Prendre en soin les patients Alzheimer en ehPAD

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COMPRENDRE
Prendre en soin les patients
Alzheimer en EHPAD
Des stratégies personnalisées et des qualités humaines
n
Les structures d’hébergement de personnes âgées, devenues Etablissements d’Héberge-
ment pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) ont connu une évolution récente majeure
pour faire face non seulement à un âge plus élevé des personnes accueillies mais surtout à un
stade de dépendance plus élevé tant au niveau physique que mental. Dr Denise Strubel*
* Pôle de gérontologie, CHU de Nîmes
@ Kuzma / Fotolia
L
es EHPAD accueillent un
nombre croissant de malades atteints de la maladie
d’Alzheimer (MA) et de maladies
apparentées, ce qui nécessite une
adaptation des structures dans le
domaine de l’organisation et de
l’éthique des soins ainsi que pour
le projet de vie. Cette évolution
a été favorisée par les trois Plans
Alzheimer, dont le 3e (2008-2012)
a suscité, par ailleurs, dans les EHPAD, la création des PASA (Pôles
d’activités et de soins adaptés) et
des UHR (unités d’hébergement
renforcé) à côté des accueils de
jour et des unités de soin spécifiques Alzheimer déjà développés.
Par ailleurs, sous l’instigation de
diverses recommandations, la recherche de la qualité des soins en
EHPAD est devenue un impératif
majeur.
C’est sur cette évolution de la prise
en soin des personnes atteintes de
maladie d’Alzheimer en EHPAD
qu’il est intéressant d’insister.
Un regard de sollicitude doit être posé sur les patients Alzheimer, même non communicants, avec une constante interrogation sur la recherche de leur bien-être.
Données chiffrées
Les quelques 6 500 EHPAD existants en France offrent environ
600 000 lits d’hébergement (1) et
la plupart de ces établissements
accueillent des malades porteurs
de MA. Des données sur le nombre
de ces résidents porteurs de MA ou
d’affections apparentées sont essentiellement issues de l’étude PAQUID
(2) : sur un suivi de 10 ans, 141 sujets
Repères en Gériatrie • Janvier 2013 • vol. 15 • numéro 123
de 75 ans et plus ont été vus en EHPAD, parmi lesquels 101 déments
sont identifiés, soit une prévalence
de 71,6 %, avec une augmentation
de la prévalence avec l’âge dans les 2
sexes ; ces déments sont un peu plus
âgés que les résidents non déments ;
et en ce qui concerne le diagnostic,
il s’agit de MA dans 79,2 % des cas
et 66,3 % sont au stade sévère de la
maladie.
23
COMPRENDRE
Nous disposons de quelques
autres données de prévalence de
démence en EHPAD. Ainsi, dans
l’étude REHPA, Rolland et al. (3)
ont analysé les caractéristiques
de 4 920 résidents d’EHPAD : le
diagnostic de démence était porté
chez 43,5 % d’entre eux. D’autre
part, les coupes PATHOS effectuées entre 2007 et 2009 (4) ont
montré une fréquence moyenne
de la démence de 51,86 % des résidents, avec une majorité de stades
sévères (70 % sont en GIR 1 et 2).
Dans ces deux études, la prévalence de démence correspond uniquement aux cas diagnostiqués ;
or, on sait que la méconnaissance
du diagnostic est fréquente en EHPAD comme à domicile, y compris
aux stades sévères.
Cette absence fréquente de diagnostic de déficit cognitif à l’entrée
en EHPAD s’explique par une
confusion entre syndrome démentiel et vieillissement, surtout chez
les patients très âgés, l’existence
de co-morbidités qui perturbent
l’état cognitif, comme les déficits
sensoriels et les états dépressifs,
et le déni fréquent des troubles
par les proches et les professionnels (5). Et pourtant, à l’analyse de
ces situations, le déficit cognitif a
contribué à la décision d’entrée en
institution.
Les EHPAD accueillent-ils des
patients jeunes ? Le 3e Plan Alzheimer a souligné dans sa mesure
18 la problématique des malades
jeunes, âgés de moins de 65 ans (estimés à environ 30 000 en France),
voire de moins de 60 ans (estimés
à environ 4 500 patients). Selon
une enquête récente effectuée par
la Fondation Médéric Alzheimer
auprès de 2 042 EHPAD et unités
de soins de longue durée (USLD)
des régions Nord-Pas-de-Calais et
Rhône-Alpes (6), avec un taux de
24
réponse de 76 %, dans ces établissements, respectivement 0,25 %
et 0,39 % des places sont occupées par des malades de moins de
60 ans ; la majorité des établissements se considèrent comme non
adaptés pour les accueillir, tant sur
le plan administratif que pour répondre à leurs besoins spécifiques.
Certains établissements s’engagent plus spécifiquement dans
cet accueil, en adaptant la prise en
soin à cette population.
L’entrée d’un patient
atteint de MA en
EHPAD
tion pour motif médical, mais parfois aussi pour épuisement ou pathologie aiguë de l’aidant : l’entrée
n’a pu être préparée et le malade
ne la souhaite pas et, souvent, ne
l’accepte pas alors que son consentement est nécessaire à l’entrée en
EHPAD.
Dans la littérature, l’institutionalisation a été corrélée avec (7) :
• la sévérité des troubles psychocomportementaux plus que la sévérité de la dépendance ;
• l’épuisement et les pathologies
de l’aidant, voire son décès ;
• la mise en danger à domicile d’un
patient vivant seul et la recherche
de la sécurité de l’institution.
Les modalités d’admission
La procédure d’admission
Les modalités d’admission des
patients en EHPAD sont rarement
idéales dans un processus d’anticipation, de consentement du malade, de choix de l’établissement
et du moment de l’admission.
L’apprentissage de la séparation et
de la vie collective est cependant
Elle devrait comporter une visite
de pré-admission, pour permettre
au malade et son aidant de faire
connaissance avec la structure et
de recevoir des informations sur
l’organisation des soins et de la vie
quotidienne. Au sein de l’EHPAD,
le médecin coordonnateur ou une
Le projet de soin repose sur une bonne
coopération entre le médecin traitant et le
médecin coordonnateur.
facilité par le recours à des structures de répit, accueil de jour et
hébergement temporaire, qui permettent par ailleurs de prolonger
le maintien à domicile. Il est alors
souhaitable que le patient soit
accueilli dans l’établissement qu’il
connaît déjà.
L’aidant éprouve beaucoup de
difficulté à envisager et préparer
l’impensable entrée en institution,
d’autant qu’il vit une temporalité
différente de celle d’une maladie
qui progresse parfois plus vite que
prévu. De telle sorte que l’admission fait suite le plus souvent à une
situation aiguë avec hospitalisa-
commission d’admission donne
son accord pour l’admission et
indique, le cas échéant, une orientation vers une unité spécifique
Alzheimer (voire une UHR si elle
existe) si le malade le nécessite,
surtout en raison d’un risque de
fugue et/ou d’autres troubles du
comportement perturbateurs.
L’accueil du nouveau
résident
C’est un temps fondamental pour
construire la relation avec le nouveau résident et son entourage et
faciliter l’adaptation à un autre environnement et à une autre forme
Repères en Gériatrie • Janvier 2013 • vol. 15 • numéro 123
Prendre en soin les patients Alzheimer en EHPAD
de soin. Il doit respecter les recommandations de l’ANESM (Agence
Nationale de l’Evaluation et de
la qualité des Etablissements Sociaux et Médico-sociaux) (8). Dans
l’idéal, un soignant référent est
désigné pour être l’interlocuteur
privilégié du nouveau résident auprès de l’équipe soignante pendant
la phase d’adaptation. Un recueil
d’informations précises permet
de connaître, outre le passé médical du patient, des éléments de sa
biographie, comme la composition de sa famille, son métier, ses
goûts et ses aversions, ses attentes,
ses liens avec ses proches… Il est
souhaitable que le patient, s’il en
a encore la capacité, désigne une
personne de confiance à l’entrée,
le plus souvent un membre de sa
famille.
L’évaluation médicale initiale
Elle est effectuée, comme pour tout
nouveau résident, par le médecin
coordonnateur avec le recueil des
antécédents des allergies, les vaccinations effectuées et l’ensemble
des pathologies actuelles ainsi que
leurs traitements. Elle servira à
l’évaluation PATHOS annuelle.
L’équipe soignante dans son intégralité doit participer à l’évaluation multidimensionnelle de :
• la douleur avec l’échelle Algoplus
pour la douleur aiguë, par exemple
au cours des soins et l’échelle Doloplus ou ECPA pour les douleurs
chroniques ;
• les fonctions cognitives par le
MMS de Folstein et la thymie par
l’échelle GDS ou miniGDS par
exemple ;
• l’état nutritionnel par l’évolution
récente du poids, le calcul de l’IMC
et éventuellement l’échelle MNA ;
• les capacités fonctionnelles, notamment pour les déplacements,
les transferts, la prise de repas,
les soins d’hygiène, l’habillage et
la continence (items de la grille
AGGIR) ;
• les fonctions sensorielles, visuelles et auditives ;
• le risque de chute, avec ou sans
aide technique ;
• le risque d’escarre par l’échelle de
Braden par exemple ;
• les troubles du comportement
par l’échelle NPI-soignant.
Chacune de ces évaluations peut
conduire à une prise en charge
spécifique comme l’introduction ou l’adaptation d’une aide
à la marche et des séances de
rééducation en cas de troubles
de l’équilibre et de la marche.
Ainsi, la mise en évidence d’un
déficit cognitif pathologique
doit conduire à une démarche
diagnostique pour confirmer un
syndrome démentiel et en préciser l’étiologie, voire mettre en
route un traitement spécifique
(9). Celle-ci est réalisée par le
médecin traitant avec recours à
une consultation mémoire, sauf
au stade très sévère ou en cas de
comorbidité lourde. La connaissance du diagnostic de démence
va en effet ultérieurement être
prise en compte pour l’ensemble
de la démarche de soins. Une
étude en cours dans la région
de Toulouse vise à démontrer
l’intérêt d’un dépistage systématique de la démence en EHPAD,
avec recours à des réunions de
concertation pluridisciplinaire
avec une consultation mémoire.
Le projet
de soins (9, 10)
Il est inspiré par l’évaluation médicale initiale et repose dans l’idéal
sur une bonne coopération entre
le médecin traitant, responsable
de toutes les prescriptions au résident, et le médecin coordonnateur responsable du projet de soins
global de l’institution. Il concerne
l’ensemble des pathologies.
Repères en Gériatrie • Janvier 2013 • vol. 15 • numéro 123
Un projet complet
Le projet de soins de la MA ou d’une
affection apparentée comporte à
la fois une approche médicamenteuse et non médicamenteuse.
❚❚Dans le domaine du traitement
médicamenteux
Le patient peut bénéficier de l’initiation ou de la poursuite d’un traitement spécifique par inhibiteur
d’acétylcholinestérase ou mémantine, selon les recommandations
de la HAS révisées en 2011 (9), à
condition de réévaluer régulièrement l’impact cognitif et fonctionnel et de dépister les effets
indésirables.
Ces traitements
présentent également un intérêt,
certes modeste, sur les troubles
du comportement et plus spécialement sur l’apathie et les hallucinations pour les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et sur l’agitation
et l’agressivité pour la mémantine.
Le suivi de ces traitements peut
être assuré par le médecin traitant
et le médecin coordonnateur mais
une évaluation annuelle ou semestrielle en consultation mémoire
permet de multiplier les regards
sur le malade. Se pose également la
question de l’arrêt des traitements
spécifiques au stade très sévère de
la MA (10, 11) : des études contrôlées de suivi après arrêt de traitement en EHPAD ont montré une
aggravation des troubles comportementaux pour les deux classes
de traitement (12, 13) et pour la
cognition pour la mémantine (13).
L’usage de psychotropes devant
les troubles du comportement
fréquents dans les pathologies
cognitives impose une bonne
connaissance des médicaments
disponibles, de leurs effets indésirables et le respect des recommandations, notamment pour la
posologie et la durée des prescriptions. Le programme AMI (Alerte
et Maîtrise de la Iatrogénie des
25
COMPRENDRE
neuroleptiques dans la maladie
d’Alzheimer) cible les antipsychotiques, responsables de nombreux
troubles ainsi que d’un risque
de surmortalité (14). Cependant
le recours aux antipsychotiques
n’est pas totalement évitable et
une étude récente (15) a montré
dans une population de déments
que l’arrêt en aveugle d’un traitement par rispéridone après 16 semaines entraîne 60 % de récidives
de troubles du comportement par
rapport à 33 % si le traitement est
poursuivi ; l’arrêt à 32 semaines de
traitement entraîne 48 % de récidive contre 15 % si le traitement
est poursuivi.
❚❚Dans le domaine des thérapies
non médicamenteuses (TNM)
Une stimulation quotidienne est
indispensable pour maintenir
l’autonomie dans les actes de la
vie quotidienne et les capacités
relationnelles. Le soin relationnel
est un soin à part entière, qui doit
être reconnu comme tel par les
responsables de l’EHPAD. Par ailleurs, face à un nouveau trouble du
comportement, la recherche d’une
étiologie médicale ou d’un facteur
déclenchant d’ordre psychologique doit précéder la recherche
d’une stratégie pour atténuer ou
prévenir la récidive du trouble,
tout cela avant l’instauration d’un
traitement psychotrope (16).
L’apprentissage par les soignants
de stratégies pour faire face aux
troubles du comportement a fait
l’objet d’une étude auprès de 306
résidents atteints de MA accueillis dans 16 EHPAD (17) : ceux-ci
ont été évalués sur le plan du comportement au début de l’étude et
après 2 mois, avec dans l’intervalle
pour le groupe “intervention” une
formation des soignants sur ces
stratégies ; à 2 mois, le score de
Cohen Mansfield des troubles du
comportement a baissé significa26
tivement mais seulement dans le
groupe des EHPAD qui a bénéficié
de la formation.
Des approches multiples peuvent
être proposées, qui ciblent la sollicitation des capacités cognitives
(réminiscence…), motrices (promenade, danse, gymnastique…),
la mobilisation des affects (musicothérapie, conte…), la recherche
de bien-être (approche multisensorielle, massages…) et le maintien de liens sociaux (18). Elles se
distinguent donc de simples activités occupationnelles, dites “animation”, encore que la frontière
soit parfois difficile à positionner.
Elles doivent être préparées et
évaluées et il est impératif qu’elles
aient du sens pour le résident,
pour qu’elles s’inscrivent dans
son projet de vie.
Globalement, les TNM restent encore mal évaluées mais elles sont
recommandées chez les patients
Concernant les
complications de la MA et
des affections apparentées
Une prévention systématique et
un repérage précoce de la dénutrition, des chutes, des complications
infectieuses surtout pulmonaires
et de la grabatisation ont été réalisés, dans un travail d’équipe pluridisciplinaire, avec mise en place
de mesures correctives. Ainsi, le
repérage précoce de la dénutrition
par le MNA permet d’enrichir les
apports alimentaires, éventuellement par des compléments nutritionnels et de renforcer la surveillance aux repas. La prévention des
chutes implique l’usage raisonnable des traitements sédatifs, la
détection de l’hypotension orthostatique et sa correction, l’adaptation des aides à la marche et de
l’environnement dans la chambre
et les espaces collectifs et le recours très limité aux contentions.
Une stimulation quotidienne est indispensable
pour maintenir l’autonomie dans les actes de la
vie quotidienne et les capacités relationnelles.
atteints de MA et d’affections apparentées lorsqu’ils présentent
des troubles psychocomportementaux (16) et elles sont à développer, tout particulièrement en
UHR et en PASA. Une récente
étude (19) a démontré qu’une stimulation multimodale (stimulation motrice, cognitive et aux actes
de la vie quotidienne) appliquée
2 h par jour, six fois par semaine
pendant douze mois, auprès de
98 résidents de cinq maisons de
retraite en Allemagne, a permis de
maintenir les fonctions cognitives
et l’autonomie dans le groupe intervention par rapport au groupe
contrôle, l’effet étant plus marqué
chez les patients avec un stade léger à modéré de la pathologie.
Le repérage précoce de fausses
routes par une équipe sensibilisée
permet d’adapter la texture des
aliments et la posture du résident
au cours des repas et de limiter le
risque de pneumopathies d’inhalation ou de fausses routes graves.
Le projet de soin concerne
aussi les pathologies
associées
En effet, selon les coupes PATHOS, les résidents d’EHPAD ont
en moyenne près de 5 diagnostics
pertinents, dont la prise en charge
tient compte du stade de la MA,
des contraintes et des bénéfices
espérés des traitements, des capacités du patient à comprendre
et adhérer au projet de soin et de
Repères en Gériatrie • Janvier 2013 • vol. 15 • numéro 123
Prendre en soin les patients Alzheimer en EHPAD
l’avis éventuel de la personne de
confiance. Une attention particulière doit être portée aux pathologies cardiovasculaires, au diabète,
à l’ostéoporose, à traiter notamment s’il existe un risque de chute.
De façon globale, il est souhaitable d’éviter le recours à l’hospitalisation non programmée, avec
envoi aux urgences hospitalières,
solution jugée inadaptée dans de
nombreux cas car à l’origine d’une
perte d’autonomie. Ainsi dans
l’étude PLEIAD portant sur 300
EHPAD, 13,5 % des résidents ont
été hospitalisés sur les 3 mois de
l’étude et il s’agissait en majorité
de déments (20).
L’idéal est d’organiser des entrées
directes en court séjour gériatrique ou éventuellement en soins
de suite ou encore, si nécessaire,
dans les services de spécialité.
Rares sont malheureusement les
équipes mobiles de gériatrie qui
peuvent sortir des murs de leur
centre hospitalier pour intervenir
directement dans les EHPAD afin
de donner un avis et éventuellement organiser une hospitalisation la plus brève possible : c’est
vraisemblablement le fonctionnement le plus efficient pour limiter
les effets délétères de l’hospitalisation et assurer la meilleure qualité
de soins possible.
Par ailleurs, les EHPAD doivent
développer des liens privilégiés
avec les unités cognitivo-comportementales (UCC) qui peuvent accueillir temporairement en soins
de suite spécialisés des déments
en situation de crise comportementale pour une adaptation des
stratégies de soin.
Le projet de vie
Il est le complément indispensable
du projet de soin. Il est construit
par l’équipe dans les premières
semaines du séjour, après recueil
de données sur la vie du résident,
de son entourage, ses souhaits et
l’évaluation de la situation présente. Il est ensuite soumis pour
approbation au patient et à ses
aidants s’il le souhaite et régulièrement réévalué (environ 1 fois/
an) selon l’évolution de sa santé et
ses propres souhaits.
Le projet de vie est formalisé dans
le dossier du patient et il ne faut
pas hésiter à y associer, si l’état du
résident s’y prête, des directives
anticipées.
Ce projet de vie doit s’appuyer sur
quelques principes de base qui
constituent un savoir-faire et un
savoir-être indispensables à acquérir par tout soignant d’EHPAD,
que le patient soit dément ou non :
• respect de l’autonomie décisionnelle du résident même dément,
du moins pour les décisions qu’il
est jugé capable de prendre ;
• respect de sa liberté d’aller et venir (21), ce qui n’est pas sans poser
des problèmes pour les patients
atteints de MA et présentant un
risque d’errance et/ou de fugue ;
• maintien de la vie relationnelle
et de l’intégration sociale ;
• prévention de la maltraitance et,
au-delà, approche “bien traitante”
du résident.
Le projet de vie intègre les familles
des résidents pour lesquelles l’entrée de leur parent en EHPAD est
à la fois source de souffrance et de
culpabilité mais aussi de soulagement. L’aidant est souvent allé audelà de ses possibilités physiques
et psychiques de dévouement,
jusqu’à l’épuisement, et doit être
accompagné pour qu’il trouve sa
place auprès de son parent dans
l’institution (22). Après la phase
d’accueil dans l’établissement, où
la présence de l’aidant principal
est indispensable pour assurer la
transmission d’informations multiples et la continuité des soins,
Repères en Gériatrie • Janvier 2013 • vol. 15 • numéro 123
leur participation à la prise en
charge de leur proche doit pouvoir
se poursuivre s’ils le souhaitent,
par une implication dans certaines
tâches, notamment la prise des
repas, mais aussi des sorties, des
activités d’animation ou de stimulation, les moments festifs… Des
réunions avec les familles une ou
deux fois par an permettent d’établir un dialogue régulier entre les
familles et les soignants mais aussi
entre les familles elles-mêmes.
Dans les règles de bonne conduite
avec les aidants, il convient de les
informer régulièrement, de leur
signaler tout changement dans
l’état de santé de leur parent, tout
incident, y compris les incidents
iatrogènes, de solliciter leur avis
face à certaines difficultés dans le
soin pour maintenir la confiance
dans la durée. Une prise en charge
psychologique peut être proposée
aux aidants en grande souffrance
par la psychologue de l’établissement.
La fin de vie
Cette étape est fondamentale
pour conduire à terme dans les
meilleures conditions un accompagnement qui, parfois, aura duré
quelques années.
Face à un stade très sévère de la
maladie, avec état grabataire, hypertonie déformante, dysphagie,
dénutrition et perte de la communication verbale avec le malade,
deux risques peuvent cohabiter :
celui d’un acharnement thérapeutique pour traiter surtout les
affections associées et celui d’un
abandon thérapeutique, avec notamment insuffisance de traitement de confort, pour la douleur
en particulier (23). Soins curatifs
et soins palliatifs ne sont plus vraiment à opposer mais le projet de
soin doit être clair et partagé par
l’équipe soignante et la famille. La
27
COMPRENDRE
pose d’une gastrostomie per-cutanée est jugée inadaptée car elle ne
réduit ni la mortalité ni l’inconfort
du patient. Le recours à une équipe
mobile de soins palliatifs devrait
être partout possible.
Lorsque la situation est complexe,
que les avis sont partagés sur l’analyse de la situation entre soignants
et familles et entre soignants, la
démarche éthique peut aider une
équipe soignante à établir le projet
de soin et à retrouver le sens véritable de l’acte de soin que la grande
dépendance risque d’estomper (24).
Conclusion
La prise en soin de résidents atteints de MA ou d’une affection
apparentée en EHPAD est devenue très exigeante sur le plan de
la connaissance de ces maladies
et de leur évolution, des qualités d’observation, d’analyse et de
mise au point de stratégies de soin
personnalisées et des qualités humaines : un regard de sollicitude
doit être posé sur ces malades,
même non communicants, avec
une constante interrogation sur la
recherche de leur bien-être.
Cette pathologie conduit au cœur
du sens du soin en gérontologie
et doit valoriser la fonction soignante en EHPAD.
n
Mots-clés :
EHPAD, Maladie d’Alzheimer,
Gérontologie
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