Le voyage remonte jusqu’aux cyanobactéries, bactéries primitives qui ont permis le
développement des formes plus complexes de vie sur la terre, et qui représentent une sorte
d'état premier du vivant pour la reconnaissance duquel le duo AOO est parti en croisade en
tentant de faire classer le Lac Clifton (Australie) au patrimoine mondial de l’humanité.
Polymorphe, à la fois recherche ethnographique, démarche militante et projet artistique, ce
travail commencé il y a quelque temps sera montré à Dole sous une forme nouvelle, et
semble se poursuivre naturellement aujourd'hui avec les travaux menés sur le microbiote.
Ainsi, les Paysages microbiotiques inventés pour Dole par Art Orienté Objet, mêlent
étrangeté et beauté pour rendre la complexité des découvertes sur le microbiote. La lumière
noire qui fait réagir la fluorescence naturelle des pierres rares, des éponges ou des algues
qu’ils utilisent pour mimer les formes microscopiques des bactéries transforme l'intérieur
potentiel de nos intestins en objets précieux, et nous plonge dans la confusion entre
fascination et inquiétude. La photographie scientifique nous a certes habitués aux bascules
d'échelles et aux potentialités folles qu'ouvrait en termes d'images la capacité de voir et
d'agrandir l'infiniment petit. Mais là encore il faut de l'humour pour jouer comme ils le font à
mi-chemin entre le poétique et l'hyper terre-à-terre – car travailler sur le microbiote,
rappellent-ils, c'est forcément faire « un projet de merde »... Ce faisant ils nous invitent à
nous repenser comme des êtres uniques construits sur une multiplicité d’organismes.
Jusqu'où ces hôtes et « autres » microscopiques que nous hébergeons peuvent-ils agir
en nous, modifier notre équilibre physiologique et psychique, provoquer ou accélérer des
processus de transformations génétiques irréversibles ? Autant de questions qu’abordait déjà
une de leurs premières œuvres Injure à enfant, qu’ils recomposeront dans l’exposition, tant
elle apparaît aujourd’hui comme prémonitoire de la conscience nouvelle du danger
antibiotique.
Du film Denskraum, relecture contemporaine du « Rituel du serpent », image du lien
fondamental des indiens Hopis à leur environnement naturel, étudié par l'historien de l'art
allemand Aby Warburg au Camelus Post-humanus – squelette délirant d'un animal mutant
mi-chameau mi-kangourou dressé au milieu du tas de déchets industriels qui aurait pu le
faire naître – les artistes, entre angoisse et éclat de rire, parviennent à reconstruire une
chaîne de causalité globale et à éveiller notre conscience au désastre écologique – au sens
étymologique de l'écologie, soit l'étude de l'ensemble des êtres vivants dans leur milieu et de
leurs interactions – que nous préparons.
Cet éveil passe pour les artistes par une ouverture et une recherche totalement
transversales dans tous les domaines du savoir, en particulier ceux assujettis ou considérés
comme minoritaires par la pensée occidentale, notamment les pratiques d'initiation et de
culte des ancêtres. En effet, la Vision est essentielle à la pratique d'Art Orienté Objet, à la
fois comme élément cognitif et comme déclencheur d'images et de processus créatifs. Quant
aux rituels de guérison ils jouent un rôle fondamental dans leur démarche de réparation.
C'est d'ailleurs sous l'influence du Pensador (le penseur), qu’ils produisirent pour la première
exposition d’art contemporain en Angola après 27 ans de guerre civile, placé au centre de
l'espace, que s'organise l'exposition Microbiota : cette blanche figure de cire, ce penseur,
c'est celui qui communique avec les ancêtres, qui fait le lien entre tout et tous, une figure
protectrice, apotropaïque, comme ces tambours brodés par les artistes qui nous aideront,
peut-être, à résister à tous les mauvais sorts.
Amélie Lavin, Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin