S’il fallait avoir jamais lu trois lignes de Hegel, ce serait cette lettre du
13 octobre 1806 adressée à son ami Niethammer. Le philosophe
âgé alors de trente-six ans venait d’être nommé professeur extraordinaire
à l’Université de Iéna, sur la recommandation de Goethe. Non seulement
il y travaille à son œuvre aussi célèbre que difficile, La Phénoménologie
de l’Esprit, mais il n’est pas tout seul : les armées napoléoniennes y sont
engagées contre la Prusse. L’empereur a arrêté une stratégie simple et
efficace: seule l’offensive emporte le succès. En concentrant ses troupes
nombreuses de quelque 100 000 soldats, Napoléon invente la « guerre-
éclair» : la vitesse, condition de la surprise, laisse l’ennemi désemparé,
battu avant d’avoir songé à regrouper ses forces: «Être le plus fort sur un
point donné et y réaliser un événement. » Et c’est en 1806 à Iéna qu’eut
lieu l’événement, avec l’écrasement de l’armée prussienne.
L’esprit du monde sur un cheval
Quelques jours auparavant, Napoléon passe ses troupes en revue.
Hegel l’aperçoit de loin: «J’ai vu l’empereur – cette âme du monde –
sortir de la ville pour aller en reconnaissance: c’est effectivement une
sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un
point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine.» Ce n’est
pas que Hegel soit de tempérament particulièrement belliqueux; on ne
doit pas y supposer non plus une francophilie s’affichant contre une
Prusse à la fois germanophone et autoritaire ; pas de trace non plus d’une
politisation simpliste qui ferait de Hegel un fervent de l’Empire, ou pire un
traditionnaliste nostalgique des conditions d’Ancien Régime. L’enjeu est
tout autre, aussi grave que génial.
HEGEL
ET LA COURONNE
IMPÉRIALE
Cervin et Dent-d’Hérens rivalisent par-dessus le Grand-Gendarme du Weisshorn
Chaque sommet rivalise avec l’autre, jaloux de son
caractère propre et irréductible. N’en percevez-vous
pas le mélodique mouvement d’ensemble ?
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