MAI 2012
DOCUMENT DE TRAVAIL
ÉTUDE SUR LA CRÉATION D’UN FONDS SOUVERAIN
EN NOUVELLE-CALÉDONIE
Auteur : John BAUDE
RÉSUMÉ
Les fonds souverains se sont multipliés durant la seconde moitié des années 2000, d'une part en
raison des excédents commerciaux records de certains pays asiatiques, d'autre part à la faveur du
boom des cours des matières premières. La crise financière a pu cependant fragiliser certains de ces
fonds et remettre en cause leur utilité. Dans ce contexte, la Nouvelle-Calédonie qui compte parmi les
plus importants pays exportateurs de nickel, aurait-elle intérêt à créer elle-aussi un tel fonds ?
L'étude tente d'apporter quelques éléments de réponse. Pour ce faire, elle rappelle dans une
première partie les objectifs macroéconomiques des fonds souverains et les écueils qu'ils permettent
d'éviter à des pays dont les économies sont nettement pendantes de l'exportation de matières
premières.
La deuxième partie retrace les expériences étrangères en matière de fonds souverain. Elle détaille
non seulement l'organisation institutionnelle mais aussi les règles de fonctionnement et les difficultés
rencontrées, tant politiques que techniques. Elle aborde aussi les investissements, notamment
financiers, censés valoriser au mieux les ressources épargnées mais dont la crise a affecté la
rentabilité.
La troisième partie est consacrée plus spécifiquement à la Nouvelle-Calédonie, aux éventuels besoins
de stabilisation que nécessite son économie pendante du nickel ainsi qu'aux possibles risques
macroéconomiques qu'elle encourt et qui pourraient se renforcer avec le triplement à terme de la
production de nickel, une fois les deux nouvelles usines en service. Enfin l'étude examine les
ressources budgétaires dont disposerait la Nouvelle-Calédonie pour créer un fonds souverain, en les
comparant à celles de pays étrangers ayant mis en place un tel fonds.
Ce document de travail reflète les idées personnelles de son auteur et n’exprime pas nécessairement la position de
l’IEOM ou de ses institutions partenaires.
Etude sur la création d’un fonds souverain en Nouvelle-Calédonie
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SOMMAIRE
1. DES FONDS PUBLICS POUR DES OBJECTIFS MACROECONOMIQUES………….
1. Des réserves de change et des recettes budgétaires pour ressources………….
2. Des objectifs de stabilisation économique et d’épargne intergénérationnelle
3. Une antidote à une « maladie » et à une « malédiction »……………………………….
A. La maladie hollandaise……………………………………………………………………………….
B. La malédiction des ressources naturelles……………………………………………………
2. LES EXPERIENCES ETRANGERES DE FONDS SOUVERAINS…………………………...
1. L’organisation institutionnelle………………………………………………………………………..
2. Les règles de fonctionnement et leur efficacité………………………………………………..
A. Des difficultés techniques……………………………………………………………………………
B. Des difficultés politiques……………………………………………………………………………..
3. Les investissements productifs et financiers des fonds souverains………………..
A. La stratégie d’investissement productif des fonds d’épargne…………………………..
B. Les fonds souverains et la crise financière…………………………………………………….
3. LE CONTEXTE NEO-CALEDONIEN………………………………………………………………………….
1. Le poids de l’industrie du nickel dans l’économie néo-calédonienne………….……
2. La maladie hollandaise en Nouvelle-Calédonie………………………………………..……….
3. Une stabilisation souhaitable de l’économie……………………………………………………..
4. De faibles ressources pour un fonds souverain…………………………………….………….
Conclusion………………………………………………………………………………………………………………………….
Annexe 1 : Un échantillon de fonds souverains dans le monde en 2011 selon la typologie du FMI
Annexe 2 : Fiches sur quelques fonds souverains……………………………………………………………………
Annexe 3 : Analyse statistique des cours du nickel………………………………………………………………….
Annexe 4 : cours de quelques matières premières depuis 1970………………………………………………..
Annexe 5 : Hypothèses pour les projections à l’horizon 2015……………………………………………………
Bibliogaphie……………………………………………………………………………………………………………………….
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1. DES FONDS PUBLICS POUR DES OBJECTIFS MACROECONOMIQUES
1. Des réserves de change et des recettes budgétaires pour ressources
Il n’existe pas de finition des fonds souverains unanimement acceptée. Le FMI (2008) les présente
comme des fonds publics d’investissement auxquels sont assignés des objectifs macroéconomiques. Ils
se distinguent ainsi des fonds de capital investissement (
private equity
) ou des fonds spéculatifs
(
hedge funds
) qui servent des intérêts privés.
Les 75 fonds souverains recensés par Bertin-Delacour (2009), au nombre de 5 seulement en 1970 et
pour la moitié mis en place à partir de l’année 2000, géraient de l’ordre de 3000 milliards de dollars
américains en 2008, soit l’équivalent de 20% du PIB annuel des Etats-Unis. D’autres évaluations
mentionnées par Aizenman & Glick (2008) sont comprises entre 2000 et 3000 milliards. A titre de
comparaison, les réserves officielles de change des banques centrales étaient estimées en 2008 à
environ 6000 milliards de dollars américains, les actifs des fonds spéculatifs et des fonds de capital
investissement à respectivement 1900 et 1000 milliards. Toutefois, les fonds souverains ont un poids
financier très inférieur aux sociétés d’investissement (de type SICAV), aux fonds de pension ou aux
compagnies d’assurance. L’actif de chacun d’eux était de l’ordre de 20 000 à 30 000 milliards de
dollars américains en 2008.
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Les ressources des fonds souverains proviennent le plus souvent des exportations de matières
premières ou de produits manufacturés. En contrepartie sont accumulées des recettes fiscales et des
réserves de change. Les premières résultent de taxes à l’extraction, de revenus de licences et brevets
et de l’impôt sur les sociétés pétrolières et minières. Les secondes traduisent la conversion en
monnaie locale des revenus d’exportations perçus en monnaie de l’échange commercial.
Une partie de ces recettes fiscales et de ces réserves de change est confiée au fonds souverain qui ne
gère pas ces dernières comme la banque centrale ses réserves officielles. Le premier a une stratégie
d’investissement diversifié à moyen ou long terme quand la seconde doit privilégier des placements de
court terme, sûrs et liquides, pour des interventions sur le marché des changes ou le marché
interbancaire.
Les exportations de matières premières constituent la première source de financement des fonds
souverains. L’envolée des cours mondiaux de matières premières durant la seconde moitié des années
2000 a entraîné une très forte accumulation de dollars américains et une multiplication des fonds.
Parmi 31 pays producteurs de pétrole, 21 ont un fonds, dont 16 furent créés après 1995. Les fonds de
rente pétrolière et minière, situés principalement au Moyen-Orient, en Norvège et en Russie,
représentent environ deux-tiers des actifs.
Les exportations de produits manufacturés constituent l’autre source de financement importante. Elles
ont permis la constitution de fonds souverains dans plusieurs pays d’Extrême-Orient. Leur forte
compétitivité prix et l’exceptionnel dynamisme de la demande en Chine, profitant à ses fournisseurs
étrangers dans la région, ont accru les exportations de ces pays dans des proportions considérables.
Enfin, quelques fonds ont des ressources provenant d’excédents ou de dotations budgétaires,
résultant de privatisations ou de taux de cotisations sociales très élevés pour financer les retraites.
La richesse des fonds souverains est fortement concentrée. Les trois-quarts des actifs sont détenus
par six fonds situés aux Emirats Arabes Unis (800 milliards de dollars US1), en Norvège (350 milliards),
à Singapour et en Arabie Saoudite (300 milliards chacun), au Koweït et en Chine (200 milliards
chacun).
Les fonds souverains ne sont pas l’apanage des pays riches mais concernent aussi des pays en
développement. Ils sont plutôt uniformément répartis en termes de niveau de revenu par habitant
(Aizenman & Glick, 2008).
2. Des objectifs de stabilisation économique et d’épargne intergénérationnelle
Comme le rappellent Das & alii (2009), il n’existe pas de modèle théorique terminant le niveau de
réserves de change, qu’il suffit à un pays de conserver à titre prudentiel, et au-delà duquel il peut
constituer un fonds souverain. Pour juger de la capacité d’un pays à répondre à une crise de change,
le ratio souvent utilisé rapporte les réserves à la dette extérieure de court terme. Une valeur unitaire
signifie qu’un pays à compte courant équilibré peut honorer ses engagements de court terme durant
un an. Le niveau des réserves à conserver doit être plus important si le solde des paiements courants
est fortement déficitaire ou si le taux de change est surévalué ou bien encore si le secteur bancaire est
fragile. Il peut être en revanche plus limité si le régime des changes est flexible ou si l’Etat est en
capacité d’emprunter rapidement et en grande quantité auprès des non-résidents. Il doit donc être
apprécié selon les caractéristiques économiques du pays.
Le niveau des recettes fiscales au-delà duquel elles peuvent être épargnées est plus simple à
déterminer en théorie. Dès qu’il y a excédent budgétaire de nature conjoncturelle, il peut être mis en
réserve. En pratique, la ventilation des recettes et dépenses selon leur caractère réversible ou non à
court terme ainsi que des méthodes statistiques permettent de dissocier les composantes structurelle
et conjoncturelle d’un solde budgétaire.
1 Ces estimations sont extraites de l’étude de Aizenman & Glick (Federal Reserve Bank of San Francisco, décembre 2008).
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Si le seuil adéquat pour les réserves de change ou les recettes fiscales est atteint, il n’est pas
nécessairement opportun de créer un fonds souverain. Dans un premier temps, la banque centrale
peut rer les réserves dans une perspective de long terme. Mais sa faible tolérance pour des pertes
éventuelles limite la taille et la diversité du portefeuille d’actifs. De même, un excédent budgétaire de
nature conjoncturelle peut combler un éventuel déficit structurel ou réduire la dette publique. La
première utilisation devrait rester exceptionnelle tant des excédents budgétaires conjoncturels ne
peuvent compenser sur une longue période des déficits chroniques que seules des mesures adéquates
peuvent durablement éradiquer. La seconde peut être plus avantageuse si la charge de la dette coûte
davantage que ne rapportent les revenus financiers issus du fonds souverain, en d’autres termes si le
taux d’intérêt débiteur de l’Etat est supérieur à la rentabilité du fonds.
Aussi, quand l’accumulation des réserves de change et des recettes fiscales est jugée durable, voire
croissante, avec des conditions financières favorables, il est alors judicieux de créer un tel fonds
auquel les pouvoirs publics assignent des objectifs macroéconomiques.
La plupart des travaux mentionnent deux objectifs macroéconomiques principaux qui déterminent une
typologie des fonds souverains : les fonds de stabilisation et les fonds d’épargne.
Ces deux catégories ne sont cependant pas exclusives. Un fonds souverain peut répondre à ces deux
objectifs, à l’instar de ceux du Koweït, du Chili et de la Norvège par exemple. Il peut aussi exister un
fonds pour chacun des objectifs comme en Russie. Dans ce pays, comme dans d’autres, la forte
hausse des cours des matières premières intervenue ces dernières années a permis une telle
accumulation d’actifs qu’elle a incité les autorités à ne plus se focaliser sur le seul objectif de
stabilisation mais à prendre également en compte l’objectif d’épargne intergénérationnelle.
Les fonds de stabilisation, destinés aux pays exportateurs de matières premières, sont censés
préserver leurs finances publiques et leur économie des fluctuations des cours mondiaux.
Quand ceux-ci sont à des niveaux élevés, une partie des revenus d’exportation est affectée au fonds
qui les fait fructifier par des placements sur les marchés financiers. Quand les cours sont à de bas
niveaux, des sommes sont retirées du fonds pour couvrir les besoins de financement de l’Etat et pour
être réinjectées dans l’économie. Le fonds souverain permet ainsi de lisser les finances publiques et
l’activité. Ce rôle contra-cyclique par rapport aux évolutions des cours mondiaux est évidemment
d’autant plus important que l’économie du pays est dépendante des exportations de matières
premières.
Les fonds d’épargne convertissent les ressources non renouvelables en actifs financiers pour les
générations futures. Les revenus que procure l’extraction de matières premières sont épargnés en
partie de sorte qu’ils ne soient pas au bénéfice des seules générations contemporaines de cette
activité. Capitalisés, ils pourront aussi profiter aux générations futures, une fois les ressources
épuisées. Ils ne seront pas alors nécessairement restitués aux ménages qui pourront en bénéficier
indirectement par le biais d’investissements ayant renforcé la croissance potentielle du pays.
Les fonds de développement, fonds souverains également mentionnés par le FMI, apparaissent ainsi
comme des fonds d’épargne particuliers des pays exportateurs de matières premières. Il en est de
même des fonds de retraites2, tel celui de la Norvège, qui suppléent les financements par partition
quand ils deviennent insuffisants en raison du vieillissement de la population. Tous ces fonds
répondent à une préoccupation d’équité intergénérationnelle. Quant aux fonds de placements
également cités par le FMI, ils optimisent la rentabilité des réserves, ce que ne peut faire la banque
centrale compte tenu de ses missions. La gestion des actifs caractérise ces fonds, non la finalité de
leurs investissements.
2 Les fonds de retraites diffèrent des fonds de pensions parce qu’ils sont publics et non privés et parce qu’ils ne reposent pas
sur les cotisations individuelles des futurs retraités ou de leurs employeurs. En outre, contrairement aux fonds de pension, ils
n’ont pas d’engagement contractuel auprès d’épargnants individuels pour payer des retraites.
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3. Une antidote à une « maladie » et à une « malédiction »
A. La maladie hollandaise
Plutôt que d’être épargnées, les réserves de change et les recettes fiscales pourraient financer sans
attendre les investissements dans des économies qui en manquent et qui sont susceptibles de les
absorber, comme le rappelle un rapport des Nations Unies (UNCTAD, 2006). Elles dynamiseraient la
croissance de long terme, notamment en diversifiant la structure productive de l’économie, ce qui
profiterait aux générations présentes et futures.
Mais dans une économie dépendante de ses ressources naturelles, un boom des cours de matières
premières ou l’exploitation de nouveaux gisements peuvent conduire à une hausse des prix et du taux
de change, préjudiciable à la croissance. Un fonds souverain peut éviter un tel phénomène connu sous
le nom de « maladie hollandaise » en référence à l’expérience des Pays-Bas, exportateurs de gaz dans
les années soixante.
Un boom des cours ou de la production entraîne une forte augmentation des recettes budgétaires du
pays exportateur. Dépensées, elles induisent des tensions inflationnistes. Une telle conjoncture pour
les matières premières accroît aussi de manière importante l’entrée de devises, en l’occurrence des
dollars américains. En changes fixes, ces devises dépensées dans l’économie locale entraînent une
brusque accélération de la demande, qui suscite encore des tensions inflationnistes. En changes
flexibles, la conversion des devises en monnaie locale conduit à un surcroît de demande de cette
dernière, donc à son appréciation. Dans les deux cas, le taux de change réel s’apprécie, ce qui traduit
une perte de compétitivité prix des produits échangeables. Le secteur d’exportation hors matières
premières est alors fragilisé, voire se contracte. Ces effets peuvent être plus durables que le boom du
cours des matières premières. Les parts de marché perdues peuvent se révéler difficiles à reconquérir.
Les facteurs de production, capital et travail, s’orientent vers le secteur pétrolier ou minier et vers celui
des produits non échangeables. Ainsi l’exploitation de ressources naturelles peut conduire à une
croissance peu diversifiée sur le plan sectoriel, sans autres exportations que les matières premières.
Toutefois, cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit faible à long terme. La croissance du secteur
pétrolier ou minier peut en effet plus que compenser l’étouffement du secteur des produits
échangeables. Mais plusieurs études, celles de Cavalcanti & alii (2011) et d’Hausmann & alii (2007)
parmi les plus récentes, insistent sur la diversification des exportations pour assurer une croissance
soutenable. Ce point est évidemment crucial, une fois les ressources épuisées. En outre, le secteur
manufacturier est souvent considéré comme le principal moteur de la croissance parce qu’il est
porteur d’externalités positives et parce que son propre développement donne lieu à des rendements
d’échelle croissants (Matsuyama, 1992 ; Sachs & Werner, 1995 ; Torvik, 2001). Son étiolement
condamnerait donc toute économie à une faible croissance.
Si la validation empirique de cette théorie est encore insuffisante, il apparaît bien cependant qu’un
boom du cours des matières premières ne dynamise pas nécessairement la croissance des pays
exportateurs de manière durable. Plusieurs travaux, ceux de Deaton & Miller (1995), de Collier &
Gunning (1999) et de Dehn (2000), attestent au mieux de l’absence d’un tel effet d’entraînement,
voire d’un impact négatif. Une étude plus récente souligne que l’instabilité du taux de change réel
amoindrit la croissance des pays en développement (Aghion & alii, 2006). Cet effet serait
particulièrement important dans les économies très dépendantes de l’extraction de matières
premières. Leurs prix influent fortement sur les termes de l’échange lesquels ont un impact sur le taux
de change réel en moyenne deux fois plus élevé que dans les pays industrialisés hors Asie, c’est-à-dire
dans les pays riches à faible niveau des réserves de changes. (Aizenmann & Riera-Crichton, 2006).
Toutefois, cette contribution majeure des termes de l’échange à la croissance ne fait pas consensus
parmi les économistes. Bulte & alii (2005) rappellent que les travaux de Leite & Weidman (2002) et de
Sala-I-Martin & Subramanian (2003) la réfutent.
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