an. Cela signifie qu’il faudra créer près de 16 millions d’emplois de plus
entre 2000 et 2020 pour les nouveaux arrivants sur le marché. Compte tenu du niveau de
chômage estimé à 20,4 % au Maghreb, les pays de cette région devront créer quelque 22
millions d’emplois au cours des deux prochaines décennies pour occuper à la fois les
chômeurs et les nouveaux venus sur le marché.»
Avec une croissance moyenne du PNB de 3.1% pendant les 10 dernières années et des
projections pour les dix années à venir qui n’excèdent pas 3.3%. Le problème de la création
d’emploi dans la zone est effectivement flagrant. Le seul moyen pour sortir de cette impasse
36
F. Eid, “Private Equity Finance as a Growth Engine : What it Means for Emerging Markets”, Business
Economics, Juillet 2006
37
Paul Dyer, “Disponibilité de main d'œuvre, chômage et création d'emploi dans le Maghreb”, Banque
Mondiale, 2005
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
78
consiste à développer intensivement le secteur privé. Indéniablement, le CI offre ici encore
des perspectives intéressantes.
Les rares données disponibles sur le CI au Maghreb lui sont largement favorables,
comme le montre le tableau suivant qui analyse le portefeuille du premier fonds de CI en
Tunisie, Tuninvest.
Le marché de l’emploi en Tunisie a augmenté de 3% par an pendant la période 19891997. Sur la même période, les entreprises détenues par Tuninvest ont généré une croissance
nette de l'emploi de 17%. Ces chiffres sont d’autant plus frappants que la plupart des
entreprises de Tuninvest n’étaient pas des start-up (les entreprises en création ont tendance à
afficher des taux de croissance élevées dans la mesure où elles se basent sur des montants
initiaux faibles, ce qui crée une illusion statistique). D'après Eid, les premières données en
provenance de l'Algérie et du Maroc donnent des résultats tout aussi encourageants.
Figure 11. Emploi et chiffre d'affaire des entreprises en portefeuille de Tuninvest
Création d'emploi et chiffre d'affaire
Nombre d'employés
A l'entrée
Présent
Différence
A l'entrée
(nominal)
Présent
(nominal)
Présent
(réel)
Différence
(réel)
Pourcentage
différence
(réel)
AMI
1995
93
120
27
3 034
5 323
3 783
749
19,8
AMI COMMERICALE
1997
5
15
10
1 300
2 835
2 221
921
41,5
BATAM
1997
370
650
280
59 954
94 855
74 321
14 367
19,3
COGITEL
1998
96
100
4
9 605
12 561
10 334
729
7,1
EXIS (Holding SNMVT)
1999
46 093
68 242
58 950
12 857
21,8
FUCHI-KA
1999
25
30
5
406
510
441
35
7,9
GALION
2000
70
70
0
4 611
4 491
4 073
-538
-13,2
HYDROSOL FONDATIONS
1997
50
50
0
1 035
2 166
1 697
662
39,0
IGL INDUSTRIE SARL
1999
37
70
33
2 390
8 892
7 681
5 291
68,9
INTERCHEM
1996
15
50
35
1 083
5 439
4 059
2 976
73,3
MEDIS
1996
3
110
107
0
3 597
2 684
2 684
100,0
NOUVELAIR
2001
500
400
-100
115 371
143 225
136 405
21 034
15,4
SANI CUISINES
2001
60
60
0
5 426
7 687
7 321
1 895
25,9
SIL
1996
286
300
14
3 260
3 427
2 557
-703
-27,5
SOMATRAL
1998
130
190
60
3 835
5 063
4 165
330
7,9
SOPAT
1995
200
700
500
6 405
26 012
18 486
12 081
65,4
SOTUPA
1998
250
500
250
23 000
47 000
38 667
15 667
40,5
SOVIA
1997
30
180
150
0
12 681
9 935
9 935
100,0
SPG
2000
47
80
33
4 570
7 624
6 915
2 345
33,9
STI (ACCOR)
2001
600
850
250
5 454
32 462
30 916
25 462
82,4
STMP
1996
30
40
10
1 992
1 269
947
-1 045
-110,3
TECNO CATERING
1999
28
120
92
567
310
268
-299
-111,6
TUNISAVIA
1995
100
100
0
5 235
6 669
4 740
-495
-10,4
TUNISIA SEAWAYS
2001
1
20
19
0
2 503
2 384
2 384
100,0
TUNISIE FACTORING
1998
12
30
18
845
4 768
3 923
3 078
78,5
TUNISIE VALEURS
1998
36
45
9
2 213
3 072
2 527
314
12,4
VISUAL INDUSTRIE
1998
40
40
0
2 975
2 328
1 915
-1 060
-55,4
VITALAIT
2000
96
200
104
10 738
26 376
23 924
13 186
55,1
3 110
5 020
1 910
316 162
534 718
461 499
145 337
Total
Pourcentage différence
38
Source : Tuninvest Finance Group, 2002
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
79
Ainsi l'expansion du CI au Maghreb est souhaitée et souhaitable. Compte tenu de la
situation délicate des pays du Maghreb, le CI est une piste intéressante de développement :
Il crée de l'emploi et génère de la croissance dans les entreprises dans
lesquelles il s'investit (et par effet d'entrainement, chez leurs partenaires et leurs
fournisseurs).
Il permet aux économies maghrébines de se diversifier (et d'être moins
dépendantes des secteurs traditionnels : agriculture, tourisme, hydrocarbures).
Il contribue à augmenter la compétitivité des entreprises maghrébines.
Bref, le CI apporte une réponse aux principaux défis qui menacent le Maghreb.
Économistes et professionnels du CI s'accordent à penser que le CI peut avoir un effet
vertueux sur les économies du Maghreb et insistent sur la nécessité, de la part des autorités
publiques, de façonner un environnement institutionnel qui facilite un peu plus encore son
expansion.
4.2.3. L'argument des complémentarités pour justifier la
libéralisation de l'environnement légal
Le raisonnement est simple. Si le capital-investissement permet d'améliorer la
situation économique des pays du Maghreb, alors les gouvernements ont intérêt à favoriser
son expansion.
Les pistes d'action proposées par les économistes et les professionnels du CI sont
nombreuses.
Florence Eid, dans son enquête auprès de 10 sociétés gérant des fonds dans la zone
MENA38,
demande aux professionnels du CI quels sont, d'après eux, les domaines
d'intervention prioritaires pour développer le capital-investissement.
38
F. Eid, “Private Equity as a Growth Engine : What It Means for Emerging Market”, Business Economics,
2006
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
80
Dans quels domaines faut-il intervenir en priorité pour développer le CI?
Nombre de
Score total sociétés de
gestion
Intensité
Réformes législatives
69
10
6,9
Améliorer la qualité du deal flow
64
10
6,4
Développer une culture entrepreneuriale
54
9
6,0
Faire la promotion du CI
52
9
5,8
Associer le CI aux stratégies de développement
49
8
6,1
Intensifier le deal flow
44
9
4,9
Plus de compétences spécialisées sur le marché
41
9
4,6
Subventions / Aides publiques
31
8
3,9
Plus de sources de fonds
22
7
3,1
Score total : classement aggrégé
Nombre de sociétés de gestion : celles qui ont classé un facteur particulier dans les sept premiers
Intensité : score moyen d'un facteur lorsqu'il fait partie des sept premiers
Figure 11. Domaines prioritaires pour développer le CI dans la zone MENA
Source : Florence Eid
La méthodologie est la même que celle présentée plus haut, à une différence près. La
colonne «score total» comptabilise les résultats en accordant 7 points pour le domaine
d'intervention classé en premier et 1 point pour le facteur classé septième.
Ce questionnaire suggère que le CI, pour être efficace (et donc contribuer au
développement économique du Maghreb), aurait besoin à la fois d'un environnement légal en
adéquation à son mode de fonctionnement et d'une réserve d'entrepreneurs.
Se dessine ici le fantasme d'une relation potentiellement vertueuse associant CI
(Finance) et institutions (institutions légales et institutions «éducatives» pour former les
entrepreneurs).
Florence Eid introduit la notion de «complémentarités institutionnelles» et explique
que les facteurs de développement du CI doivent se renforcer entre eux :
«The policy challenge for MENA is to create the ‘institutional complementarities’ necessary
for the financial sector to leverage this talent. [...] if financial institutions are not
‘complemented’ with the right skills and know-how, they cannot create private sector activity
and, similarly, if finance and skills are not ‘complemented’ with regulatory institutions that
serve their needs, they cannot create businesses that make profit, and ultimately drive the
economy forward. [...] Applications of these ideas lead to conclusions about the importance
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
81
of coupling innovations in financial intermediation (e.g. the creation of private equity funds)
with appropriate institutions including ones that facilitate transactions and provide incentives
(such as technically ‘smart’ legislation) and others that create ‘deal flow’ and bring forward
entrepreneurial talent (both linked to educational and business policy interventions).»
Florence Eid étaye son propos en expliquant qu'un fonds de CI qui évoluerait dans un
environnement avec un «deal flow» insuffisant ou une législation inadéquate ne bénéficierait
pas des complémentarités nécessaires pour dynamiser le système économique. En ce sens,
pour que la contribution du CI au développement des pays du Maghreb soit optimale, les
autorités
doivent participer à la création du «triangle vertueux» : finance, régulation et
éducation.
On pourrait résumer ainsi les mécanismes de ce «triangle vertueux» :
Le CI a besoin pour s'épanouir d'une législation «intelligente», adaptée et
complémentaire, et d'entrepreneurs talentueux.
L'entrepreneur pour se réaliser a besoin d'intermédiaires financiers (le CI) et
d'un système éducatif qui le forme à l'entrepreneuriat.
Les autorités pour résoudre les problèmes économiques ont besoin
d'intermédiaires financiers et d'entrepreneurs (les premiers pour financer les
deuxièmes et les deuxièmes pour innover et créer de l’emploi).
Aussi, dans la mesure où l'efficience de ce triangle vertueux, dépend de la mise en
place par les autorités d'un environnement institutionnel favorable au CI, est-il nécessaire de
s'interroger : quel est l'environnement légal idéal pour le CI?
De prime abord, il faut un environnement légal qui s'adapte et comprenne les
mécanismes spécifiques au CI. Nous avons vu que la résolution des problèmes d'agence
requiert des instruments financiers et juridiques particulièrement sophistiqués (dette
convertibles, actions préférentielles, etc.). Cela suppose, comme le suggèrent Romain Geiss,
Jérémy Hajdenberg et Maïa Renchonue39, de «renforcer l'expertise des autorités publiques en
charge de réguler le secteur et des juristes et experts comptables locaux».
39
R. Geiss, J. Hajdenberg et M. Renchon, “L'Afrique, Terre d'Investissement : Le Private Equity en Afrique,
Réussites et Nouveaux Défis”, Capafrique 2008
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
82
Sans un environnement légal favorable et des institutions qui comprennent ses
mécanismes, le CI au Maghreb ne pourra pas se développer dans de bonnes conditions.
Rappelons en effet qu'il n'aurait pas pu s'imposer aux États-Unis si les autorités américaines
n'avaient pas aménagé leur système juridique. Le CI existe dans la mesure où on l'y autorise.
En outre, un investissement dans une entreprise, c'est avant tout un contrat financier,
lequel est affecté par les règles qui encadrent sa formation et assurent sa mise en application.
Or ces règles qui déterminent les modalités de formation et d'application du contrat dépendent
elles-mêmes de l'origine du système juridique à partir duquel elles ont été élaborées.
De fait, de nombreux auteurs pensent que la nature juridique d'un pays influe sur
l'efficacité de ses institutions financières. La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny40 se
sont efforcés de montrer que les lois d'un pays régissant la protection des droits des
actionnaires sont déterminées par l'origine du système juridique. En l'occurrence, les pays
«Common law» offriraient une meilleure protection des actionnaires que les pays de tradition
civiliste.
Par la suite, ces mêmes auteurs ont cherché à mettre en exergue l'existence d'une
corrélation entre degré de protection des investisseurs, niveau de développement des marchés
financiers et rythme des introductions en bourse.
En 1999, La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny41 ont prétendu démontrer
que la qualité d'un gouvernement dépendrait à la fois de facteurs économiques et légaux : les
pays pauvres avec un système légal inspiré du code civil français auraient des gouvernements
plus faibles, incapables de garantir et de mettre correctement en application les droits de
propriété. Dans ces pays, les gouvernements auraient davantage tendance à intervenir dans
l'activité économique et à imposer des contraintes réglementaires plus lourdes à la création
d'entreprise42.
Dans une telle optique, l'inadaptation manifeste de l'environnement légal des pays du
Maghreb au CI trouverait sa source dans l'héritage colonial laissé par la France.43
40
La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer & Vishny, «Legal Determinants of External Finance», Journal of
Finance 1997
41
La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer & Vishny, «The Quality of Government», Journal of Law, Economics,
and Organization, 1999
42
Djankov, Lopez-de-Silanes, Shleifer & Vishny, «The Regulation of Entry», Quarterly Journal of Economics,
43
Les systèmes juridiques de la Tunisie, de l'Algérie et, dans une moindre mesure, du Maroc sont dérivés du
droit civil français.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
83
Des recherches ultérieures, dans la même veine, ont confirmé l'importance de l'origine
légale44 et le lien entre origine légale et développement du secteur financier d'une nation45.
Elles prétendent montrer qu'un système juridique qui s'adapte rapidement aux besoins des
parties contractantes stimule davantage la croissance (la dimension jurisprudentielle de la
common law lui confère incontestablement une plus grande flexibilité que le droit civil).
Ici encore, la «common law» satisferait mieux les besoins des parties contractantes et
prendrait mieux en compte l'intérêt de l'investisseur, ce qui expliquerait, selon Eid, que les
transactions de CI dans les pays «common law» soient plus sophistiquées et plus importantes
en volume46.
Comme le résume Deffains47 : «ces études comparatives décrivent une situation dans
laquelle les pays de Common Law offriraient une meilleure protection aux investisseurs que
les pays de droit civil. Cette particularité expliquerait pourquoi les pays anglo-saxons ont des
marchés financiers plus développés, une propriété du capital plus dispersée et des capitaux
propres plus importants que ceux relevant de la tradition civiliste. Ces travaux cherchent
également à démontrer que la composante du développement financier expliquée à partir de
l’environnement juridique serait positivement corrélée à la croissance économique».
Or ces travaux ont été réutilisés par la Banque Mondiale pour conseiller les pays en
développement souhaitant réformer leur systèmes juridiques48. On imagine déjà la suite...
Cette analyse économique des systèmes juridiques trouve son origine dans l'hypothèse
(ou plutôt la thèse) formulée par Richard Posner selon laquelle le droit anglo-saxon ne serait
que le reflet d'une adéquation inconsciente de la conception que le juge se fait de la justice
avec ce qui serait économiquement efficace. Bref, la common law aurait dans ses gènes le
souci de l'efficacité économique.
La thèse de Posner a eu des répercussions considérables sur le monde juridique et a
ouvert de nouvelles perspectives pour l'analyse du développement économique.
44
Beck, Demirguc-Kunt & Levine, “Law and Finance: Why does Legal Origin Matter?” World Bank Policy
Research Paper, 2003
45
Beck & Levine, “Legal Institutions and Financial Development”, National Bureau of Economic Research,
Working Paper, 2004
46
Eid & Roumieh, “Institutions, Knowledge Assets & Financial Contracts : Evidence from private equity in
MENA”, Draft Paper, 2007
47
B. Deffains, “Introduction à l'analyse économique des systèmes juridiques”, Revue économique 2007
48
Cette méthodologie est notamment utilisée dans le projet “doing business” de la Banque Mondiale qui élabore
entre autre le classement des pays pour leur climat d'affaire que nous citions plus haut
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
84
Le common law serait, en quelque sorte, l'émanation juridique de l'utilitarisme et donc,
intrinsèquement, plus en phase avec le fonctionnement d'une économie capitaliste.
Ce qui se dessine ici, c'est cette dimension totalisante et totalitaire d'un utilitarisme qui s'érige
en vérité universelle et inéluctable, et déborde de la sphère économique pour s'épandre dans
les sphères juridique, scientifique, politique, et même, nous le verrons, géopolitique.49
Nous nous y connaissons trop peu en théorie juridique pour prétendre esquisser une
quelconque ontologie de la «common law», néanmoins force est d'admettre que
l'appropriation du système juridique anglo-saxon par la logique utilitariste n'est pas en soi
choquante, dans la mesure où «common law» et utilitarisme ont tous deux fermenté dans la
philosophie anglo-saxonne libérale du 17ème et 18ème siècle. On pourrait même aller plus
loin et dire qu'utilitarisme et common law se sont construits conjointement autour de la
conception «positive» d'un droit inaliénable à la propriété. En ce sens la détermination des La
Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et autre Vishny à démontrer «empiriquement» la supériorité
du common law sur le droit civil ne serait que le prolongement de l'apologie faite, en son
temps, par Locke de la tradition anglaise de la Common Law contre la « maladie française de
l’absolutisme ».
Mais au fond, est-ce vraiment surprenant que le common law soit le système juridique
le plus apte à protéger ce qui est, par ailleurs, à son propre principe : le droit à la propriété?
En ce sens, l'ensemble des travaux fournis par le courant «Finance and Law» ne serait qu'une
grotesque tautologie, une lapalissade réitérée à l'infini visant à légitimer l'expansion d'un
capitalisme par essence auto-référentiel.
On touche là un point crucial de notre raisonnement et peut-être convient-il de résumer
ce qui a été dit jusqu'ici :
Le CI serait susceptible d'accélérer le développement économique des pays
émergents, développement économique d'autant plus urgent que ces pays se
concurrencent les uns les autres dans l'arène de la mondialisation.
Le CI aurait besoin, pour réaliser tout son potentiel, d'un environnement légal
favorable.
49
Pour ceux qui douteraient de la généralisation de l'utilitarisme dans l'ensemble des champs d'investigation
scientifique, on rappellera que les théories destinées au CI, tout particulièrement la théorie d'agence, sont ellesmêmes des théories utilitaristes puisqu'elles partent du postulat que tout individu, par essence, cherche à
maximiser son utilité.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
85
Les systèmes juridiques les mieux adaptés au CI seraient ceux qui dérivent de
la «common law».
Dans une telle optique, les pays maghrébins seraient dans l'obligation de réviser leur
système juridique, voir la nature même de ce système, pour faciliter l'épanouissement du
capital-investissement, puisque cet épanouissement est vécu comme condition nécessaire au
développement économique (et donc à la survie en milieu concurrentiel mondialisé).
Ce qui est en acte avec l'expansion du CI au Maghreb, c'est précisément l'infiltration
du système capitaliste et du discours utilitariste dans ce qui, en théorie, constituait un pilier
de la souveraineté de l'État-nation : le système juridique.
En ce sens, le CI participe à un processus beaucoup plus large, qui bouleverse
radicalement le paysage géopolitique et révolutionne le fonctionnement de l'État-nation,
lequel, pour survivre, est contraint d'abandonner un certain nombre de ses prérogatives. De
fait, le CI génère une nouvelle forme de domination, une domination qui force les Étatsnations à se plier aux impératifs de la mondialisation.
Or, dans la mesure où il contribue, notamment au niveau juridique, à confisquer
certains attributs de la souveraineté, le CI ne s'apparente-t-il pas à une nouvelle forme de
colonialisme?
Certes, l'expansion du CI ne peut être comparée aux conquêtes coloniales menée par
les puissances européennes à partir du 16e siècle. Il ne s'agit plus d'annexer un territoire et de
substituer l'administration locale par l'administration coloniale et les concepts de colonialisme
ou de colonisation doivent être maniés avec précaution.
Néanmoins, de nombreuses similarités subsistent. La domination s'exprime de manière
différente, mais ces effets sur les pays colonisés restent sensiblement les mêmes. Le
philosophe altermondialiste Ramón Grosfoguel définit le «modèle de pouvoir colonial»
comme «un principe organisateur qui recouvre l’exploitation et la domination exercées dans
de multiples dimensions de l’existence sociale, des économies jusqu’aux formes
d’organisation politique, aux institutions étatiques, aux relations de genre, aux structures de
connaissance»50.
50
R. Grosfuguel, «Les implications des altérités épistémiques dans la redéfinition du capitalisme global.
Transmodernité, pensée frontalière et colonialité», Multitudes, 2006
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
86
De fait ,de nombreux auteurs suggèrent que la mondialisation du capitalisme agit sur
de multiples dimensions : sociales, économiques, politiques, institutionnelles, cognitives, etc.
Nous allons désormais nous attarder sur ce concept de colonialisme et voir en quoi le
CI peut être considéré comme une nouvelle forme de colonialisme.
A la question initiale visant à déterminer si le CI est une source de développement
économique ou une nouvelle forme de colonialisme, nous verrons qu'en réalité
développement économique et colonialisme ne sont en aucune façon contradictoires, dans la
mesure où le concept de développement économique est en soi un concept colonial.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
87
5. Le
capital-investissement
:
une
nouvelle
forme
de
«
colonialisme »
L'objet de cette partie n'est pas de montrer que le CI dans les pays émergents se réduit
à n'être qu'une nouvelle forme d'exploitation et d'appropriation des richesses des pays du Sud.
Nous souhaitons, en réalité, comprendre dans quelle mesure le CI participe d'un
mouvement beaucoup plus vaste par lequel le capitalisme mondialisé opère son expansion.
Il s'agit bien de colonialisme, mais d'un colonialisme d'un nouveau genre. Les formes
antérieures de colonialisme et d'impérialisme, même si elles subsistent, sont, à bien des
égards, dépassées. Fini le temps où les pays européens annexaient des pays entiers,
imposaient leur administrations, pour extraire les richesses des pays colonisés. Lénine avait
tort, l'impérialisme, au sens où il l'entendait, n'était pas le «stade ultime du capitalisme».
La souveraineté des États Nation, même des pays occidentaux, a perdu de sa substance
dans le système-monde contemporain, où l'origine du pouvoir est décentrée, les organes de
régulation privatisés et transnationalisés. Le capitalisme s'impose désormais de manière
immanente à l'ensemble des économies nationales.
Le CI au Maghreb, en cela qu'il est vu comme une source de développement dans
l'esprit même des dirigeants des pays maghrébins, est un exemple des nouvelles modalités de
diffusion d'un capitalisme global et totalisant. Le CI ne se contente pas d'injecter des capitaux
dans les économies du Maghreb, il y transfuse une bonne dose de capitalisme, facilitant ainsi
la polymérisation du système capitaliste.
Dans un premier temps, nous tenterons de donner une définition «ontologique» du CI.
Nous verrons que le CI, dans une perspective sémantique, est chargé de sens; comme si,
dans la texture et la profondeur des notions qui le composent, le capital-investissement portait
déjà en lui la possibilité d'une fonction coloniale. Nous verrons que certaines figures
emblématiques d'un CI triomphant, à l'image de Rubinstein, fondateur du Carlyle, attribuent, sans doute sans réaliser les implications que leur propos peuvent avoir-, l'origine du CI à
Christophe Colomb.
Christophe Colomb ne serait pas seulement celui par lequel la découverte des
Amériques à donné le jour à cinq siècles de colonisation effrénée et d'accumulation de capital
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
88
par les puissances coloniales européennes, mais il serait également le premier General
Partner.
Dans un second temps, nous allons voir en quoi un investissement en capital est
également une manière de véhiculer du pouvoir. Le positionnement géographique et
géopolitique du Maghreb dans le système-monde, à l'intersection des sphères d'influence des
anciennes puissances coloniales arabes et européennes, en fait un lieu d'affrontement (plus ou
moins pacifié et commercial) entre européens et arabes (du Golfe). Dans ce cas, le CI est une
réminiscence des anciennes formes de (néo-)colonialisme et d'impérialisme puisqu'il permet à
des pays souverains d'asseoir leur domination et de déplacer dans le monde de la finance des
problématiques diplomatiques et géopolitiques.
Enfin, nous allons voir que le CI participe d'un mouvement beaucoup plus vaste par
lequel le capitalisme s'érige en système économique total. Pendant un temps, notamment dans
la foulée du «consensus de Washington», l'argument du développement économique a été
utilisé pour inciter les pays en développement à s'adapter aux contraintes du système
capitaliste. En réalité, nous verrons que la notion même de développement économique est
équivoque, car, dans la rhétorique des principales institutions de développement, être
développé, c'est être capitaliste. En ce sens le CI, en tant qu'il est justifié par l'argument du
développement économique, contribue à l'avènement d'une civilisation unique et globale.
«Le capitalisme ne serait plus une variante, possible ou effective, des divers systèmes
économiques de l’histoire, dont l’historien aurait à expliquer les moments et les raisons des
succès et des échecs de son implantation et de son développement dans telle ou telle
civilisation, mais le générateur de la civilisation mondiale et donc unique dont les variantes
locales s’effaceraient enfin avec l’élimination des scories d’un passé trop longtemps divers,
d’histoires trop longtemps asynchrones.»51
5.1.
Une tentative de définition ontologique
51
Guéry A., “L'empire du capital. Produire des hommes et échanger des biens dans l'histoire mondiale”, Rue
Descartes, 2005
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
89
Il est bien entendu prétentieux de prétendre donner une définition ontologique du
capital-investissement. A dire vrai cela nécessiterait d'abord de définir ce que veut dire
ontologie ; ce qui s'annonce ardu et hors de notre portée.
On trouve sur Wikipédia la définition suivante de l'ontologie: «En philosophie,
l'ontologie (du grec oν, oντος, participe présent du verbe être) est l'étude de l'être en tant
qu’être, c'est-à-dire l'étude des propriétés générales de tout ce qui est.»
Vaste programme qui passionne les philosophes en tous genres et qui, pour ces
derniers, ne saurait s'appliquer à un concept aussi trivial que le capital-investissement.
Pour faire simple, ce que nous entendons ici par ontologie vise à dévoiler et à
découvrir l'arrière-fond d'un phénomène ou d'un concept. Dans le cas du capitalinvestissement, cela suppose d'aller regarder ce qui se cache derrière les significations, les
représentations et les manifestations usuelles du capital-investissement.
Nous verrons que les étymologies de capital et d'investissement sont riches de sens. Le
CI, ontologiquement, dépasserait largement le cadre d'une simple pratique financière. En
étudiant cette face cachée du CI nous verrons qu'il porte en lui les germes d'une forme de
colonialisme.
Nous verrons dans un second temps que certaines figures d'autorité de l'industrie du
private equity, dans un désir de mythifier le CI, suggèrent eux-mêmes l'existence d'un lien
entre CI et colonialisme en attribuant, en toute innocence, son origine à Christophe Colomb.
5.1.1. “Capital” et “investissement”, deux concepts chargés de sens
Le capital-investissement c'est avant tout le mariage de deux concepts : capital et
investissement.
Leur utilisation quotidienne a contribué à attacher une signification a posteriori à
«capital» et «investissement», pourtant l'étude de leur étymologies suggère que ces deux
termes ont été, au fil des siècles, travestis.
L’étymologie, pour les Grecs, était la science du vrai (etumos); en ce sens les
étymologies respectives de capital et d'investir nous permettent de retrouver les sens originels
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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de ces deux notions et donc d'esquisser une nouvelle signification de la fusion conceptuelle
opérée par le capital-investissement.
Capital n'a pas toujours eu la dimension patrimoniale qu'on lui connait aujourd'hui.
Capital, étymologiquement, dérive du latin «caput» qui veut dire tête.
Les premières utilisations de capital remontent au 13e et 14e siècles avec les
expressions de «peine capitale», associée à la peine de mort. On parlait de peine capitale dans
la mesure où elle impliquait notamment la «décapitation». Par dérivation, «caput» a donné
capitaine et caporal, en d'autres termes ce qui est à la tête. Car est capital ce qui est important,
fondamental ou primordial. La capitale d'un pays, c'est sa ville principale, celle qui est à sa
tête. Plus généralement on peut dire que la tête est le lieu du corps humain d'où émerge la
conscience, ce qui explique sa dimension essentielle et vitale.
Investissement dérive du terme latin «investire», qui signifiait revêtir de l'intérieur,
garnir. Au Moyen-äge, «investire» a pris le sens de «mettre en possession d'un fief ou d'une
charge», ce qui s'apparente à la notion actuelle de cérémonie d'investiture par laquelle un
«individu endosse des fonctions ou une position d'autorité et de pouvoir»52, est investi de
pouvoir.
Le verbe investir a également emprunté à l'italien «investire» une signification plus
militaire; investir signifiait également entourer de troupes, encercler, assiéger. Investir une
ville veut dire conquérir, prendre possession d'une ville. Aussi, investir est associé à des
notions de pouvoir et de conquête.
Le capital-investissement à l'aune de ces considérations étymologiques serait à la fois
une forme contemporaine de bourrage de crâne (garnir la tête) et de conquête de la tête. Dans
la mesure où la tête est le lieu d'émergence de la conscience, le capital-investissement serait
également un processus par lequel on assiège ce qui est vital.
C'est plus généralement une manière d'imposer son pouvoir en allant directement au
cœur, ou plutôt à la tête du problème.
52
Définition de l'investiture trouvée sur Wikipédia. De manière générale, la plupart des considérations
étymologiques ont été trouvées sur internet.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
91
On voit donc bien que le capital-investissement contient en lui-même l'idée de
conquête et de domination. De fait, le parallèle sémantique avec la notion de colonialisme
prend sens.
Nous allons voir que ce parallèle est d'autant plus valable que Rubinstein, le célèbre
fondateur d'un des fonds de private equity les plus influents au monde, attribue l'origine du CI
à Christophe Colomb.
5.1.2. Christophe Colomb, ancêtre du capital-investissement
David Rubinstein, co-fondateur de Carlyle et magnat du private equity, attribue, dans
les nombreuses présentations qu'il fait à travers le monde, la paternité du capitalinvestissement dans les pays émergents à Christophe Colomb53. Christophe Colomb serait le
premier General Partner et la Reine Isabelle de Castille la première Limited Partner.
Il aurait passé sept années à courir l'Europe pour trouver les financements nécessaires
(David Rubinstein parle de 10000$54) à la réalisation de son projet visant à trouver une
nouvelle route maritime pour les Indes ; Isabelle de Castille aurait finalement cédé et décidé
d'investir au bout de trois années d'intenses due diligences. La transaction négociée par
l'explorateur lui assurait 10% des profits générés par sa découverte éventuelle, 5% de l'or
rapporté et le remboursement à l'avance de toutes les dépenses. Bref un vrai capital-risqueur
avant l'heure...
En associant le CI aux découvertes de Christophe Colomb, Rubinstein cherche
certainement à mythifier le CI et à lui donner une nouvelle légitimité. En effet, puisque le CI
existe depuis plus de 500 ans et a permis la découverte des Amériques, il n'y a pas lieu, dans
la logique de Rubinstein, de le critiquer. Or cette anecdote est intéressante à plus d'un titre.
D'abord Rubinstein ne semble pas, à un seul moment, considérer le fait que les
découvertes de Christophe Colomb aient pu engendrer un certain nombres d'atrocités, parmi
lesquelles l'exploitation intensive des ressources naturelles de l'Amérique du sud,
l'extermination en masse des populations amérindiennes, l'extinction des civilisations locales,
etc. Rubinstein se place dans une position d'autant plus ambiguë qu'en tentant de donner une
légitimité au CI, il donne au contraire du pain à manger à ses détracteurs. Il est célèbre pour
53
54
http://www.carlyle.com/Media%20Room/Fact%20Sheet%20Files/item9959.pdf
http://psdblog.worldbank.org/psdblog/2006/05/private_equity_.html
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
92
ne pas faire dans la dentelle et incarner un capitalisme triomphant et cynique ; en ce sens, on
ne peut pas interpréter l'analogie à Christophe Colomb comme un lapsus de sa part (l'allusion
à Christophe Colomb est, semble-t-il, récurrente chez lui).
Enfin, Rubinstein, en vantant les mérites de la découverte des Amériques par Colomb,
participe de cet eurocentrisme invétéré qui a justifié la colonisation intensive menée par les
puissance européennes pendant les 5 siècles suivants. L'eurocentrisme part du principe que ce
qui a été bon pour les européens l'a été pour le reste de monde. Indéniablement, la découverte
des Indes d'Amérique a été profitable aux européens, mais elle l'a beaucoup moins été pour
les autres civilisations de l'époque (empires aztèques, musulmans, chinois, indiens). Pour de
nombreux historiens, la découverte des Amériques et l'afflux massif d'or vers l'Europe qu'elle
a généré a constitué un tournant dans l'histoire mondiale. Elle aurait marqué les débuts de
l'hégémonie des occidentaux sur le reste du monde et d'un «processus réellement mondial
d'accumulation du capital»55.
La colonisation frénétique du Nouveau Monde aurait engendré la mondialisation : «Le
début de la mondialisation/globalisation remonte aux conséquences du premier voyage de
Christophe Colomb qui l’a amené en octobre 1492 à débarquer sur les rivages d’une île de la
mer Caraïbe. C’est le point de départ d’une intervention brutale et sanglante des puissances
maritimes européennes dans l’histoire des peuples des Amériques, une région du monde qui,
jusque là, était restée à l’écart de relations régulières avec l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Les
conquistadors espagnols et leurs homologues portugais, britanniques, français, hollandais
ont conquis l’ensemble de ce qu’ils ont convenu d’appeler les Amériques en provoquant la
mort de la grande majorité de la population indigène afin d’exploiter au maximum les
ressources naturelles (notamment l’or et l’argent). Simultanément, les puissances
européennes sont parties à la conquête de l’Asie. Plus tard, elles ont complété leur
domination par l’Australasie et enfin l’Afrique.» 56
Non seulement le CI serait, en la personne de Christophe Colomb, à l'origine de la
colonisation, mais également à l'origine de la mondialisation. Dans une telle optique (à
55
S. Castro-Domez, “Le chapitre manquant d'Empire. La réorganisation postmoderne de la colonisation dans le
capitalisme postfordiste”, Multitudes, 2006
56
E. Toussaint, “La globalisation de Christophe Colomb et Vasco de Gama à aujourd’hui”, Alterinfo, 2008
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
93
laquelle Rubinstein semble adhérer), les fonds de CI s'apparenteraient aux nouveaux
conquistadors du capitalisme.
Dans le processus d'expansion du capitalisme, les fonds d'investissement
remplaceraient les navires espagnoles, portugais, hollandais, français et anglais. De la même
manière que les colons, s'accompagnaient lors de leurs conquêtes de missionnaires religieux
déterminés à convertir les indigènes au christianisme (quitte à ce que la conversion passe par
les armes), les fonds de private equity sont désormais secondés par des missionnaires d'un
nouveau genre, les institutions multilatérales de développement, qui ont pour principale
mission de convertir les pays récalcitrants aux vertus du capitalisme global.
Le parallèle entre CI et colonialisme/impérialisme nous semble d'autant plus pertinent
que, de tous temps, l'investissement (ce que confirme son étymologie) s'est révélé être une
manifestation du pouvoir (de l'actionnaire sur l'entreprise, d'un pays sur un autre). En ce sens,
puisque le parallèle entre CI et colonialisme est désormais établi, il est nécessaire de
réexaminer la portée du CI au Maghreb dans une perspective davantage géopolitique.
5.2.
Fonds d'investissement et géopolitique
Les études et les recherches sur le CI dans les pays émergents (y compris celles que
nous avons mentionnées précédemment) ont tendance à occulter les dynamiques
géopolitiques et civilisationnels qui sous-tendent le CI. Or on ne peut pas prétendre étudier
objectivement le modus operandi du CI dans les pays émergents «toutes choses égales par
ailleurs».
Les tendances du CI au Maghreb laissent entrevoir l'existence d'affrontements sousjacents entre les anciennes puissances coloniales, arabes et européennes. Le Maghreb serait en
quelque sorte à l'interface entre la volonté de l'Europe de sécuriser son voisinage en un soussystème stable et la montée en puissance des pays du Golfe, exacerbée par l'augmentation du
prix du pétrole et son désir de revanche sur le monde occidental.
Dans un premier temps, nous reconsidèrerons le CI au Maghreb à l'aune de son
positionnement géopolitique et géostratégique. Nous verrons que l'expansion du CI au
Maghreb révèle l'existence de tensions engendrées par son appartenance au sous-système
formé par les pays du Proche et du Moyen-Orient, «riche de populations, de rentes pétrolières
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
94
et de conflits omniprésents, parfois nappés d'intransigeance religieuse, [...] et l'attraction
multiforme exercée par l'Europe».57
Dans un second temps, nous verrons que le déploiement conjoint de capitaux en
provenance des pays du Golfe et des pays européens est représentatif de la persistance dans
l'économie-monde de mécanismes impérialistes.
5.2.1. Système-monde et zones d'influences : le Maghreb entre
Moyen-Orient et Europe
La géopolitique en tant que discipline est mise à mal par la mondialisation ambiante et
les changements qu'elle opère. Cette dernière tend à brouiller les différents champs d'analyse
et à déterritorialiser l'espace des interactions des différents acteurs entre eux.
Pour Dussoy, le défi du géopoliticien consiste à «accéder à une vue panoptique du
monde. [La mondialisation] nécessite de saisir le « Tout mondial » dans sa multiplicité [...].
C’est pourquoi, dans sa nouvelle démarche, on peut assimiler la géopolitique à une ontologie
spatiale. Elle est une réflexion sur l’organisation et le devenir de la Terre et des hommes
qu’elle porte.»58
La mondialisation complique la lecture géopolitique du Maghreb car elle engendre de
nouvelles réalités et de nouvelles tensions, induites notamment par la mobilité des capitaux et
la globalisation des médias.
A bien des égards, les tensions qui opposent le monde occidental et le monde arabe
depuis quelques décennies sont concomitantes des difficultés du Maghreb à se positionner sur
l'échiquier mondial.
En tant qu'espace géographique, culturel et politique, le Maghreb est une réalité
mouvante et striée par les strates successives d'invasion, de colonisation, de décolonisation,
d'indépendance et de politiques d'émancipation. Le Maghreb d'aujourd'hui est le fruit de la
sédimentation des civilisations qui s'y sont successivement imposées : amazighs et berbères,
phéniciens, romains, premiers empires musulmans, empire ottoman, empires européens. Par
ailleurs, Driss Abbassi, lorsqu'il étudie l'évolution de l'enseignement de l'histoire du Maghreb
57
58
R. Fossaert, “Le système mondial, vu des débuts du XXe siècle”, Hérodote, 2005
G. Dussoy, “Vers une géopolitique systémique”, Revue internationale et stratégique, 2002
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
95
dans la Tunisie post-coloniale,59 montre que la conception que ses habitants se font du
Maghreb fluctue au gré des politiques de leur gouvernements. L'incapacité des gouvernements
maghrébins à s'accorder sur un projet d'union du Maghreb explique que les habitants de cette
région se sentent de moins en moins unis par une origine et un devenir communs.
D'une manière générale le Maghreb est une réalité historique et géopolitique qui
évolue dans un vis-à-vis constant avec les voisins européens et les cousins du Mashrek et du
Moyen-Orient.
«Des deux côtés de la Méditerranée, les projets sociétaux se construisent ou se reformulent,
subrepticement ou avec fracas, sous nos yeux, au frottement d'altérités tout à la fois radicales
et familières.»60
Le Maghreb est une entité géographique et historique d'autant plus hétérogène et
incertaine qu'elle est soumise à des forces antagonistes.
La mondialisation, en exacerbant les tensions entre monde occidentale et monde
musulman, perturbe considérablement la capacité des pays maghrébins à se construire une
identité tangible. Les populations maghrébines se retrouvent, malgré elles, dans une posture
schizophrénique, partagées entre, d'une part, leur proximité géographique et historique avec
l'Europe et, d'autre part, le rapprochement opéré par les autres pays musulmans au nom d'une
«arabité» commune. Le tout, mâtiné d'un conflit civilisationnel latent, généré par le conflit
israélo-palestinien, les attentats du 11 septembre, la guerre en Irak et véhiculé par
l'hétérogénéité des médias auxquels ces populations ont accès61.
Le Maghreb est amarré à l'Europe par la Méditerranée. Or depuis la Mare Nostrum
romaine, la méditerranée n'a jamais formé un ensemble politique homogène.
Elle est aujourd'hui «divisée sur toute sa longueur par les limites de deux ensembles
[...], le tiers-monde et le monde musulman (et plus précisément arabo-musulman) d’où le
contraste économique et culturel très marqué entre la façade nord et la façade sud, surtout en
Méditerranée occidentale. Cependant, ce que l’on appelle métaphoriquement le Nord et le
Sud ne sont pas comme des plaques géologiques qui se repousseraient mécaniquement ou qui
59
D. Abbassi, “Le Maghreb dans la construction identitaire de la Tunisie postcoloniale”, Critique internationale,
2008
60
K. Basfao, J.-R. Henry, “Le Maghreb, l'Europe et la France”, CNRS Éditions, 1992
61
La télévision par satellite s'est généralisée au Maghreb, ce qui explique que les habitants de ces pays aient
accès à des sources d'information aussi contradictoires que CNN, Al Jazeera, les chaînes wahhabite en tous
genres, etc.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
96
chercheraient à passer l’une sur l’autre, comme dans une zone de subduction, pour reprendre
l’expression des géologues. Les tensions géopolitiques traduisent l’état d’esprit, le
comportement politique d’un certain nombre d’hommes qui à tort ou à raison persuadent
leurs compatriotes qu’ils sont victimes d’un sort injuste et que leurs mauvaises conditions
d’existence sont la conséquence de la domination des pays du nord de la Méditerranée sur
ceux du sud.»62
En effet, la rhétorique, entre autres, des islamistes fondamentalistes perpétue l'idée
selon laquelle les problèmes des pays musulmans seraient dus à la volonté des européens,
depuis les premières croisades, d'assujettir la civilisation musulmane au christianisme. Ces
idées se diffusent au Maghreb par l'accès généralisé aux médias du Moyen-Orient mais
également, de manière plus indirecte, par l'exportation de capitaux des pays du Golfe. Les
milliards investis par les Saoudiens et les Emirati dans des projets pharaoniques en Algérie,
au Maroc ou en Tunisie constituent un nouveau type de propagande visant (dans la logique
des pays du Golfe) à souder les Arabes entre eux (et peut-être également à diffuser un islam
plus radical).
62
Y. Lacoste, “La Méditerranée”, Hérodote, 2002
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
97
Figure 12. Positionnement géopolitique du Maghreb face à l'Europe
Source : Yves Lacoste
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
98
Figure 13. Une Méditerranée scindée en deux
Source : Yves Lacoste
La propagation du CI au Maghreb, accélérée par les institutions financières de
développement européennes d'une part et les investisseurs du Golfe d'autre part, illustre
l'ambivalence et les tensions qui structurent le positionnement du Maghreb dans l'économiemonde. Plus généralement, le CI participe aux luttes d'influence que se livrent entre eux
européens et pays du Moyen Orient.
Par essence, investir est un moyen de véhiculer du pouvoir. L'afflux massif de
capitaux en provenance des pétromonarchies du Golfe permet à ces pays d'étendre leur
influence sur le reste du monde arabe. Les capitaux ont une dimension symbolique et
politique dans la mesure où ils consolident les relations des pays d'Afrique du Nord et du
Moyen-Orient. Par ailleurs, le CI originaire de ces pays prend de plus en plus souvent la
forme de la finance islamique63, laquelle renforce dans les pays musulmans le sentiment
d'appartenir à une civilisation commune. On assiste depuis quelques années à un phénomène
nouveau : certains projets immobiliers colossaux sont conditionnés au respect de certaines
coutumes musulmanes.64
Le fait que la plupart des fonds de CI levés à Dubaï, à Abu Dhabi ou au Qatar ciblent
ce qu'ils identifient comme la zone MENA (Middle-East North-Africa) est significatif et
63
La finance islamique est basée sur deux principes : l'interdiction de l'intérêt et la responsabilité sociale de
l'investissement. Dans la mesure où l'Islam interdit les transaction faisant recours à l'intérêt, à la spéculation et au
hasard, le CI est particulièrement en phase avec la finance islamique.
64
En Tunisie, le promoteur saoudien qui a financé, pour plusieurs milliards de dollars, la construction du quartier
d'affaire et de résidences luxueuses des «Berges du Lac» a interdit la vente d'alcool dans tout le quartier.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
99
suggère que le Maghreb, dans l'esprit de ces investisseurs, serait de facto un sous-ensemble à
part entière du monde arabe.
Les pays européens ne sont pas en reste. Le risque d'islamisation des pays du Maghreb
explique que les autorités européennes se soient, elles-aussi, lancées dans le financement de
projets et d'entreprises dans la région. Rappelons que la BEI (Banque Européenne
d'Investissement) a pris pour 450 millions US$ de participations dans une vingtaine de fonds
investissant autour de la méditerranée. Elle investit aussi bien dans les fonds de CI levés
directement au Maghreb (Tuninvest, etc..) que dans des fonds destinés au Maghreb levés dans
des pays européens (Altermed, Euromed, Mediterranià, etc.).
Là où les investisseurs du Golfe parlent de zone MENA, les autorités et les institutions
européennes, à l'image d'ANIMA (une agence semi-gouvernementale visant à promouvoir
l'investissement dans les pays du pourtour méditerranéen et les échanges commerciaux),
préfèrent parler de zone MEDA ; une manière de rappeler que le Maghreb appartient tout
autant à la périphérie de l'Union Européenne qu'à celle du monde arabo-musulman.
5.2.2. Capital-investissement et néo-colonialisme
Le fait que les pays du Maghreb soient officiellement décolonisés depuis 60 ans ne
doit pas faire illusion. La fin de l'ère coloniale initiée par la découverte de Christophe Colomb
a donné naissance à une nouvelle forme de colonialisme, le néo-colonialisme (ou colonialité
pour certains auteurs altermondialistes), «c’est-à-dire un contrôle indirect des centres sur les
États-nations de la périphérie»65. Or, précise Grosfoguel, «la colonialité globale n’est pas
réductible à la présence, ou l’absence, d’administrations coloniales. Un des mythes les plus
puissants du XXe siècle a été l’idée que l’élimination des administrations coloniales
équivalait à la décolonisation du monde».
De nombreux auteurs voient dans les relations Nord / Sud, la persistance de
mécanismes de domination et d'exploitation produits par «les structures et les cultures
hégémoniques du système-monde capitaliste / patriarcal moderne / colonial»66.
65
R. Grosfoguel, “Les implications des altérités épistémiques dans la redéfinition du capitalisme global.
Transmodernité, pensée frontalière et colonialité”, Multitudes, 2006
66
R. Grosfoguel, idem
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
100
En quoi le CI s'apparenterait-il à du néo-colonialisme? Le néo-colonialisme consiste à
contrôler et à dominer des pays moins puissants en utilisant des politiques commerciales,
économiques et financières67.
Or, le déploiement des fonds de CI, financés par la BEI et diverses institutions de
développement des pays européens, permet aux pays européens de conserver de l'influence et
un certain degré de contrôle sur les économies du Maghreb. Le capital-investissement
augmente le niveau de contrôle de l'Europe à deux niveaux :
Au niveau micro-économique, il permet à l'Europe de devenir propriétaire d'un
certain nombres d'entreprises maghrébine.
Au niveau macro-économique, il pousse les gouvernements maghrébins à
réformer leur systèmes législatifs et à faciliter, à l'avenir, l'afflux de capitaux
européens.
Les intérêts économiques induits par le CI donnent un prétexte supplémentaire pour
s'immiscer dans le processus décisionnaire de ces pays et permettrait ainsi aux «institutions
«libres» et «démocratiques» du premier monde Européen [de se greffer] sur la colonialité et
ses institutions coercitives et autoritaires dans la périphérie non européenne»68.
Le financement des fonds de CI au Maghreb fait partie intégrante d'un projet de
l'Union européenne, lancé à Barcelone en 1995, visant à augmenter et à densifier les relations
avec les pays de la rive sud de la méditerranée. Entre temps, les attentats du 11 septembre ont
fait planer le spectre d'une généralisation du terrorisme islamique et ont poussé les européens
à se préoccuper davantage de ce qui se passe au sud de la méditerranée. Dans la mesure où la
pauvreté constitue le terreau de l'intégrisme, l'Europe s'est lancée, par le biais de l'Union pour
la Méditerranée, dans un vaste projet visant à accélérer le développement des pays du
Maghreb. L'Europe espère de la sorte:
67
68
canaliser le risque lié au terrorisme islamique
limiter les flux migratoires du Maghreb vers l'Europe
approfondir son espace commerciale
Source Wikipedia
R. Grosfoguel, idem
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
101
Ainsi les institutions européennes utilisent l'argument du développement économique
pour inciter les pays du Maghreb à mettre en place un certain nombre de mécanismes
facilitant les échanges avec les pays européens. D'une manière générale, les accords bilatéraux
et les nouvelles règlementations adoptées par les pays du Maghreb sont asymétriques, ce qui
fait dire à certains (dont Khadafi) que le processus de Barcelone et l'Union pour la
Méditerranée ne seraient que des moyens trouvés par l'Europe pour construire un empire
régionale et consolider leur mainmise sur la région.
En réalité, la volonté de l'Union européenne d'ériger un empire régional a
principalement deux raisons : garantir la sécurité des frontières de l'Europe dans un contexte
mondiale déstabilisé par les foyers de tension au Moyen-Orient, mais surtout se renforcer et
atteindre une masse critique face à l'hégémonie croissante des États-Unis et à la montée en
puissance des BRICs (Brésil, Russie, Inde, Chine).
En effet, le processus actuel de «mondialisation-régionalisation» inciterait l'Europe à
constituer un bloc géopolitiquement stable, pour «maximiser ses atouts économiques dans sa
concurrence régionale avec les États-Unis»69 . En ce sens, comme l'avait déjà pressenti
Lénine70, l'impérialisme serait une conséquence naturelle du capitalisme et de la
mondialisation.
Pourtant, l'impérialisme, au sens défini par Lénine, n'est pas le stade suprême du
capitalisme. Certes, avec la mondialisation, les États-Unis ont atteint une puissance et une
hégémonie sans précédents. Certes, la mondialisation génère des tensions et tend à structurer
l'économie-monde autour de quelques centres de puissance.
Pourtant, ce qui se joue derrière ces manifestations caractéristiques de l'impérialisme
du 20ème siècle, c'est avant tout l'avènement en puissance d'une civilisation mondiale et d'un
nouveau projet de société qui exproprie la souveraineté des États-nations.
Le fait que les pays du Golfe prétendent faire de la «finance islamique» est
symptomatique d'une époque où le capitalisme s'est infiltré partout, dans toutes les activités
humaines, même dans la religion, en les formatant et en les conformant aux seules exigences
de profit.
69
B. Ravenel, “Prendre en compte la dimension stratégique de la globalisation”, Mouvements, 2003
Remarque utile dans le cadre d'un mémoire HEC : on peut mentionner Lénine sans pour autant, loin de là,
cautionner ses réalisations en tant que dirigeant politique.
70
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Derrière la persistance de conflits géopolitiques se cache un phénomène beaucoup plus
profond visant à mettre un terme définitif au pouvoir et aux agissements des États-nations et à
permettre l'émergence d'un quasi-État supranational, «imposant une doctrine – notamment le
«Consensus de Washington » – et des réglementations, dans l’intérêt du capital mondialisé
dont il est l’émanation»71.
5.3.
Capital-investissement et civilisation globale
Nous avons vu que le capital-investissement est instrumentalisé par certains pays à des
fins géopolitiques, pour maintenir le contrôle des régions périphériques. Ce constat pourrait
suggérer la persistance des formes d'impérialisme propres au 20ème siècle. Nous pensons
néanmoins que cette persistance est résiduelle et n'est plus, contrairement au 20ème siècle, la
principale dynamique des plaques géopolitiques.
En réalité, le CI participe d'un mouvement bien plus profond qui signe l'intériorisation
des normes marchandes dans toutes les sphères humaines et la déterritorialisation des rapports
géopolitiques. Son expansion au Maghreb et dans les pays émergents en général, à la fois
conséquence et cause de l'accélération de la mondialisation, est marquée par la
reconfiguration des lieux de régulation et la suprématie de la raison économique dans
l'élaboration des règles et des normes.
Nous verrons que les institutions multilatérales de développement ont joué un rôle
primordiale dans la diffusion de la mondialisation : elles ont notamment greffé les principaux
préceptes du capitalisme sur la notion même de développement. Ces institutions se sont
progressivement substituées aux États-nations dans la production de régulations et contribuent
aujourd'hui à donner au nouvel ordre mondial sa légitimité.
Enfin, nous verrons que cette reconfiguration radicale s'apparente précisément à une
forme de colonialisme total, dans la mesure où elle suppose l'adhésion de toutes les sociétés à
une civilisation mondiale, unique.
71
D. Plihon, “L'altermondialisme, version moderne de l'anticapitalisme?”, Actuel Marx, 2008
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
103
5.3.1. L'argument du développement économique au service de
l'expansion du capitalisme
L'objet de notre recherche consistait à déterminer en quoi le CI peut être considéré une
source de développement économique ou au contraire une nouvelle forme de colonialisme.
Or, dans la mesure où la notion de développement économique est définie, précisément, par
des institutions internationales vouées à l'expansion du capitalisme, développement
économique et colonialisme ne sont pas contradictoires.
La Banque Mondiale définit le développement économique ainsi : « Évolution d'ordre
qualitatif et restructuration de l'économie d'un pays en rapport avec le progrès technologique
et social. Le principal indicateur de développement économique est la hausse du PNB par
habitant (ou du PIB par habitant), qui témoigne d'une augmentation de la productivité
économique et d'une amélioration, en moyenne, du bien-être matériel de la population d'un
pays. Développement économique et croissance économique sont étroitement liés. »
Plusieurs constats. D'abord cette définition contient des notions un peu tendancieuses
comme : « évolution d'ordre qualitatif », «progrès social». Selon quels critères définit-on une
«évolution qualitative», le «progrès social»?
De toute évidence, la définition de «développement» est subjective et suppose une
idée a priori de ce que «qualitatif» et «progrès social» veulent dire. Bref, cette définition
prend sens à la seule condition qu'il existe (et que l'on se mette d'accord sur) une norme
suffisamment tangible. Or, précisément, les organismes de développement n'ont fait que ça,
produire des normes.
En l'occurrence, les institutions de développement ont calqué leur définition du
développement sur les pays qu'elles considéraient développés et ont imaginé/théorisé le
développement en tant que «processus linéaire d’évolution des modes de production du précapitalisme au capitalisme»72. En d'autres termes, il suffirait aux pays en développement de
suivre l'exemple des pays capitalistes, sans considération aucune pour leur histoire, leur
spécificités culturelles et politiques. Ainsi, le capitalisme est à lui-même son propre critère de
développement (on retrouve ici la dimension auto-référentielle et tautologique propre au
capitalisme) et le développement un processus anhistorique.
72
R. Grosfoguel, Idem
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
104
Pendant longtemps, les institutions du «Consensus de Washington», en prenant pour
référent le modèle américain néo-libéral monétariste, ont véhiculé (et imposé) une conception
du développement «qui se limitait à l’existence d’une infrastructure juridique capable de
fonctionner et appliquant des règles conformes à l’orthodoxie néolibérale. Autrement dit, un
système judiciaire qui appliquerait strictement les droits de contrat et de propriété, en
particulier la propriété intellectuelle et les droits des créanciers, et limiterait étroitement
l’autorité discrétionnaire des fonctionnaires»73.
La crise économique des pays d'Amérique latine a révélé à quel point cette conception
étriquée du développement peut être désastreuse. Le fait que les pays asiatiques se soient
développés plus rapidement que les autres, en privilégiant un État fort au détriment du
«laissez-faire» prôné par le «consensus de Washington», ne joue pas en la faveur de ces
mêmes institutions de développement...
On peut légitimement affirmer que l'attitude des institutions multilatérales de
développement à l'égard des pays récipiendaires est coloniale, en cela qu'elles ont imposé de
manière coercitive un certain nombre de mesures «libérales» aux gouvernements de ces pays
(ces organismes disposent de tout un panel de mesures de rétorsions). Elles ont fait preuve
d'une «absence totale de respect et de reconnaissance des formes de démocratie indigènes,
islamiques ou africaines. Les formes d’altérité démocratiques sont rejetées a priori. La forme
libérale occidentale de démocratie est la seule légitimée et acceptée.»74 Elles n'ont fait en
réalité que perpétuer une rhétorique de domination initiée cinq siècles plus tôt : «Pendant ces
513 années du système-monde européo / euro-américain moderne / colonial capitaliste /
patriarcal, nous sommes passés du «christianise-toi ou crève» du XVIe siècle au «civilise-toi
ou crève» du XVIIIe et XIXe siècle, au «développe-toi ou crève» du XXe siècle, et plus
récemment au «démocratise-toi ou crève» de début du XXIe siècle.»75
On comprend désormais, - dans la mesure où les notions de développement
économique et de colonialisme sont étroitement imbriquées-, que le CI peut, tout à la fois, être
un facteur de développement économique et une nouvelle forme de colonialisme. Après des
73
J. K. M. Ohnesorge, “Etat de droit (rule of law) et développement économique. L'étrange discours des
institutions financières internationales”, Critique internationale, 2003
74
R. Grosfoguel, Idem
75
R. Grosfoguel, Idem
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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décennies d'échecs flagrants, ces institutions pensent avoir trouvé dans le CI le nouveau
remède aux maux des pays émergents (dans la logique de ces institutions, encore aujourd'hui,
le principal défaut d'une économie consiste à ne pas être suffisamment intégrée dans
l'économie-monde).
En cela, le CI dans les pays émergents s'apparente aux conquistadors du XVème et
XVIème siècle, mus par une frénésie de conquêtes et continuellement à la recherche de
«territoires vierges». Le CI permet ainsi d'apporter le capitalisme là où il n'est pas encore (ou
pas assez) afin de densifier et d'étendre un peu plus une économie-monde structurée en
rhizome ; dit autrement, afin de civiliser le monde, tout ça avec la bénédiction du nouveau
clergé de cette économie-monde (FMI, Banque Mondiale, OCDE, OMC).
L'extension du capitalisme mondialisé, au nom du développement économique, est en
marche. La récente crise financière, contrairement à ce que pensent certains, ne remet pas en
question le capitalisme en tant que tel. Sa pénétration dans le réel est trop diffuse et profonde
pour être inquiétée par les aléas boursiers. Pour reprendre l'expression de Braudel, le
capitalisme doit être étudié dans le «temps long».
Le capitalisme ne se contente pas d'être un système économique ; il agit au cœur
même des mécanismes de représentations mentales. Le capitalisme, c'est une manière de
penser et de vivre. Schumpeter le disait déjà : «Le processus capitaliste rationalise le
comportement et les idées et, ce faisant, chasse de nos esprits, en même temps que les
croyances métaphysiques, les notions romantiques et mystiques de toutes natures. Ainsi, il
remodèle, non seulement les méthodes propres à atteindre nos objectifs, mais encore les
objectifs finaux eux-mêmes»76
Le capitalisme, en quelque sorte, est une civilisation : «Privilège du petit nombre, le
capitalisme est impensable sans la complicité active de la société. Il est forcément une réalité
de l’ordre social, même une réalité de l’ordre politique, même une réalité de civilisation. »77
En ce sens, puisque le capitalisme est plus que jamais mondialisé, on peut
effectivement parler de civilisation globale. Le rôle du CI, dans un tel contexte serait
précisément de «civiliser» les pays émergents.
76
77
J. A. Schumpeter, “Capitalisme, socialisme et démocratie”, 1947
F. Braudel, “La Dynamique du capitalisme”, 1985
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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5.3.2. Capital-investissement et colonialisme total
En réalité, l'expansion du CI n'est que l'épiphénomène d'un processus beaucoup plus
large par lequel le capitalisme acte son hégémonie.
Il s'agit bien d'une mondialisation totale dans la mesure où, comme nous l'avons
suggéré précédemment, elle globalise la justice, sur le modèle de la common law, et s'épand
dans les différentes sphères humaines. André-Jean Arnaud suggère que la tendance actuelle à
la déjudiciarisation, à la délégalisation, et à la déréglementation signe le passage à une
nouvelle forme de régulation dans un «système normatif différent dans lequel l'État participe
à son propre décentrement»78. La mondialisation, en mettant en concurrence les systèmes
juridiques nationaux79, contribue à uniformiser les systèmes juridique. Cette uniformisation,
nécessitée par la libre circulation des capitaux, ne fait plus réellement débat et semble admise
par tous : «l’idée d’une mise en concurrence des systèmes de droit paraît désormais admise,
tant par ses détracteurs qui dénoncent la course à la déréglementation qu’elle est supposée
générer, que par les adeptes du néo-libéralisme qui professent que les vertus du marché et de
la compétition valent aussi pour le droit»80.
Ce qui nous intéresse, c'est que les phénomènes croisés de transition économique des
pays du Maghreb et de perfusion actuelle du CI dans les rouages de ces pays (avec tout ce que
ça implique en terme de mutation de l'environnement légal et sociétal) nous permettent, en
quelque sorte, d'observer en live le mode opératoire de la mondialisation dans les pays
émergents. Le CI au Maghreb ne serait que l'excroissance d'un processus par lequel le
capitalisme s'institue en tant que système économique unique, sans variante possible, capable
de se substituer au fonctionnement traditionnel de l'État-nation, en véhiculant notamment des
mécanismes juridiques globalisés. Le CI contribue à uniformiser, au niveau macro, les
mécanismes de régulation et, au niveau micro, les processus de gestion (nous expliquions
précédemment que le CI, précisément, familiarise les entreprises maghrébines aux best
practices occidentales).
78
André-Jean Arnaud, “Critique de la raison juridique, 2. Gouvernants sans frontières, entre mondialisation et
post-mondialisation”, LGDJ, 2003
79
M. Salah, “La mise en concurrence des systèmes juridiques nationaux. Réflexions sur l'ambivalence des
rapports du droit et de la mondialisation”
80
Y. Dezalay, “Des justices du marché au marché internationale de la justice”, Justices, 1995
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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L'expansion du CI au Maghreb, sous l'impulsion des institutions financières de
développement, n'est pas en soi révolutionnaire et s'inscrit dans la continuité d'un processus
initié par le «consensus de Washington». Elle n'est qu'une étape supérieure, puisque le
capitalisme est désormais capable de s'imposer de manière endogène (la mondialisation issue
du consensus de Washington était imposée de manière exogène par les nouveaux organes
supranationaux de régulation comme le FMI, la Banque Mondiale, l'OCDE, etc.).
Il ne s'agit nullement de notre part de remettre en question la capacité du CI à créer de
l'emploi, de la croissance, de l'innovation, bien au contraire. L'efficacité du capitalisme n'est
plus à démontrer. L'objet de notre propos n'est pas non plus d'émettre un quelconque jugement
de valeur sur la moralité de la machine capitaliste. Ni de suggérer que le processus actuel de
mondialisation serait en soi une marche certaine vers la fin de l'histoire. La mondialisation
n'est pas forcément un mal en soi. En leur temps, les civilisations annexées par la pax romana
en ont tiré de nombreux bénéfices (progrès technologique, stabilité politique, dynamisme
culturel, etc.).
L'aspect sans doute le plus troublant de la mondialisation, c'est le fait qu'elle paraisse
inéluctable. Pour les défenseurs du système économique capitaliste, le capitalisme mondialisé
est inéluctable car il est tout simplement la forme d'organisation des échanges la plus aboutie.
Dans une telle perspective, toute critique du capitalisme n'aurait pas lieu d'être : l'avènement
du capitalisme mondial, dont le CI est une manifestation, s'expliquerait par sa supériorité
fondamentale sur toutes les autres formes d'organisation du système économique. En réalité,
cette logique procède du darwinisme : à partir du moment où le capitalisme existe et se
mondialise au détriment du reste, il constitue en soi la justification de sa propre supériorité.
L'avènement du capitalisme serait en quelque sorte « naturel » et, à ce titre, ne devrait pas
donner lieu à quelque controverse que se soit.
Pourtant, nous pensons au contraire que la propagation du capitalisme relève
davantage d'une « volonté de puissance » nietzschéenne au sens où le capitalisme ne s'est pas
simplement adapté à l'environnement, à l'histoire, à la diversité culturelle et sociale, mais
plutôt les a façonnés. Car, - et c'est bien en cela que l'essor du capitalisme (et dans la foulée
du CI) procède d'une «volonté de puissance» plus que de mécanismes de sélection naturelle
des systèmes économiques les plus adaptés -, le fonctionnement du capitalisme et l'autoréalisation de l'utilitarisme sont rendus possibles par la mise en place de mécanismes sociaux
favorables.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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La volonté de Florence Eid de créer un environnement propice au CI dans les pays
arabes, en mettant en place une législation «intelligente» et une culture de l'entrepreneuriat,
montre bien que le capitalisme et la mondialisation sont «fabriqués».
Lazzarato81, dans un texte sur Foucault, décrit des libéraux allemands du début du 20e
siècle pour lesquels «il faut agir sur des données qui ne sont pas directement économiques,
mais qui sont les conditions d’une éventuelle économie de marché. Le gouvernement doit
intervenir sur la société elle-même, dans sa trame et dans son épaisseur. [...] Pour que le
marché soit possible, on doit agir sur le cadre général : sur la démographie, sur les
techniques, les droits de propriété, les conditions sociales, les conditions culturelles,
l’éducation, les régulations juridiques, etc. La pensée économique des libéraux aboutit, pour
rendre le marché possible, à penser une politique de la vie (Vitalpolitik)». Polanyi ne disait
pas autre chose, pendant la première moitié du 20ème siècle, lorsqu'il expliquait que le laissez
faire a été de fait «planifié».
Quoi qu'il en soit, et malgré la persistance de conflits entre États souverains (l'invasion
récente de la Géorgie par la Russie et à une moindre échelle de l'Ossétie par la Géorgie sont
des exemples remarquables d'impérialisme régional), la « convergence des pratiques
politiques, économiques et sociales et des comportements culturels de base [suggère
l'existence d'un] mouvement qui tend à absorber le monde entier en une civilisation »82.
Or certains auteurs, à l'image de Hardt et Negri83, vont encore plus loin. Ils voient dans
cette mondialisation totale, marquée par l'effritement de la souveraineté de l'État-nation «
l’idée d’un pouvoir unique qui surdétermine tous les autres pouvoirs, les structure sur un
mode unitaire. » Cette nouvelle réalité serait « fondée sur une notion nouvelle du droit - ou
plutôt un nouvel exercice de l’autorité et une nouvelle conception de la production de normes
et d’instruments juridiques de coercition qui garantissent les contrats et résolvent les conflits
». Or cet «Empire» régule absolument tout : « l'Empire régule les interactions humaines [...],
mais il cherche aussi à régner directement sur la nature humaine [...] et sur la vie sociale, où
l’économique, le politique et le culturel se chevauchent et s’investissent mutuellement. »
81
M. Lazzarato, “Biopolitique / bioéconomie”, Multitudes, 2005
Robert W. Cox, “Au-delà de l'Empire et de la terreur: réflexions sur l'économie politique de l'ordre mondial”,
A contrario, 2004
83
M. Hardt & A. Negri, “Empire”, Harvard University Press, 2000
82
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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Dans un tel «Empire», où absolument tout est «investi» et contrôlé, ce n'est pas tant le
capital-investissement que le capitalisme/mondialisation tout court (dont le CI n'est qu'une
manifestation) qui s'apparente à un colonialisme total. Un colonialisme dont la finalité est
d'imposer, de manière immanente, une civilisation totale et globale.
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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6. Conclusion
En soixante ans, le capital-investissement est sorti de ses gonds. Avec un encours
estimé à mille milliards de dollars US, cette classe d'actifs, spécialisée dans l'investissement
en fonds propres dans les entreprises non-cotées, est devenue incontournable.
Le CI s'est imposé, - pour les entreprises de tous types en recherche de financement-,
comme une alternative aux banques et, - pour les investisseurs institutionnels-, comme un
placement financier susceptible de générer des rendements supérieurs aux placements
boursiers.
Le CI a démontré sa capacité à s'adapter à son environnement, mais également à agir
sur celui-ci, en incitant les autorités publiques à aménager l'environnement légal. En ce sens,
nous suggérions que l'évolution du CI procède à la fois d'un mouvement darwinien, - de
sélection naturelle et d'adaptation à l'environnement économique/légal-, et d'une «volonté de
puissance» nietzschéenne, - qui agit et exploite du dedans les opportunités que cet
environnement génère. De fait, l'analyse de son évolution montre que le CI est une activité
particulièrement cyclique avec des dynamiques sous-jacentes de «créations destructrices», des
phases d'innovation et d'adaptation, conformes à la théorie schumpéterienne de l'évolution
économique.
La crise actuelle du LBO ne remet pas en question la légitimité du CI et devrait, selon
nous, accélérer sa mutation, en le réorientant vers les marchés émergents. Ces derniers se sont
ouverts et paraissent désormais attractifs dans un contexte de ralentissement de l'activité et de
la croissance dans les économies développées.
Pourtant, la boulimie manifeste de cette classe d'actifs et la tendance aux transactions
de plus en plus massives font débat. Certains lui reprochent de n'être qu'une nouvelle forme
de parasitisme financier et de ne produire aucune valeur.
De leur côté, ses défenseurs mettent en avant certains atouts du CI, dont sa propension
indéniable à limiter les coûts d'agence. Pour certains auteurs, la structure organisationnelle du
CI serait intrinsèquement plus efficace que celle des entreprises cotées et serait destinée à se
généraliser.
Nous avons vu par ailleurs que le CI est un investissement actif : l'investisseur soutient
la croissance de l'entreprise et met à son service son expertise du monde des affaires. D'une
manière générale, il semblerait que le CI ait un impact économique positif au niveau micro et
macro :
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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en améliorant la compétitivité et en participant à la croissance de l'entreprise,
en générant des emplois et en finançant l'innovation.
Pour toutes ces raisons,- minimisation des coûts d'agence, compétitivité accrue de
l'entreprise, création d'emploi et financement de l'innovation -, les institutions financières de
développement voient dans le CI une nouvelle arme de développement pour les pays
émergents et favorisent son expansion.
Ainsi, le CI, sur un mode presque dialectique, serait naturellement attiré par les pays
émergents, mais il y serait également nécessaire, pour catalyser le développement du secteur
privé. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Nous avons constaté que cette idée de relations vertueuses CI/ économie émergente
semble a priori se confirmer au Maghreb.
Le CI y connait une phase d'accélération, les opportunités y sont nombreuses, mais les
obstacles subsistent. Nombreux sont ceux à mettre en avant les synergies potentielles entre les
problèmes structurels des économies du Maghreb et l'impact du CI. Indéniablement, le CI
permettrait d'y créer de l'emploi et, plus généralement, d'améliorer la compétitivité des
économies maghrébines dans un contexte de mondialisation exacerbée. En ce sens, nous diton, puisque le CI serait utile au développement économique des pays du Maghreb, ne
faudrait-il pas tout faire pour faciliter son expansion?
Or le CI pour s'épanouir pleinement nécessite de la part des autorités de nombreux
ajustements. Des études prétendent fonder la supériorité des systèmes juridiques «common
law» à ceux de tradition civiliste et conseillent à ces pays de réformer leurs systèmes
juridiques en conséquence.
Ainsi, l'expansion du CI, pour qu'elle ait un impact optimal, implique, de la part des
États-nations, l'abandon d'une partie de leur souveraineté. En ce sens, dans la mesure où,
précisément, le colonialisme consiste à retirer à un État sa souveraineté et à lui imposer une
nouvelle forme d'organisation de la vie économique, nous avons émis l'hypothèse que le CI
puisse être une nouvelle forme de colonialisme.
De fait, nous avons vu, en analysant brièvement l'arrière-fond sémantique de «capitalinvestissement», qu'il porte en lui des notions de conquête et de pouvoir. Par ailleurs, certains
Irrmann G. – « Le capital-investissement : développement économique ou colonialisme? Le cas du Maghreb » - Septembre 2008
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pontes du CI attribuent, en toute innocence, la paternité du CI au premier véritable colon de
l'histoire moderne euro-centrée : Christophe Colomb.
Nous avons ensuite montré que le CI a une dimension stratégique dans la région du
Maghreb, tendue entre deux sous-systèmes géopolitiques antagonistes : l'Europe et les pays
du Golfe. Indéniablement, pour les uns comme pour les autres, le CI a une signification
géopolitique, en cela qu'il leur permet d'étendre leur influence et de densifier leur contrôle des
économies maghrébines. En ce sens, le CI manifesterait la persistance de mécanismes
impérialistes.
Pourtant, nous pensons que le CI participe d'un mouvement plus large et plus profond.
Ces manifestations impérialistes seraient, en quelque sorte, résiduelles (peut-être même
accélèrent-elles la diffusion de la mondialisation).
En réalité, la notion de développement économique est elle-même coloniale, étant
définie par des institutions par ailleurs vouées à la mondialisation du capitalisme. Le
développement économique implique par définition l'adaptation au système économique
capitaliste. Ainsi, le CI serait un facteur de développement en cela, justement, qu'il colonise
les pays émergents. Dit autrement, le CI contribue à « bourrer le crâne » des économies
émergentes à coups de capital afin qu'elles incorporent les valeurs marchandes et s'intègrent
totalement dans cette civilisation en puissance qu'est le capitalisme.
A dire vrai, nous aurions pu intituler notre sujet : «le capitalisme, facteur de
développement économique ou nouvelle forme de colonialisme?». Car c'est bien de cela qu'il
s'agit; le CI n'est qu'une protubérance du système économique capitaliste. Développement
économique et colonialisme sont les deux faces d'un même processus, la mondialisation. Il ne
s'agissait nullement pour nous de chercher à déterminer si le CI est un bien en soi, si la
mondialisation est souhaitable ou non, mais davantage de chercher à identifier les
mécanismes qui sont en jeu avec l'expansion du CI.
Indéniablement, le CI permet aux pays émergents d'être plus compétitifs et mieux
armés pour lutter dans l'arène mondiale. Mais, dans un mouvement parallèle, la diffusion du
CI intègre encore un peu plus les pays où il se déploie dans cette nouvelle civilisation totale.
En ce sens, si la mondialisation induit un nouvel ordre social, politique, économique, culturel
et juridique, il s’agit désormais de comprendre quels en sont les ressorts.
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