
Supplément
8Revue Banque  
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  supplément au n° 797  
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  juin 2016
LA FINANCE AMÉRICAINE  ★  GRANDE GAGNANTE DE LA CRISE ?
un ratio de levier, au moins à titre de précaution, gar-
dera une certaine justification aux yeux des régulateurs.
  L’emprise américaine ne se traduit-elle pas aussi dans le 
poids des infrastructures de marché ?
Les infrastructures américaines sont plus importantes car 
le marché financier américain est plus important et plus 
concentré que le marché européen. En Europe, tout a été 
fait pour organiser la concurrence entre infrastructures, 
mais sans véritable politique industrielle en la matière ni 
vision sur le modèle de marché dont nous avons besoin. 
Ce qui a ouvert aussi le champ aux infrastructures améri-
caines, d’autant plus qu’elles font face à des opérateurs 
européens relativement moins concentrés. L’inverse existe 
aussi mais la possibilité de pénétrer le marché américain 
où des infrastructures surpuissantes sont déjà présentes, 
est relativement faible. L’équation est la même que pour 
les banques d’investissement.
 
L’évolution réglementaire européenne pousse aujourd’hui 
à la désintermédiation bancaire : faut-il adopter en Europe 
le modèle américain de financement par les marchés ?
Notons tout d’abord que l’accroissement du rôle des 
marchés dans le financement de l’économie en Europe 
et notamment en France, a démarré avant les initiatives 
européennes. Mais il est regrettable d’avoir construit un 
cadre qui conduit à donner un rôle plus grand aux acti-
vités de marché sans avoir réfléchi au modèle que l’on 
souhaite avoir. Car pendant longtemps encore l’Europe 
ne pourra pas fonctionner avec un rôle prépondérant 
des marchés financiers comme aux États-Unis. En effet 
il nous manque, partiellement ou totalement, des élé-
ments essentiels au développement des marchés finan-
ciers : les fonds de pension par exemple qui sont des 
acheteurs naturels à long terme de produits financiers 
existent massivement aux États-Unis, mais en Europe, 
ils ne sont significativement présents qu’en Grande 
Bretagne et aux Pays-Bas. En outre, les acteurs écono-
miques prêts à investir dans des opérations à risque 
sur les marchés sont beaucoup moins nombreux de 
ce côté-ci de l’Atlantique : rappelons que les collectivi-
tés locales américaines se financent en totalité sur les 
marchés. Il faut également tenir compte du fait qu’il 
existe en Europe une tradition d’accompagnement des 
clients par les banques même pour les grands corpo-
rates. Dans ces conditions, il semble difficile de pousser 
brutalement à des financements de marché sans créer 
de grandes frustrations. En outre, le système financier 
américain connaît des variations plus prononcées à la 
hausse comme à la baisse, qui se traduisent directement 
dans l’activité et l’emploi des établissements bancaires : 
il n’est pas évident d’accréditer un tel système en Europe 
et ce n’est sans doute pas souhaitable. Nous devons 
donc gérer un modèle différent sur de nombreux plans.
De ce point de vue d’ailleurs, l’insistance de la commis-
sion européenne pour l’inclusion de la finance dans le 
TTIP, même si elle a peu de chances d’être acceptée, est 
très surprenante. Si tel était le cas, il faudrait chercher 
une harmonisation beaucoup plus grande de la finance, 
qui se ferait forcément dans le sens du modèle améri-
cain puisqu’il est plus adapté au cadre prudentiel global.
  Que faut-il faire aujourd’hui pour donner une meilleure 
chance à la finance européenne ?
Sur la banque d’investissement, la première condition 
que je viens d’évoquer, est de déterminer notre modèle 
de marché, au lieu d’être obsédé par la seule concur-
rence. Par exemple, l’AMAFI a toujours soutenu l’idée 
qu’il était bon d’avoir des infrastructures au service des 
marchés et qui ne sont pas seulement des instruments 
de profit. Mais plus la concurrence est mise en avant, 
plus elles se conduisent comme des chercheurs de pro-
fit. Et c’est légitime de leur point de vue.
La seconde condition est de réfléchir sur le rôle que 
nous voulons donner aux intermédiaires financiers : il 
est évident par exemple que si le projet de séparation 
des activités des banques aboutissait – ce qui paraît 
aujourd’hui peu vraisemblable –, tout en laissant le 
champ libre aux banques d’investissement américaines 
déjà surpuissantes, celles-ci domineront les marchés 
financiers européens.
S’agissant de la banque de détail, il faut gérer les consé-
quences des nouvelles réglementations notamment 
pour le crédit aux PME et aux particuliers. Il faut par 
exemple faire un choix clair sur le crédit immobilier : 
veut-on qu’il soit massivement titrisé comme aux États-
Unis, ou modérément, ou se résigne-t-on à ce qu’il y 
ait peu de titrisation ? La troisième hypothèse n’est pas 
celle choisie dans le cadre de l’Union des marchés de 
capitaux (UMC), mais elle risque pourtant de se pro-
duire car au stade actuel, les réformes proposées en 
matière de titrisation dans le cadre de l’UMC n’abou-
tiront pas à un développement considérable de cette 
technique de financement en Europe.
  Précisément, la mise en œuvre de l’UMC et l’achève-
ment de l’Union bancaire peuvent-ils être une réponse ?
L’achèvement de l’Union bancaire porte uniquement 
sur la garantie européenne des dépôts et n’aura pas 
d’incidence sur l’équilibre des activités financières 
entre l’Europe et les États-Unis, en supposant que 
cela se fasse puisque l’Allemagne y reste très opposée.
L’UMC peut être vu plus positivement s’il s’agit par 
exemple de développer une titrisation de qualité mais