Le radiologue au carrefour du diagnostic et du suivi des patients atteints de cancer : au-delà de l’expert, un soignant D’après un entretien avec le Pr Yves Menu, chef du service de radiologie, hôpital Saint Antoine, Paris Le premier Plan Cancer (1) a transformé la prise en charge des patients atteints de cancer grâce à la création des réseaux et des réunions de concertation pluridisciplinaires* (RCP). Aujourd’hui, le radiologue est un pilier de cette organisation, et il peut se trouver en première ligne face au patient et à sa famille, qui attendent avec anxiété les résultats de l’imagerie. Pas toujours formé à la communication, il est pourtant détenteur d’une information essentielle. Un certain nombre d’éléments permettant d’améliorer sa rencontre avec le patient : une réflexion sur ses pratiques, la formation à la communication, le travail en réseau et l’organisation du circuit de prise en charge avec notamment un délai court entre les examens radiologiques et la consultation avec l’oncologue. Le Plan Cancer a mis en place l’obligation d’un dispositif d’annonce qui doit se faire sur un temps long par une équipe multidisciplinaire. Néanmoins, le diagnostic, mais aussi l’évolution de la maladie sont souvent déjà annoncés par le médecin généraliste ou le spécialiste, parfois même dans un couloir après une radio ou un examen biologique. Si le radiologue se doit de répondre à l’attente du patient qui connaît l’importance de l’imagerie dans le diagnostic et le suivi de sa maladie – il n’est plus admissible aujourd’hui de mentir ou de fuir….-, le dialogue doit être anticipé et réfléchi. Lorsque l’examen est normal ou quand l’évolution radiologique s’avère favorable, la communication est relativement facile, même s’il faut se garder d’être trop enthousiaste, précise le Pr Menu. En revanche, si l’imagerie révèle une progression de la maladie, la rencontre avec le patient et sa famille est difficile, d’une part parce que le radiologue n’a pas toujours les éléments pour savoir si cette progression est cliniquement significative, d’autre part parce qu’il ne sait pas toujours quelles vont en être les conséquences et quelle option thérapeutique va être choisie. La situation est d’autant plus inconfortable que l’on dispose de peu de temps et que les locaux ne sont pas toujours adaptés, note le Pr Menu. La responsabilité organisationnelle Comment améliorer le dialogue ? Il faut s’inspirer des principes simples de la communication et surtout privilégier le travail en équipe et en réseau, insiste le Pr Menu. L’organisation de la collaboration entre chaque membre des RCP doit être formalisée. Le clinicien doit savoir qui est le responsable de l’examen radiologique, comment le contacter en cas d’urgence et qui est le référent pour l’organisation. Il doit communiquer au radiologue tous les éléments importants pour l’examen, l’histoire de la maladie et les traitements, le contexte clinique, les risques. Le radiologue doit pouvoir le contacter, lui ou un membre de son équipe qui connaît le patient. De son côté, le radiologue s’assure qu’il peut être contacté pour des éclaircissements sur l’examen pratiqué, et ce rapidement s’il y a un élément urgent. Il veille aussi à la traçabilité des communications. Le travail en réseau concerne également la communication avec les autres radiologues. Une seconde opinion est essentielle en cas de doute. Elle peut être donnée par un individu ou par un groupe. Selon la situation, celle-ci est annoncée ou non au patient. En cas de discordance d’opinion ou d’erreur, le feedback doit être délivré de façon positive et non culpabilisante. A noter qu’une seconde opinion est parfois systématiquement organisée, comme dans le dépistage du cancer du sein avec une relecture de routine. Repenser l’espace La rencontre entre le radiologue et le patient doit se faire dans les règles de parfaite confidentialité, mais trop souvent la configuration des locaux ne la garantit pas. Le radiologue s’adresse parfois au patient et à sa famille dans une salle d’attente commune où toutes les personnes présentes entendent la conversation…Il est impératif de prendre en compte cette obligation lors de la construction de nouveaux locaux afin de disposer d’une zone ouverte mais confidentielle. Dans les services ou les cabinets déjà installés, il faut repenser le circuit d’accueil du patient. La communication Les éléments de langage sont essentiels. Le radiologue doit répondre aux questions du patient avec tact et honnêteté en évitant les messages contradictoires. Il ne faut pas alarmer trop tôt ou à tort, ni forcer un patient qui ne souhaite pas être informé. Sans mentir et sans fuir, le radiologue doit expliquer au patient que l’interprétation de l’imagerie pose des questions dont il va informer le médecin afin de prendre ensemble la meilleure décision. Il doit éviter d’entrer dans des considérations précises sur les détails du traitement. Face à une progression radiologique, plusieurs options peuvent par exemple être discutées : - un changement immédiat de traitement, - une pause thérapeutique pour que le patient puisse se reposer et pour éviter les complications du traitement - la poursuite du traitement en cours qui, à défaut de faire régresser les lésions, en ralentirait la progression. Quels que soient les mots, n’oublions pas que la communication non verbale est (plus) puissante, souligne le Pr Menu. Il n’est pas inutile d’analyser sa propre attitude : vous regardez le patient ? Vous faites quelle tête ? Vous faites quoi de vos mains, des jambes et de votre smartphone quand vous parlez au patient ? Une relation dans la durée Grâce aux progrès thérapeutiques, la survie a été considérablement prolongée ; dans la majorité des cas, le cancer n’est plus une maladie aigue mais une pathologie chronique, les examens radiologiques sont répétés et le radiologue noue avec le patient un contrat de longue durée. Aujourd’hui, les patients sont des « habitués », ils viennent tous les 2 ou 3 mois parfois pendant des années, note le Pr Menu. Il faut se projeter dans une relation itérative. Le radiologue facilitateur d’annonce Dans ces conditions, le radiologue peut être un facilitateur d’annonce. Il s’agit de prendre en compte la notion de métabolisme psychologique, processus qui a lieu entre le début de la perception d’une évidence et l’acceptation de ses conséquences. Il dépend de la construction psychologique individuelle préalable, du degré d’implication personnelle et de la gravité réelle ou perçue de la situation et de ses implications. Des travaux ont permis d’apprécier le temps idéal entre la réalisation de l’examen radiologique et la consultation avec l’oncologue pour permettre au patient de faire son propre travail intérieur avec les éléments fournis par le radiologue et ainsi être préparé au mieux à la rencontre avec le clinicien. Avec les éléments fournis par le radiologue, il va en tirer les conséquences sur la décision médicale. Ce délai doit être court, explique le Pr Menu : si l’examen a lieu le matin, la consultation doit avoir lieu l’après midi ou le lendemain. Des délais plus longs ont en effet un impact psychique délétère. L’impact thérapeutique de l’empathie De façon générale, la réflexion sur les pratiques, l’organisation mais aussi la formation des cliniciens en cancérologie permet aujourd’hui d’améliorer la prise en charge des patients. L’empathie est le fondement de cette approche individuelle et respectueuse. L’impact de l’empathie sur l’efficacité thérapeutique a été mis en évidence par des travaux initiés par un chercheur du département de psychiatrie et du comportement humain de l’Université de Pennsylvanie, Mohammadreza Hojat. Dans un article publié en 2002, il a montré que les scores d’empathie sont corrélés de façon significative avec la compétence clinique des étudiants pendant les études médicales. Plus récemment il a apporté la preuve de la corrélation entre les résultats thérapeutiques et les scores d’empathie dans une étude réalisée chez des patients diabétiques. Comme le montre le schéma ci-dessous il existe en effet une relation significative entre le niveau d’empathie et le contrôle de l’HbA1c. Le patient atteint de cancer est-il différent ? Le radiologue est-il un clinicien? Il n’y a aucune raison de penser que l’impact de l’empathie ne s’applique pas aux patients atteints de cancer, observe le Pr Menu. * Réunion régulière entre professionnels de santé, au cours de laquelle se discutent la situation d'un patient, les traitements possibles en fonction des dernières études scientifiques, l'analyse des bénéfices et les risques encourus, ainsi que l'évaluation de la qualité de vie qui va en résulter (2). Les réunions de concertation pluridisciplinaires rassemblent au minimum trois spécialistes différents. Le médecin informe ensuite le patient et lui remet son programme personnalisé de soins (PPS). Références : (1) Plan cancer 2003-2007. Institut national du cancer.http://www.e-cancer.fr/. (2) Haute Autorité de santé (HAS). Réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) mai 2014. http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/201302/reunion_de_concertation_pluridisciplinaire_fiche_technique_2013_01_31.pdf (3) Patient communication, confidentiality and consent : radiology policy and practice in Europe. A survey by the European Society of Radiology. Insights Imaging. 2013 Apr;4(2):153-6 (4) Hojat M, Gonnella JS, Mangione S, et al. Empathy in medical students as related to academic performance, clinical competence and gender. Med Educ. 2002 ; 36 : 522-7. (5) Hojat M, Louis DZ, Markham FW, et al. Physicians' empathy and clinical outcomes for diabetic patients. Acad Med. 2011 ; 86 : 359-64. Les réactions des patients… et des médecins Le patient peut réagir de diverses façons à l’annonce : déni, protection à très court terme qui peut être positive si elle est remplacée par une attitude plus réaliste dans un délai bref, la régression qui peut être à l’origine d’une vraie dépression. Que faire face à ces mécanismes de défense ? Ils sont importants et il ne faut pas chercher à lutter contre eux, mais les respecter. Ils permettent de prendre le temps de s’adapter à la mauvaise nouvelle et ils sont évolutifs : le patient peut dans un premier temps être passif dans la régression, passer par l’agressivité puis en arriver à la combativité. Le médecin lui aussi se trouve confronté à la mauvaise nouvelle, c’est d’abord à lui même qu’il l’annonce et il se trouve face à ses propres peurs. Mal préparés, certains mettent en place des stratégies de protection : mensonge, banalisation, dérision, fausse réassurance, rationalisation, évitement, fuite en avant, identification, contretransfert… Le mensonge empêche le patient de se reconstruire. La fuite en avant est ce qu’il y a de plus violent pour le patient, c’est un crime de l’annonce et de l’information, explique le Pr Menu.