Introduction 1. La sociologie politique est un regard, un regard seulement parmi d’autres possibles, sur l’objet politique. Le fait qu’il existe d’autres approches, parallèles voire concurrentes, est facile à mettre en évidence, davantage sans doute que leur influence éventuelle sur le développement de cette discipline. Parmi les principaux discours possibles sur l’objet politique, on retiendra d’abord celui de l’acteur engagé. Militants, représentants, élus, dirigeants mais aussi intellectuels impliqués dans des combats pour une grande cause, élaborent des analyses qui ont toujours une ambition explicative. À ce titre elles se situent sur un terrain semblable à celui de l’analyse savante. Mais elles sont traversées par une logique fondatrice différente : la justification de l’action. Cette dimension conduit à valoriser les faits et les éléments d’appréciation qui ont une utilité stratégique de leur point de vue. Ainsi la nécessité de ne pas affaiblir la cohésion du parti conduit-elle à imposer un minimum de discipline dans l’expression. Il est inévitable de faire silence, délibérément ou inconsciemment, sur des faits susceptibles d’être excessivement démobilisateurs ; surtout peut-être les exigences du combat politique impliquent une recherche de la causalité qui soit productive de soutiens. Cela signifie imputer à son propre camp, autant qu’il est plausible, la responsabilité d’événements positifs et rejeter sur le camp adverse la responsabilité d’événements négatifs. Cette logique a son utilité sociale, elle ne saurait être condamnée au nom d’une chimérique exigence d’intégrité intellectuelle radicale. Simplement pour comprendre le discours de l’acteur engagé, il est important de savoir « d’où il parle ». Il s’ensuit qu’il est problématique de demeurer un politiste rigoureux lorsqu’on est en même temps un intellectuel mêlé aux combats de la vie politique. Autre discours sur l’objet politique, celui du philosophe voire du prophète. Sa logique fondatrice est dominée par l’accent placé sur la question des valeurs. Alors que le politiste se demande trivialement : comment ça fonctionne ?, dans cette approche les questions centrales sont plutôt : qu’est-ce qu’un bon gouvernement ? comment envisager 10 Sociologie politique un avenir collectif qui assure la Solidarité, la Justice ?, etc. De Kant à Ricœur ou à Rawls, mais aussi de Platon à Marx, le problème de l’Éthique est au centre de leur appréhension du Politique même si parfois est recherchée la caution du prestige de la Science (Marx). L’éthique renvoie à des choix subjectifs ; elle s’appuie sur des propositions qui n’ont pas être démontrables. Et même s’il existe dans nombre de philosophies politiques, un travail visant à identifier et promouvoir des valeurs universelles, la quête d’un Absolu qui serait le Bien politique reste toujours marquée du sceau du relativisme. Troisième discours sur l’objet politique, majeur aujourd’hui, celui des médias. Par là on entend la manière dont les journalistes professionnels sont conduits à rendre compte des événements politiques, à proposer des interprétations, mais surtout à formuler des grilles de lectures et des systèmes de questions. Le discours médiatique met en avant l’exigence d’informer (le citoyen) ; mais comme l’a très bien montré Jean Baudrillard, sa dynamique interne est plutôt de communiquer pour communiquer, le but ultime de la communication (éduquer le citoyen ? lui permettre de « choisir » ?) étant devenu progressivement assez flou. La logique fondatrice du discours médiatique est, de toute façon, dominée par la préoccupation de retenir l’attention du lecteur (ou du téléspectateur). Sans une audience minimale, le médium en effet disparaît. Dès lors, l’analyse et l’interprétation seront soumises à l’exigence première d’être attractives, séduisantes, compréhensibles par le public ciblé ; il en résulte des choix draconiens en ce qui concerne le niveau d’approfondissement retenu et l’outillage conceptuel utilisable. Cependant il existe des passerelles entre le travail du journaliste et celui de l’analyse scientifique. Ainsi des biographies écrites par des témoins attentifs de la vie politique, soucieux par ailleurs de recourir aux méthodes rigoureuses de l’historien, peuventelles à juste titre nourrir une prétention à la scientificité. Si le discours savant sur l’objet politique ne peut se prévaloir d’une légitimité sociale supérieure, il a une utilité spécifique dans la Société. Sa logique fondatrice en effet est celle de l’élucidation. On peut la comprendre de manière scientiste, comme une ambitieuse tentative de dévoilement du vrai. Mais la vérité est-elle accessible ? Surtout, existe-t-il un vrai en soi, objectivable, opposable radicalement à ce qui serait l’erreur1 ? Le travail d’élucidation peut être conçu, de façon plus appropriée, à la fois comme une entreprise d’affinement du 1. Il n’est pas facile d’apprivoiser l’idée qu’il faille renoncer à conquérir une Vérité qui serait opposable à tous. Cela met en jeu trop fortement angoisse et volonté de puissance. La réponse à la question du vrai comme absolu se situe au niveau d’une exploration des Introduction 11 regard qui permet de voir plus, grâce à la mise en place de techniques d’investigation et de concepts rigoureux, et comme une réflexion constante sur les conditions de validité des résultats. C’est à ce double titre que la production savante n’est pas réductible à une autre démarche sur l’objet politique. Ces exigences supposent une fidélité constante à une certaine éthique, dont il est vain de vouloir démontrer la justesse objective. Probité et lucidité scientifiques sont des paris. Elles peuvent sans aucun doute engendrer des conséquences bénéfiques sur l’évolution des systèmes politiques. Une meilleure connaissance de leurs mécanismes réels de fonctionnement est de nature à faciliter la maîtrise des difficultés susceptibles de surgir. À l’inverse, elles contribuent, pour reprendre une expression de Max Weber, au « désenchantement du monde » car l’analyse savante est intrinsèquement démythologisante ; elle a pour effet de dissiper de fausses apparences, d’ébranler des illusions fussent-elles socialement utiles1. L’élucidation ne sert donc pas nécessairement les bons sentiments ni les « justes » causes. Mais on peut concevoir qu’il y ait progrès moral dans le fait de pouvoir asseoir des convictions authentiques sur moins de naïveté sociale. Il n’y a pas unanimité sur les usages qui doivent être faits du savoir savant. Certains, comme Raymond Boudon, ont dénoncé avec insistance les confusions entre idéologie et science qu’ils croient pouvoir déceler chez les tenants d’écoles adverses. D’autres, comme Alain Touraine, ont préconisé l’« interventionnisme sociologique », c’est-à-dire la mobilisation explicite des techniques d’observation et d’analyse au service d’une Cause : par exemple la lutte contre la xénophobie et le racisme. Cette conception est loin de faire l’unanimité. Non seulement les résultats concrets ne paraissent pas très probants mais, en outre, on voit surgir le risque de confondre en permanence logiques militantes et logiques savantes. Dans une formule célèbre, Pierre Bourdieu, avance l’idée que « le meilleur service que l’on puisse rendre à la sociologie, c’est de ne rien lui demander », ce qui, manifestement, vise la conception tourainienne. Parallèlement, il stigmatise les tendances à la réappropriation des discours savants au profit de dominants désireux de consolider leur légitimité sociale. Parmi les domaines explicitement visés, les études d’opinion publique à partir de sondages. Cependant, soucieux à la fois de rigueur mécanismes de défense psychologiques plutôt qu’à un niveau d’intelligence proprement intellectuelle. 1. Sur cette question centrale dans l’œuvre de Max Weber, Pierre BOURETZ, Les Promesses du monde. Philosophie de Max Weber, Paris, Gallimard, 1996, avec une préface de Paul Ricœur. 12 Sociologie politique méthodologique et d’engagement aux côtés des « dominés », Pierre Bourdieu veut croire à l’efficacité objective du « dévoilement » des réalités de la domination lorsqu’il oppose les « demi-vérités » de la science officielle aux vertus révolutionnaires de la science véritable. Philippe Corcuff, lui, remet au moins partiellement en cause le principe weberien de neutralité axiologique lorsqu’il plaide en faveur d’un « rapport dialectique » entre le savoir savant soumis à des exigences méthodologiques précises et le savoir militant acquis dans l’expérience de terrain1. Une voie dangereuse sans aucun doute mais qui permet de prendre en considération des faits négligés par d’autres approches plus académiques. En dépit de ces points de vue contrastés, se dégage néanmoins un consensus autour de cette conclusion. Les sciences sociales ne peuvent s’enfermer dans un discours clos sur lui-même ni prétendre à une absurde « gratuité ». Ses usages politiques, culturels, administratifs existent, auxquels il est impossible de n’être pas attentif. L’éthique de la recherche postule d’ailleurs une véritable vigilance concernant les détournements possibles du discours scientifique. Lorsqu’il sert à cautionner des analyses engagées, il peut permettre des effets d’intimidation qui tendent à empêcher les simples citoyens de penser par eux-mêmes, alors que l’un de ses objectifs est précisément de leur fournir les outils supplémentaires d’une réflexion autonome. 2. La sociologie politique est une branche de la science politique, qui conquiert très lentement sa visibilité sociale à partir de la fin du e XIX siècle. Pierre Favre en a soigneusement décrit les étapes. C’est d’abord une histoire faite de « conflits pour l’appropriation de cette discipline dans le haut enseignement français »2. Emblématique à cet égard est la polémique en France qui oppose, à la fin des années 1880, le fondateur de l’École libre des Sciences Politiques, Émile Boutmy, et un juriste influent dans les instances de l’enseignement supérieur, Claude Bufnoir. Le premier soutenait la forte autonomie « des sciences politiques » qui sont en « en grande majorité expérimentales et inductives » ; le second mettait l’accent sur l’étroite parenté de celles-ci avec le droit public. Ces escarmouches institutionnelles ont eu une importance à ne pas sous-estimer car les lieux où la science politique a commencé d’être enseignée, ont longtemps imprimé leur marque sur les problématiques, les méthodes et même la définition de la discipline. 1. Philippe CORCUFF, « Sociologie et engagement. Nouvelles pistes épistémologiques », in Bernard LAHIRE, À quoi sert la sociologie ?, Paris, La Découverte, 2002. 2. Pierre FAVRE, Naissances de la science politique en France, 1870-1914, Paris, Fayard 1989, p. 83 et sq. Introduction 13 L’affirmation de la science politique sur le plan intellectuel soulève un débat d’une tout autre ampleur théorique, qui est d’abord généalogique. Une conception longtemps influente l’inscrivait dans le brillant héritage des grands philosophes politiques. Comme l’écrira Bertrand de Jouvenel, « il faut retourner à Aristote, Saint Thomas, Montesquieu. Voilà du tangible et rien d’eux n’est inactuel »1. Le prestige de la philosophie politique, de Platon à Rousseau jusqu’à l’idéalisme allemand du XIXe siècle (Fichte, Hegel) tend à une absorption pure et simple de la science politique dans un discours spéculatif ou méditatif axé, selon la terminologie kantienne, sur la question du Sollen (devoir être) plutôt que du Sein (ce qui est). Cette sensibilité, très présente dans l’œuvre de Hannah Arendt, débouche chez Leo Strauss sur une vision pessimiste de l’évolution occidentale de la réflexion politique. L’abandon des fondements philosophiques de la pensée grecque caractériserait selon lui « les trois vagues de la modernité », c’est-à-dire le rabaissement progressif de la question politique à une question technique où le succès constitue le critère de vérité. Cette manière de rapprocher intimement philosophie politique et science politique méconnaît, on l’a dit, la profonde différence entre les logiques intellectuelles d’un discours axé principalement sur les jugements de valeurs et celles d’un discours orienté au contraire vers l’élucidation des processus politiques effectifs. Sans doute est-il juste de relever que certains ouvrages de la tradition philosophique recèlent parfois des éléments d’analyse scientifique au sens moderne. Chez Aristote par exemple, a fortiori chez Montesquieu, la discussion purement spéculative n’exclut pas d’autres développements fondés sur une observation empirique rigoureuse. Mais ce qui nous intéresse ici c’est de souligner les exigences propres à chaque logique intellectuelle2. L’éthique du savant dans l’analyse politique requiert la suspension des préférences morales ou idéologiques, à la fois parce qu’elles peuvent introduire des biais supplémentaires dans l’analyse rigoureuse des faits, et parce qu’elles ne doivent pas indûment mobiliser à leur profit l’autorité de la science. Réciproquement, il est indispensable que la question de l’éthique en politique soit soulevée en permanence et largement débattue ; mais dans la clarté, c’est-à-dire sur le terrain des convictions authentiques et des croyances affichées comme telles. La conception dominante, aujourd’hui, s’inscrit dans une autre perspective généalogique. Sans méconnaître l’importance d’influences 1. Bertrand de JOUVENEL, Du Pouvoir. Histoire naturelle de sa croissance, Paris, Hachette, 1972, p. 510. 2. Pour un développement de l’argumentaire, v. Débat Ph. BRAUD/L. FERRY, « Science politique et philosophie politique », in Pouvoirs 1983, no 26, p. 133 et sq. 14 Sociologie politique plus anciennes, Robert Nisbet situe entre 1830 et 1900 les années cruciales pour la formation des sciences sociales. Outre Tocqueville et Marx, il cite Tönnies, Weber, Durkheim et Simmel, « ces quatre hommes qui, de l’avis de tous, ont fait le plus pour donner une forme systématique à la théorie sociologique moderne »1. Leurs ouvrages selon lui ne doivent rien, ou presque, à la philosophie des lumières, notamment à ses penchants pour un discours spéculatif hypothéticodéductif ; ils se nourrissent au contraire d’une forte ambition d’examen empirique des réalités observables. Parmi les œuvres plus directement fondatrices de la perspective moderne, il faut citer d’abord celle d’Émile Durkheim. Les Règles de la méthode sociologique, paru en 1895, développe une vision déjà très aiguë des conditions auxquelles doit se plier l’investigation savante. Avec un petit nombre d’autres auteurs, il contribue de façon définitive à jeter les bases du raisonnement scientifique en sciences sociales. Mais ce qui frappe aussi, dans l’ensemble de ses ouvrages, c’est l’absence d’une vision autonome de l’objet politique et, corrélativement, l’absorption pure et simple d’une science politique, d’ailleurs jamais nommée, dans la sociologie. Au contraire, Max Weber, dont la formation intellectuelle initiale est plutôt marquée par le droit et l’économie, ne craint pas de placer des problèmes politiques au cœur même de sa démarche scientifique, soit qu’il se préoccupe de l’éthique du chercheur (Le Savant et le politique) soit qu’il développe des analyses très élaborées sur des questions comme les modes de légitimation du pouvoir ou la rationalité bureaucratique dans le fonctionnement des États modernes. Plus que tout autre il aura contribué, par son legs de concepts et ses modes d’interrogations, à structurer intellectuellement la science politique comme discipline. Son influence contemporaine demeure aujourd’hui très sensible et ce n’est pas à tort que l’on peut parler de sociologues et de politistes « weberiens ». À la même époque en France, André Siegfried écrit son Tableau politique de la France de l’Ouest (1913). Malgré son absence de postérité immédiate, cette étude, remarquable pour l’époque par le souci systématique de recueillir des données et l’attention apportée au mode de raisonnement scientifique, mérite encore d’être considérée comme une œuvre de référence pour la sociologie électorale. 1. Robert NISBET, La Tradition sociologique, Trad., Paris, PUF, 1984, p. 10. À cette liste, Raymond ARON ajoute PARETO. L’auteur du Traité de Sociologie générale (publié à Florence en 1916) aborde des problèmes théoriques très contemporains, mais avec un lexique qui ne s’est pas imposé et, de ce fait, paraît souvent obscur in R. ARON, Les Étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967, p. 409 et sq. Introduction 15 Mais le fait majeur dans la sociologie politique européenne, aussi bien en France qu’en Angleterre, en Allemagne et en Italie, c’est la montée en puissance de l’influence intellectuelle américaine. Les années 1950 et, surtout, 1960 et 1970 sont une période de très grande fécondité scientifique des politistes aux États-Unis. Le développement des enquêtes empiriques, la constitution de nouveaux paradigmes, la construction de nouvelles conventions de langages, le renouvellement de la réflexion épistémologique, tous ces phénomènes exercent une attraction presque irrésistible sur nombre de chercheurs européens, quelle que soit d’ailleurs leur spécialité. Il s’ensuit une nette tendance à l’unification transnationale des problématiques et des écoles même si, bien sûr, subsistent de fortes spécificités dans chaque pays. À noter également, en France, la pression intellectuelle féconde, exercée sur la science politique, par les travaux d’historiens, d’anthropologues et surtout de sociologues. Beaucoup de problématiques majeures leur ont été empruntées, notamment à l’école de Pierre Bourdieu mais aussi à celle de Michel Crozier ou de Raymond Boudon. Dès lors, on peut se demander si la sociologie politique est une simple dimension de la sociologie ou, au contraire, une branche particulière de la science politique. Pour y répondre, il est nécessaire de se dégager des logiques purement corporatistes qui conduisent à des revendications mutuellement contraires, et symétriquement stériles. Le problème est de savoir si l’on peut construire, sur des bases intellectuelles claires, un objet propre à la science politique, dont la sociologie politique constituerait non pas un synonyme comme il est écrit parfois, mais un sous-ensemble. 3. L’objet politique est-il accessible à une définition qui ne soit excessivement arbitraire ? La difficulté de la réponse tient à l’extraordinaire fluidité sémantique du mot politique. L’étymologie grecque indique une référence : ce qui touche à la Cité, c’est-à-dire, par extension, ce qui concerne le gouvernement du groupe. Mais en dehors de cet ancrage, le mot politique véhicule des significations extrêmement diverses, sans même parler de ses connotations qui, selon les contextes, peuvent être très dévalorisantes ou, au contraire, très idéalisatrices. Comme adjectif le mot politique entre dans une série d’oppositions éclairantes : décision politique/décision technique, ou encore : institution politique/institution administrative mais aussi promotion politique/promotion fondée sur le mérite. Dans l’ordre international surtout, on notera l’antinomie : solution politique/solution militaire et, plus largement, solution de force. Tous ces emplois montrent que le terme renvoie à une activité spécialisée de représentants ou de dirigeants d’une collectivité publique, et tout particulièrement, de l’État. 16 Sociologie politique Comme substantif, le mot fonctionne au féminin aussi bien dans le langage courant que dans le langage savant. On peut passer en revue diverses significations banales : − la politique comme espace symbolique de compétition entre les candidats à la représentation du Peuple (entrer en politique) ; − la politique comme activité spécialisée (faire de la politique) ; − la politique comme ligne de conduite, c’est-à-dire enchaînement de prises de positions et séquence cohérente d’actions et de comportements (la politique gouvernementale...) ; − une politique (publique), par dérivation du sens précédent, désigne cette activité délibérée appliquée à un objet particulier (la politique de santé, du logement...). Au masculin, le substantif est d’usage plus restreint, demeurant surtout l’apanage de la littérature scientifique. Le politique renvoie à ce champ social dominé par des conflits d’intérêts régulés par un pouvoir lui-même monopolisateur de la coercition légitime. Cette définition qui s’inspire de l’analyse weberienne, permet d’introduire directement la question de l’objet de la science politique. Il n’est pas arbitraire de considérer qu’aucune vie sociale n’est possible sans réponses apportées à trois exigences irréductibles. Tout d’abord, produire et distribuer des biens grâce auxquels seront satisfaits les besoins matériels des individus. La division du travail à ce niveau économique est un extraordinaire ciment des solidarités collectives. En second lieu, mettre en place des outils de communication qui permettent l’intercompréhension. On entend par là aussi bien les langages que les croyances partagées et les symboliques communes. Les individus y recherchent le sentiment de leur appartenance collective (in-groups) par rapport ou par opposition à d’autres allégeances (out-groups). À côté de ces deux types d’exigences que Lévi-Strauss appelait « l’échange des biens » et « l’échange des signes », il en existe un troisième non moins décisif pour l’existence collective : c’est la maîtrise du problème de la contrainte. Comme l’a fortement souligné Hobbes, la violence de tous contre tous est la négation même de la vie en société. La question politique centrale est donc la régulation de la coercition. Elle opère par marginalisation tendancielle de la violence physique et mise en place d’un ordre juridique effectif. Il existe un système d’injonctions (donner, faire et, surtout peut-être, ne pas faire) qui fait l’objet d’un travail politique permanent de légitimation, en même temps que son effectivité s’appuie sur la monopolisation de la coercition au profit des gouvernements. Dès lors, à côté de l’économie et de la sociologie, la science politique voit se dégager un objet propre qui la constitue comme science sociale à part entière. Introduction 17 Celle-ci peut être subdivisée commodément en quatre branches : théorie politique incluant l’histoire des doctrines et mouvements d’idées ; relations internationales ; science administrative et action publique ; sociologie politique. Sans exagérer la portée de ces distinctions, assez claires néanmoins en pratique, on soulignera que le domaine propre de cette dernière est la dynamique des rapports de forces politiques qui traversent la société globale, étude envisagée à partir d’une observation des pratiques.