Systèmes de récupération d’énergie vibratoire large bande Bouhadjar AHMED SEDDIK Université de Grenoble Laboratoire CEA/LETI-MINATEC 17, rue des Martyrs, 38054 Grenoble Ghislain DESPESSE Laboratoire CEA/LETI-MINATEC 17, rue des Martyrs, 38054 Grenoble Email : [email protected] Résumé Dans les systèmes de récupération d’énergie vibratoire, la puissance récupérée décroit rapidement lorsque la fréquence de vibration de la source n’est pas égale à la fréquence de résonance du convertisseur, cela est notamment le cas lorsque la source de vibration présente une fréquence qui varie dans le temps. Pour pallier ce problème et récupérer le maximum d’énergie sur une large bande de fréquence, nous proposons de réaliser une structure de conversion d’énergie dont on peut faire varier électriquement sa fréquence de résonance et ajuster automatiquement cette résonance sur la fréquence de vibration de la source via un asservissement. L’idée dans ce travail est de contrôler la fréquence de résonance d’un convertisseur piézoélectrique de type cantilever, en appliquant un champ électrique constant sur les couches du bilame piézoélectriques, dont la rigidité intrinsèque dépend du niveau de contrainte électrique appliquée au matériau, cette raideur variable influe directement sur la fréquence de résonance de la structure. 1. Introduction La diminution de la consommation des composants électriques et l’augmentation de leurs durées de vie ont permis l’essor d’applications mobiles sans fil. La première solution proposée pour assurer l’alimentation de ces composants en énergie électrique était d’utiliser des batteries Li-Ion. Cette solution est avantageuse quand il s’agit des applications à court terme, par contre elle devient de plus en plus couteuse (à cause du rechargement et du remplacement) quand il s’agit des applications difficiles d’accès, comme par exemple dans les roues d’une voiture ou bien pour alimenter des capteurs implantés dans la matière, comme par exemple pour la surveillance de l’état de béton. Pardiso et al [1] récapitulent l’ensemble des sources d’énergie envisageables pour remplacer les batteries à basse puissance. On peut distinguer principalement 3 types de sources d’énergie ; l’énergie solaire, l’énergie thermique et l’énergie mécanique (vibrations et déformations). Chaque source est adaptée à un type d’application donné. Dans ce papier nous allons nous intéresser aux sources d’énergie vibratoire, cette énergie est omniprésente et la plupart des applications réseaux de capteur sans fils concernent des environnements riches en vibrations mécaniques. Cette source forme une excellente ressource énergétique pour remplacer les batteries, à l’échelle macroscopique et microscopique. Le fait que cette ressource soit permanente, elle permet de prolonger la durée de vie en autonomie des dispositifs à alimenter. Pour récupérer cette énergie vibratoire et la traduire en énergie électrique, sont utilisés essentiellement trois principes physiques de conversion : la conversion électrostatique, électromagnétique et piézoélectrique [2]. La plupart des générateurs développés sont à la base des résonateurs, ces générateurs sont conçus pour avoir un bon facteur qualité, donc faible pertes mécaniques, par conséquent ils se présentent comme des systèmes sélectifs en fréquence. Cette caractéristique présente un grand avantage quand la fréquence de vibration est égale à la fréquence de résonance, par contre on constate une chute importante de la puissance de sortie lorsque la fréquence de vibration n’est plus égale à cette fréquence de résonance, ils présentent donc un rendement optimal uniquement lorsque leurs fréquences propres sont égales à la fréquence de vibration. Cette solution est bien adaptée lorsque la fréquence de vibration de la source est connue à l’avance, avec une très grande précision, et est très stable dans le temps, mais ce n’est pas toujours le cas, par exemple pour les vibrations que l’on trouve sur une voiture, un train, un avion, où les fréquences de vibration dépendent de la vitesse d’avancement et du régime moteur. Dans la section suivante nous présenterons les différentes solutions de l’état de l’art développées jusqu’ici pour élargir la bande passante des systèmes de récupération d’énergie vibratoire. 2. Etat de l’art La conception d’un générateur présentant une large bande de fréquence, de 10 à 120 Hz, parait crucial pour des applications de type transport, où la fréquence de vibration varie fortement dans le temps (de 30 à 120 Hz pour un moteur de voiture en fonction de son régime). On peut classer ces techniques de la façon suivante : Systèmes large bande (sans contre réaction) : Il s’agit soit d’un système multi-modes, qui peut résonner à différentes fréquences bien déterminées, c’est le cas d’un système composé de plusieurs cantilevers de différentes longueurs [3], ou de plusieurs masses différentes [4] mais cela revient à fractionner le volume disponible en plusieurs plus petites structures dont la masse sismique, image de l’énergie récupérable, est alors réduite. Il peut s’agir également des systèmes avec un large pic de résonance, lié à un facteur d’amortissement électrique relativement important. Cette solution permet d’élargir significativement la bande passante, mais réduit la quantité d’énergie récupérable à la fréquence de résonance. Cette technique est facilement réalisable, en petites dimensions, avec des convertisseurs de type électrostatique où le couplage électromécanique peut être très élevé [5] (quantité d’énergie convertie par cycle par rapport à l’énergie mécanique stockée dans la structure). Systèmes utilisant un ajustement manuel : il s’agit de solutions permettant d’ajuster manuellement la fréquence de résonance du récupérateur d’énergie au moment où le dispositif est mis en œuvre dans son application finale afin que celle-ci corresponde exactement à celle de l’application, cette solution permet notamment de compenser les dispersions de fabrication. Cependant, ils ne permettent pas de faire un ajustement en temps réel de la fréquence de résonance. Leland et al [6], ont proposé par exemple d’ajuster la fréquence de résonance en ajoutant une raideur effective à la structure par l’application d’un précontrainte mécanique axiale sur un bilame piézoélectrique encastré-encastré. Cette action de compression sur la poutre affecte la rigidité de la structure et donc la fréquence de résonance du système. Cette action a par ailleurs une influence sur les coefficients de couplage piézoélectrique qui ont tendance à s’améliorer avec la pression. Un ajustement de 24% de la fréquence de résonance à été obtenu avec cette méthode. Chella et al [8] proposent quant à eux d’utiliser une force magnétique pour faire l’ajustement de la fréquence de résonance. Le système qu’ils proposent est composé de deux cantilevers couplés entre eux par une force magnétique générée par un aimant permanant. L’aimant peut être tourné, ce qui donne naissance à des forces d’attraction et de répulsion qui s’appliqueront entre les deux poutres qui composent les cantilevers piézoélectriques récupérateurs d’énergie électrique. L’une des deux poutres est sur un support qui peut se déplacer en utilisant une vis ressort, ce déplacement modifie le couplage magnétique entre les deux cantilevers et donc la fréquence de résonance du système. Systèmes avec adaptation active : il s’agit de systèmes de récupération d’énergie dont on peut modifier la valeur de leur fréquence de résonance par une action électrique, cette action électrique peut alors être ajustée en temps réel, via par exemple une boucle de rétroaction, pour maintenir la fréquence de résonance sur la fréquence de la vibration. Ce sont des systèmes qui nécessitent souvent une source d’énergie externe. Morgan et al [7], propose par exemple de contrôler la fréquence de résonance en appliquant une différence de potentielle sur les doigts de peignes inter-digités ce qui induit une force électrostatique qui se déduit ou se rajoute à la force de rappel (ressort) et modifie ainsi la fréquence de résonance de la structure avec un taux de variation de 17%. 3. Description de l’approche L’approche que nous proposons dans ce papier fait partie de la troisième catégorie, c'est-à-dire permet d’ajuster en temps réel la fréquence de résonance par une action électrique sur la structure de récupération d’énergie vibratoire. L’objectif étant d’ajuster en permanence, via une boucle d’asservissement, la fréquence de résonance de la structure sur la fréquence de la source de vibration, de façon à maximiser en permanence la puissance mécanique extraite et convertie en énergie électrique. Dans ce travail nous avons étudié l’interdépendance qui existe entre le niveau de champ appliqué dans un matériau piézoélectrique et sa raideur intrinsèque. L’importance de l’effet du champ électrique sur la raideur des matériaux piézoélectriques dépend du type de matériau utilisé, de la direction et du sens de sa polarisation électrique par rapport à la direction et le sens du champ électrique appliqué. Nous proposons d’ajuster la fréquence de résonance d’une structure de type cantilever (figure-1), en ajustant la raideur intrinsèque des couches piézoélectriques par un choix judicieux du niveau de champ électrique statique à appliquer, ce choix se fait grâce à un système de régulation qui permet de faire la poursuite de maximum de la puissance produite par le générateur. Figure 1. Cantilever en bimorphe La structure est composée d’une poutre en Laiton (1), encastrée d’un coté dans un support (2) en mouvement Y(t) et, de l’autre, encastrée dans une masse sismique (3) libre de se déplacer. Deux couches piézoélectriques (4) sont collées de part et d’autre des surfaces latérales du substrat. Ces couches sont utilisées à la fois pour convertir les déformations mécaniques en énergie électrique et en même temps pour commander la raideur de la structure, donc la fréquence de résonance. 4. Modélisation théorique et validation expérimentale Le but de cette modélisation est d’identifier les matériaux et d’optimiser les paramètres géométriques qui permettent d’optimiser le taux de variation de la fréquence de résonance sans pour autant affecter le facteur qualité de la structure, donc la capacité à extraire l’énergie vibratoire et à maximiser la puissance électrique de sortie. Dans le cas général, pour déterminer la fréquence de résonance d’une structure de type cantilever il est nécessaire d’utiliser un calcul numérique par éléments finis. Cependant, dans certaines circonstances, il est toujours possible d’obtenir des approximations satisfaisantes par calcul analytique. On peut définir la pulsation ࣓ comme étant la racine carrée du rapport entre la raideur et la masse effectives de la structure. Tel qu’il est présenté dans l’équation ci-dessous : ଷூ ߱ଶ = ሺெା.ଶସெ ್ ሻ య ܻ = ܫ2ܻ ܫ + ܻ௦ ܫ௦ (1) (2) Yp,tp et Ys,ts représentent respectivement les modules d’Young et l’épaisseur, du matériau piézoélectrique et du substrat. Ip et Is représentent respectivement les moments quadratiques de la partie piézoélectrique et du substrat. M représente la masse sismique. Mb représente la masse de la poutre. YI représente la raideur en flexion. Etant donné que la raideur intrinsèque des matériaux piézoélectriques dépend de la valeur et du signe du champ électrique qui lui est appliqué, il en sera de même pour la raideur en flexion. Après utilisation des lois qui régit un matériau piézoélectrique soumis à une contrainte électrique nous nous sommes arrivé à l’expression suivante de la raideur en flexion, équation (3). Cette équation montre que la raideur en flexion dépend des propriétés géométries, physiques, des matériaux utilisés, et montre aussi son interdépendance avec le champ électrique appliqué E3. ܻ= ܫ ௪ ଵଶ ൫ߙ൫6ݐ௦ଶ ݐ + 12ݐ௦ ݐଶ + 8ݐଷ ൯ + ܻ௦ ݐ௦ଷ ൯ (3) Avec ߙ = ܻ ൫1 − ݍ31 ܧ3 ൯ où q31 est le facteur de piézoélasticité, w représente la largeur. Ce qui mène à l’expression suivante de la fréquence de résonance : ݂ = ଵ ௪ ଶగ ටସሺெା.ଶସெ್ ሻయ électromécanique, d’environ 0.9. Dans la suite des calculs nous utiliserons les propriétés de ce matériau (PZN5.5%PT) pour l’optimisation des dimensions géométriques et la validation expérimentale. ߛ= ሺாೌೣ ିா ሻ ா . ݍଷଵ (5) 4.1 Optimisation de la géométrie Le but de cette partie est donc de trouver les dimensions géométriques qui respectent les contraintes d’entrée définis tout en optimisant la puissance en sortie du système et le taux de variation de la fréquence de résonance. Les contraintes d’entrée : La fréquence de résonance souhaitée, entre 20 et 120 Hz. Le type des matériaux choisis et leurs propriétés, matériau piézoélectrique et le substrat. Les limites de dépolarisation du matériau piézoélectrique. Sur la figure-2, nous présentons le taux de variation de la fréquence de résonance lorsqu’un champ électrique maximal est appliqué sur les deux couches piézoélectriques d’un système cantilever (figure-1). L’augmentation du rapport ts/tp diminue le taux de variation de la fréquence de résonance (figure-2), cependant, cela permet d’améliorer le facteur qualité de la structure, le matériau de substrat est généralement un matériau qui présente un très bon facteur qualité qui dissipe donc moins d’énergie mécanique ce qui contribue à l’amélioration du rendement de conversion. Un compromis a été établi en prenant en compte ces deux effets, nous avons décidé de fixer un rapport entre les deux épaisseurs égale à 2 ce qui donne un taux de variation de la fréquence de résonance théorique lorsque on applique le champ électrique sur les deux couches piézoélectrique de 36%. ൫ߙ൫6ݐ௦ଶ ݐ + 12ݐ௦ ݐଶ + 8ݐଷ ൯ + ܻ௦ ݐ௦ଷ ൯ (4) Nous remarquons à partir de cette expression que la fréquence de résonance dépend bien du niveau de champ électrique appliqué. Cependant, il faut respecter les limites de dépolarisation : le champ électrique appliqué ne doit pas dépasser une certaine limite au risque que le matériau perde ses propriétés piézoélectriques. A partir de l’équation (4), nous pouvons établir un critère de choix pour le matériau piézoélectrique à utiliser, nous avons donc définit une figure de mérite, donnée par l’équation (5), le meilleur matériau pour cette application est celui qui présente le meilleur facteur ߛ. Après un tour d’horizon sur les principaux matériaux piézoélectriques qui existent actuellement dans le marché, nous nous sommes rendu compte que le matériau le plus avantageux est le PZN-PT, qui supporte un champ électrique élevé (de -3.5 kV/cm à 25 kV/cm), qui a un coefficient de piezoélasticité relativement important (0.55 µm.V-1) et un bon coefficient de couplage Figure 2. Effet du rapport des épaisseurs sur le taux de variation de la fréquence de résonance Dans le tableau ci-dessous, nous présentons les valeurs géométriques retenues pour la réalisation de la structure. Dimensions géométriques et propriété physiques Masse sismique (acier): Lm x w x Hm Masse volumique Substrat (cuivre jaune): L x w x ts Masse volumique Ys Couches piézoélectriques : L x w x tp Masse volumique d31 Yp valeurs 10 x 10 x 10 (mm3) 7750 (kg/m3) 25 x10 x 0.6 (mm3) 7750 (kg/m3) 110 GPa 25 x10 x 1.2 (mm3) 8850 (kg/m3) 2950 (pC/N) 25.61 (GPa) Tableau 1. Dimensions géométriques et propriétés physiques Sur la figure ci-dessous, figure-3, nous présentons la tension électrique générée par la première couche piézoélectrique en fonction de la fréquence de vibration pour 5 différents niveaux de champ électrique statique appliqués sur la deuxième couche piézoélectrique. Le taux atteint dans ces conditions est de 13%, un taux de variation de la fréquence de résonance encore plus important peut être obtenu en appliquant le même champ électrique sur la deuxième couche piézoélectrique. Figure 3. Résultats théorique de l’effet du champ électrique dans le piézoélectrique sur la fréquence de résonance de la structure 4.2 Résultats expérimentaux Pour valider les résultats théoriques précédemment discutés, nous avons réalisé un cantilever avec les dimensions calculées dans la partie théorique. Un taux de variation de la fréquence de résonance de 11% a été obtenu pour un champ électrique compris entre 0 et 8 kV/cm. La figure-4 montre les résultats obtenus expérimentalement, il s’agit de la tension électrique générée par la première couche piézoélectrique pour cinq différents niveaux de champ électrique statique appliqués sur la deuxième couche piézoélectrique. Figure 4 Résultats théorique de l’effet du champ électrique dans le piézoélectrique sur la fréquence de résonance de la structure 5. Conclusion Dans ce travail, une nouvelle approche pour le réglage de fréquence de résonance a été discutée et validée par des études théoriques et expérimentales. Les résultats obtenus montrent la faisabilité de réaliser un système de réglage de la fréquence de résonance en utilisant l’interdépendance entre le niveau de champ appliqué dans un matériau piézoélectrique et sa raideur intrinsèque. La présente étude montre également la possibilité de régler la fréquence de résonance d'un cantilever jusqu'à 36%, en utilisant le matériau piézoélectrique PZN-5.5%PT. Il est tout à fait possible d’ajouter un système auxiliaire permettant de faire le réglage du niveau de tension électrique à appliquer dans le matériau piézoélectrique afin caller la fréquence de résonance à la fréquence de vibration. Cette technique peut être utilisée aussi bien pour des systèmes de récupération d’énergie que pour des amortisseurs actifs nécessitant un fonctionnement sur une large bande de fréquence. 6. Références [1] J.Paradiso, T.Starner, Energy Scavenging for Mobile Wireless Electronics, IEEE Pervasive.Comput, (2005) 18-27. [2] S,P.Beeby, M,J.Tudor, N.White, Energy harvesting vibration sources for Microsystems applications, Meas. Sci. Technol. 17 (2006) R175–R195. [3] S. Shahruz, Design of mechanical band-pass filters for energy scavenging, J. Sound. Vib. 292 (May) (2006) 987–998. [4] S. Roundy, E. S. Leland, J. Baker, E. Carleton, E. Reilly, and P. K. Wright, Improving power output for vibration-based energy scavengers, Pervasive. Comput. 4 (1) (2005) 28–36. [5] G. Despesse, J-J. Chaillout, T. Jager, J.M Léger, A.Vassilev, S.Basrour and B.Charlot, High damping electrostatic system for vibration energy scavenging, in: Proc. SoC-EUSAI, (2005) 283-286. [6] E. S. Leland and P. K. Wright, Resonance tuning of piezoelectric vibration energy scavenging generators using compressive axial preload, Smart Mater. Struct. 15 (5) (September) (2006) 1413–1420. [7] B. Morgan, R. Ghodssi, Vertically-Shaped Tunable MEMS Resonatrs, J. Micrelectromech. Syst. 17 (1) (2008) 85-92. [8] V-R. Chella, M. G. Prasad, Y. Shi and F. T. Fisher, A vibration energy harvesting device with bidirectional resonance frequency tenability, Smart. Mater. Struct. 17 (2008).