Rythmes biologiques dans les troubles anxieux

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Rythmes biologiques dans les troubles anxieux
D. SERVANT (1)
VARIATIONS CLINIQUES CIRCADIENNES
ET SAISONNIÈRES
Les symptômes d’anxiété physique ou psychique ne
sont pas des dimensions continues au sein des troubles
anxieux. Ils fluctuent selon des rythmes circadiens mais
aussi saisonniers qui restent encore très peu étudiés.
L’observation clinique suggère que les anxieux s’aggravent plutôt en fin de journée. Ceci est surtout vrai pour le
trouble anxieux généralisé dans lequel l’accumulation des
stress aggrave la symptomatologie dans la dernière partie
de la journée. Cependant, des différences dans les rythmes circadiens ne sont pas les mêmes pour tous les troubles anxieux. Quelques rares études faites sur le sujet ont
suggéré par exemple que la fréquence et la sévérité des
attaques de panique étaient plus importantes le matin ou
en début d’après midi chez des patients ayant des antécédents de dépression (7). On retrouve la distinction qui
a été proposée entre une anxiété endogène liée à des facteurs biologiques propres du sujet et une anxiété exogène
liée aux facteurs de stress et à l’environnement.
On sait également que les troubles anxieux évoluent
sur un mode chronique avec une succession de rémissions et de rechutes. Il est souvent observé que les épisodes anxieux surviennent plus souvent durant les mois
d’hiver. Une étude épidémiologique faite aux Pays-Bas
sur 7 076 sujets montre des facteurs de variation saisonnière modérés pour les troubles psychiques. Cette constatation semble valable pour les pays situés en zone climatique maritime tempérée. Des facteurs saisonniers
sont retrouvés pour les principaux troubles anxieux (12).
Le trouble panique est plus fréquent en hiver qu’en été,
l’anxiété généralisée plus fréquente en hiver qu’aux autres
saisons et le TOC en automne qu’en été (6). Classiquement les attaques de panique sont plus fréquentes d’octobre à mai avec des rémissions spontanées de juin à septembre. On a évoqué dans le trouble panique la possibilité
d’une variable saisonnière comparable au trouble affectif
saisonnier (24).
SOMMEIL ET POLYSOMNOGRAPHIE
Les troubles du sommeil sont très fréquents dans tous
les troubles anxieux et conduisent à explorer les rythmes
biologiques de l’anxiété (20). Dans l’anxiété généralisée,
le plus caractéristique est une insomnie d’endormissement en rapport avec les ruminations anxieuses et qui peut
se prolonger plus ou moins longtemps. On observe aussi
chez bon nombre de patients des cauchemars et des
réveils précoces. Dans le trouble panique, un événement
très caractéristique dans 30 à 40 % des cas est la survenue d’attaque de panique nocturne (14). Les paniqueurs
présentant des attaques de panique nocturnes ne se distinguent pas sur le plan polysomnographique de ceux qui
n’en présentent pas (5). Le stress post-traumatique est
très souvent associé à des troubles du sommeil comme
l’insomnie et les cauchemars. L’intrusion de souvenirs
traumatiques durant le sommeil est caractéristique de
l’État de Stress Post-Traumatique se traduisant par des
éveils brefs durant la nuit perturbant le sommeil. Il faut également tenir compte de la comorbidité dépressive très fréquente dans les troubles anxieux qui aggrave les troubles
du sommeil avec des réveils précoces caractéristiques.
Les anomalies observées au niveau de la phase de
sommeil paradoxal (REM) sont bien connues dans la
dépression et ont conduit à explorer sur le plan polysomnographique les différents troubles anxieux. Dans le TOC,
si des études montrent des anomalies sous forme d’un
raccourcissement du temps de latence du sommeil paradoxal par rapport à des témoins (10), d’autres travaux
retrouvent des résultats identiques aux témoins (9, 22).
Les patients présentant des attaques de panique nocturnes ne présentent pas de particularités sur le plan de
l’architecture du sommeil comparativement aux patients
paniqueurs qui n’en présentent pas (5).
Dans l’État de Stress Post-Traumatique, les données
sont contradictoires avec tantôt une diminution de la
latence d’apparition du sommeil paradoxal et une aug-
(1) Consultation spécialisée sur le stress et l’anxiété, Service de Psychiatrie (Pr M. Goudemand), rue André Verhaeghe, 59037 Lille cedex.
S 810
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 810-2, cahier 2
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mentation du pourcentage de sommeil paradoxal, tantôt
une augmentation du temps de latence et dans certaines
études aucune anomalie (25).
Globalement, les anomalies constatées habituellement, comme le temps de latence et la durée du REM
observés dans les troubles anxieux, sont moins régulières
et beaucoup plus hétérogènes que pour la dépression
RYTHMES BIOLOGIQUES : CORTISOL
ET MÉLATONINE
De nombreux systèmes physiologiques de neurotransmissions et hormonaux ont été étudiés dans les troubles
anxieux (système noradrénergique, Gaba, cortisol…) (4).
C’est le système cortisolique qui a été le plus étudié et les
résultats ne sont pas homogènes. Le trouble panique a
fait l’objet d’études de dosages de cortisol plasmatique,
urinaire ou salivaire ainsi que de test dynamique de stimulation de l’axe HPA (1, 21). Globalement les résultats
dans le trouble panique vont dans le sens d’un hypercortisolisme assez constant tout au long de la journée. Il pourrait être également lié aux stress déclencheurs des paniques. Les résultats montrent de nombreuses variations.
Si certains auteurs retrouvent des concentrations plasmatiques élevées de cortisol (8), elles sont normales pour
d’autres études (26, 27). Le cortisol libre urinaire et le cortisol salivaire sont souvent élevés chez les patients présentant une comorbidité dépressive. On ne sait pas si
l’hypercortisolisme reflète plus un changement caractéristique du trouble ou un épiphénomène traduisant la réaction au stress et les manifestations anxieuses (panique,
anxiété anticipatoire et chronique) (23). Les dosages nocturnes pourraient être le meilleur reflet d’une anomalie que
les dosages diurnes soumis à de très nombreuses variations (stress, exercices…) (2, 3).
Les variations circadiennes et saisonnières observées
dans la dépression ont suggéré la possible implication de
la production de mélatonine et des perturbations de ce
système dans l’anxiété. Dans le trouble panique, des études récentes ont montré des perturbations et des retards
de phase dans les rythmes mélanotoninergiques (13).
Une étude montre que les paniqueurs auraient une hypersensibilité à la suppression de la mélatonine par la lumière
(200 lx) qui pourrait expliquer le retard de phase du rythme
circadien observé dans ce trouble et correspondre selon
l’auteur à un marqueur biologique du trouble (19).
Une série d’études a été réalisée dans le TOC. Le
rythme circadien de la mélatonine est altéré dans le TOC
comparativement à des témoins, les auteurs trouvent une
corrélation avec la sévérité des symptômes (18). En
revanche, les travaux les plus récents ne retrouvent pas
ces données. Millet et al., 1998 (16) ne retrouvent pas de
différence chez 8 patients comparés à des témoins sur la
variation circadienne des concentrations de mélatonine
plasmatique, de cortisol, la température axillaire est le seul
paramètre qui est modifié sur 24 heures chez les TOC.
Dans une seconde étude, Millet et al., 1999 (17) ne montrent pas de différence dans les rythmes mélatoninergi-
Rythmes biologiques dans les troubles anxieux
ques durant un traitement par inhibiteur de la recapture
de la sérotonine. L’auteur conclut que l’efficacité de l’antidépresseur n’est pas en relation avec les paramètres biologiques étudiés.
PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES
Une meilleure connaissance des cycles biologiques circadiens et saisonniers est intéressante et les données
actuelles sur le sujet sont préliminaires. Les conséquences peuvent être une meilleure définition des troubles
anxieux et de caractéristiques pouvant avoir un impact
thérapeutique. On peut penser que certaines formes de
troubles anxieux pourraient s’apparenter à un trouble saisonnier compte tenu de leur évolution.
Divers axes de recherche ont été proposés dans le but
d’obtenir de nouveaux antidépresseurs plus efficaces,
mieux tolérés et d’action plus rapide, dans le traitement
de la dépression et des troubles anxieux. Parmi ces axes
de recherche, la mélatonine, synchronisateur endogène
des rythmes biologiques chez l’homme, suscite un intérêt
croissant dans la mesure où la désorganisation des rythmes circadiens est caractéristique d’un grand nombre de
troubles affectifs (11, 15).
CONCLUSION
Il apparaît que la prise en compte des rythmes biologiques dans l’anxiété semble être une voie d’exploration originale et innovante tant pour une meilleure compréhension de la physiopathologie des troubles anxieux que le
développement de nouveaux médicaments efficaces
dans cette pathologie.
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