La coésite dans l’Himalaya
L’équipe de P. O’Brien, à Postdam a découvert de la coésite
dans l’Himalaya du Pakistan, non loin du célèbre Nanga-Par-
bat (8145 mètres). Il nous a paru intéressant de présenter la
géologie de cette région et de rappeler l’évolution qu’elle a
subie depuis que la collision Inde-Asie s’est produite, il y a
plus de 50 millions d’années. Signalons d’abord que le «sys-
tème» ne s’est pas «bloqué», puisque l’Inde n’a jamais cessé
de s’avancer vers le Nord, depuis la collision. À une vitesse
moyenne de cinq centimètres par an, elle a parcouru une
distance de 2000 kilomètres. Il s’est ainsi formé une gigan-
tesque subduction continentale, qui s’est manifestée en sur-
face par l’édification de la chaîne himalayenne. Celle-ci s’est
construite progressivement du Nord au Sud, par tranches
successives, chaque fois limitée par de grandes failles de
chevauchement. En allant du Sud au Nord et en reculant dans
le temps, on peut observer aujourd’hui: a) une faille bordière,
qui fonctionne sous nos yeux, à l’occasion de grands séismes;
b) un très grand chevauchement, bien visible dans la zone
centrale. Il a fonctionné il y a environ 20 millions d’années,
en même temps que naissait, plus au Nord, une faille d’ex-
tension; c) des chevauchements plus septentrionaux et plus
anciens remontent peut-être à 40 millions d’années.
On constate donc que la structure de la chaîne est assez
simple. Elle n’a jamais cessé de s’élargir en s’avançant sur le
continent indien, la plaque continentale continuant à s’en-
foncer sous elle. En raison de cette simplicité, on se retrouve
dans les meilleures conditions pour retracer le mécanisme de
la formation de la coésite à grande profondeur et de sa remon-
tée jusqu’à la surface.
La coupe de la chaîne, établie dans la région du Pakistan
où a été trouvée la coésite, permet de constater que le
modèle de A. Chemenda s’applique assez bien. Mais l’argu-
ment le plus fort est fourni par un profil tomographique qui
passe à proximité de cette coupe. En effet, il montre de façon
spectaculaire, qu’en profondeur, la plaque indienne a pro-
gressivement basculé jusqu’à la verticale et se prolonge jus-
qu’à 600 kilomètres de profondeur.
Comme il s’agit là de la première image connue d’une
subduction continentale, il est assez providentiel que la coésite
ait précisément été découverte dans cette région…
La coésite alpine au pied du Cervin
La première coésite découverte en 1983 dans le massif de Dora
Maira se trouvait dans des roches appartenant probablement
à la vieille chaîne hercynienne, âgée de plus de 300 millions
d’années. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elles ont subi
le métamorphisme alpin de très haute pression, au Tertiaire,
il y a quelque 40 millions d’années. En 1991, le pétrologue
allemand T. Reinecke a trouvé de la coésite dans des roches
différentes, des sédiments de mer profonde, d’âge jurassique
(160 millions d’années), qui se sont déposés dans l’océan
«alpin» avant la formation de la chaîne.
À l’époque, ces dépôts recouvraient des basaltes, des gab-
bros et des péridotites, en tout point comparables aux
roches qui constituent aujourd’hui le fond des océans. Là où
a été repérée la coésite, toutes ces roches apparaissent dans
un désordre total qui prouve qu’elles ont subi une déforma-
tion très importante. Ce n’est guère étonnant lorsque l’on sait
qu’elles ont d’abord été entraînées, en force, jusqu’à des
profondeurs de 90 à 100 kilomètres, et qu’elles se sont ensuite
frayé un chemin, pas très tranquille, pour remonter jusqu’à
la surface. Aujourd’hui, toutes ces roches «océaniques» repo-
sent à plat sur des roches «continentales», souvent consti-
tuées de granite. Elles appartiennent de ce fait à une nappe
de charriage qui s’est déplacée horizontalement, d’Est en
Ouest, sur de grandes distances (plus de 100 kilomètres).
En définitive, on se trouve en présence d’un exemple
différent de celui modélisé par A. Chemenda. Celui-ci fai-
sait remonter des roches continentales «légères». Ici, il faut
faire remonter des roches océaniques relativement «lourdes»,
puisque les basaltes ont une densité de 2,8, les gabbros attei-
gnent 2,9 et, au départ (avant leur transformation en ser-
pentine), la densité des péridotites va jusqu’à 3,1 – 3,3. La
situation étant plus compliquée que dans l’Himalaya, il semble
nécessaire d’accoler une subduction continentale à une sub-
duction océanique, afin de faire remonter des roches océa-
niques au dos de la remontée continentale. Est-ce possible?
La coupe géologique faite au niveau du Cervin
(4477 mètres) situé à la frontière entre la Suisse et l’Italie,
donne une idée des difficultés que l’on rencontre pour pas-
ser de l’observation des structures actuelles, à la géométrie
d’une subduction océanique et continentale qui, dans un pre-
mier stade, s’est enfoncée à plus de 100 kilomètres de pro-
fondeur… Une des tâches que l’on oublie trop souvent est
celle qui consiste à imaginer la géométrie des structures qui
ont été enlevées par l’érosion et qu’il faut reconstituer dans
le ciel. C’est à ce propos qu’Émile Argand, l’un des inven-
teurs des nappes de charriage des Alpes, disait, il y a 80 ans:
«Retracer le jeu des mouvements qui réalisent le remplis-
sage de l’espace est l’une des plus hautes spéculations de l’es-
prit humain.» Et aujourd’hui, il faut faire beaucoup plus,
puisqu’il faut essayer de reconstruire l’architecture des chaînes
jusqu’à plus de 100 kilomètres de profondeur, en ayant un
sens aigu du raisonnement à quatre dimensions (dans l’es-
pace et dans le temps). Signalons que l’équipe de Jean-Marc
Lardeaux, de l’Université de Lyon, vient de découvrir dans
les Monts du Lyonnais, une très vieille coésite (âgée de plus
de 330 millions d’années) qui s’est formée dans la chaîne
hercynienne. Ainsi est confirmée pour la première fois la
notion de subduction continentale dans le Massif Central. Ici,
les reconstitutions sont encore plus délicates a cause de
l’érosion qui a totalement arasé la chaîne.
Nous avons commencé par observer au microscope
quelques millimètres de coésite, et nous voici en train d’uti-
liser la tomographie sismique pour connaître la géométrie
des plaques qui s’enfoncent dans le manteau. Dans les chaînes
de montagnes, la tectonique des plaques ne fait que com-
mencer, et dans les Alpes, l’essentiel reste à faire. L’insub-
mersibilité des continents a trop longtemps été imagée par
la devise de la ville de Paris Fluctuat nec mergitur. Il faudra
désormais dire Fluctuat et mergitur.
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© POUR LA SCIENCE - N° 289 NOVEMBRE 2001
Maurice MATTAUER est professeur émérite à l’Université de
Montpellier.
A. CHEMENDA et al. (2000): Model of Himalaya-Tibet System,
in Earth and Planetary Science Letters, vol. 174, pp. 397-409, 2000.
3. FRACTURES RADIALES D’UN GRENAT pro-
voquées par l’augmentation de volume de la
silice qui s’est transformée en profondeur
en un cristal de coésite. La taille du cristal
est d’environ un millimètre. L’échantillon a
été découvert dans le Dabie Shan (Chine).
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