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Sciences Économiques et Sociales
Enseignement de Spécialité
Terminale ES
Introduction
Rédaction :
Michelle Courant
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©Cned-2009
© Cned – Académie en ligne
ntroduction
Les grands courants de pensée
en économie et en sociologie
L’enseignement de spécialité vise à approfondir l’étude de certains thèmes d’enseignement obligatoire
à partir de la découverte de textes d’auteurs. Les huit auteurs fondateurs du programme ont joué un
rôle essentiel dans le développement des sciences économiques et sociales.
L’enseignement de spécialité ne consiste pas en une présentation exhaustive des travaux, mais en
l’étude d’une problématique caractéristique de chaque auteur en lien avec le programme d’enseignement obligatoire.
Exemples
Le rôle des innovations dans la croissance (Schumpeter)
Libre échange et croissance (Ricardo)
Démocratie, égalité, liberté (Tocqueville)
Les économistes et sociologues fondateurs ont étudié la première révolution industrielle et les transformations sociales qui l’ont accompagnée.
Les théories sont des grilles de lecture indispensables pour comprendre la réalité économique et sociale.
Une théorie étant un ensemble de propositions, de résultats qui proviennent d’observations, d’analyse
et de réflexion permettant de comprendre le réel.
La
pensée en économie
a) La diversité des courants de pensée
Plusieurs vérités valent mieux qu’une
Document 1
Depuis 1973, « l’économie ne va pas bien » : le chômage augmente, les faillites sont nombreuses, l’inflation se perpétue,
de temps en temps s’accélère, la croissance de la production, partout, se ralentit, sinon s’arrête. Devant cette situation
on consulte souvent les économistes ; on leur confie des responsabilités gouvernementales.
Le non-économiste attend beaucoup de ces « spécialistes » qui semblent détenir la « potion magique » qui permettra
de sortir de la crise. Malheureusement, leurs espoirs se transforment en inquiétude lorsque ces médecins de l’économie
prescrivent leurs ordonnances.
Chacun semble avoir la sienne, tout aussi « scientifiquement » fondée que celle de son confrère ; chacun l’étaye d’arguments convaincants. Même lorsque ces éminents spécialistes consentent à constater à peu près les mêmes faits, ils
n’aboutissent pas aux mêmes conclusions. (... )
Contrairement à ce qui peut paraître, les disputes sans fin, les prescriptions opposées des économistes, ne viennent
pas des imperfections de la science économique. Ce n’est pas le retard de cette science q ui explique la diversité de ses
analyses et de ses conclusions.
Les économistes sont dans une situation semblable à celle des non-économistes. ils n’observent pas l’économie du même
endroit et ne poursuivent pas un but commun. Que faire pour initier à l’économie ?
- Initier à l’économie revient à faire comprendre au non-initié à travers quelle grille l’économie est analysée.
- Initier aux théories économiques revient à faire comprendre au non-économiste à partir de quel point de vue et de quels
objectifs chaque grand courant théorique décrit l’économie.
Introduction-SE00
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C’est ce que nous allons tenter de faire, en analysant successivement les quatre grands courants de la pensée économique
contemporaine.
a) L’économie selon les fils de Keynes
J.M. Keynes (1883-1946) a fondé toute une partie de la politique économique occidentale contemporaine en se plaçant
du point de vue d’un ministre des Finances désireux de réguler l’économie.
b) L’économie selon les descendants de Smith
- Smith (1723·1790). que certains considèrent comme le père de la science économique, analyse l’économie en voulant justifier la liberté d’entreprendre ou, plutôt, la liberté d’entreprise. C’est, en quelque sorte, l’économie vue de l’entreprise.
c) L’économie selon les disciples orthodoxes de Marx. K. Marx (1818-1883) fonde une vision de l’économie cohérente
avec les objectifs d’un courant révolutionnaire. Il se place du point de vue de ceux qui veulent renverser le capitalisme, en
orientant la lutte de la classe ouvrière.
d) L’économie selon les hérétiques à la « Schumpeter »
Joseph Aloys Schumpeter (1883-1950) se refuse à une coupure stricte entre l’analyse économique, sociale, politique. Intellectuel
plus qu’homme d’action, il rejette les simplifications nécessaires à l’action. Il fonde le point de vue de ceux gui veulent
d’abord comprendre la complexité des choses et les rendre intelligibles.
Comprendre les théories économiques, Jean-Marie Albertini, Ahmed Silem.
Coll. Points Économie, © Éditions du Seuil, 1983.
Questions
Pourquoi existe-t-il plusieurs théories et non une seule ?
Quelles sont les conséquences de cette diversité théorique sur la période de crise que nous vivons
depuis 1973 ?
Classez les quatre économistes cités dans l’ordre chronologique des courants de pensée.
Document 2
D.R.
Questions
Comment évoluent les théories en général ?
Quelles sont les particularités des théories économiques ?
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b) Les grands courants de la pensée économique
1. Le courant libéral
L’école néo-classique, le modèle de la concurrence parfaite
Document 3
Ont été qualifiés de « néo-classiques » des économistes qui, comme les « Classiques » dont les plus connus
sont Adam Smith (1723-1790) et David Ricardo (1772-1823), voulaient montrer les avantages du libéralisme économique, mais en adoptant une démarche nettement différente (d’où le « néo »). Alors que les
Classiques donnaient une grande importance dans leurs analyses aux groupes sociaux existant dans leurs
pays ils s’attaquaient surtout aux propriétaires fonciers ! Les néo-classiques concentraient leur attention
sur l’individu indépendamment des structures sociales. Ils pensaient que, dans une société libérée de toute
entrave au niveau des échanges, le bonheur commun résulterait de la recherche par chacun de son bonheur
individuel.
Fascinés par les résultats obtenus à leur époque par la physique et la mécanique, ils voulaient faire de même
en économie en utilisant les techniques mathématiques. C’est ainsi que dans le cadre de leurs études sur
le bonheur maximal, Stanley Jevons (1835-1821) Carl Menger (1840-1921) et Léon Walras (1834-1910)
introduisirent en économie le concept de variation à la marge, qui joue un rôle si important dans la théorie
néo-classique qui fut d’ailleurs pendant longtemps qualifiée de marginaliste et qui permettait de faire appel
au calcul différentiel, en plein essor à cette époque. De ces trois auteurs, Léon Walras est sans doute le
plus important, puisqu’il a été le premier à formaliser le problème de l’équilibre économique général : il est
considéré comme l’ancêtre des économistes mathématiciens actuels.
La conception
néo-classique
de la société
La société n’étant en dernière instance qu’un ensemble d’individus, il semble raisonnable de vouloir
expliquer les pbénomènes économiques et sociaux à partir des comportements individuels. Cette démarche est fréquemment qualifiée d’individualisme méthodologique.
Le marché comme
moyen de coordination
Dans la mesure où les individus n’ont ni les mêmes goûts ni les mêmes ressources, ils peuvent trouver
avantage à faire des échanges. Ils vont donc chercher à se rencontrer, ce qui explique l’existence de
marchés.
Le principe
de rationalité
La théorie néoclassique part de l’idée que les individus obéissent au principe de rationalité, c’est-àdire qu’ils utilisent « au mieux » les ressources dont ils disposent, compte tenu des contraintes qu’ils
subissent.
Bernard Guerrien. L’Économie néo-classique. ©Editions La Découverte. 1989.
www.editionsladecouverte.fr
www.collectionreperes.com
Questions
Quelles sont les innovations réalisées par ces économistes justifiant le préfixe de « néo » ?
Pourquoi qualifie-t-on les économistes néo-classiques de marginalistes ? Pourquoi sont-ils aussi
dénommés libéraux ?
a) Les classiques (fin 18e première moitié du 19e)
En classe de première, vous avez étudié Adam Smith, père fondateur de la pensée classique. Voici
quelques rappels.
Pour cet auteur « la main invisible » permet au marché de s’autoréguler : en poursuivant leur propre
intérêt, les individus contribuent à l’intérêt collectif.
Le marché conduit à la meilleure allocation des ressources productives.
L’État doit limiter ses interventions à la sécurité intérieure et extérieure (police, armée, justice) et aux
travaux d’infrastructures.
Les autres principaux représentants de cette école sont : Thomas Robert Malthus (1766-1834) et David
Ricardo (1772-1823)
b) Les néoclassiques (seconde moitié du XIXe siècle et de la première moitié du
XXe siècle)
Parmi les principaux fondateurs de cette école on peut citer le français Léon Walras (1834-1910), l’anglais
Stanley Jevons (1835-1882) et l’italien Vifredo Pareto (1848-1923). Voici quelques points de repère :
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Les individus sont rationnels, et par un arbitrage « coûts/avantages », et un raisonnement à la marge
(voir corrigé) ils tentent de maximiser leur satisfaction.
Les déséquilibres ne peuvent exister si les marchés sont en situation de concurrence pure et parfaite
(atomicité du marché, homogénéité des produits, fluidité du marché, transparence du marché et mobilité
des facteurs de production).
L’État ne doit pas intervenir sauf en cas d’inefficience du marché.
c) Les néo-libéraux (seconde moitié du XXe siècle)
Ils reconnaissent que le marché peut être imparfait mais restent défenseurs du « laissez faire » et de
la non intervention de l’État.
Plusieurs écoles peuvent être distinguées, nous en citerons deux :
- Le monétarisme (dont le chef de file est l’économiste américain Milton Friedman né 1912 et prix
nobel en 1976).
- La théorie de l’Offre (dont le chef de file est l’économiste américain Arthur Laffer, né en 1941).
Conclusion : les économistes du courant libéral font confiance aux mécanismes du marché qui assurent
l’équilibre entre l’offre et la demande. L’État ne doit intervenir que pour assurer les fonctions régaliennes
(sécurité intérieure et extérieure).
2. Le courant keynésien
La révolution keynésienne
Document 4
John Maynard Keynes (1883-1946), économiste britannique publie en 1936 une œuvre majeure «théorie
généérale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnai» dans laquelle il expose «sa théorie générale».
Témoin des ravages engendrés par la crise des années 30, Keynes s’oppose à la théorie néoclassique
stipulant que l’économie s’autorégule. Il montre que le chômage qui peut être volontaire et durable est le
résultat d’une insuffisance de la demande globale de biens et services. Keynes va alors porposer comme
remède à la crise et au chômage massif, une intervention de l’État pour relancer la demande. L’État peut ainsi
utiliser les outils de politiques conjoncturelles (politique monétaire et budgétaire) et agir sur les différentes
composantes de la demande.
Keynes fonde la macroéconomie qui considère que les variables globales comme le niveau de l’emploi ou
de la production ne peuvent avoir que des déterminants macroéconomiques.
Question
Pourquoi la pensée économique développée par JM Keynes constitue-t-elle une rupture par rapport
aux économistes classiques ?
3. Le courant marxiste
Vous avez étudié l’an dernier, l’analyse marxiste des classes sociales, et que la lutte des classes étaient
pour Marx le moteur du changement social. Vous approfondirez ce thème cette année.
D’une manière très générale, les marxistes rejettent le capitalisme, c’est-à-dire la propriété privée des
moyens de production. Le capitalisme porte en lui les germes de sa propre destruction.
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La pensée en sociologie
Introduction
La sociologie (du latin « socio » qui signifie société et du grec « logos » qui signifie « science ») est un
mot créé par Auguste Comte.
Dès son émergence, la sociologie repose sur un double défi : affirmer la possibilité d’une étude scientifique des hommes vivant en société.
On peut affirmer que c’est au XIXe siècle que naissent les sciences de l’homme (psychologie, sociologie,
anthropologie).
Avant, de grands auteurs comme Platon et Aristote ont réfléchi sur la société idéale. Au 16ième et
17ième siècle, Hobbes, Locke, Spinoza développent aussi des idées sur la société et en particulier le
contrat social.
Mais c’est au XIXe siècle que les sciences de l’homme prennent corps parallèlement aux changements
qui ont affecté la vie politique et économique.
La sociologie naît d’une interrogation sur les mutations sociales qui bouleversent l’ordre ancien. Elle
naît avec la révolution industrielle et les mutations qu’elle engendre (urbanisation, prolétarisation,
innovations…).
Dès lors, les fondateurs de la sociologie vont s’interroger sur la nature de la société qui émerge. Ainsi
les fondateurs vont étudier les formes sociales et leurs évolutions, les liens sociaux qui unissent les
individus ou encore les changements de valeurs.
Comment définir la sociologie ?
C’est l’étude scientifique des faits sociaux humains dans leur ensemble. L’analyse sociologique repose
sur une rigueur qui suppose que les hypothèses soient vérifiées ou contre vérifiées avant que l’on puisse
affirmer des conclusions.
Dans cette introduction nous étudierons les auteurs rencontrés en première (Karl Marx, Emile Durkheim
et Max Weber). Les problématiques retenues dans le cadre de l’enseignement de spécialité seront différentes de celles du programme de première, aussi insisterons-nous sur la démarche propre à chaque
auteur. Les élèves ayant suivi l’option SES en première ont sans doute rencontré le dernier sociologue
étudié en spécialité, Alexis de Tocqueville. Il ne fera pas l’objet d’étude dans cette introduction.
b. Des auteurs rencontrés en première ES
1. Karl Marx (1818-1883)
Karl Marx
Document 5
Michel Dubois, Les Fondateurs de la pensée sociologique, Ellipses, 1993. D.R.
Marx est-il sociologue ? Philosophe, journaliste et surtout, sur la fin de sa vie, économiste, Marx a été tout
cela ; sociologue, il ne s’est jamais considéré comme tel et ne ménageait guère son mépris à l’égard de la
sociologie positiviste naissante. Nonobstant, la tradition sociologique peut à bon droit le considérer comme
l’un des siens car, théoricien du fait industriel et du capitalisme, l’économie n’a jamais été pour lui une fin en
soi. En effet, Marx n’a jamais réduit la vie sociale à l’économie mais, au contraire, révèle la vie économique
comme « partie intégrante de la vie sociale ». Critique radical de la pensée économique, le capital est pour
lui non seulement accumulation de matières premières, de force de travail et de moyens de subsistance
nécessaires à la production de marchandises, mais avant tout « un rapport social (c’est nous qui soulignons)
entre personnes, lequel s’établit par l’intermédiaire des choses ». A travers l’économie, Marx recherche donc
plus que J’économie elle-même, l’analyse des fondements de la vie sociale et de l’évolution des sociétés.
S’opposant à toute conception idéaliste, il fait de la société - dans son fonctionnement et son évolution le produit « profane » des actions individuelles. Cependant, s’il donne à la structure sociale - représentée
par une symbolique architecturale - pour principe - fondateur, 1 action individuelle, Marx ne reconnaît
pas a l’individu la conscience de sa propre création. Manifestation des rapports sociaux de production,
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« support d’intérêt et de rapports de classes déterminés », « aliéné », l’individu et son intentionnalité sont
subordonnés à l’étude de catégories économiques. Promoteur d’un strict déterminisme économique, évolutionniste, Marx voit dans l’antagonisme entre « forces productives » et « rapports sociaux de production »
- antagonisme qui se matérialise dans la société capitaliste par une bipolarisation sociale conflictuelle - le
moteur de l’Histoire.
Questions
Pourquoi Marx apparaît-il parmi les économistes et les sociologues ?
En quoi l’analyse du mode de production capitaliste par Marx est-elle indissociable d’une étude en
termes de classes sociales ?
En première vous avez étudié l’analyse marxiste des classes sociales. En terminale, vous approfondirez
ce thème dans le cadre de l’étude des « conflits de classe et changement social ».
2. Émile Durkheim (1858-1917)
« Le suicide comme fait social », Combemal Pascal, septembre 2006.
© Alternatives Economiques.
Document 6
www.alternatives-economiques.fr
Le suicide comme fait social
L’analyse du suicide, acte éminemment individuel, comme fait social, avec ses régularitéset ses évolutions,
marque la spécificité de la sociologie comme science.
Dans le mois de juillet 1816, la fille d’un tailleur, domicilié sous les piliers des halles, fut promise en mariage
à un étalier boucher, jeune homme de bonnes mœurs, économe et laborieux, très épris de sa fiancée, qui le
lui rendait bien. (...) L’époque du mariage arrive, tous les arrangements sont faits entre les deux familles, et
les conventions arrêtées. (...) Par une tolérance qui s’explique, les parents du jeune homme, enthousiasmés
de leurs enfants et jouissant de leur double tendresse, fermèrent les yeux sur le tacite accord des deux
futurs. (...) Les amoureux se retrouvèrent dans l’ombre. (...) La jeune fille ne retourna chez ses parents
que le lendemain matin (...); mais ses parents l’eurent à peine aperçue, que, dans un accès de colère, ils
prodiguèrent à leur fille, avec acharnement, tous les noms, toutes les épithètes dont on peut se servir pour
vouer l’imprudence au déshonneur. (...) Le scandale n’eut pas de bornes. (...) Le sentiment de la honte qui
résultait de cette scène affreuse fit prendre à l’enfant la résolution de s’ôter la vie (...). Les mariniers la
retirèrent de l’eau morte, parée de ses ornements de noces. » Cette triste histoire est extraite d’un texte
publié en 1846 sous la signature de Marx (1), mais on l’attribue à Jacques Peuchet (1758-1830), archiviste
à la préfecture de police de Paris. Dans les mémoires de ce dernier, où les récits de suicides sont complétés
par des statistiques, on trouve cette phrase étonnante : « La classification des diverses causes de suicide
serait la classification même des vices de la société. »
Une réalité extérieure contraignante
Plus que tout autre, le suicide semble être un acte éminemment individuel, qui appartient entièrement à son
auteur et trouve sa source au plus profond de sa vie intime. Pour quiconque veut comprendre, il est logique de
se tourner vers le psychologue ou le psychiatre, qui travaillent sur des éléments biographiques. C’est pourquoi
la décision d’Emile Durkheim de procéder à une analyse sociologique du suicide (2) peut, aujourd’hui encore,
apparaître comme une provocation. De quoi se mêle ici le sociologue ? Un objet d’étude aussi singulier relèvet-il de sa compétence ? D’ailleurs, cette prétendue science sociologique a-t-elle un objet ?
Selon Durkheim, comme toute science, la sociologie construit et cherche à expliquer un certain type de faits.
Ces faits sociaux consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir. « [Ce sont des faits] extérieurs
à l’individu, et qui sont doués d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui ». Les deux
critères sont donc l’extériorité et la contrainte : le fait social diffère du fait biologique - non pas s’alimenter
pour se nourrir, mais consommer tels ou tels aliments en compagnie de telles ou telles personnes - et du
fait psychologique - sa source n’est pas la conscience individuelle.
Voici qui ne nous éclaire pas vraiment : autour de nous, il y a des objets matériels (une pelouse, un ballon,
etc.) et des individus en chair et en os (des footballeurs, un arbitre... ), mais les faits « sociaux » restent
invisibles. Comment savoir s’ils sont inventés par l’esprit délirant de Durkheim ou s’ils peuplent une réalité
inconnue des autres sciences ? Simplement parce que la réalité sociale oppose une résistance aux individus
qui tentent de s’affranchir des règles et des disciplines sociales. Il en va ainsi des règles de droit : ceux qui
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enfreignent le code de la route ou fraudent le fisc s’exposent à des sanctions. Ou de la langue : pour se faire
comprendre, il faut respecter le sens des mots et quelques règles de grammaire.
Certes, dans le cours ordinaire de leur existence, les individus « normaux » ne ressentent pas le poids
oppressant d’une réalité extérieure contraignante. Mais cela s’explique par une socialisation « réussie » :
ils respectent les règles sans trop d’efforts, agissent conformément aux attentes des autres, parce qu’ils
ont intériorisé la contrainte sociale ; cette voix intérieure qui leur dicte leur comportement est celle de la
société.
Pascal Combemal
Jean-Christophe Marcel, Igor Sekulic. « Découverte de la sociologie », Cahiers français n° 247,
La Documentation française, 01/02/1991.
Document 7
La grande préoccupation d’Émile Durkheim (1858-1917). à la fin d’un siècle qui a connu tous les bouleversements, est celle de la « crise de l’humanité », dont il décèle les symptômes, comme beaucoup de ses
contemporains, dans la montée de l’individualisme et l’effondrement des croyances, du sentiment de devoir,
de la sociabilité traditionnelle. Ce fils de rabbin alsacien, comme il aimait à le rappeler lui-même. Conçoit
ainsi dès son passage à l’Ecole normale supérieure un projet profondément humaniste de création d’une
morale des temps nouveaux. Pour servir ce projet il lui apparaît très tôt nécessaire de comprendre la société
afin de raffermir idées et sentiments collectifs. C’est dans ce but qu’il entame la construction d’une science
qu’il veut positive : la sociologie.
Une telle science se doit d’avoir un objet propre. (...) Le « fait social » doit être saisissable du dehors, comporter une certaine extériorité, de sorte que, par l’observation, on puisse déduire des lois réelles le concernant.
« Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte
extérieure ; ou bien encore, qui est générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence
propre, indépendante de ses manifestations individuelles, de la méthode sociologique, 18951. Outre ces
caractères formels le fait social est donc irréductible à des phénomènes purement individuels. (...)
La sociologie étant l’étude de faits sociaux complexes, elle ne peut recourir à l’expérimentation directe. (...)
C’est par déduction logique que la causalité soupçonnée doit être approfondie. On en administre la preuve
à l’aide de la méthode dite des variations concomitantes qui consiste à comparer l’évolution de deux
phénomènes entre lesquels on a trouvé une relation. Dans un nombre varié de circonstances où ils sont
tous deux présents. (...)
À cette méthode correspond une conception de la sociologie comme « programme de recherche », et non
comme un système clos. Ce qui la détache définitivement de la philosophie dont elle est pourtant la mie. C’est
ce qui différencie fondamentalement la sociologie durkheimienne des sociologies antérieures concurrentes
qui abordent la réalité sociale avec un seul objectif : en trouver la loi générale, et qui sont loin de disposer
d’une méthode aussi rigoureuse.
Questions
Qu’est-ce qu’un fait social selon Durkheim ?
Comment définit-il la sociologie ?
Pour E Durkheim, l’individu est le fruit de la société, même les sentiments les plus personnels sont en
fait déterminés de l’extérieur : c’est le modèle holiste ou déterministe. La société dépasse l’individu.
(Exemple, la socialisation en première).
3. Max Weber (1864-1920)
Michel Lallement, Histoire des idées sociologiques, © Armand Colin.
Document 8
Auteur classique de la tradition sociologique, Max Weber peut être considéré, à l’égal de Durkheim, comme
le fondateur d’un courant fécond et toujours vivace. Longtemps ignoré des sciences sociales françaises, le
grand sociologue allemand développe une sociologie en porte à faux avec le déterminisme des écoles durkheimiennes et marxistes. L’originalité majeure de celui qu’on a pu présenter comme le Marx de la bourgeoisie
réside dans un parti pris résolument antimétaphysique : pour Weber, l’histoire est indéterminée. Pour décrypter
le monde social, il importe alors de comprendre l’action des hommes du point de vue de leur subjectivité,
de leurs valeurs et non simplement à partir des seules causes et contraintes extérieures.
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L’attrait pour l’oeuvre de Weber tient autant à la fécondité de sa méthodologie qu’à son contenu. Les thèmes
abordés : les rapports entre l’économique et le social, l’analyse des formes de pouvoir. la sociologie comparée
des religions, la rationalité des comportements, la bureaucratisation des sociétés modernes, la science et le
politique... ont un sens autant pour l’historien, l’économiste. l’anthropologie que pour le sociologue.
Questions
En quoi la sociologie de Max Weber est-elle opposée à celle d’Emile Durkheim ?
Pourquoi la sociologie de Max Weber est-elle dite de compréhensive ?
b. Individualisme méthodologique ou holisme ?
Traditionnellement en sociologie, l’opposition porte sur le statut de l’individu : alors que certains affirment
que l’individu est fondamentalement libre de ses choix, d’autres estiment que les actions individuelles
sont l’expression de l’appartenance à un ou plusieurs groupes sociaux.
1. Le courant holiste ou déterministe
La tradition holiste place la société au centre de l’analyse sociologique. L’action de l’individu est conditionnée par sa culture, déterminée par des logiques qui le dépassent. Les travaux d’Emile Durkheim ou
de Karl Marx ont pour but d’analyser les déterminismes qui restreignent l’autonomie des individus. Pour
ces auteurs, le « tout » (le système social) l’emporte sur les « parties » (individus), les faits sociaux ne
peuvent découler des motivations individuelles.
2. L’individualisme méthodologique
La seconde tradition sociologique dont Weber est un représentant place l’individu au centre de son
analyse. Les conduites humaines sont l’expression et la mise en œuvre d’une liberté si minime soit-elle.
Les hommes sont responsables de leurs actions et des moyens mis en œuvre pour atteindre leurs fins.
Il s’agit de comprendre les motivations des individus.
3. Le dépassement des oppositions
Le risque du courant holiste est de dissoudre l’individu, celui du courant individualiste de dissoudre
la société.
Le courant interactionniste met en évidence les interdépendances entre l’individu et la société.
Comme écrit Edgar Morin « la société produit des individus qui produisent la société ».
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