Etude sur la création d’un fonds souverain en Nouvelle-Calédonie
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3. Une antidote à une « maladie » et à une « malédiction »
A. La maladie hollandaise
Plutôt que d’être épargnées, les réserves de change et les recettes fiscales pourraient financer sans
attendre les investissements dans des économies qui en manquent et qui sont susceptibles de les
absorber, comme le rappelle un rapport des Nations Unies (UNCTAD, 2006). Elles dynamiseraient la
croissance de long terme, notamment en diversifiant la structure productive de l’économie, ce qui
profiterait aux générations présentes et futures.
Mais dans une économie dépendante de ses ressources naturelles, un boom des cours de matières
premières ou l’exploitation de nouveaux gisements peuvent conduire à une hausse des prix et du taux
de change, préjudiciable à la croissance. Un fonds souverain peut éviter un tel phénomène connu sous
le nom de « maladie hollandaise » en référence à l’expérience des Pays-Bas, exportateurs de gaz dans
les années soixante.
Un boom des cours ou de la production entraîne une forte augmentation des recettes budgétaires du
pays exportateur. Dépensées, elles induisent des tensions inflationnistes. Une telle conjoncture pour
les matières premières accroît aussi de manière importante l’entrée de devises, en l’occurrence des
dollars américains. En changes fixes, ces devises dépensées dans l’économie locale entraînent une
brusque accélération de la demande, qui suscite là encore des tensions inflationnistes. En changes
flexibles, la conversion des devises en monnaie locale conduit à un surcroît de demande de cette
dernière, donc à son appréciation. Dans les deux cas, le taux de change réel s’apprécie, ce qui traduit
une perte de compétitivité prix des produits échangeables. Le secteur d’exportation hors matières
premières est alors fragilisé, voire se contracte. Ces effets peuvent être plus durables que le boom du
cours des matières premières. Les parts de marché perdues peuvent se révéler difficiles à reconquérir.
Les facteurs de production, capital et travail, s’orientent vers le secteur pétrolier ou minier et vers celui
des produits non échangeables. Ainsi l’exploitation de ressources naturelles peut conduire à une
croissance peu diversifiée sur le plan sectoriel, sans autres exportations que les matières premières.
Toutefois, cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit faible à long terme. La croissance du secteur
pétrolier ou minier peut en effet plus que compenser l’étouffement du secteur des produits
échangeables. Mais plusieurs études, celles de Cavalcanti & alii (2011) et d’Hausmann & alii (2007)
parmi les plus récentes, insistent sur la diversification des exportations pour assurer une croissance
soutenable. Ce point est évidemment crucial, une fois les ressources épuisées. En outre, le secteur
manufacturier est souvent considéré comme le principal moteur de la croissance parce qu’il est
porteur d’externalités positives et parce que son propre développement donne lieu à des rendements
d’échelle croissants (Matsuyama, 1992 ; Sachs & Werner, 1995 ; Torvik, 2001). Son étiolement
condamnerait donc toute économie à une faible croissance.
Si la validation empirique de cette théorie est encore insuffisante, il apparaît bien cependant qu’un
boom du cours des matières premières ne dynamise pas nécessairement la croissance des pays
exportateurs de manière durable. Plusieurs travaux, ceux de Deaton & Miller (1995), de Collier &
Gunning (1999) et de Dehn (2000), attestent au mieux de l’absence d’un tel effet d’entraînement,
voire d’un impact négatif. Une étude plus récente souligne que l’instabilité du taux de change réel
amoindrit la croissance des pays en développement (Aghion & alii, 2006). Cet effet serait
particulièrement important dans les économies très dépendantes de l’extraction de matières
premières. Leurs prix influent fortement sur les termes de l’échange lesquels ont un impact sur le taux
de change réel en moyenne deux fois plus élevé que dans les pays industrialisés hors Asie, c’est-à-dire
dans les pays riches à faible niveau des réserves de changes. (Aizenmann & Riera-Crichton, 2006).
Toutefois, cette contribution majeure des termes de l’échange à la croissance ne fait pas consensus
parmi les économistes. Bulte & alii (2005) rappellent que les travaux de Leite & Weidman (2002) et de
Sala-I-Martin & Subramanian (2003) la réfutent.