Accès aux connaissances et évolution des pratiques médicales

Informatique et Santé
Collection dirigée par P. Degoulet et M. Fieschi
Paris, Springer-Verlag France
L'Informatisation du Cabinet Médical du Futur
Rédacteurs :
A. Venot et H. Falcoff
Volume 11 - 1999
Accès aux connaissances et évolution des pratiques médicales : conceptions de
réseaux d’information pour la pratique quotidienne
Marius Fieschia, Pascal Staccinia, Alain Venotb, Roch Giorgia, Jean-Charles Dufoura
a Laboratoire d’Enseignement et de Recherche sur le Traitement de l’Information Médicale, Faculté de Médecine de Marseille
b Service d’Informatique Médicale, Hôpital Cochin - Paris
Abstract
The access to information and knowledge is able to improve the efficacy and efficiency of health-care
actions, procedures and prevention. In order to achieve this goal, this paper analyses the necessity to revisit
the design of health-care information systems integrating acces to knowledge server and information
facilities. We analyse some of the functionalities enhanced to the medical field and we present different
strategies to design and to build up these services.
Informatique et Santé, 1999 (11) : 69-79
1 Introduction
L’évolution, de la prise en charge des patients et de la médecine en réseau, et de la nécessité d’accéder à une
connaissance médicale en constante progression et évolution, amène à la conclusion suivante : les systèmes
d’information de santé doivent être adaptés à ces nouvelles pratiques. Ils doivent être développés pour
répondre aux exigences
d’équité devant le système de soins,
de l’évolution des pratiques et de leur qualité,
de l’évaluation des structures de soins, des procédures mises en œuvre ou des résultats observés,
de la maîtrise nécessaire des coûts.
.
Ces objectifs ne sont pas nouveaux. Ils sont énoncés depuis 20 ans, en particulier, par les concepteurs de
systèmes d’information hospitaliers (SIH). Hormis quelques exceptions, on connaît la pauvreté de la
contribution des SIH à l’amélioration des pratiques et de la prise en charge des patients. L’une des causes de
cette pauvreté est aisément identifiable. Elle s’exprime par le paradoxe suivant : le déséquilibre entre les
moyens consacrés aux applications et aux indicateurs administratifs d’une part et la pauvreté des moyens
dégagés pour mettre en place un dossier patient et favoriser un accès à la connaissance médicale d’autre part.
En d’autres termes, à ce jour, les systèmes d’information dans le domaine des soins sont conçus et
développés pour administrer ou gérer et non pour soigner.
L'accès à la connaissance et l'enrichissement des interactions entre les acteurs [1] sont des objectifs qu'il
convient d'intégrer dans une stratégie d'amélioration de la qualité des soins. Des études, particulièrement aux
USA, ont montré que l'Internet est un moyen opérationnel puissant pour diffuser de l'information à l'usage
des cliniciens [2].
Par ailleurs, le système de santé est en mutation. Les besoins pour les individus changent également.
L’éducation sanitaire et la prévention sont des éléments clés que les médecins doivent intégrer davantage
dans leurs pratiques. Cette prévention tend à être individualisée en fonction des risques encourus par les
patients. Elle demande une connaissance des derniers résultats des études cliniques, la connaissance mise à
jour et établie par la littérature scientifique. On sait que cette actualisation des connaissances est impossible
pour le praticien sans la mise en œuvre des technologies du traitement de l’information et de la
communication.
Le développement d’Internet et des technologies d'Intranet sécurisés (nous rangeons dans ce cadre le Réseau
Santé Social (RSS) mis en place par le ministère de la santé ) donne une nouvelle chance pour développer
des systèmes d’information susceptibles d'être bénéfiques directement pour les patients. Ils dépassent le
cadre d’institutions, comme les hôpitaux, qui de par leur place dans le système de santé et leur vision "micro-
économique" de la pratique médicale (et non de la santé publique) n'intègrent pas le développement de ces
systèmes dans leurs priorités.
Le partage des données du patient et du dossier médical électronique, qu’il convient de redéfinir dans le
cadre des réseaux de soins, est, évidemment, un élément important de ces systèmes d’information. Dans cet
article, nous centrerons notre analyse sur l’autre dimension fondamentale de ces systèmes d’information : les
dispositifs d’accès à la connaissance médicale.
Nous analysons différentes approches pour élaborer ces systèmes d’information suivant leur type. Nous
soulignerons quelques-unes de leurs principales propriétés attendues afin de contrôler la qualité de
l’information, de la connaissance diffusée et d’évaluer leur impact sur les pratiques.
L’article rappelle la problématique générale des besoins et des fonctionnalités que devraient présenter ces
systèmes d’accès à la connaissance, puis fait un bref état de l’art de la technologie disponible pour réaliser de
telles applications. Une troisième partie propose quelques pistes pour créer et contrôler ces réseaux, c'est à
dire pour la mise en place d’outils d’évaluation de ces applications.
2 Les besoins et les fonctionnalités à assurer
L’accès à la connaissance est une fonction indispensable pour améliorer la qualité des prestations et des
informations fournies par le système. L’une des finalités majeures de l’informatique médicale réside dans
l’amélioration de l’accès aux connaissances établies, dans la diffusion de l’apport des connaissances et dans
la possibilité de soigner en équipe un patient pour bénéficier des compétences de chacun.
La figure 1 présente schématiquement le couplage nécessaire entre l'accès aux connaissances et l’accès aux
données du dossier du patient [3].
L'accès à la connaissance est un problème très vaste et complexe qui prend des formes différentes suivant les
situations et les besoins des acteurs. La conception de ces fonctionnalités doit partir de besoins identifiés.
Ainsi par exemple, le temps que le médecin peut investir dans l'accès aux connaissances est un paramètre
important de la conception du service. On peut distinguer schématiquement trois situations qui vont
conditionner son comportement et son besoin en accédant à des services de connaissances :
La décision à prendre en présence du patient (évocation du diagnostic, examens complémentaires les
plus utiles, choix thérapeutique,...) ne lui laisse qu'un temps inférieur à quelques minutes. Les systèmes à
base de connaissance générant automatiquement des alertes sans une recherche d'information complexe
peuvent être une réponse intéressante.
Une question spécifique sur un problème relevant d'un patient qui n'est plus devant lui peut justifier de
consacrer un peu plus de temps, peut-être une vingtaine de minutes.
Le médecin veut réactualiser ses connaissances dans un domaine donné. Il accepte alors, dans une
activité de type formation médicale continue, d’y consacrer plusieurs heures.
hospitalisation
ambulatoire
hospitalisation à domicile
médecine de ville
Production des soins
Production médico-technique
LaboratoiresLaboratoires Radiologie Pharmacie ...
Dossier du patient (clinique et recherche)
Dossiers d’évaluation, de gestion
de management,...
Connaissance
Aide à la
décision
Références
médicales
Bases
bibliographiques
Protocoles, ...
S.I.C.
Vues
Ext.
Analyse médico-économique
Evaluation
des résultats des pratiques
des procédures Vigilance sanitaire et
épidémiologie
Figure 1. Le concept de système d’information de santé intégré et la place de l'accès à la connaissance dans
le système d’information clinique (SIC) d'après [3].
Toutefois on sait aussi que la méthode centrée sur les besoins est insuffisante pour assurer le succès de cette
entreprise car les besoins sont souvent les reflets de l’intérêt particulier d’un des acteurs ou de l'urgence
ressentie à un moment donné. La vision prospective peut-être absente de l'expression des besoins.
La démarche peut également être initialisée avec la définition d'objectifs en termes de résultats de santé. A
partir de ces objectifs, bien définis et quantifiables, il est intéressant de mettre en œuvre les technologies de
l’information et de la connaissance puis, réalisation achevée, d’évaluer les gains ou les résultats obtenus.
Afin de préciser cette double approche, nous donnons ci-dessous des exemples de démarches à partir des
besoins ou de résultats escomptés, mesurables voire mesurés.
Tableau 1. Les motifs de recours aux soins en médecine de ville [4][5]. Le total des occurrences peut faire
plus de 100 car les motifs de recours aux soins peuvent être multiples.
Motifs de recours aux soins en médecine générale Occurrence du
motif
(%)
Hypertension artérielle 13,8
Douleurs articulaires, arthrose, pathologie péri-articulaire et
pathologie rachidienne, lombalgies, sciatalgies 11,1
Angines, pharyngites, laryngites, trachéites, sinusites, otites 9,5
Pathologies intestinales, diarrhées, constipation, autres affections de
l’appareil digestif 8,6
Bronchites aiguës, asthme, toux 7,7
.
Visite systématique, dépistage, vaccinations, motif administratif 7
Atteintes vasculaires, cérébro-vasculaires et pathologies artérielles 6,6
Angoisse, anxiété, troubles du sommeil 6,3
Rhinites aiguës ou fréquentes 5,7
Dépression, troubles névrotiques 5,5
Troubles du métabolisme des lipides 4,9
Grippe, autres maladies virales, autres affections des voies aériennes 4,1
Angor et infarctus 3,9
Troubles du rythme et autres atteintes cardiaques 3,9
Migraines, céphalées, asthénie 3,6
Diabète 3,1
Plaies, traumatismes non précisés, luxations et entorses 3
Allergies cutanées, eczémas, autres maladies de peau 2,3
Tumeurs 2
Autres motifs 9
2.1 A partir des besoins
De nombreuses enquêtes permettent d’apprécier les besoins des médecins en pratique courante. Nous
présentons dans le tableau 1 la synthèse d’informations extraites d’un rapport du CREDES [4] [5] réalisé à
partir d’une enquête nationale qui s’est déroulée en 1992 auprès de 2 318 médecins généralistes et
spécialistes. On trouve des données analogues dans le dictionnaire des résultats de consultation de la SFMG
(Société française de Médecine générale). Ces sources d’informations fournissent des chiffres permettant de
hiérarchiser les motifs de recours aux soins et offrent la possibilité de connaître les problèmes courants
auxquels ils sont confrontés, de proposer les domaines de connaissances les plus importants pour la
formation continue des médecins, ainsi que le renforcement cognitif qu’il convient d’assurer pour améliorer
la qualité de la prise en charge des patients.
La littérature permet également de réfléchir aux différents niveaux de savoir dont les médecins ont besoin.
Ainsi, l'article de Musen [6] sur les dimensions de la connaissance et les moyens de la partager, revient sur
trois dimensions classiques de connaissance qui structurent ce que l'on présente souvent suivant la distinction
: savoir et savoir-faire. Cette approche peut servir à structurer des services sur le web suivant :
les concepts,
les relations entre les concepts (ontologies),
les méthodes de résolution de problèmes.
2.2 A partir d'objectifs, de résultats attendus et d'enquêtes de résultats obtenus
L’intérêt de diffuser des règles claires de prescription a été étudié et démontré par la littérature. Ainsi, de
nombreux articles scientifiques présentent des évaluations quantifiées de la mise en place de ces systèmes.
Nous en donnerons un seul exemple récent concernant le système d'aide à la prescription d’antibiotiques au
LDS hospital [7].
Ces règles doivent être continuellement disponibles et mises à jour. Le moyen de diffusion le plus adapté est
certainement électronique. Les questions qui demeurent sont les suivantes : comment organiser cette
diffusion ? Comment mesurer les résultats et piloter ce système ?
Dans un domaine différent et plus limité, l'enquête sur les références médicales opposables (RMO) du
CREDES [8] illustre les gains que l’on peut attendre de cette démarche. Ainsi ce rapport sur l'impact des
RMO sur la prescription pharmaceutique, évalue, en 1994, l'impact financier des premières RMO à un
bénéfice de "334 millions de francs environ, déduction faite des prescriptions de substitution, sans
comptabiliser d'éventuels avantages en terme de santé publique".
Cette approche conduit à dégager des priorités et à développer un système d’accès à la connaissance suivant
ces priorités, puis à évaluer l’impact de cette action sur le domaine de santé publique intéressé.
3 Les outils technologiques et les ressources de connaissances médicales
3.1 L’Internet et les outils du Web
Depuis cinq ans environ, l’attrait de l’Internet et des autoroutes de l’information a considérablement été
modifié, pour des utilisateurs non informaticiens, par le développement du World Wide Web.
Aujourd'hui, plus de 100 millions de documents sont disponibles sur le web et les prévisions pour l’an 2000
avancent le chiffre de 800 millions de documents. Tous ces documents sont disponibles sur toute machine
connectée sur le réseau grâce à des logiciels fournis gratuitement à l’achat de tout micro-ordinateur. La mise
à jour des informations et des connaissances peut se faire beaucoup plus fréquemment et à un coût infiniment
plus faible que celui qu’entraînent les moyens classiques de diffusion de la connaissance.
Internet offre d’autres possibilités d’accès à l’information et à la connaissance par la messagerie électronique
et les "news groups" dont plus de 150 sont répertoriés sur des domaines de santé ou médicaux.
3.1.1 La quantité
La masse d’information disponible sur le web est énorme et la dynamique de son développement rend
difficile son évaluation précise.
Il existe des répertoires indexant les sites web médicaux qui font état de plusieurs milliers de sites : OMNI
(Organising Medical Networked Information) indexe 2 800 sites et Medical Matrix en indexe plus de 4 000
[9][10]. A ce jour, le nombre de cas cliniques présentés est supérieur à 120 000, le nombre de documents
multimédia disponibles est évalué à 50 000. Ce phénomène va encore s’accroître dans les cinq années qui
viennent avec Internet 2 qui offrira des bandes passantes plus larges, donc plus d’interactivité et plus de
possibilités multimédia.
Un exemple concret illustre la quantité d'information disponible : une enquête en février 1998 a montré que
110 000 documents contenaient le mot-clé "skin cancer" et que 35 000 contenaient le mot "melanoma" [11].
Cet exemple montre en même temps la facilité d’accès à une masse d’information disponible et les
problèmes d’accès à une information pertinente que cette facilité introduit. Ces problèmes doivent recevoir
une réponse organisationnelle et méthodologique adaptée.
3.1.2 La qualité
Le développement quelque peu anarchique d’Internet ne permet pas d’avoir une approche simple et
unidirectionnelle de la qualité des documents que l’on peut y trouver.
De nombreuses publications témoignent d'une préoccupation légitime : évaluer la qualité de la connaissance
fournie par les sites web médicaux [12][13].
Dans ce domaine sensible, en évolution permanente (évolution des outils logiciels d'accès à la connaissance
et évolution de la connaissance elle-même), la méthode doit être examinée de manière critique s'il s'agit de
donner des labels de qualité a priori (vérifiée avant la mise en place du service), concernant le contenu des
sites. En effet, cette approche de l'évaluation conduit à évaluer régulièrement un nombre croissant de
services proposant une quantité croissante de connaissance, mettant éventuellement en œuvre des
algorithmes d'aide à la décision complexes, ce qui pose des problèmes méthodologiques et pratiques évidents
et pour certains non résolus. La faisabilité même de cette évaluation est en cause.
3.2 Recherche de l’information sur Internet
Actuellement cette recherche s'effectue soit par l'utilisation de sites spécialisés, les services répertoires, soit
par l'utilisation de moteurs de recherche universelle.
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