Le bon dosage entre médicaments et traitements non

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Le bon dosage entre médicaments et traitements non médicamenteux dans la maladie
d’Alzheimer : point de vue d’un médecin coordonnateur en EHPAD.
Dr Pierre San Miguel, Fédération des associations de médecins coordonnateurs d’Ile de
France.
La profession de médecin coordonnateur d’EHPAD est née en 1999 en même temps que
l’APA et les conventions tripartites.
Depuis les « Medco » s’organisent en associations départementales et, pour répondre à la
création des ARS, une fédération régionale est née en 2010 en Ile de France, MEDCO-IDF.
C’est un drôle de métier. On ne prescrit pas de médicaments en direct mais on conseille et on
crée du lien entre tous les intervenants de l’EHPAD dans une logique de prise en charge
pluridisciplinaire.
La population prise en charge comporte désormais largement plus de 50 % de personnes
présentant une maladie d’Alzheimer ou pathologie apparentée. Les prescriptions de
médicaments sont faites par les confrères généralistes ou spécialistes et nous amène d’emblée
à parler médicaments.
Des médicaments, il en faut, que ce soit dans la maladie d’Alzheimer ou dans les pathologies
associées qui peuvent concourir à son aggravation, HTA, insuffisance circulatoire, diabète,
dépression. Mais parfois, pour répondre rapidement à la prise en compte d’un symptôme qui
angoisse la famille ou l’équipe soignante bien plus que le patient lui-même, l’ordonnance
vient à comporter 20 lignes ou plus.
C’est justement à ce niveau que se situe la rôle médecin du coordonnateur qui est la pour
conseiller sur les bonnes pratiques gériatriques.
Evidemment, 20 médicaments, quand on veut parler observance et prévention de la iatrogénie,
chez quelqu’un qui a des problèmes de mémoire, cela pose problème...
C’est au travers de formations de l’équipe paramédicale et si possible des collègues médecins
que l’on arrive à expliquer pourquoi souvent on peut se contenter de 5 médicaments en
moyenne. On peut parfois arriver à 10 en particulier dans des pathologies complexes ou
multifactorielles comme le diabète par exemple.
A cet âge, en effet, les pathologies cardiovasculaires associées (artérite, angor, insuffisance
cardiaque) sans oublier la douleur ou la dépression sont fréquentes et doivent être prises en
compte pour le confort du patient.
Je ne tirerai pas pour autant sur le confrère généraliste qui prescrit les 20 médicaments.
Ils représentent souvent l’empilement de traitements de spécialistes qui n’ont pas en main
l’ordonnance habituelle globale du patient. Je ne tirerai pas non plus sur mes confrères
spécialistes, c’est le mode d’exercice qui est surtout responsable de ce fait.
La médecine à l’acte répond mal aux pathologies chroniques et complexes, ce qui signifie
multifactorielles et ne veut pas forcément dire compliqué. Mais il faut établir des priorités et
éliminer le superflu.
En effet, le patient âgé est souvent poly pathologique donc complexe. Sa prise en charge doit
être ménagée entre médicaments et prises en charge comportementale.
L’avantage du coordonnateur c’est qu’il a le temps d’expliquer aux résidents, aux familles
aux soignants pourquoi on n’a pas besoin de tant de médicaments mais juste de ceux qui ont
fait la preuve de leur efficacité.
Pour ce qui est du nombre de médicaments, il ne faut pas non plus oublier la pression exercée
par le patient pour avoir ses médicaments ! L’histoire qui suit, illustre bien le problème. Une
collègue remplaçait un médecin de famille. Elle reçut une vieille dame en consultation. Celleci lui dit : « Je voudrais que vous allégiez mon traitement parce que je trouve que le docteur
Normand me donne trop de médicaments. »
Ma jeune collègue très contente que la demande fût en ce sens ne laissa à la patiente que les
trois traitements vraiment essentiels à ses pathologies. Son professeur de pharmacologie lui
avait appris qu’il faut diminuer le nombre de médicaments pour favoriser l’observance et
diminuer les effets secondaires, ça tombait bien.
Le remplacement cessa et elle retourna dans sa région d’origine. Quelques mois plus tard, elle
remplaça de nouveau le docteur Normand. Elle revit la même patiente pour renouveler son
traitement. Il était revenu à l’origine soit une quinzaine de traitements dont les trois vraiment
utiles.
Ma collègue lui demanda ce qui s’était passé, elle lui répondit : « en sortant de la consultation,
j’étais très contente et je suis partie chercher mes médicaments à la pharmacie. Une fois
achetés quand je suis sortie, le paquet était tellement léger que j’ai eu peur de manquer, et
que j’en ai fait un malaise. J’ai alors demandé au docteur Normand qu’il remette le traitement
comme avant. »
Cette histoire est authentique, sauf le nom du médecin. Le médecin, coupable idéal a parfois
bon dos... Cette histoire me permet de faire le lien entre médicaments et prises en charge non
médicamenteuses.
En effet, même quand on parle de médicament, on parle forcément de manière conjointe de
prise en charge comportementale, ne serait-ce que dans l’observance du traitement pour
commencer. Ainsi non seulement les deux prises en charge se complètent mais sont forcément
intimement intriquées.
Certes dans mon exemple la vieille dame n’avait pas d’atteinte cognitive ou comportementale.
Mais la situation n’est pas très différente en cas de maladie d’Alzheimer où la pression du
patient ou celle de sa famille sera d’autant plus forte qu’il s’agit d’une maladie incurable.
En effet si des médicaments de la maladie d’Alzheimer existent, ils ne sont pour le moment
que symptomatiques et retardent au mieux d’une année environ l’évolution de la maladie ce
qui n’est pas inutile mais limité.
Pour en revenir à l’intrication médicaments prise en charge comportementale, il ne faut pas
non plus oublier l’effet placebo du médicament.
Car en plus du principe actif qu’il contient le médicament est une véritable hostie du médecin
rappelant des rites ancestraux cannibales de nos lointains confrères sorciers, avec 30 %
d’efficacité tout de même.
Ainsi, il ne faut jamais sous estimer cet effet parfois bien utile et qui ne prend nullement le
patient pour un imbécile mais qui sert d’objet de médiation.
Pour l’illustrer, voici l’histoire, toujours authentique, d’un homme de 97 ans ayant une
maladie d’Alzheimer à un stade léger. Il avait à l’entrée dans l’EHPAD un hypnotique pour la
nuit, prescrit en ville par son médecin traitant. Comme son médecin traitant ne voulait plus
s’en occuper une fois son patient entré dans l’EHPAD, ça arrive, je l’avais pris en charge.
Ce résidant faisait des chutes la nuit en se levant pour aller uriner et comme il se mettait en
colère dès qu’on lui parlait de lui retirer son somnifère, je lui proposais de le changer pour une
gélule bleue plus efficace, évidemment.
J’attendais quelques jours avant de lui en reparler. Au bout de ce laps de temps je lui
demandais comment cela se passait. Il me répondit : « Docteur ça ne va pas du tout ». Je me
dis, mince (version édulcorée), il est trop dépendant aux benzodiazépines.
Je lui demandais tout de même de m’expliquer ce qui n’allait pas avec le nouveau
médicament et il me répondit : « Vous aviez raison docteur ce médicament est plus puissant
que le précédent et je dors bien mais il est tellement fort qu’il me fait faire des cauchemars ».
Je lui répondis : « Vous avez raison, j’y suis allé un peu fort, je vais plutôt vous mettre une
gélule blanche ». La fabrication du placebo bleu par le pharmacien coûtant cher, je lui ai
prescrit une gélule d’ultra levure au coucher. Cela lui a permis de bien dormir, sans
cauchemars, et en plus de ne plus chuter la nuit.
Car dans le bon dosage des traitements, si le coordonnateur est souvent le monsieur moins du
médicament c’est bien à cause des risques iatrogènes qui augmentent avec l’âge.
La plupart de nos patients Alzheimer sont âgés voire très âgés et poly pathologiques car en
plus d’avoir une maladie d’Alzheimer ce sont des patients gériatriques fragiles.
Donc pour nous résumer sur le médicament : le moins possible. Uniquement ceux à forte
valeur ajoutée ayant fait leurs preuves dans des grandes études en double aveugle. Ne pas
hésiter à compléter si besoin par des placebos.
Pour les prises en charge non médicamenteuses, je souhaiterais juste rappeler quelques règles
basales sur la prise en charge en EHPAD.
Dans l’immense majorité des cas ce n’est pas ce lieu horrible tant décrié dans les médias, en
particulier télévisuels, où l’on maltraite les vieux.
Juste en passant, je rappellerai que 60% des maltraitances ont lieu à domicile et 40% en
institution. Que sur les 40% de maltraitance en institution la moitié est encore le fait de la
famille. On en est donc à 80% de maltraitance due à la famille et 20 % à l’institution.
Encore une fois ce n’est pas le discours dominant entendu à la télé.
Pourquoi est-ce si important d’en parler en préambule, c’est parce que la volonté de
bientraitance est le point commun de toutes les prises en charge non médicamenteuses en
EHPAD.
Le but est de rendre la vie plus agréable au résidant pour le temps qu’il lui reste à vivre ; pas
de le rendre immortel et il faut convaincre les familles que c’est en acceptant le risque que
leur parent vivra mieux.
Ceci est particulièrement vrai pour les chutes, Brigitte Bardot a réussi à ce qu’il n’y ait plus de
cages d’animaux exiguës dans les ménageries des cirques et on continue à attacher des
malades contre leur gré, sur des fauteuils, sous prétexte qu’ils ont des troubles du
comportement…
Il est inacceptable d’attacher une personne sous prétexte qu’elle est malade. Il faut faire
accepter ce risque, aux équipes comme aux familles. Même si la chute peut provoquer un
traumatisme crânien grave voire le décès du patient
Que vaut-il mieux, mourir prématurément avec un inconfort de vie majeur attaché à un
fauteuil ou prendre le risque (statistiquement moindre), de mourir suite à une chute en ayant
librement pu continuer à déambuler ? J’ai ma réponse.
Autre élément essentiel de prise en charge comportementale en EHPAD a fortiori pour des
patients présentant une maladie d’Alzheimer : la chambre seule.
Je terminerai par ce dernier exemple pour l’illustrer. Un patient avait été transféré dans un
établissement spécialisé de 60 lits, organisé en 6 unités de 10 chambres seules. Il avait failli
étrangler son voisin de chambre, dans son précédent établissement, car en se réveillant en
pleine nuit, il avait oublié du fait de sa pathologie qu’il avait un voisin, et l’avait pris pour un
voleur. Dans son nouvel établissement, en chambre seul, il n’a jamais présenté de troubles
graves du comportement.
L’architecture même permet souvent de contenir les crises des déments et de bien
accompagner leur prise en charge.
Pour conclure, la prise en charge de la maladie d’Alzheimer est complexe, pas forcément
compliquée, mais forcément multifactorielle et pluridisciplinaire. Toutes les prises en charge
vont donc se compléter et il faut savoir tout combiner pour une prise en charge optimum du
résident.
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