Diversité et stabilité des écosystèmes Introduction : pourquoi préserver la biodiversité ? Le constat sur l'érosion actuelle de la biodiversité est alarmant... Pour certains scientifiques nous vivons la sixième extinction de masse de l'histoire du vivant et nous en sommes la cause. Il y a de nombreuses raisons qui justifie la conservation de la biodiversité : raisons culturelles, éthiques, politiques, etc. Existe-t-il aussi des raisons scientifiques ? C'est-à-dire existe-t-il des éléments scientifiques pour dire que les sociétés humaines peuvent être affectées dans leur fonctionnement par l'érosion de diversité biologique en cours actuellement ? Diversité et stabilité des écosystèmes Introduction : pourquoi préserver la biodiversité ? David Tillman : biodiversité et productivité des écosystèmes. Darwin en 1859 : «... si une parcelle est ensemencée avec une seule espèce de graminée et une autres avec des graminées de plusieurs genres, un plus grand nombre de plantes et de fourrage pourra ensemble des être obtenu dans la seconde... » conditions écologiques présentes dans un écosystème pH du sol niche écologique d'une espèce Température de croissance optimale Biomasse de la communauté Plus il y a d'espèces, plus l'ensemble des conditions environnementales possibles seront exploitées. Nombre d'espèces de plante La productivité d'un écosystème s'accroît donc (dans ce modèle) avec la diversité des communautés qui le composent. Diversité et stabilité des écosystèmes Introduction : pourquoi préserver la biodiversité ? Exemple : lien diversité des communauté de mycorhizes et productivité des communautés de plantes. biomasse (g) Première expérience : les auteurs construisent en serre des micro-communautés de plantes avec quatre espèces de champignons mycorhiziens du genre Glomus , seules ou en bien combinaisons. champignons Les espèces de plantes ne réagissent pas toutes de la même manière à la composition de la communauté de champignon, ● La composition de la communauté de plante dépend fortement de la composition de la communauté de champignons. ● van der Heijden MGA et al. 1998 Mycorrhizal fungal diversity determines plant biodiversity, ecosystem variability and productivity. Nature 396, 69-72. Diversité et stabilité des écosystèmes Introduction : pourquoi préserver la biodiversité ? Exemple : lien diversité des communauté de mycorhizes et productivité des communautés de plantes. Deuxième expérience : les auteurs inoculent 70 champs avec une communauté de champignons comprenant de 1 à 14 espèces différentes. La biomasse totale augmente avec la diversité de communauté de champignons, ● Cette augmentation est sans doute liée à une meilleure exploitation du phosphate du sol. ● van der Heijden MGA et al. 1998 Mycorrhizal fungal diversity determines plant biodiversity, ecosystem variability and productivity. Nature 396, 69-72. Diversité et stabilité des écosystèmes 1. Elton et Odum : la stabilité augmente avec la stabilité Autre sujet d'inquiétude : pourrait-il y avoir des spirales du style les écosystèmes moins divers sont moins stables, les espèces qui s'y trouvent ayant donc plus de risques de s'éteindre ? baisse de la biodiversité extinctions d'espèces écosystèmes moins stables Dans les années 50 Elton et Odum proposent l'existence d'un lien entre diversité et stabilité des écosystèmes. Les arguments d'Elton et Odum (~1950): Les expériences en laboratoire montrent que les communautés de deux ou trois espèces sont difficiles à maintenir, mais ils n'existait pas à l'époque d'expérience reproduisant des communauté plus complexe ● Les îles, qui comprennent généralement peu d'espèces, sont plus susceptibles aux invasions biologique que les continents, mais est-ce véritablement un problème de stabilité ? ● Les monocultures sont plus sensibles aux pathogènes, mais les écosystèmes agricoles sont artificiels ● Les communautés tropicales, particulièrement diverses, subissent moins de proliférations d'insecte que les forêts des régions tempérées. mais il pourrait tout aussi bien s'agir d'une conséquence des différences climatique entre tropiques et régions tempérées. ● Diversité et stabilité des écosystèmes 1. Elton et Odum : la stabilité augmente avec la stabilité Clarifions la notion de stabilité... A Un système est stable s'il retourne aux B initiales après perturbation. conditions A instabilité locale et globale. C D B stabilité locale, instabilité globale. C stabilité locale et globale. D instabilité locale, stabilité globale. Autres concepts importants : ● la résistance : capacité à ne pas changer malgré les perturbations, ● la résilience : vitesse à laquelle on retourne aux conditions initiales après perturbation. Si l'on veut mesurer la stabilité des écosystèmes, il faut en plus une mesure opérationnelle... En pratique on utilise beaucoup la variance des effectifs. k n=∑ ni i=1 i2 variance de ni 2 variance de n Diversité et stabilité des écosystèmes 1. Elton et Odum : la stabilité augmente avec la stabilité Un argument statistique en faveur de la théorie d'Odum et Elton. Imaginons une communauté de k espèces qui n'interagissent pas entre elles. Chaque espèce est caractérisée par : ● sa densité moyenne m i 2 ● la variance de sa densité i k ∑ mi=m avec et i=1 i2 =c m iz On fait en plus l'hypothèse que toutes les espèces ont la même densité moyenne, c'est-à-dire : mi = m d'où l'on déduit k k 2 =∑ i2 =k c i=1 2 =c mz m z k k z−1 Donc si z>1 plus l'écosystème comprend d'espèces (plus k est grand) plus la variance est faible. Diversité et stabilité des écosystèmes 1. Elton et Odum : la stabilité augmente avec la stabilité densité espèce 2 Deuxième argument statistique lorsque les espèces sont en interaction les unes avec les autres Si deux espèces sont en compétition pour la même ressource, lorsque la densité d'une des deux espèce augmente, celle de la deuxième diminue. densité espèce 1 Ce lien entre les deux densités peut être quantifié par la covariance : 〈 cov n1, n 2 = N 1−m 1 N 2 −m 2 Puisque le lien est négatif, on a ici 〉 cov n1, n 2 0 Et comme 2 = 12 22 2 cov n1, n 2 On en déduit 2 12 22 Plus l'écosystème comprend d'espèces plus la variance est diminuée par les covariances. Diversité et stabilité des écosystèmes 1. Elton et Odum : la stabilité augmente avec la stabilité Troisième argument : la diversité comme assurance contre les fluctuations environnementales ensemble des conditions écologiques présentes dans un écosystème PH du sol niche écologique d'une espèce Température de croissance optimale On retrouve l'argument de Tillman mais appliqué à la stabilité : plus la communauté est diversifiée, plus il y a de chances que les espèces qui la composent ne réagissent pas de la même façon aux fluctuations environnementales. Une communauté diversifiée a une sorte d'assurance sur la vie : quelles que soient les conditions environnementales, il se trouvera bien une espèce pour y survivre ! Diversité et stabilité des écosystèmes 3. Le modèle de Robert May Un modèle théorique de communauté aléatoirement construites. -0.5 -0.2 0.5 -0.7 -0.4 -0.5 -0.3 -0.8 0.8 -0.6 -0.3 -0.2 -0.3 0.2 -0.2 0.5 0.3 -0.4 Dans les années 60 R. May formalise mathématiquement le problème. Le principe de son analyse est le suivant : On fixe le nombre d'espèces ● On tire au hasard la force des interactions entre les espèces : ➔ 0 : pas d'interactions ➔ - : interaction négative ➔ + : interaction positive Donc : -/- : les deux espèces en compétition + / - : une des espèces consomme l'autre (interaction proie prédateur, par exemple). ● Diversité et stabilité des écosystèmes 3. Le modèle de Robert May Un modèle théorique de communauté aléatoirement construites. ji i ij j k nombre d'espèces ● C « connectance », proportion de toutes les paires d'espèces possibles où les espèces sont en interaction (i.e. avec un βij non nul), ●β intensité moyenne des relations entre espèces connectées. ● Résultat, la communauté ne retourne à son équilibre après perturbation (i.e. est stable) que si k C1 Plus l'écosystème comprend d'espèces plus il est instable ! ...consternation dans la communauté des écologistes et quelques dizaines d'années de débats animés... Diversité et stabilité des écosystèmes 3. La confrontation des théories avec les données Les modèles microbiens Culture en biofilm de la bactérie pathogène opportuniste Pseudomonas aeruginosa. En culture des mutants apparaissent qui ont des caractéristiques différentes de la souche ancestrale : ● wrinkly adhère plus facilement à la surface, ● mini a au contraire plus de facilité à disperser. Un biofilm diversifié, qui comprend les trois types de bactéries, résiste mieux à une agression qu'un biofilm qui ne comprend que la souche ancestrale. Boles, Blaise R. et al. (2004) Proc. Natl. Acad. Sci. USA 101, 16630-16635 Diversité et stabilité des écosystèmes 3. La confrontation des théories avec les données Les expériences en prairie naturelle de D. Tilman 147 parcelles expérimentales dans le Minesota ensemencées avec 1, 2, 4, 6, 8, 12, or 24 espèces de plantes autochtones. Pour chacun des 20 réplicats par traitement, les espèces sont choisies au hasard parmi les 24 disponibles. Premier résultat : on retrouve le lien diversité productivité. Après un épisode de sécheresse, on mesure la résistence de l'écosystème comme le log du ratio entre biomasse avant et après la sécheresse. Deuxième résultat : la résistance à la sécheresse augmente avec la diversité. Tilman D et Downing JA 1994 Biodiversity and stability in grasslands. Nature 367: 363-365. Diversité et stabilité des écosystèmes 3. La confrontation des théories avec les données Une analyse récente des changement de diversité et de structure dans les formation récifales semble mettre en évidence un lien entre changement de diversité et changement de structure... Kiessling W. 2005 Long-term relationships between ecological stability and biodiversity in Phanerozoic reefs. Nature 433(27): 410-413. Diversité et stabilité des écosystèmes 3. La confrontation des théories avec les données Une baisse de diversité au temps t est associée à un changement de structure à t+1. Les auteurs interprètent cela comme une signature du lien entre diversité et stabilité. Si cette interprétation est confirmée, elle serait non fournirait non seulement des arguments supplémentaires soutenant le lien diversité stabilité mais en plus elle montrerait que ce lien ne vaut pas qu'à une petite échelle spatiale et temporelle... Diversité et stabilité des écosystèmes 4. Comment résoudre la contradiction entre les données et le modèle de R. May ? Dans le modèle de R. May les structures de réseau trophique et les interactions étaient tirées au hasard. Que se passe-t-il si on choisit des structures de réseau proche de ce que l'on connaît des vrais écosystèmes ? ● En quoi les résultats de May sont-ils affectés par la distribution des forces d'interaction ? ● Résilience, résistance et stabilité dépendent-elles des mêmes paramètres ? ● L'analyse de May comprenait des réseau absurdes (puisque tirés au hasard). Par exemple on pouvait avoir des prédateurs sans proie... Même en corrigeant ces effets la conclusion reste inchangée. McCann 2000 : les interactions de faible effets stabilisent les réseaux trophiques, Jansen et Kokkoris 2003 : la stabilité décroît avec la force des interactions mais aussi avec leur variance, Emmerson et Yearsley 2004 : la distribution des forces d'interaction (et notamment le biais vers les faibles valeurs) doit être considérée. Les effets de ce biais sur la stabilité et la résilience sont antagonistes. etc. Le débat continu !