Le Management de la Technologie et de l`Innovation

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Le Management de la Technologie et de l’Innovation
par
Thomas Durand
Paru dans l’Encyclopédie de la gestion et du management, R Le Duff,
Dalloz
(1999)
I - Introduction
La technologie est en quelque sorte une nouvelle venue dans le champ des préoccupations de
la gestion. Non pas que l’innovation et l’évolution des techniques n’aient pas depuis
longtemps affecté la vie des entreprises. La prise de conscience des enjeux du changement
technique et de leurs conséquences sur la vie des organisations et sur la dynamique des
marchés remonte même en fait aux origines du développement industriel. C’est plus
simplement peut-être que la sphère de l’ingénieur et le champ du management n’avaient pas
encore eu le temps ou l’occasion de se fertiliser l’un l’autre ; en tout cas pas de façon explicite
ni organisée. C'est maintenant chose faite ou en voie de l'être.
Il existe en effet désormais un domaine de recherche et d'enseignement en gestion que nous
choisirons ici de désigner par le vocable de "management de la technologie et de
l’innovation". Clarifions tout d'abord le vocabulaire.
Fille naturelle de la science et de la technique, la technologie n'est pourtant réductible ni à la
seule application de la découverte scientifique, ni à la seule mise en œuvre de techniques
empiriques.
La science relève de la connaissance fondamentale que produit la recherche. Elle vise à
repérer, décrire et caractériser puis modéliser les mécanismes de base du monde qui nous
entoure, dans ses différentes dimensions physiques, chimiques, biologiques, médicales,
sociales...
La technique relève de savoir-faire construits empiriquement dans l'action, dans
l'accumulation d'expériences concrètes, par l'apprentissage, en faisant. En cela, la technique
tient du tour de main, de la recette, de la pratique sur un objet ou une opération particulière.
Une bonne part de la technique est tacite (Nonaka, 1995), c'est à dire qu'elle n'est pas codifiée
et donc difficilement reproductible sans expérience préalable : son transfert se fait
principalement par compagnonnage.
Cet enracinement de la technique dans le réel et dans l'action constitue à la fois une force et
une faiblesse. A l'évidence, la puissance de la technique provient de la force de
l'expérimentation et de l'accumulation d'expérience. A l'inverse, faute d'une connaissance
suffisante et d'une compréhension des mécanismes qui permettent à la technique de
fonctionner, les adaptations, les extensions, les transferts d'application sont difficiles,
aléatoires et potentiellement coûteux.
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La technologie fait référence à une activité de conception et de production, souvent
industrielle mais aussi de service, en réponse à des besoins de marché. La technologie
combine pratiques techniques et connaissances scientifiques, au service de finalités
économiques explicites. En cela, la technologie a vocation à être gérée alors même que, par
nature, elle relève pour partie de savoir-faire tacites. La tâche n'est donc pas aisée.
Pour sa part, l'innovation peut être définie comme la réalisation de la nouveauté. Alors que
l'invention se limite à l'idée nouvelle sans réelle confrontation au besoin qu'elle entend
satisfaire, l'innovation franchit ce pas considérable qui va de l'idée à sa réalisation concrète et
à la satisfaction du besoin. L'innovation, c'est le changement réalisé, qu'il soit limité ou
radical, qu'il porte sur le concept de produit, sur le procédé de fabrication ou sur
l'organisation,...
Le lien entre innovation et technologie est naturel : la technologie s'améliore en continu au
travers d'innovations dites incrémentales qui tracent, chemin faisant, une trajectoire
technologique en exploitant le potentiel de la veine ainsi explorée, jusqu'à ce qu'une rupture
technologique (une innovation révolutionnaire) vienne substituer une nouvelle technologie à
l'ancienne, en un processus de destruction créatrice décrit par Schumpeter (1941).
En référence à ces définitions, nous entendons par "management de la technologie"
l’ensemble des problématiques suivantes : (a) l’observation, l’identification et l’évaluation
des technologies alternatives pour remplir une fonction nérique sur le marché, (b) le choix
des technologies les plus pertinentes parmi celles possibles pour permettre à l’entreprise de
tenter de construire un avantage concurrentiel durable, (c) l'accès à la maîtrise des
technologies choisies, que ce soit par développement interne, collaboration R&D ou
acquisition externe, (d) la gestion corollaire des activités de recherche mais aussi de celles de
développement, d'études de faisabilité et plus généralement la gestion de projet, (e) la mise en
œuvre et l'amélioration ultérieure en continu des technologies nouvellement intégrées au
portefeuille des technologies de l'entreprise, qu'elles relèvent des concepts de produit ou des
procédés de fabrication, ainsi que (f) l'abandon de technologies obsolètes, auxquelles de
nouvelles technologies sont progressivement ou soudainement substituées.
Fondamentalement, ces problématiques du management de la technologie tournent en fait
essentiellement autour du thème du changement technologique. Ce n'est pas tant la
technologie qui est ici l'enjeu que la question de son évolution et du passage d'une technologie
à une autre... C'est sans doute qu'il faut voir la raison qui fait que le thème de l'innovation a
été historiquement lié à celui de la gestion des technologies, alors même que les innovations
qui affectent les entreprises et leurs clients ne sont pas toutes techniques, loin s’en faut.
Avec le "management de l'innovation", nous entendons donc déborder du cadre strict de la
technique pour couvrir la problématique plus générale du changement. L'innovation peut
certes concerner la technologie et alors porter sur le concept de produit ou le procédé de
fabrication, mais elle peut aussi concerner l'organisation, que ce soit dans les relations
externes de l'entreprise avec ses clients, ses fournisseurs et autres partenaires extérieurs ou
dans les processus internes qui routinisent son propre fonctionnement (Nelson et Winter,
1982). Le management de l'innovation recouvre ainsi (a) la promotion de l'innovation pour
faciliter la génération d'idées nouvelles, c'est à dire leur éclosion et l'écoute des porteurs
d'idées, mais aussi l'accompagnement du développement des projets d'innovation, (b) la
sélection des innovations pertinentes pour l'entreprise, en gérant un portefeuille de projets
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financièrement accessibles et dont la faisabilité technique et marketing est escomptée, (c) la
gestion des compétences et des moyens requis pour mener à bien les projets, y compris en
mobilisant des partenariats externes, et (d) la prise en compte des implications sociales et
organisationnelles de l'innovation et donc de l'inertie voire des oppositions que peut susciter
tout changement non ou mal préparé.
Ainsi le management de la technologie et de l'innovation traite-t-il de questions qui sont au
cœur de la gestion : quelles technologies maîtriser ? Quels changements technologiques
opérer dans le temps face à la concurrence ? Comment accéder aux compétences et en
particulier aux savoirs et savoir-faire techniques qui nous font défaut ? Comment renforcer la
capacité d'innovation de l'organisation ? Comment et suivant quels critères sélectionner les
projets d'innovation ?
En cela le management de la technologie et de l'innovation traverse nombre des
problématiques de la gestion, que ce soit la stratégie avec les choix de technologies ou la
gestion des compétences dites clés, l'organisation avec les articulations entre innovation et
développement organisationnel, le droit avec la protection de l'innovation et la propriété
industrielle, mais aussi la gestion de projet ou encore la gestion des opérations et plus
particulièrement la gestion de production.
L'importance de ce thème ne provient en fait pas seulement de l'intérêt qu'il y a à étudier en
soi la dynamique intrinsèque des technologies et les caractéristiques propres des processus
d'innovation. L'enjeu véritable est que la technologie traverse l'entreprise : il est alors
essentiel de mieux comprendre en quoi et comment la technologie, et plus encore son
évolution apparemment inéluctable, conditionnent la vie de l'entreprise, son positionnement
concurrentiel et son fonctionnement. C'est ce qui fait du management de la technologie et
de l'innovation une autre porte d'entrée passionnante sur la gestion.
II - Perspective historique et revue de la littérature
La littérature rend compte de la montée en puissance progressive des préoccupations de la
gestion pour la technologie et l'innovation. Il peut être commode, pour simplifier, de
décomposer les différents travaux passés en 7 grandes familles, chacune consacrée à un thème
spécifique.
1. La gestion de la R&D
Pour beaucoup, gérer la technologie et l'innovation revient encore aujourd'hui essentiellement
à gérer la R&D.
Dans cette logique, l'intérêt des chercheurs en gestion s'est d'abord historiquement tourné vers
la contribution des activités de R&D au développement de l'entreprise et vers la question
corollaire de l'apparition et de la maîtrise de nouvelles technologies.
Les activités de recherche présentent des caractéristiques spécifiques qui exigent une gestion
adaptée : les budgets de recherche sont en fait par nature discrétionnaires, en ce sens qu’il n’y
a pas de niveau de dépenses R&D qui puisse être considéré comme intrinsèquement optimal
dans un contexte donné ; les chercheurs ont vocation à se spécialiser dans la durée et de tels
parcours s'accommodent mal des inévitables fluctuations des besoins du marché et d'une saine
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mobilité fonctionnelle au sein des entreprises ; les carrières d'expert pour les spécialistes les
plus pointus doivent faire l'objet de dispositifs adaptés pour offrir aux intéressés des
incitations suffisantes car sinon ils s'efforceront d'accéder à un cursus de management,
abandonnant leur compétence technique.
Allen (1977) a ainsi analysé le fonctionnement des centres de recherche de grandes
entreprises et les conditions d'efficacité des travaux de recherche qui s'y roulent. La revue
R&D Management représente ce courant de recherche qui s'essouffle aujourd'hui quelque
peu. L'ANRT et son périodique 'Le progrès technique' s'inscrivent dans le même courant, tout
comme l'association des directeurs R&D de grands groupes européens, l'EIRMA.
2. Science, recherche publique, technologie et innovation
Une autre veine de travaux a concerné le rôle de la science et de la recherche publique en
matière de technologie et d'innovation. Cette perspective a permis de clarifier la nature des
articulations au sein des "systèmes nationaux d'innovation", en particulier entre recherche
privée et publique (Nelson, 1993, Lundvall, 1988 ; Niosi, 1994 ; Foray et Freeman, 1992 ;
Gambardella, 1995).
Des travaux de recherche dits bibliométriques ou scientométriques se sont par ailleurs
efforcés d'analyser les dynamiques des communautés scientifiques nationales et
internationales au travers de leurs publications et par exemple des coopérations dont les co-
signatures sont le reflet (Okubo, 1997). La question des transferts de technologie et de la
valorisation de la recherche publique constitue un autre aspect autour de ce thème, Gonard et
Durand (1994).
Une contribution particulièrement intéressante est celle du modèle dit "chain-link" de Kline et
Rosenberg (1986) qui choisissent avec raison de distinguer fortement les deux éléments
constitutifs de ce que l'on désigne à tort par R&D. Dans ce modèle illustré par la figure 1, la
recherche interne à l'entreprise permet de constituer un vivier de compétences
d'accompagnement qui ont vocation à être mobilisées tout au long du processus d'innovation,
quelle que soit l'étape dans laquelle on se trouve. En contraste, le développement participe
directement à ce processus, au stade de la concrétisation d'une idée et de l'élaboration d'un
prototype ou de l'optimisation d'un produit ou procédé existant. Dans cette même veine, le
schéma de la figure 2 clarifie différents termes utilisés pour qualifier tout ou partie des
activités de R&D.
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Marc
potentiel
Invention
et/ou
élaboration
d'un concept
nouveau
Développement
prototype
et
test
Reconception
et
production
Distribution
et
marché
1
2
1
2
1
2
R
3
R
3
R
3
K K K
4 4 4
D I S
C
C
CC
f
f
f
F
Recherche
Comtences
f f f
. ..
. ..
Source : Kline S.J. & N. Rosenberg (1986)
Le modèle Chaînage-Interaction
(Chain Link Model)
Figure 1
Multiples boucles de rétroaction
Recherche
Fondamentale ou
Cognitive
Recherche
appliquée
Développement
Comprendre
Créer / Résoudre /
Concevoir
Réaliser et Optimiser
Pour combler les lacunes
révélées par l'aval
Recherche
R & D
Développement
Recherche scientifique
Recherche technique
Recherche technologique
Recherche industrielle
Recherche de base
Recherche académique
Recherche finalisée / orientée
Les liens entre Nature des Recherches et Objectifs
Par intérêt scientifique
Pour l'utilité à terme
Source : Michel Rapin
Figure 2
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