humaines – technique (tekhnè), investigation (methodos), action (praxis) et décision (prohairèsis). Elle
constitue une première étape dans ce qui se révèle être progressivement une enquête sur le souverain
bien. Pour comprendre la position architectonique du souverain bien (EN I. 1, 1094a), nous analyserons
en particulier la différence qui sépare la production (poièsis) – dont la fin (l’œuvre/ergon) est toujours
extérieure au mouvement (kinèsis) de production lui-même –, de l’action (praxis) dont la fin se réalise
tout au long du processus (en perspective avec les chap. 5-6 du livre Θ de la Métaphysique qui
distinguent plusieurs degrés dans l’actualisation/energeia). Au terme de ce chapitre, nous verrons dans
quelle mesure le bien aristotélicien se distingue radicalement du Bien en soi platonicien (EN I. 4).
Lectures : livre I de l’EN et EE (Éthique à Eudème) II. 1 ; livre VI de l’EN chap. 2, 1139b ; chap. 5-6
du livre Θ de la Métaphysique.
3-4 Le tragique de l’existence humaine – Peut-on être heureux dans un monde imprévisible ?
Contrairement au Socrate du Protagoras qui pense une véritable science du bonheur avec sa métrétique
(351b-362a), Aristote pense que la contingence de notre bonheur interdit d’avoir la maîtrise complète
de nos actes. Cette idée trouve sa formulation la plus radicale chez les auteurs de tragédie qui refusent à
l’homme la possibilité d’être heureux. Aristote dénonce toutefois le caractère paradoxal de cette
théorie, à ce compte, on ne saurait être considéré heureux qu’une fois mort, selon le mot de Solon (EN
I. 11). On verra toutefois qu’avec Aristote il ne suffit pas d’être vertueux pour être heureux.
Pour répondre à la question de la possibilité du bonheur, il faut cependant au préalable s’interroger sur
son essence, ce qui suppose, chez Aristote, d’isoler ce qui constitue le propre de l’homme (EN I. 6).
Répondre à cette question exige un détour par la psychologie d’Aristote, pour comprendre notamment
les rapports du désir à la raison (EN I. 13). Enfin, il s’agira de déterminer le genre de vie qu’il faut
mener (active ou contemplative). Mais la vie philosophique, qui implique que l’on se retire des affaires
humaines pour se consacrer aux formes, n’excède-t-elle cependant pas les capacités humaines ?
Lectures : livre I et X de l’EN ; EE VIII. 2-3.
5-6 Devenir vertueux ou les vertus de l’habitude – La vertu est l’élément constitutif du bonheur,
nous dit le livre I de l’EN. C’est donc tout naturellement que le livre II s’intéresse à la formation
morale. Or la vertu morale s’acquiert, non pas par l’apprentissage (là encore, Aristote prend le contre-
pied de l’intellectualisme moral défendu, au moins dans un premier temps, par Platon), mais par
l’habitude (ethos) (EN II. 1). C’est donc par la répétition d’actes identiques qu’on finit par contracter
une disposition (hexis) à agir similaire. Les vertus morales ont en effet leur siège dans l’âme désirante
(compris comme caractère èthos) et non dans la raison (EN I. 13). Devenir vertueux ‘par habitude’ ne
revient-il cependant pas à substituer le réflexe à la réflexion en matière de vertu ? L’habitude qui opère
comme une forme de contrainte, voire même de violence, peut-elle s’élever au-dessus du
conditionnement qui est d’ailleurs le mode de formation morale assumée par Platon aux livres II et III
de la République ?
La formation morale n’est cependant pas purement irrationnelle, et nous verrons que chez Aristote c’est
sur la base de l’habitude que se développe la rationalité pratique vertueuse. En effet, la vertu morale ne