dans les années 90 : Habermas pour l’intégrer, Rawls pour en contester la validité2. Foucault,
en revanche, témoigne d’un nouvel intérêt pour ce concept dès la fin des années 703 : il
conviendra d’interroger son rôle dans la résurgence de la problématique de la société civile.
Dans les années 1980 en effet, quasi simultanément à l’est et à l’ouest du continent européen
et de part et d’autre de l’Atlantique, dans le double contexte, d’une part, des remises en cause
de l’étatisation de la société qui accompagnent la dislocation du bloc soviétique, d’autre part,
de l’ébranlement conjoint du modèle de l’État-providence et du cadre de l’État-nation, les
références à la société civile se multiplient. Moins de trois décennies plus tard, l’expression
est passée dans la langue commune, invoquée chaque fois qu’il s’agit de dire l’irréductibilité
de la société à l’État, au marché, ou aux formes instituées de la représentation politique. Cet
engouement, comme la banalisation qui l’accompagne, ont entraîné une dévaluation du
concept, amenant un discrédit aujourd’hui nettement perceptible. Cependant, loin de justifier
qu’on en minore la signification, cette expansion conceptuelle ne rend-elle pas plus nécessaire
un travail réflexif et critique ? La circulation d’un concept le démonétiserait-il ipso facto ? On
peut d’autant plus en douter que ce phénomène de prolifération a affecté les principaux
concepts de la pensée politique : souveraineté, État, raison d’État, état de droit… par exemple.
Un tel examen est au demeurant d’autant plus justifié que la problématique de la société civile
fait preuve d’une incontestable fécondité comme en attestent sa place dans les réflexions sur
la transition démocratique4 ou l’émergence du concept de société civile globale5. Rendre
compte d’un phénomène historiquement si remarquable, interroger les usages contemporains
du concept de société civile, chercher tout à la fois à comprendre sa genèse et à dresser sa
cartographie, identifier les pensées qui ont pu et peuvent y avoir une place déterminante : ce
sont là autant de tâches décisives pour caractériser l’état présent de la pensée politique.
1. 2. Il y a cependant quelque chose de paradoxal à voir une nouveauté dans la place
qui est accordée à la société civile dans la pensée contemporaine, lorsque l’on constate le rôle
majeur que ce concept a joué tout au long des phases constitutives de la modernité politique.
2 Habermas, L’espace public, Préface de 1990 et surtout Droit et démocratie, Gallimard, 1997. Rawls, Political
liberalism, 1993, trad. Libéralisme politique, PUF, 1995 ; également : Leçons sur l’histoire de la philosophie
morale, La Découverte, 2002, à propos de Hegel. Cette différence sous-tend leurs discussions dans J. Rawls, J.
Habermas, Débat sur la justice politique, Cerf, 1997.
3 C. Spector, « Foucault, les Lumières et l’histoire : l’émergence de la société civile », in Foucault et les
Lumières, Lumières, n° 8, Bordeaux, 2006, p. 169-191.
4 Voir, par exemple, Revue internationale de politique comparée, vol. 9 : Démocratie et société civile. Une vue
du Sud, De Boeck, 2002.
5 H. Annheir, M. Glasius, M. Kaldor, Global civil society, Oxford University Press, 2001 ; M. Kaldor, Global
Civil Society: an Answer to War, Cambridge, Polity Press, 2003 ; J. Kean, Global Civil Society, Cambridge
University Press, 2003 ; G. Laxer et S. Halperin, Global Civil Society and its Limits, London, Palgrave
Macmillan, 2003.