1 2 La lettre d’information du Comité Moyen-Orient ©KM Janvier 2016 2 Sommaire Editorial Qui sont les chrétiens d’orient ? Moment kurde, percée électorale et fin du cessez-le feu : vers un renouvellement de la question kurde en Turquie ? Entretien avec S.E.M l’ambassadeur d’Iran en France Virus MERS Cov : le cas d’une crise sanitaire au Moyen-Orient P.3 P.4 P.10 P.17 P.22 L’Arabie saoudite : un partenaire judicieux de la politique française ? P.26 5 questions à un doctorant spécialisé sur le Moyen-Orient P.35 Focus sur une personnalité marquante du Moyen-Orient P.38 1 2 3 3 Ô Et enfin, une diversité de foyers de crise qui contribuent, pour nombre d’entre eux, à une forte déstabilisation de la région. Editorial Par Gaëlle Znaty Séminaire Grandes Ecoles 2013 Responsable du comité Moyen-Orient « Vers l’orient compliqué, je volais avec des idées simples » Charles de Gaulle, Mémoires de guerre. L e 26 février 2003, George W. Bush alors président des Etats-Unis, évoque la doctrine du « Greater Middle East » ou Grand Moyen-Orient au cours d’une réunion de néoconservateurs de l’American Entreprise Institute (AEI) pour évoquer une grande région qui irait du Maghreb au Pakistan, en passant par la Turquie, le golfe Persique et le Machrek. Si cette doctrine a l’avantage de mettre en avant certains facteurs d’unité (linguistiques et religieux) propres au Moyen-Orient, qui ont d’ailleurs expliqué la création d’entités panarabistes (Ligue Arabe en 1945, République arabe unie entre 1958 à 1961) ou panislamiques (Organisation de la coopération islamique en 1969), elle ne saurait représenter l’extrême diversité des populations présentes dans cet espace. Ô Une diversité ethnique par les peuples qui y habitent (indo-européen, turc, hébreu, arabe…) et qui représentent près de 400 millions d’habitants. Ô Une diversité économique et sociale, où les écarts ne font que croître (en 2012, le Koweït a un PIB de 41 800 $/habitant, contre 6100$/habitant pour la Jordanie). Ô Une diversité religieuse, dans un espace qui constitue le berceau des trois religions monothéistes Ô Une diversité de structures étatiques et politiques Par son histoire qui l’a vu devenir un épicentre des sciences et du commerce, par son positionnement géographique de carrefour entre trois continents (européen, africain et asiatique), par l’importance des ressources naturelles et les tensions géopolitiques qui en découlent (40% des réserves gazières connues, près de deux tiers des réserves pétrolières conventionnelles mondiales), le Moyen-Orient est un espace hautement stratégique qui suscite intérêts et convoitises à l’échelle mondiale. C’est cette approche d’un Moyen-Orient présentant de multiples facettes qui guidera l’ensemble de nos travaux. Conscients de cette hétérogénéité, nous tâcherons de clarifier, d’analyser et de commenter les évolutions qui touchent cette région, en gardant un regard volontairement original et empreint de jeunesse. Les domaines d’étude porteront sur les questions de défense et de sécurité ainsi que sur les enjeux politiques, économiques, culturels et religieux du Moyen-Orient contemporain. Pour ce faire, « Nouvelles orientales » donnera la parole aux membres de l’ANAJ et de son comité Moyen-Orient, à des intervenants extérieurs, chercheurs, journalistes ou diplomates. Ce premier numéro de « Nouvelles Orientales » propose un article consacré aux chrétiens d’Orient, une analyse des relations franco-saoudienne, une problématique d’actualité sur la question kurde en Turquie, un entretien avec Ali Ahani, Ambassadeur de la République islamique d’Iran en France ainsi qu’une étude du Virus MERC-Cov en Arabie saoudite. 4 Qui sont les chrétiens d’orient ? CHRÉTIENS D’ORIENT è MINORITÉS EN TERRE D’ISLAM PAR PAULINE BESSON 89ème Session Jeunes Romorantin, 2015 La proclamation d’un « califat islamique » le 29 juin 2014 par l’organisation Daech, et la crise des migrants qui s’en est suivie a projeté sur les devants de la scène le sort des minorités chrétiennes d’Irak et de Syrie et les persécutions qu’elles encourent. 4 L a proclamation d’un « califat islamique » le 29 juin 2014 par l’organisation Daech, et la crise des migrants qui s’en est suivie a projeté sur les devants de la scène le sort des minorités chrétiennes d’Irak et de Syrie et les persécutions qu’elles encourent. Au cours de l’histoire, jamais les chrétiens situés dans l’actuelle Irak n’ont été une majorité susceptible de gouverner et d’imposer leurs lois, contrariés, avant l’islam, par la foi dominante zoroastrienne. Parfois utilisées par l’envahisseur, les minorités chrétiennes du Moyen-Orient étaient ensuite rejetées et de nouveaux discriminées. Tel a été le cas avec les Mongols qui, avant de se convertir à l’Islam, se sont appuyés sur les minorités chrétiennes pour dominer. De même, l’affirmation du pouvoir alaouite en Syrie s’est fondée sur le soutien de minorités – en l’occurrence, chrétiennes. Pourtant, sous le règne de l’Empire ottoman, ces minorités avaient un statut particulier dans la hiérarchie établie entre les sujets de l’Empire, et leurs relations avec le pouvoir central respectaient un pacte restrictif de droits (la dhimma, )ةمذ1 . Contraintes, discriminées, persécutées, les communautés chrétiennes d’Orient ont tout de même connu un âge d’or dans la région avec la domination de l’Empire chrétien byzantin courant de la fin du IIIe siècle ap. J.-C. jusqu’à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453. Les grands conciles qui ont marqué l’histoire de la chrétienté à cette époque se sont tenus dans les grandes villes de l’Empire (Nicée, Constantinople, Antioche etc.). L’histoire chrétienne au Moyen-Orient est donc riche et essentielle. Environ un habitant sur quatre de l’Empire ottoman était encore chrétien en 1900. Aujourd’hui les chrétiens représentent à peine un dixième des populations de l’ancien Empire, et moins de 0,2% de la population turque. Un retour historique sur la région s’impose pour comprendre la naissance, la survie et le sort de ces communautés chrétiennes d’Orient, ainsi que le rôle apporté par cette diversité dans un paysage que certains veulent aujourd’hui exclusivement « islamique ». 5 La notion de « chrétien s « occiden talisme » ? 5 d’Orient » : un La réalité des « chrétiens d’Orient » est diverse et floue. Les chiffres exacts sont difficiles à obtenir : il n’y a par exemple pas eu de recensement au Liban depuis 19322. En 2008, l’historienne Catherine Mayeur-Jaouen3 estimait la proportion à 4%, soit l’équivalent de 6 millions de personnes, dont presque 4 millions de Coptes en Egypte. Pourtant, un article de La Croix4 daté de 2011 avançait l’existence de 11 millions de chrétiens installés au Moyen-Orient, répartis dans 11 Eglises différentes. Cette contradiction des chiffres révèle encore une fois la difficulté de connaître les statistiques exactes d‘une réalité multiple, avec tous les problèmes de définition que cela comporte. Mais cette difficulté s’explique peut-être davantage encore par les risques liés à l’affirmation d’une identité chrétienne dans une région souvent hostile à ce qui n’est pas musulman. La « fuite » des chrétiens d’Orient, qui viennent grossir les rangs de la diaspora répartie dans le monde, ne fait pourtant pas de doute : le nombre de chrétiens au Moyen Orient chute. D’après un article de La Croix, en mars 2015, il restait environ 4 000 chrétiens en Irak, contre près de 1,4 million en 1987. 4 Selon Françoise Briquel-Chatonnet, identifier un chrétien comme « chrétien d’Orient » renverrait à une définition « occidentaliste », qui comprendrait tout ce qui est non-latin, et donc surtout ce qui est orthodoxe5. Selon Catherine Mayeur-Jaouen, cette définition serait même « désuète »6 et « utilisé[e] par des Européens surtout français inquiets de la montée de l’islam dans leurs propres sociétés ». L’expression renvoyait négativement à l’Empire ottoman et à ses minorités chrétiennes, dont la protection justifiait les ambitions de démembrement de l’Empire. C’est pourtant la définition retenue aujourd’hui, la plus « pratique » pour décrire la diversité des communautés chrétiennes à laquelle la définition renvoie. Dans son acception géographique, elle désigne l’ensemble des chrétiens du Moyen-Orient, en incluant la Turquie et l’Iran. Pourtant, un Chaldéen ayant émigré aux Etats-Unis n’est alors pas reconnu comme chrétien d’Orient, de même qu’un copte à Paris. La définition n’est donc pas entièrement satisfaisante, de même que celle fondée sur les rites. Elle ferait apparaître les chrétiens roumains, indiens ou russes et occulterait les nombreux chrétiens de rite non-oriental dans la région du Moyen-Orient, comme les catholiques latins ou les protestants. Les Philippins catholiques résidant dans les pays du Golfe, pour leur part, viennent considérablement grossissent les rangs des chrétiens dans certains pays : les oublier serait une erreur. En mars 2015, il restait environ 4000 chrétiens en Irak, contre près de 1,4 million en 19874 5 1 Eglises, fruit de6 schism es succ essifs Les principales lignes de divergence sont intervenues dans les premiers siècles après la naissance du Christ et ont été officialisées lors des premiers conciles à Nicée (325), Constantinople (381), Ephèse (431) et Chalcédoine (451). 6 Les chrétiens, quelle que soit leur communauté, se retrouvent dans la figure du Christ. C’est le fondement qui les unit, malgré les différents schismes apparus au cours des âges. C’est en terre orientale (Palestine) que le Christ serait né et que les premiers chrétiens sont apparus et ont transmis la parole biblique. Mais c’est aussi sur cette terre que les premières dissensions ont divisé les chrétiens en diverses communautés dont les rites et fondements théologiques divergent encore aujourd’hui. Les principales lignes de divergence sont intervenues dans les premiers siècles après la naissance du Christ et ont été officialisées lors des premiers conciles à Nicée (325), Constantinople (381), Ephèse (431) et Chalcédoine (451). Aujourd’hui, les affirmations des premiers conciles sont encore utilisées pour définir les différentes Eglises. Si tous les chrétiens reconnaissent les deux premiers conciles, les principales ruptures sont intervenues après, notamment avec le concile d’Ephèse et celui de Chalcédoine. « Eglises non-éphésiennes » A l’issue du concile d’Ephèse (431), il a été proclamé que Marie était mère de Dieu et le nestorianisme a été condamné. Les Nestoriens croient en l’idée de deux natures parfaitement distinctes dans le Christ, l’une divine et l’autre humaine. Selon eux, Marie serait donc la mère du Christ homme, mais pas celle de Dieu. Les chrétiens dissidents sont aujourd’hui regroupés dans ce que l’on appelle les « Eglises nonéphésiennes », composées de l’Eglise d’Orient et de l’Eglise chaldéenne : cette dernière s’est finalement unie à Rome en 1533 et s’est ainsi différenciée de la première. Les « Eglises non-chalcédoniennes » Une deuxième rupture intervient avec le concile de Chalcédoine en 451, dans lequel il est affirmé que le Christ est pleinement Homme et pleinement Dieu. L’unitarisme et le monophysisme sont condamnés. Diverses Eglises naissent du refus de cette thèse, regroupées sous la dénomination d’« Eglises non-Chalcédoniennes ». Ce sont l’Eglise syriaque d’Antioche (rite araméen, dont une partie est aujourd’hui rattachée à Rome), l’Eglise copte (rite en langue arabe ou copte) surtout présente en Egypte et l’Eglise apostolique arménienne. Les « Eglises chalcédoniennes » A l’inverse, les partisans du concile de Chalcédoine sont regroupés au sein de ce que l’on appelle les « Eglises chalcédoniennes ». Ce sont les Eglises orthodoxes (rite byzantin) ou melkites (grecques-catholiques), et l’Eglise maronite, surtout présente au Liban. Les Melkites et les Maronites sont unis à Rome mais organisés en patriarcats autonomes. 2 7 7 Eglise latine et Eglises protestantes Les Eglises latines et protestantes sont aussi présentes au Moyen-Orient, bien que leur inclusion dans la catégorie « Eglises d’Orient » puisse prêter à confusion. L’Eglise latine, héritage des Croisés, a cependant une histoire ancienne et significative dans la région, et les communautés latines implantées ne manquent pas. De même, le protestantisme évangélique connaît des résultats relatifs mais indéniables en matière de conversions de chrétiens comme de musulmans7. Le christianisme face à l’islam A partir du VIIe siècle et des conquêtes musulmanes, le christianisme fait face en Orient à une nouvelle religion, l’islam. Ce n’est pas la première fois que des chrétiens d’Orient sont confrontés à une religion autre : ils le sont ainsi depuis leur naissance avec le judaïsme, mais ils le sont aussi avec le zoroastrisme venu de Perse. Cependant, la relation musulmanschrétiens est particulièrement structurante pour les communautés chrétiennes, en raison de l’influence que l’islam va développer au MoyenOrient. La question revêt une importance particulière au regard des événements récents et des persécutions que subissent les chrétiens en Orient. Comme le rappelle Bernard Lewis8, il convient d’éviter deux écueils : considérer l’islam comme une religion intolérante et tyrannique, et céder à l’utopie interraciale ou interreligieuse prônée par les musulmans. En effet, les communautés chrétiennes d’Egypte (coptes) et de Syrie (jacobites), considérées comme schismatiques par l’Empire byzantin et la doctrine dominante, ont été mieux traitées sous la domination musulmane. C’est ainsi que l’invasion musulmane a permis à l’Eglise syriaque orthodoxe de se développer et de se propager des campagnes aux villes qui restaient fidèles aux positions théologiques officielles de l’empire byzantin. Les « inégalités fondamentales » et le statut inférieur Cependant, selon Bernard Lewis, les non-musulmans ont bénéficié d’un statut inférieur à celui du musulman, du fait de la reconnaissance d’inégalités fondamentales par l’islam. Ainsi, l’esclave, la femme et le non-croyant n’ont pas le même rang que le maître, l’homme et le croyant. Le chrétien qui refuserait de se convertir à l’islam n’est donc pas persécuté, mais discriminé, car il a choisi (contrairement à la femme vis-àvis de l’homme et de l’esclave vis-à-vis du maître) de ne pas être croyant. Ainsi, les trois inégalités fondamentales sont institutionnalisées et même légalisées, de même qu’elles sont considérées comme utiles aux affaires de la société. Bon nombre de chrétiens se convertissent à l’islam pour éviter l‘humiliation et la différenciation. Progressivement l’islam devient majoritaire et la prise de Constantinople en 1453 constitue une victoire de l’Empire ottoman sur l’Empire byzantin, c’est-à-dire du monde musulman La relation musulmanschrétiens est particulièrement structurante pour les communautés chrétiennes, en raison de l’influence que l’islam va développer au Moyen-Orient. 7 3 sur le monde chrétien.8Ces derniers se voient ainsi conférer un statut inférieur, avec notamment un impôt spécifique à payer (la djizia, )ﺔﯾزﺟ. Les persécutions sont rares, les minorités disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur religion et de leurs affaires, mais la discrimination est évidente. La protection des minorités chrétiennes par les puissances européennes Au XIXe siècle, les grandes puissances européennes vont trouver des justifications pour pénétrer l’Empire ottoman et chercher à le démembrer. En effet, suite à des pogroms perpétrés contre des minorités chrétiennes, les grandes puissances européennes, comme la France et l’Empire russe, s’investissent de la mission de « protéger » les chrétiens d’Orient. La France réagit ainsi aux pogroms perpétrés par les Druzes contre la communauté maronite du Mont Liban en 1860 et envoie des missions dans la région. Réminiscence de l’âge d’or des croisades ou volonté d’en finir avec le « colosse aux pieds d’argile », il est clair que les puissances chrétiennes européennes ont eu le désir de protéger les minorités chrétiennes, considérées comme opprimées par l’Empire musulman. Les Eglises du Moyen-Orient se sont peu à peu unifiées pour former en 1974 le Conseil des Eglises du Moyen-Orient, qui rassemble aujourd’hui les Eglises orthodoxes, chalcédoniennes, coptes, arméniennes, syriennes, protestantes et, depuis 1990, l’Eglise catholique. Une conscience chrétienne face à un islam dominant s’est développée, sans que la confrontation entre les deux religions ne soit nécessairement conflictuelle 8 Une conscience chrétienne face à un islam dominant s’est donc développée, sans que la confrontation entre les deux religions ne soit nécessairement conflictuelle. Le souci européen de préserver les communautés chrétiennes d’Orient d’un environnement musulman hostile existe encore aujourd’hui, mais dans une moindre mesure. C’est dans le cadre de la protection de l’ensemble des minorités d’Orient, qu’elles soient kurdes, yézidies, mandéennes ou chrétiennes, que le chef de la diplomatie française évoque le sort des chrétiens d’Orient. Il a notamment pris la parole à cette occasion à la tribune du Conseil de sécurité de l’ONU, le 27 mars 2015, et en convoquant une conférence internationale, le 8 septembre 2015, consacrée aux victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Un aven ir porté par la diaspora ? Aujourd’hui, la question de la survie des communautés chrétiennes au Moyen-Orient est véritablement posée, en témoigne le cri d’alarme lancé par Mgr Louis Raphaël Sako8. Leur proportion dans les pays arabes est en chute libre, du fait de l’émigration, d’une plus faible natalité chez les chrétiens ainsi qu’en raison des persécutions. Les chrétiens d’Orient sont nombreux à quitter leur pays d’origine pour trouver un lieu de vie plus accueillant où les conditions sont meilleures, comme aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Europe occidentale, et particulièrement en Allemagne et en Suède. 4 9 Tandis que depuis quelques années la montée de l’islamisme en Egypte a exacerbé le danger que courent les coptes, qu’en Arabie saoudite les chrétiens sont proscrits et que ceux résidant dans les territoires désormais contrôlés par l’organisation Daech ont été contraints de choisir entre conversion, rançon ou exil : chaque jour, à travers le monde, de nouveaux membres viennent grossir les rangs de la diaspora des chrétiens d’Orient. Ils sont nombreux à tenter leurs chances, par voie terrestre ou maritime, de manière clandestine ou légale pour rejoindre des membres de leur famille ou simplement fuir un quotidien difficile. Il n’est pas rare de voir des églises orientales dans les grandes villes du globe, comme l’église Notre-Dame-duLiban à Paris, ou à Détroit, aux Etats-Unis. Comme le montre Gérard-François Dumont9, des villes américaines comme Chicago et Détroit comptent chacune 80 000 Assyro-Chaldéens venus pour la plupart d’Irak, du Liban, de Syrie, d’Iran ou de Turquie. En 2005, plus de 150 000 chrétiens irakiens vivaient déjà aux Etats-Unis et 50 000 au Canada. Leur nombre est bien évidemment en constante augmentation, et particulièrement depuis l’arrivée de Daech. Cette diaspora représente un avenir pour une partie de la population d’Orient, dans le sens où elle peut constituer un soutien économique, financier ou spirituel. Mais, dans le même temps, la fracture avec les communautés restées dans le pays d’origine risque de se renforcer et une sorte de complexe peut apparaître chez ceux qui ont réussi à émigrer. Le rôle de cette diaspora est donc multiple et complexe, mais est assurément un gage de survie et de rayonnement pour les chrétiens d’Orient. 9 Ils sont nombreux à tenter leurs chances par voie terrestre ou maritime, de manière clandestine ou légale, pour rejoindre des membres de leur famille ou simplement fuir un quotidien difficile. Références 1- Bernard Lewis, « L'islam et les non-musulmans », Annales, 1980, 35, 3-4, p. 784-880 (consultable en ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_03952649_1980_num_35_3_282668). 2- Lebanese Information Center. « La réalité démographique libanaise ». 2013. (consultable en ligne : http://www.lstatic.org/PDF/demographfrench.pdf ) o 3- Catherine Mayeur-Jaouen, « Dans la tourmente », L'Histoire, n 337 « Les chrétiens d'Orient », décembre 2008, p. 62 http://www.histoire.presse.fr/dossiers/dans-la-tourmente-01-12-20088642http://www.histoire.presse.fr/dossiers/dans-la-tourmente-01-12-2008-8642 4- « Le christianisme d'Orient », La Croix.,2 octobre 2010 (consultable en ligne : http://www.lacroix.com/Actualite/Monde/Le-christianisme-d-Orient-_EP_-2011-10-02-718516). o 5- Françoise Briquel-Chatonnet, « Tout commence à Édesse », in L’Histoire, n 337, décembre 2008, p. 43 (consultable en ligne : http://www.histoire.presse.fr/dossiers/tout-commence-aedesse-01-12-2008-6742). o 6- Catherine Mayeur-Jaouen, « Dans la tourmente », L'Histoire, n 337 « Les chrétiens d'Orient », décembre 2008, p. 62 http://www.histoire.presse.fr/dossiers/dans-la-tourmente-01-12-20088642http://www.histoire.presse.fr/dossiers/dans-la-tourmente-01-12-2008-8642 http://www.histoire.presse.fr/dossiers/dans-la-tourmente-01-12-2008-8642 7- « Islam-Chritianisme : l'activité missionnaire évangélique dans le monde musulman », interview de Fatiha Kouès par Olivier Moos, in Saphirnews, 19 juin 2013 (http://www.saphirnews.com/Islam-christianisme-l-activite-missionnaire-evangelique-dans-lemonde-musulman_a16974.html). 8- Laurence Desjoyaux, Ne nous oubliez pas ! Le SOS du patriarche des chrétiens d’Irak, Paris. Broché 5 février 2015 Pour aller plus loin : - Laurence Desjoyaux, Ne nous oubliez pas! Le SOS du patriarche des chrétiens d’Irak, Paris. Broché, 5 février 201 Marie de Varnay, Chrétiens d’Orient : voyage au bout de l’oubli. Paris. François Bourin. 2013. Sous la direction d’Antoine Sfeir, coordonné par Leila et Bernard Godard, Chrétiens d’Orient : et s’ils disparaissaient ? Paris. Bayard. 2009. Les chrétiens d’Orient : histoire et identité. Actes de deux journées d’études, coordonnés par Marie-Thérèse Urvoy. Versailles. Editions de Paris. 2014. 9 1 10 Moment kurde, percée électorale et fin du cessez-le feu : vers un renouvellement de la question kurde en Turquie ? KURDES è TURQUIE L a relation entre la minorité kurde de Turquie et le pouvoir PAR GABRIEL GROS 91ème Session Jeunes Nîmes, 2015 La relation entre la minorité kurde de Turquie et le pouvoir central d’Ankara est source de tensions depuis la fondation de la République de Turquie. 10 central d’Ankara est source de tensions depuis la fondation de la République de Turquie. Les dernières décennies ont été marquées par une hésitation entre avancées pour les droits politiques et culturels de la minorité et retours à une approche brutale et sécuritaire. Cependant les évènements récents et le « moment kurde »1 que connaissent le pays et la région semblent rebattre les cartes de cette question kurde. Depuis l’avènement de la Turquie moderne en 1923, le déni officiel de l’existence d’une question kurde autre que sécuritaire a conduit à la détérioration du dialogue national et à la formation d’un conflit ouvert. Un nouvel épisode de cette lutte, souvent violente, pour les droits de cette minorité s’est ouvert l’été dernier avec d’un même mouvement l’entrée au parlement du parti pro-kurde HDP (Parti démocratique des peuples) et la fin du processus de paix avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation classée comme terroriste). Cette suite d’évènements à la fois intérieurs et régionaux demande un nouvel examen des enjeux de ce conflit qui semble souvent être contingent d’autres problèmes politiques. Si, en apparence c’est la lutte indiscriminée de la Turquie contre Daech et les rebelles kurdes en Syrie qui provoque un regain de tensions avec l’organisation terroriste kurde, la séquence insurrectionnelle qui s’est ouverte en juillet dernier est tributaire des choix politiques de l’AKP (Parti de la justice et du développement), le parti du président Erdoğan, au pouvoir depuis 2002. Ce dernier avait conclu un accord de cessez-le feu avec le PKK en 2013 et opère donc ici un retour en arrière dans la gestion des relations avec la minorité. Ce court épisode de paix est désormais clos et pas moins de 300 civils, soldats et membres du 2 11 PKK, ont trouvé la mort pour la seule période de mi-juillet à fin septembre 20152. L’actualité et les enjeux de la question kurde nécessitent une nouvelle attention et doivent être abordés au travers du prisme de la politique globale de l’AKP. Il faut donc poser la question du renouvellement de la revendication kurde en Turquie, tiraillée entre sa logique traditionnelle d’opposition entre le PKK et l’Etat autoritaire, et la montée en puissance d’un mouvement légal et progressiste. La conception unitaire de la république turque C’est en 1923 à la suite du démantèlement de l’Empire ottoman et de la guerre d’indépendance qu’est fondée la République turque. Il s’agissait alors pour Mustafa Kemal de faire naitre un pays moderne tourné vers l’Occident. Les nombreuses réformes de modernisation ont amené, parfois brusquement, le pays à s’occidentaliser aussi bien dans son alphabet, ses vêtements que dans son droit civil. La refonte des institutions était construite sur deux principes forts, le nationalisme et le sécularisme. L’ambition kémaliste était de créer un État-nation pour le peuple turc conçu, non pas comme communauté religieuse, mais en référence à la nation turque telle qu’elle existait avant son islamisation au 12ème siècle. De là, c’est une république laïque, unitaire et jacobine tournée vers la modernité occidentale que Mustafa Kemal institue, et dans laquelle la nation est indivisible et ne saurait être segmentée3. La révolution kémaliste pose donc les jalons du problème kurde en centrant la nouvelle république sur la majorité turque et en ne laissant aucune place pour la reconnaissance de droits spécifiques à un groupe ethnique et linguistique minoritaire4. Cette composante nationaliste de la république turque rencontre dès les années 30 une forte résistance chez les Kurdes. Ce présent en Turquie, Irak, Iran et Syrie, est d’une ethnie différente des majorités arabes, turques et perses de ces pays, sans être pour autant un bloc religieux et linguistique homogène. Les années 1937 et 1938 sont, par exemple, marquées par les massacres de Dersim où entre 10 000 et 40 000 Kurdes trouvent la mort après que certains chefs s’étaient opposés aux politiques de turquification.5 Dès cette époque, c’est un rapport brutal qui domine avec le régime qui veut imposer une identité culturelle à un peuple non-turc qui la refuse. Cette vision de la question kurde dominée par une approche sécuritaire s’installe chez les dirigeants politiques et reste encore aujourd’hui ancrée dans la politique d’Ankara.6 11 La refonte des institutions était construite sur deux principes forts, le nationalisme et le sécularisme. L’ambition kémaliste était de créer un État-nation pour le peuple turc conçu, non pas comme communauté religieuse, mais en référence à la nation turque telle qu’elle existait avant son islamisation au 12ème siècle. Revendications et rebellions kurdes Face à cette politique nationaliste brutale, le peuple kurde se trouve placé en marge du pays et de sa modernisation, voit ses demandes ignorées et ses révoltes réprimées. C’est dans les années 60 que de nouvelles vagues de contestation émergent, associant aussi bien leurs revendications politiques et culturelles qu’économiques et sociales. Ce rattachement de la question kurde à des problématiques économiques de lutte des classes permettra dans les années suivantes au PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan alors d’orientation marxiste-léniniste, de recruter ses membres et emporter l’adhésion de la population kurde.7 La revendication principale est alors l’indépendance de la zone de peuplement kurde au sud-est du pays. 11 3 12 «LesKurdes,unpeupledivisé»,PhilippeRekacewicz,LeMondeDiplomatique,octobre2002. Si ce peuple bénéficiait d’une marge de manœuvre assez grande sous l’Empire ottoman, l’avènement de la république turque nationaliste va ouvrir une période de répression et de négation de leurs droits culturels et politiques. 12 Ce mouvement de revendication radical et violent doit, pour être compris, être mis en reflet de l’attitude du régime envers sa minorité kurde. Si ce peuple bénéficiait d’une marge de manœuvre assez grande sous l’Empire ottoman, l’avènement de la république turque nationaliste va ouvrir une période de répression et de négation de leurs droits culturels et politiques. Le nom même de Kurde est absent de la vie politique qui ne reconnaît pas l’existence de minorité au sein de sa nation. Mustafa Kemal parlait des Kurdes comme des Turcs de la montagne, et cette pratique continua officiellement jusqu’en 1991. Le domaine linguistique fut un terrain privilégié de la politique de turquification. Ainsi dans le cadre de cette politique les références à des noms kurdes sont supprimées, la toponymie est turquifiée et les prénoms kurdes interdits. La pratique de la langue kurde fut même interdite dans la vie publique entre 1980 et 1992. Aujourd’hui encore de nombreux obstacles posés à cette époque s’opposent à la création d’écoles et de programmes scolaires spécifiquement destinés à des élèves kurdes. Cette politique d’assimilation est allée jusqu’au déplacement forcé de population dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, vidant ainsi des villages entiers8. Les droits politiques des Kurdes sont également réprimés. Les partis politiques pro-kurdes et leurs membres sont régulièrement ciblés par les autorités judiciaires et constitutionnelles pour intimider et dissuader les activistes de défendre la cause kurde de manière trop dynamique. Ainsi la Cour constitutionnelle procède régulièrement à la dissolution de ces partis pour liens supposés avec le PKK et les députés pro-kurdes sont ciblés par la justice pour la même raison. Les obstacles ne sont pas seulement le fait des procédures juridictionnelles mais aussi de la violence populaire à leur égard, la période récente a démontré que quiconque questionnerait la politique gouvernementale à l’égard de la minorité kurde serait accusé d’atteinte à l’unité du pays et pourrait être violemment pris à partie. Les grands journaux nationaux, les partis politiques et comme l’actualité récente l’a rappelé, les manifestants pacifiques, même non exclusivement kurdes9, font ainsi l’objet d’attaques violentes.10 4 C’est donc d’une violence d’Etat, cautionnée13 par la Constitution, mais également d’une violence ordinaire dont font l’objet les Kurdes en Turquie. 13 Quels progrès pour la situation des Kurdes en Turquie ? Face à ce tableau sombre il faut cependant examiner les progrès réalisés sur le temps long. L’arrivée au pouvoir de Turgüt Özal, d’origine kurde, a engagé à partir de 1989 une politique de réconciliation et d’ouverture envers la minorité kurde. Le mot « kurde » est utilisé publiquement et en 1992 la pratique du kurde en public est de nouveau autorisée. On voit alors se former un parti kurde dans la vie politique et par là la reconnaissance d’une spécificité de la minorité kurde. Cette avancée permet notamment de dissocier PKK et question kurde. Une alternative légale permet aux Kurdes de revendiquer leurs droits sans être associés directement à la violence du mouvement terroriste. Ce mouvement qui va aussi subir de profondes mutations. La capture du leader Abdullah Öcalan en 1999 va marquer un tournant dans l’attitude du PKK. Celui-ci change ses revendications violentes pour se tourner vers la négociation, c’est dans ce contexte que les combattants du PKK quittent la Turquie pour le Kurdistan Irakien. La revendication kurde opère une mutation et abandonne les idées d’indépendance, de prise du pouvoir et, en partie, son idéologie communiste, les demandes principales sont alors avant tout d’ordre culturel puis politique. C’est un changement qui est payant puisque la décennie qui suit voit se réaliser un certain nombre d’avancées en matière culturelle. Un facteur déterminant sera l’entrée de la Turquie dans le processus d’adhésion à l’Union européenne qui implique la soumission du gouvernement à une série d’exigences dont fait partie une plus grande reconnaissance des droits des Kurdes notamment grâce à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Des avancées aussi diverses que l’autorisation de donner des prénoms kurdes en 200311 ou que le retour des noms kurdes de villes débaptisées12 sont permises par l’AKP au pouvoir. Ces avancées sur le terrain linguistique dénotent une nouvelle posture du gouvernement mais restent symboliques et marginales13. Si la revendication des Kurdes pour leurs droits est aujourd’hui légale en Turquie, les avancées en ce sens restent contingentes de la politique globale du gouvernement. Cet exemple d’ouverture est caractéristique de la politique de l’AKP envers les Kurdes, elle n’est qu’accessoire et ne sert que d’instrument ou de posture électorale. Les avancées permises dans le cadre de l’adhésion à l’UE ne se poursuivent pas une fois ce processus dans l’impasse, l’ouverture aux Kurdes était un gage de bonne foi pour l’UE et non le résultat d’une volonté politique d’améliorer la condition kurde en Turquie. La politique d’ouverture n’était que contingente d’une politique considérée comme plus importante pour Ankara. De même l’ouverture affichée et médiatisée envers le Kurdistan autonome d’Irak (GRK), n’a pas pour but de se féliciter de l’autonomie de Kurdes aux portes de la Turquie mais plutôt de saper le projet d’un Kurdistan indépendant et unifié.14 Cette alliance avec le GRK permet en outre d’affaiblir le pouvoir irakien central qui est un obstacle à l’affirmation de la Turquie en tant que puissance régionale. Le GRK devient ainsi un pion d’Ankara dans sa politique extérieure « confessionnalisée » qui vise au renforcement des puissances sunnites au détriment des régimes voisins syriens, irakiens et iraniens15. La leçon des 15 dernières années est qu’il n’y a pas de volonté politique pour résoudre la question kurde et leur garantir des droits politiques et culturels à moins que cela ne puisse aider Ankara dans sa politique nationale et régionale. Aujourd’hui Erdoğan va plus loin en faisant de la lutte contre les Kurdes un levier électoral. La revendication kurde opère une mutation et abandonne les idées d’indépendance, de prise du pouvoir et, en partie, son idéologie communiste 13 5 Si la revendication des Kurdes pour leurs droits est aujourd’hui légale en Turquie, les avancées en ce sens restent contingentes de la politique globale du gouvernement. Cet exemple d’ouverture est caractéristique de la politique de l’AKP envers 14 les Kurdes, elle n’est qu’accessoire et ne sert que d’instrument ou de posture électorale. Les avancées permises dans le cadre de l’adhésion à l’UE ne se poursuivent pas une fois ce processus dans l’impasse, l’ouverture aux Kurdes était un gage de bonne foi pour l’UE et non le résultat d’une volonté politique d’améliorer la condition kurde en Turquie. La politique d’ouverture n’était que contingente d’une politique considérée comme plus importante pour Ankara. De même l’ouverture affichée et médiatisée envers le Kurdistan autonome d’Irak (GRK), n’a pas pour but de se féliciter de l’autonomie de Kurdes aux portes de la Turquie mais plutôt de saper le projet d’un Kurdistan indépendant et unifié.14 Cette alliance avec le GRK permet en outre d’affaiblir le pouvoir irakien central qui est un obstacle à l’affirmation de la Turquie en tant que puissance régionale. Le GRK devient ainsi un pion d’Ankara dans sa politique extérieure « confessionnalisée » qui vise au renforcement des puissances sunnites au détriment des régimes voisins syriens, irakiens et iraniens15. La leçon des 15 dernières années est qu’il n’y a pas de volonté politique pour résoudre la question kurde et leur garantir des droits politiques et culturels à moins que cela ne puisse aider Ankara dans sa politique nationale et régionale. Aujourd’hui Erdoğan va plus loin en faisant de la lutte contre les Kurdes un levier électoral. Si la revendication des Kurdes pour leurs droits est aujourd’hui légale en Turquie, les avancées en ce sens restent contingentes de la politique globale du gouvernement. Entrée du parti pro-kurde au parlement, reprise du conflit avec le PKK et élections législatives de novembre 2015 : quels enjeux ? L’objectif politique actuel de l’AKP est double. Sur le plan intérieur il s’agit de s’assurer une majorité parlementaire suffisante pour réviser la Constitution au profit du président16, et sur le plan régional de s’assurer de l’affaiblissement de l’axe chiite en développement pour atteindre ce statut de puissance régionale tant désiré. Les mois de juin et juillet derniers sont décisifs sur ces deux plans, avec le 7 juin, la perte de la majorité de l’AKP au parlement, et le 20 juillet le premier attentat de Daech sur le sol turc qui met fin à la politique d’équilibriste de Erdoğan en Syrie17. Ce jour là, 31 personnes meurent à Suruç, une ville à fort peuplement kurde, dans une manifestation de soutien à la population de la ville de Kobané, bastion de résistance kurde en Syrie. Il y a une double conséquence à ces évènements. D’une part le PKK, frustré du peu d’avancées dans le processus de paix, rompt le cessez le feu en reprenant ses attentats et accuse le régime de complicité avec Daech contre les Kurdes. D’autre part la Turquie intègre la coalition de l’OTAN contre Daesh, dont elle ne peut tolérer l’action sur son sol, malgré l’utilité que trouvait Ankara dans les actions terroristes de l’organisation à l’encontre de ses rivaux kurdes et chiites. Le 25 juillet la Turquie commence à bombarder non seulement les djihadistes mais aussi le PKK et la branche syrienne du mouvement kurde, le YPG. Depuis c’est un affrontement brutal auquel se livrent les trois parties avec de nombreux attentats rebelles et des bombardements turcs sur les positions des ces deux groupes. La lutte contre Daech reste cependant nettement secondaire dans l’engagement militaire turc avec 14 6 15 seulement quelques bombardements et pas de lutte contre les flux frontaliers de combattants et de contrebande. En Turquie cet affrontement a largement débordé dans la sphère civile avec des attentats comme celui du 10 octobre faisant 102 morts dans une manifestation organisée par le HDP. C’est surtout une violence moins médiatisée mais plus régulière qui illustre ce débordement et qui affecte les journaux, partis ou militants qui s’opposent au gouvernement sur sa position à l’égard de la rébellion kurde. Le retour à un tel niveau de violence permet au PKK de faire à nouveau pression sur le gouvernement alors que le processus de paix stagne et que le gouvernement n’est, en réalité, pas prêt à faire des avancées substantielles. Le PKK joue également sa survie en voulant lier intimement la question kurde au PKK comme c’était le cas dans les années 1980. Depuis le cessez-le feu de 2013 malgré son statut d’interlocuteur du gouvernement, il avait perdu dans l’opinion publique l’ascendant sur la revendication kurde. Un affaiblissement particulièrement marqué depuis juin dernier date à laquelle le HDP est parvenu à franchir le seuil des 10% lui permettant ainsi de remporter des sièges au parlement. Le retour de la violence témoigne donc de cette lutte pour le monopole de la revendication kurde. 15 Le PKK joue également sa survie en voulant lier intimement la question kurde au PKK comme c’était le cas dans les années 1980. Pour le pouvoir en place, l’enjeu de cette lutte est avant tout électoral. Le discours nationaliste et unitaire affiché par Erdoğan correspond à sa stratégie de conquête des voix de droite, celles captées par le MHP (le parti d’action nationaliste) d’extrême droite arrivé 3ème aux élections de juin. Cette quête pour la majorité, outre son atout politique évident, permettrait à Erdoğan d’affaiblir la résistance parlementaire à sa réforme constitutionnelle visant à instaurer un régime présidentialiste. L’enjeu de cette lutte est aussi sécuritaire. Après l’attentat commis par l’EI en juillet dernier sur son sol, Ankara ne pouvait plus tenir sa ligne de laisser-faire envers les djihadistes. Cette politique qui consistait à ne pas agir contre Daech pour affaiblir les Kurdes syriens du YPG et le régime de Bachar el-Assad, s’est en fin de compte retournée contre le gouvernement. Cet échec est lui même exploité à son tour pour adopter une posture d’autorité et de puissance en rejoignant la coalition. Les raids aériens turcs permettent également à Ankara d’attaquer directement les forces du YPG, alliées de circonstance des forces loyalistes. Ces objectifs politiques et sécuritaires se font, à nouveau, aux dépens des Kurdes envers lesquels l’attitude du gouvernement s’est largement dégradée laissant entrevoir un retour à la situation de guerre civile des années 8018 19. L’analyse des enjeux de la lutte contre les kurdes pour l’AKP, révèle en fin de compte la fragilité du pouvoir d’Erdoğan. Celui-ci agit pour sa survie alors qu’il est menacé d’une part dans la région par le « moment kurde » et en Turquie par la remise en cause de son modèle politique. Dans cette lutte Erdoğan apparaît comme dépassé par les évènements et voulant à tout prix revenir sur le devant de la scène pour ne pas être éclipsé ni par les Kurdes dans la lutte contre Daech ni par ses rivaux politiques au Parlement.20 On ne peut pas aujourd’hui parler d’un renouvellement de la revendication kurde. Si le « moment kurde » a réellement su apporter un nouveau souffle à la revendication kurde et à son image dans l’opinion publique des pays étrangers, la question kurde reste avant tout en Turquie une problématique interne. Les évènements récents ont certes créé un regain de tension mais ce sont des logiques préexistantes qui sont aujourd’hui à l’œuvre. 15 7 1 2 Les partis pro-kurdes existent depuis les années 1990 et s’ils affichent des résultats prometteurs, ils 16 ne parviennent pas à éclipser la revendication violente et de ce fait pas plus encore l’approche sécuritaire de l’Etat. On ne doit pas attendre une rupture dans un sens ou dans l’autre, dans les conséquences des élections législatives du 1er novembre dernier qui ont rendu la majorité parlementaire à l’AKP mais plutôt la confirmation des tendances existantes. D’une part la performance électorale renouvelée du HDP donne un meilleur ancrage de la revendication kurde légale dans la vie politique et au sein de l’opinion, étape nécessaire pour transformer la question kurde en enjeu politique de premier plan. Par la même occasion, cela donne au HDP l’opportunité de porter une revendication alternative au PKK et de quitter le paradigme sécuritaire pour obtenir des avancées en matière de droits collectifs, politiques et culturels. Cet ancrage de la question kurde dans la conscience nationale est également accentué par les événements récents tels que l’attentat d’Ankara qui a rappelé au pays et à sa capitale, la réalité du conflit qui se joue à l’est. Et d’autre part à la victoire de l’AKP et la constitution d’une majorité absolue au Parlement vont favoriser le renforcement des prérogatives présidentielles et la poursuite de l’installation du pouvoir autoritaire d’Erdoğan. Cette tendance n’est pas porteuse d’espoir pour la minorité kurde, encore à la merci d’un régime qui cherche à minorer leur importance et discréditer leurs revendications considérées comme secondaires. Il reste à espérer que le régime démocratique demeurera en Turquie et ne poussera pas les Kurdes à la révolte ou au reniement. Références 1- « Introduction : le moment kurde », Politique Étrangère, 2014/2 (Eté), p. 10-13. 2- CrisisWatch Database, Turkey, International Crisis Group. 3- À propos de l’idéologie Kémaliste: Atatürk and the Modernization of Turkey, Ed. Jacob Landau, Westview Press, Boulder, Colorado, 1984. Notamment: DUMONT Paul, « The Origins of Kemalist Ideology », pp. 25-44. Et, OKYAR Osman, « Atatürk’s Quest for Modernism », pp. 45-53. 4- BILLION Didier, « L’improbable État kurde unifié », Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique, IRIS, novembre 2014. 5- À propos du massacre de Dersim: KIESER Hans-Lukas, « Dersim Massacre, 19371938 », Online Encyclopedia of Mass Violence, Juillet 2011. 6- Hamit Bozarslan, « La question kurde à l'heure de l'« ouverture » d'Ankara », Politique 16 Étrangère, 2010/1 (Printemps), p. 55-64. 7- « Turkey – Kurds », World Directory of Minorities and Indigenous Peoples, Minority Rights Group International. 8- Human Rights Watch, “Turkey’s failed policy to aid the forcibly displaced in the southeast”, rapport de juin 1996. 9- COPEAUX Etienne, « Les approximations des médias français sur l’attentat d’Ankara », Orient XXI, 13 octobre 2015. 10- Minority Rights Group, supra note 7. 11- CIGERLI Sabri, « La reformulation de l’idéologie officielle turque et la langue kurde: L’autorisation d’un prénom kurde », Confluences Méditerranée, n°24, Été 2000. 12- Dépêche de l’AFP du 13 novembre 2009, Ankara. http://www.institutkurde.org/info/depeches/le-gouvernement-turc-annonce-desmesures-pour-ameliorer-les-droits-des-kurd-2261.html 13- ORLANDINI Baptiste, « Entre Kurdes et politique régionale: la Turquie face à ses ambiguïtés », blog Études Géostratégiques, 23 septembre 2015. 14- BILLION, supra note 4. 15- BILLION Didier, « Les défis de la politique régionale de la Turquie », Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique, IRIS, octobre 2014. 16- JEGO Marie, « Législatives en Turquie : Erdogan voit son rêve de sultanat lui échapper », Lemonde.fr, 7 juin 2015. 17- BILLION, supra note 15. 18- Par exemple: DELORME Sandrine, « Turquie : "nous allons nettoyer le pays des terroristes du PKK” », Euronews, 7 septembre 2015. 19- WRIGHT Robin, « The Explosions in Turkey », The New Yorker, 11 octobre 2015. 20- BALCI Bayram, « Les fragilités du pouvoir turc », Orient XXI, 26 août 2015. 1 17 17 Éviter le vide politique en Syrie : entretien avec S.E.M. ALI AHANI, ambassadeur d’Iran en France IRAN è ENTRETIEN PROPOS RECCUEILLIS PAR ROMAIN DEWAELE 90ème Session Jeunes Ile-de-France, 2015 EN PARTENARIAT AVEC LE SITE GLOBAL DIPLOMATIE.COM La République islamique d’Iran soutient le dialogue et les consultations politiques au niveau régional, car ils représentent la seule solution pour favoriser la stabilité au Moyen Orient. L’Iran, fort de son accord avec les puissances occidentales, retrouve sa place stratégique au « Grand Moyen-Orient », quel rôle voulez-vous jouer désormais? S.E.M Ali Ahani: Le développement de ses relations avec l’ensemble des pays et en particulier les pays musulmans, les pays voisins et les pays de la région, représente la politique stable que veut mener de la République islamique d’Iran. Nous avons toujours œuvré pour la sécurité et la stabilité de la région et nous nous prononçons contre les actions qui peuvent provoquer l’instabilité régionale et insistons, dans ce cadre, sur une solution politique pour les crises tout en réfutant les interventions étrangères. La République islamique d’Iran soutient le dialogue et les consultations politiques au niveau régional, car ils représentent la seule solution pour favoriser la stabilité au Moyen Orient. Vous insistez sur le rôle stabilisateur qu’entend jouer l’Iran, mais on constate une image assez péjorative de l’Iran en France, comment comptez-vous améliorer votre soft power dans l’Hexagone? S.E.M AA: En dépit des tentatives, particulièrement depuis la révolution de 1979, pour noircir l’image de la République islamique d’Iran, nous constatons qu’une image relativement meilleure de l’Iran est véhiculée en France. Dans ce cadre, les médias français ont un rôle important et efficace pour présenter la véritable image de l’Iran au peuple français. En effet, au 17 2 3 18 cours des deux dernières années, plus de 250 journalistes français ont visité notre pays, les articles et reportages de ces journalistes ont permis à l’opinion publique française de mieux connaitre les réalités iraniennes et nous soutenons la poursuite de ce processus. Sans aucun doute, l’amélioration des relations entre l’Iran et la France, surtout après le déplacement officiel de Monsieur Laurent Fabius, ainsi que les échanges de délégations politiques, parlementaires, économiques et culturelles, à l’ordre du jour grâce à la volonté politique commune des deux gouvernements, seront extrêmement efficaces dans l’amélioration à la fois de l’image de l’Iran en France et inversement. Justement, on vient de parler d’image, mais quel est l’état des relations entre nos deux pays? S.E.M AA: Les relations politiques et culturelles de l’Iran et de la France sont très anciennes et historiques, globalement les deux peuples ont une vision positive l’un envers l’autre. De plus, la France n’ayant jamais eu de passé colonial en Iran, le peuple iranien n’a pas de vision négative à l’égard de votre pays. Certes l’attitude politique de la France au cours des dernières années, surtout influencée par la question nucléaire, a véhiculé provoqué une image négative et des interrogations dans l’opinion publique iranienne. Or, après l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 à Vienne et le déplacement officiel de Monsieur Laurent Fabius en Iran, ainsi que les échanges de délégations de haut niveau prévus entre les deux pays au cours des prochains mois, le terrain redeviendra favorable pour que ces relations enracinées dans l’histoire, retrouvent leur voie normale et que les relations amicales historiques entre les deux peuples se renforcent à nouveau. Si l’on revient à la brûlante actualité, vous êtes depuis longtemps proches diplomatiquement de la Russie, en outre les accords sur le nucléaire vous rapproche des États-Unis, cela change-t-il la donne avec la Russie? « Compte tenu de nos places sur la scène régionale et internationale, nous pouvons jouer un rôle déterminant dans la création d’un monde multipolaire » 18 S.E.M AA: La République islamique d’Iran et la Russie disposent de multiples intérêts communs. Compte tenu de nos places sur la scène régionale et internationale, nous pouvons jouer un rôle déterminant dans la création d’un monde multipolaire. Les peuples du monde et spécifiquement les peuples du tiers monde ont grandement souffert dans le passé d’un monde bipolaire et des tentatives des États-Unis, après l’effondrement de l’Union Soviétique de créer un monde unipolaire. Assurément, les nouvelles données géopolitiques du monde vont dans le sens d’un monde multipolaire. 4 19 19 Si les relations sont encore froides avec les États-Unis, par le « bas » comment les Iraniens voient les Américains? « Nous croyons qu’il est S.E.M AA: L’opinion publique iranienne n’a jamais eu le moindre problème avec indispensable le peuple américain. Ce sont les attitudes et les agissements des d’empêcher gouvernements successifs américains à l’égard de l’Iran dans le passé comme sérieusement le coup d’Etat contre le gouvernement de Mossadegh, la destruction de l’avion que les droits civil iranien dans le Golfe persique, soutien au régime de Saddam Hussein lors de la guerre de 8 ans qu’il a imposé à l’Iran…ont provoqué une grande absence des peuples, de confiance du peuple iranien envers les États-Unis. Si les Etats Unis quelque soit d’Amérique corrigent leur attitude, cela pourra améliorer l’image des États-Unis leur dans l’opinion publique iranienne. convictions ou religions, L’Iran entend incarner un « Vatican » chiite, comment soutenez-vous ne soient les chiites dans leur diversité (duodécimains, ismaéliens, zaydites…) lésés et il hors d’Iran? faut soutenir leurs droits S.E.M AA: La stratégie de la République islamique d’Iran est basée sur le légitimes ». respect et la défense des droits des peuples et ne fait nullement de distinction entre chiites et sunnites et les autres minorités religieuses. Nous croyons qu’il est indispensable d’empêcher sérieusement que les droits des peuples, quelque soit leur convictions ou religions, ne soient lésés et il faut soutenir leurs droits légitimes. Les chiites et les sunnites sont tous musulmans et croient en un Dieu unique, le Saint Coran et le Prophète. Essayer de jeter l’huile sur les différences religieuses entre chiites et sunnites représentent une véritable trahison envers l’Islam. Justement, il y a en ce moment au Yémen un conflit qui tourne au conflit confessionnel, quel est votre analyse de ce conflit? S.E.M AA: La guerre contre le peuple yéménite représente une faute stratégique dans la mesure où la résolution du conflit au Yémen dépend uniquement des solutions politiques, du dialogue inter-yéménite et du soutien de 19 5 20 « Dès le commenceme nt de la crise en Syrie, l’Iran croyait en la nécessité de solutions politiques. Celles-ci, fondées sur la participation du peuple et des groupes politiques syriens dans la détermination de leur destin commun ». 20 tous les acteurs régionaux au dialogue. Nous insistons sur la fin des attaques militaires contre le Yémen et la résolution des différends par le biais du dialogue. Dans cette voie, nous soutenons les efforts du représentant du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies pour le Yémen. Aussi, toutes les parties influentes sur le plan intérieur, régional et international se doivent de soutenir le représentant de l’ONU pour le Yémen afin d’aboutir à un accord politique équitable. De plus, le silence devant des crimes perpétrés contre l’humanité au Yémen ne fera que provoquer l’accroissement du terrorisme dans la région. Les parties qui cherchent à provoquer le chaos et la guerre civile au Yémen, ne comprennent nullement ses conséquences néfastes pour la sécurité régionale. En effet la poursuite de l’utilisation de la force contre le Yémen, ne mettra non seulement pas fin à la crise dans ce pays, mais risque de provoquer l’extension de la crise et, en particulier, la croissance continue du terrorisme. Si le conflit au Yémen, est assez occulté en France, le cas syrien concentre toutes attentions, comment voyez-vous la suite ? S.E.M AA: Dès le commencement de la crise en Syrie, l’Iran croyait en la nécessité de solutions politiques. Celles-ci, fondées sur la participation du peuple et des groupes politiques syriens dans la détermination de leur destin commun. Ainsi que sur la base du respect de la souveraineté nationale et avec comme priorité de lutter contre le terrorisme et les interventionnismes étrangers. Aujourd’hui les scénarios sont nombreux, d’abord le pire avec le non-dialogue entre les acteurs régionaux et internationaux. Cela renforcerait la situation d’usure actuelle en Syrie, qui renforcera Daesh et fera basculer la Syrie dans une situation semblable à celle de la Libye. Ou alors déraciner Daesh et le terrorisme en Syrie, grâce à une volonté politique régionale et internationale. Afin de préparer le terrain pour un dialogue inter-syrien, pour trouver des solutions politiques et la mise en place d’une structure étatique adéquate et acceptable pour le peuple syrien. Dans cette dernière solution, Téhéran a procédé à des consultations avec le gouvernement syrien, les différents groupes syriens, certains acteurs régionaux et internationaux, pour présenter son plan politique pour trouver une issue à la crise. Ce plan a pour particularité d’insister sur le rôle du peuple, d’éviter le vide du pouvoir en Syrie, lutter contre le terrorisme, aider les réfugiés et faciliter les envois d’aides humanitaires. Nous considérons que ce plan représente une aide au plan de l’ONU et nous effectuons des consultations permanentes avec le Secrétaire général de l’ONU, son représentant spécial pour la Syrie et tentons de favoriser encore plus que dans le passé à la concrétisation de ce plan en se servant des instruments politiques. Pour nous l’élément le plus important dans notre plan réside dans le fait qu’à la sortie, la décision appartiendra au peuple syrien, sur la base des accords qui seront signés. Téhéran soutient fermement le peuple et le 6 21 gouvernement syrien afin que le peuple soit en mesure de décider de leur destin dans le cadre d’un processus démocratique. Ainsi les groupes d’opposition qui croient aux solutions démocratiques, auront l’opportunité de participer à l’avenir politique de la Syrie et, en même temps, les terroristes seront privés de la possibilité de croître. La lutte sérieuse débutera avec le fléau de terrorisme. 21 Pour finir plus légèrement, pouvez-vous nous définir ce qu’est être Perse? S.E.M AA : Les perses habitaient dans les temps anciens sur le territoire aujourd’hui iranien. Actuellement la culture et la civilisation plusieurs fois millénaires perses se sont conjuguées à la culture et à la civilisation islamique. La langue persane représente non seulement la langue officielle de tous les iraniens mais elle est également parlée dans certains autres pays de la région. 21 1 22 Virus MERS-Cov : Le cas d’une crise sanitaire au Moyen-Orient RISQUES SANITAIRES è ARABIE SAOUDITE PAR HADRIEN DIAKONOFF 90ème Session Jeunes Ile-de-France, 2015 F in janvier 2016, plus de 1625 cas ont été détectés dans 26 pays à travers le monde, provoquant 586 morts2. A l’instar du virus Ebola ou du SRAS3, cette pathologie remet en question la capacité des Etats à contrôler une épidémie à l’échelle régionale et internationale. Comment est apparu ce virus ? Quelle est la politique sanitaire de l’Arabie Saoudite au regard de ce virus ? Quels sont les enjeux économiques et politiques sous-jacents ? Le virus MERS- COV : données actuelles4 5 Le Syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) est une maladie respiratoire d’origine virale1 identifiée pour la première fois en 2012 en Arabie Saoudite. 22 Le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient est un virus zoonotique6 transmis de l’animal à l’homme. Pour autant, la source et le mode de transmission ne sont pas totalement identifiés : de nombreux articles scientifiques suggèrent que le virus est issu de la chauve-souris, même si il n’a jamais été isolé chez cet animal. Le dromadaire est désigné comme le vecteur principal de transmission de la maladie à l’homme : elle aurait lieu lors d’une exposition aux sécrétions de l’animal, lors d’une consommation de lait cru ou de viande de dromadaire mal cuite. Les travailleurs de la filière du dromadaire (tourisme, abattoirs, restauration) sont donc les plus exposés au virus. La période d’incubation entre l’exposition au virus et le développement de symptômes cliniques est estimée à 5 à 14 jours. Le taux de létalité moyen est de 36% avec un risque de décès plus élevé chez des patients présentant des pathologies lourdes que chez les patients considérés en « bonne santé ». Aucun traitement vaccinal n’existe à ce jour. 2 23 23 [Figure 1] : Nombre de cas déclarés au 20 janvier 2015 par pays (source : OMS) Enjeux sanitaires : le Moyen-Orient, intarissable de nouveaux cas. source En comparaison avec le virus du SRAS, le virus MERS-CoV est moins létal mais plus contagieux. Pour autant, le taux de reproduction du virus, qui mesure le nombre de cas secondaires d’infection à partir de chaque personne infectée, est estimé à moins de 0,7, ce qui signifie qu’une épidémie de grande échelle est peu probable. A l’échelle mondiale, l’Arabie Saoudite est le pays comptant le plus grand nombre de cas identifiés comme porteur du virus MERS-CoV (plus de 1285 cas), suivie de la Corée du Sud (à cause de L’épidémie de 2015) et d’autres pays du Moyen-Orient (Sultanat d’Oman, Emirats Arabes Unis, Jordanie) et du Maghreb (Algérie, Tunisie). Les épidémies de 2013 à Al-Hasa en Arabie Saoudite et celle de 2015 en Corée du Sud sont caractérisées par un fort taux de transmission interhumaine au sein des établissements de santé : les patients contaminés par le virus l’ont été parce qu’ils ont été soignés dans les mêmes structures que le premier cas infecté alors que le diagnostic n’avait pas encore été posé7. Dans le cas de la Corée du Sud, neuf personnes de l’équipe de soins ont contracté le virus MERS-COV à partir du patient index8 en l’espace de 27 minutes. Afin d’éviter toute épidémie, il convient de mettre en place au sein des structures de soin un certain nombre de mesures de précaution : stratégies d’isolement et de quarantaine, port de protections médicales, régulation stricte des contacts entre les patients et entre les patients et des personnes étrangères aux unités de soins, et gestion de l’air ambiant. Il convient également d’éviter les transferts entre hôpitaux des A l’échelle mondiale, l’Arabie Saoudite est le pays comptant le plus grand nombre de cas identifiés comme porteur du virus MERSCoV (plus de 1285 cas) 23 3 24 patients potentiellement atteints par le virus. Enjeux économiques et politiques : les leçons de l’épidémie de 2015 en Corée du Sud Les crises sanitaires récentes liées aux virus SRAS, Ebola et, à présent, MERS-COV mettent en lumière l’impact du transport aérien comme vecteur de dissémination mondiale rapide de maladies transmissibles. Le cas récent de la Corée du Sud - 4ème économie asiatique - permet d’observer les conséquences économiques qu’une épidémie de virus MERS-COV peut engendrer : impact sur le tourisme (plus de 20 000 étrangers ont annulés leur voyage en Corée du Sud après le début de l’épidémie bien que la situation semble revenir à la normale fin septembre 20159) et impact sur la consommation des ménages (baisse de fréquentation des centres commerciaux, baisse des achats). Les secteurs les plus touchés sont les secteurs de la vente au détail et les services. Afin de faire face aux retombées économiques de l’épidémie, le Parlement a débloqué 17,8 milliards d’euros et la Banque centrale coréenne a maintenu un taux d’intérêt bas (1,5 %) 10. Sur le plan politique, le gouvernement a été pointé du doigt tant par l’OMS que par l’opposition pour la mauvaise gestion de l’épidémie. Des plaintes pour Les risques de contamination estimés en début d’année sont : 1cas par Hajj (grand pèlerinage) et 3 cas par Oumrah (petit pèlerinage) 24 En ce qui concerne le Moyen-Orient et notamment les pèlerinages à la Mecque, les risques de contamination estimés en début d’année sont d’un cas par Hajj (soit le grand pèlerinage, dont la durée moyenne de séjour par pèlerin est de 21 jours) et de trois cas pour l’Oumrah (soit le petit pèlerinage, dont la durée moyenne de séjour par pèlerin est de sept jours), avec une probabilité de contamination faible pour un pèlerin européen12. Cependant, la plupart des cas de contamination en lien avec un pèlerinage sont identifiés au retour des pèlerins dans leur pays d’origine et non sur le territoire saoudien. Par mesure de précaution, le gouvernement saoudien a dépêché, en 2015, 25 000 professionnels de santé supplémentaires à la Mecque pendant la durée du Hajj, il a également interdit la présence de dromadaires sur place13 et il a incité la population à ne pas consommer de viande de dromadaire. Le ministère de la santé d’Arabie Saoudite déconseille aux personnes âgées, à celles souffrant de maladies chroniques, aux femmes enceintes et aux enfants, d’effectuer le petit pèlerinage (Oumrah) et le grand pèlerinage (Hajj) à la Mecque cette année. 4 25 25 préjudice moral et physique ont également été déposées à l’encontre des hôpitaux et du gouvernement par des personnes mises en quarantaine ou infectées lors de leur séjour à l’hôpital11. Conclusion Les craintes exprimées par les organisations sanitaires nationales et internationales au sujet du Syndrome respiratoire du Moyen-Orient se justifient par le manque de connaissances médicales et par la persistance de cas mortels dans une région du monde où se produisent régulièrement des rassemblements de masse. L’exemple de la Corée du Sud montre qu’un cas isolé peut conduire à une épidémie à grande échelle aux conséquences économiques et politiques notables. Références 1 - Maladie d’origine virale : maladie provoquée par un virus. 2 - Organisation Mondiale de la Santé (en ligne) 3 - SRAS : Syndrome respiratoire aigu sévère lié au coronavirus est une maladie infectieuse des poumons, apparu pour la première fois en Chine en novembre 2002. 4 - Wortmann GW. “Middle East respiratory syndrome: SARS redux?” Cleve Clin J Med. 2015 Sep;82(9):584-8. 5 - Gostin LO, Lucey D. “Middle East Respiratory Syndrome: A Global Health Challenge ». JAMA. 2015 Aug 25;314(8):771-2. 6 - Une zoonose est une maladie virale, microbienne ou parasitaire affectant les animaux. 7 - Chowell G, Abdirizak F, Lee S, Lee J, Jung E, Nishiura H, Viboud C. “Transmission characteristics of MERS and SARS in the healthcare setting: a comparative study”. BMC Med. 2015 Sep 3;13(1):210. 8 - Le patient index (ou patient zéro) désigne la première personne à avoir été contaminée par une épidémie. 9 - Foreign tourist numbers rebound in Sept. Yonhap News Agency. 26 sept 2015 10 - MERS Coronavirus : la Corée du Sud annonce la fin de l’épidémie. Le Monde. 28 août 2015 11 - MERS victims file lawsuits against gov’t, hospitals. Yonhap News Agency. 10 sept 2015 12 - Soliman T, Cook AR, Coker RJ. “Pilgrims and MERS-CoV: what’s the risk?” Emerg Themes Epidemiol. 2015 Feb 18;12:3 13 - Saudi Arabia bans hajj camel slaughter, Al Arabiya, 12 sept 2015. 25 1 26 L’Arabie Saoudite, un partenaire judicieux de la politique française ? ARABIE SAOUDITE è FRANCE PAR VINCENT BLANC MEMBRE ASSOCIÉ DE L’ANAJ-IHEDN Face à la décomposition de la carte des Etatsnations au MoyenOrient et les poussées djihadistes qui embrasent la région, il est plus que jamais nécessaire d’évaluer la pertinence des positionnements diplomatiques et stratégiques du gouvernement français. 26 « L a France a-t-elle encore une politique au Moyen- Orient 1 ? » Cette question ouverte fut l’intitulé d’un colloque organisé au Sénat, le 2 octobre 2015, par le magazine Orient XXI et l’IReMMO2. Cette rencontre avait pour objet la cohérence de l’action française au Moyen-Orient, composante centrale de notre politique internationale, plus de cinquante ans après la naissance du concept gaullien de « politique arabe de la France ». Face à la décomposition de la carte des Etats-nations au Moyen-Orient – Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Yémen –, et les poussées djihadistes qui embrasent la région, il est plus que jamais nécessaire d’évaluer la pertinence des positionnements diplomatiques et stratégiques du gouvernement français. Ayant coûté la vie à près de 130 civils sur le sol français, les attentats de Paris du 13 novembre 2015 nous rappellent douloureusement combien la question du Moyen-Orient demeure brûlante et essentielle pour la France. En dépit des signes extérieurs de religiosité ou de mysticisme qui semblent avoir motivé le passage à l’acte des terroristes, les victimes du 13 novembre ont été frappées pour des raisons politiques, à savoir la stratégie de notre gouvernement au Moyen-Orient ainsi que son engagement militaire contre l’organisation de l’Etat islamique (OEI). Cette violence aveugle n’est pas le fruit du seul fanatisme religieux, elle est également la conséquence de notre politique internationale. Parmi les multiples causes susceptibles d’expliquer le développement du terrorisme d’inspiration sunnite, la diplomatie wahhâbite menée par l’Arabie saoudite apparaît comme l’une des plus notables. En effet, depuis des décennies, de nombreuses voix d’intellectuels et d’anciens membres des services spéciaux dénoncent l’activisme saoudien en faveur du wahhâbisme, faisant de ce royaume l’épicentre du djihadisme 2 3 que de sources de mondial , tant en termes de production idéologique 27 financement. Partant de ce constat, le bien-fondé d’une alliance entre la France et le royaume saoudien suscite des interrogations et, bien souvent, des contestations de la part de certains Français. Cet article propose de traiter des enjeux du récent rapprochement opéré par la France avec l’Arabie saoudite. Ce partenariat « spécial » est-il judicieux pour garantir à la France un rôle de grande puissance dans la région du MoyenOrient ? La politique extérieure d’un Etat constituant un des moyens, pour celui-ci, de poursuivre ses intérêts stratégiques, un tel partenariat est-il réellement au service des intérêts fondamentaux de notre pays ? Poser cette question suppose de définir clairement ce qu’on entend par « intérêts fondamentaux », à savoir les enjeux liés à l’économie, la sécurité, l’attraction (ou soft-power) sans oublier la question des droits de l’homme. Un partenaire économique nouveau et prometteur L’Arabie saoudite joue un rôle charnière au Moyen-Orient grâce à plusieurs facteurs favorables. Premièrement, loti entre la mer Rouge et le golfe Arabique (appelé golfe Persique en Iran), le royaume jouit d’une position stratégique, notamment du fait de sa proximité avec le détroit d’Ormuz. Deuxièmement, le royaume dispose d’une aura exceptionnelle en ce qu’il abrite les lieux les plus saints de l’islam, La Mecque et Médine. Troisièmement, l’Etat saoudien profite – malgré de vives luttes internes – d’une stabilité politique rarement observée dans la région et obtenue, notamment, grâce aux amortisseurs économiques issus des revenus du pétrole et du pèlerinage. Les richesses pétrolières du royaume en font un acteur central de l’OPEP4, capable d’influer sur le cours mondial du pétrole5. Son ouverture aux capitaux étrangers, et notamment occidentaux, le rend très attractif. L’économie saoudienne a enregistré un taux de croissance de 6,8 % en 20146, ce qui en fait l’une des plus performantes au sein du G207. 27 Le royaume constitue, en effet, un important pourvoyeur de contrats et peut par ailleurs constituer une aide décisive dans les négociations commerciales avec des partenaires tiers. La vente des Rafale et des Mistral au gouvernement égyptien aurait ainsi été permises par les efforts diplomatiques de Riyad.13 Depuis la signature du pacte de Quincy, le 14 février 19458, entre Abdelaziz Ibn Saoud et Franklin D. Roosevelt, les Etats-Unis ont continuellement été l’allié privilégié de la dynastie saoudienne et de son rayonnement dans l’ensemble du monde arabo-musulman. Nonobstant cet état de fait, la France entend bien, aujourd’hui, faire du royaume saoudien un partenaire économique de premier plan. Pour réaliser cet objectif, elle peut compter sur le récent « rafraîchissement » des relations entre les Etats-Unis et la famille royale suite à l’accord entre Washington et Téhéran sur le dossier nucléaire iranien. Troisième investisseur en Arabie saoudite, la France a noué un « partenariat spécial » avec Riyad lors du sommet du Conseil de coopération du Golfe, le 5 mai 20159. Ce partenariat consacre une série d’accords dans les secteurs « de l'énergie, la santé, l'agro-alimentaire, le maritime, l'armement, les satellites et les infrastructures 10 ». Les 12 et 13 octobre 2015, le second forum d’affaires francosaoudien a regroupé près de 130 entreprises françaises dans la capitale saoudienne. Ces initiatives traduisent un rapprochement bilatéral inédit entre les deux pays, permettant un niveau de proximité jamais atteint11. En filigrane, ce rapprochement a pour objectif de « bénéficier aux entreprises françaises12 » dans un contexte de crise économique particulièrement aigue. Le royaume et ses richesses suscitent l’appétit d’un gouvernement français qui entend, par la signature de précieux contrats, contraster son bilan économique assez mitigé. Le royaume constitue, en effet, un important pourvoyeur de contrats et peut par ailleurs constituer une aide décisive dans les négociations commerciales avec des partenaires tiers. La vente des Rafale et des Mistral au gouvernement égyptien aurait ainsi été permises par les efforts diplomatiques de Riyad.13 Trente patrouilleurs rapides devraient être commandés à la France d'ici 27 4 3 28 à la fin de l'année 201514. Toutefois, certains observateurs estiment que trop peu de contrats ont été signés à ce jour. 15 L’Arabie saoudit e, un partenaire dans la lutte anti-terrorist e ? En 2014, l’Arabie saoudite a classé l’organisation Etat islamique, Jabhat alNosra (affilié à Al-Qaïda) ainsi que les Frères musulmans dans la liste des organisations terroristes16. Par ailleurs, elle a rejoint la coalition menée par les EtatsUnis contre l’OEI et constitue, à ce titre, un allié de la France dans la lutte contre le terrorisme. C’est dans ce contexte que Mohamed Ibn Nayef, nouveau prince héritier et ministre de l’Intérieur saoudien, a annoncé le partage des données concernant les ressortissants saoudiens identifiés comme participant au financement du terrorisme. En dépit de cet activisme manifeste, le royaume est souvent considéré comme le soutien principal des mouvements djihadistes qui se développent aux quatre coins du monde.17 Les liens entre l’islamisme radical et la péninsule arabique sont, en effet, historiquement forts. La péninsule est le berceau du wahhâbisme, un des avatars du salafisme18, doctrine sunnite puritaine que le royaume finance et exporte mondialement en vertu du principe de la daawa wal irchad ou « prosélytisme et propagation de la foi19 ». Erigeant l’apostasie en crime capital, la doctrine wahhâbite cherche à imposer au sein de la Oummah (Communauté des croyants musulmans)20 une version rigoriste de la religion en vue de produire un islam prétendument « pur », expurgé de tout particularisme local ou de courants interprétatifs jugés déviants tel que le soufisme. Cette doctrine littéraliste de l’islam, pouvant être imposée par tous les moyens, y compris par la force, est consubstantielle à l’identité du royaume, depuis sa fondation en 1926 par Abdelaziz Ibn Saoud. Au XVIIIe siècle, Mohammed Ibn Saoud avait fondé la légitimité de ses conquêtes guerrières sur la péninsule grâce à son alliance avec le théologien Mohammed Ibn Abdel-Wahhab. Par conséquent, le territoire saoudien est progressivement devenu le berceau de courants salafistes dont le substrat idéologique irrigue, aujourd’hui, les différentes guérillas djihadistes autour des préceptes de théologiens tels que Mohammed Ibn Abdel-Wahhab, En dépit d’un activisme manifeste, le royaume est souvent considéré comme le soutien principal des mouvements djihadistes qui se développent aux quatre coins du monde.17 28 Ahmad Ibn Taymiyya ou Ahmad Ibn Hanbal21. Ces auteurs sont à l’origine de doctrines fondamentalistes auxquelles une part importante des fidèles et des dirigeants saoudiens semblent manifestement adhérer22. Le salafisme saoudien s’exporte par de nombreux canaux, notamment les suivants : § les financements de riches mécènes saoudiens ou « généreux donateurs privés23 », « source la plus significative du financement du terrorisme sunnite à travers le monde24 » à destination d’organisations comme l’OEI et Al-Nosra, les talibans en Afghanistan ou encore Lashkar-e-Taiba au Pakistan (les autorités saoudiennes se prévaudraient, par ailleurs, d’avoir quelque contrôle sur ce dernier)25; § l’Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane (WAMY), considérée comme un organe de propagande saoudien ayant pour objectif affiché d’enseigner à la jeunesse les préceptes de l’islam « authentique », c'est-à-dire wahhâbite26; § les ONG et organisations caritatives saoudiennes, soupçonnées « sous couvert d’aide humanitaire », de constituer des plateformes de financements destinées aux luttes armées djihadistes et terroristes27; 5 29 § 29 28 la Ligue islamique mondiale, créée lors de la guerre froide arabe et dont les principaux dirigeants, de nationalité saoudienne29, défendent et exportent intérêts et salafisme saoudiens jusqu’en Europe30. La compromission du royaume saoudien avec le terrorisme djihadiste a été publiquement révélée par le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, lors d’une allocution en 2014 : « L’EIIL31 a fait l’objet de financements de mécènes wahhâbites car elle représentait un ennemi contre le régime alaouite – une secte dérivée du chiisme – du président Bachar al-Assad en Syrie et du gouvernement chiite pro-iranien de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki en Irak. […] Ils ont mené une guerre par procuration entre les Sunnites et les Chiites et ils ont fourni des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d'armes à [..] des militants du Front al-Nosra et d’Al-Qaïda sans compter d'autres éléments extrémistes venant d'autres régions du monde32 ». Les ambivalences de la position saoudienne, et la complaisance des gouvernements occidentaux à son égard, compromettent l’efficacité de la lutte contre-terroriste mondiale et de la coalition contre l’OEI. Alain Chouet, chercheur et ex-chef du Service de renseignement et de sécurité de la DGSE, met en garde : « nous sommes à contre-emploi de manière systématique et dans toutes les situations d’affrontement militaire puisqu’au Moyen-Orient, au Sahel, en Somalie, au Nigeria, etc., nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène terroriste. On s’épuise à s’attaquer aux exécutants, c’est-à-dire aux effets du salafisme, mais pas à ses causes33 ». En d’autres termes, combattre efficacement le terrorisme djihadiste implique de lutter contre les moteurs idéologiques et financiers émanant directement de l’Arabie saoudite34. Riyad joue un rôle prépondérant dans le phénomène de confessionnali sation qui semble se dessiner au Moyen-Orient, et qui se matérialise dans la fracture à l’œuvre entre musulmans sunnites et chiites L’Arabie saoudite, catalyseur de la décomposition du Moyen-Orient ? Au sein des discussions internationales concernant la Syrie et l’Iran, les chancelleries française et saoudienne ont adopté des positions communes. Jusqu'à l’issue des négociations visant un accord sur le nucléaire iranien, la France a adopté une position particulièrement sévère à l’égard de Téhéran. Au vu des oppositions que la France émettait sur ce dossier, certains observateurs ont été jusqu’à reprocher au gouvernement français de ne pas vouloir voir aboutir les négociations35. La position du Quai d’Orsay était alignée sur celles d’Israël et de l’Arabie saoudite, deux pays qui ont cherché à contrecarrer la signature d’un accord définitif jusqu’à sa conclusion, le 2 avril 201536. Concernant le dossier syrien, certains observateurs accusent la France de souhaiter la destitution de Bachar el-Assad en vue de complaire au régime 37 saoudien . L’opposition du royaume wahhâbite à tout renforcement du chiisme dans la région ne doit rien au hasard. Riyad joue un rôle prépondérant dans le phénomène de confessionnalisation qui semble se dessiner au Moyen-Orient, et qui se matérialise dans la fracture à l’œuvre entre musulmans sunnites et chiites. Le royaume mène une série de guerres par procuration à l’encontre de communautés chiites qu’il considère comme mécréantes, car observant un islam jugé dévoyé et impur. En cela, elles représenteraient une menace sur le plan géopolitique38. Structurée autour d’un axe confessionnel, cette partition du 29 6 30 Le chercheur Stéphane Lacroix prévient : « Une large partie du ressentiment des populations arabes à notre égard tient à ce discours. Il nous discrédite et rend inaudible le discours antiAssad tenu au nom de la démocratie49 ». Moyen-Orient serait catalysée et instrumentalisée par le royaume saoudien, dont l’objectif prioritaire est d’endiguer toute avancée de pouvoirs chiites dans la région, par la diffusion de son wahhâbisme39. Ce prosélytisme fondamentaliste, important vecteur de mobilisations communautaires, constitue ainsi un outil au service des desseins géopolitiques du royaume. Les dirigeants saoudiens ont ainsi activement soutenu des groupes djihadistes contre les pouvoirs irakien et syrien, respectivement chiite et alaouite. Parallèlement à leur implication sur ces théâtres de guerre civile, les Saouds mènent une répression politique et militaire à l’encontre des communautés chiites de Bahreïn et du Koweït40. Au Yémen, la violence des forces de sécurité saoudiennes contre les populations chiites atteint son paroxysme, avec le soutien passif de la France, pourvoyeur d’armements de l’Arabie saoudite41. L’offensive contre les rebelles chiites houthis (5 700 morts, dont la moitié constituée de populations civiles42) a, par ailleurs, semé un chaos propice au développement de groupes armés djihadistes, notamment AlQaida et l’OEI43. Pour finir, le projet saoudien d'ériger un bloc sunnite contre le chiisme se matérialise déjà dans la coalition militaire au Yémen, qui réunit, sous l'égide du royaume saoudien, le Maroc, le Soudan, l'Égypte, la Jordanie et les quatre autres régimes sunnites du Conseil de coopération du Golfe44. Du fait de son alignement, la France semble se prononcer tacitement en faveur d’un front sunnite, dans l’hypothèse d’une partition confessionnelle voulue et orchestrée par l’Arabie saoudite. Notre gouvernement participe passivement à un jeu destructeur visant à attiser différents foyers de conflits dans la région et qui, chaque jour, amenuise les chances de voir la paix rétablie au Moyen-Orient. Le soutien de Paris à Riyad conforte le régime wahhâbite dans ses différentes dynamiques destructrices. La question des droits de l’homme en Arabie saoudite Bien qu’appartenant à la liste des pays où les droits humains subissent des violations régulières, l’Arabie saoudite s’est récemment vu attribuer la présidence du groupe consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies45. A titre d’illustration, la justice saoudienne a prononcé 138 exécutions, dont 87 décapitations, pour la seule année 2014. Le 17 novembre 2015, un tribunal saoudien a condamné à mort un poète palestinien pour crime d’apostasie46. Le régime ne tolère aucune forme de contestation politique : en septembre 2015, ces mêmes instances ont prononcé la décapitation, puis la crucifixion publique d’un manifestant chiite, âgé de 17 ans au moment des faits. L’ONG Reprieve soutient que les aveux de l’accusé ont été signés sous la torture47. De son coté, Manuel Valls assure défendre « avec constance et cohérence » les droits de l’homme, notamment « en faisant passer des messages48 ». Contraint à un accommodant double discours, le gouvernement français cherche à conserver une ligne « morale » tout en éludant les atteintes du régime saoudien aux libertés individuelles. Le chercheur Stéphane Lacroix prévient : « Une large partie du ressentiment des populations arabes à notre égard tient à ce discours. Il nous discrédite et rend inaudible le discours antiAssad tenu au nom de la démocratie49 ». La France ne peut défendre avec crédibilité les droits de l’homme si elle persiste ainsi à se montrer 30 7 31 complaisante à l’égard du régime saoudien. L’argument des droits humains aurait sans doute été brandi avec plus de force, dans les négociations avec l’Iran ou à l’égard du régime syrien, si la France n’occultait pas les manquements de son propre partenaire envers les droits fondamentaux. Conclusion : une position française ambivalente Adopter une politique cohérente implique de définir des intérêts fondamentaux. Avant même la survenue des attentats du 13 novembre 2015, la sécurité de la population française constituait, bien évidemment, un des intérêts fondamentaux de la Nation. La sécurité résultera de la neutralisation de la menace terroriste, dont les causes sont multiples et profondes, et ne peuvent se résumer à leurs seules dimensions fanatique et religieuse. Or, la nécessité de ne pas contrarier notre partenaire « spécial » (au risque de se voir déposséder de précieux contrats commerciaux) nous empêche d’exercer des pressions efficaces ayant pour résultat de combattre les moteurs profonds, idéologiques et financiers, du terrorisme sunnite. puissance diplomatique, notre intérêt fondamental consiste en la préservation de notre soft power), permettant de convaincre sans contraindre, et contribuant à la diplomatie française d’être opérante. Comme l’estime Hubert Védrine : « Il est nécessaire de maintenir des liens bilatéraux avec chaque pays arabe mais il est impossible d’en faire une synthèse. Malgré tout, l’affirmer écarte de facto toute posture radicalement isolationniste50 ». Or la position saoudienne n’incite guère à la recherche de compromis. Elle impose de procéder à un choix entre deux blocs, sunnite ou chiite. Une position qui, si elle est suivie, risque d’isoler la France en l’obligeant à sacrifier ses relations bilatérales avec des acteurs régionaux incontournables tels que l’Iran. La position française vis-à-vis des droits de l’homme mérite également d’être clarifiée. La France ne peut continuer à conforter le royaume dans sa dynamique actuelle, consistant à bafouer les principes qu’elle prétend défendre universellement. Le faire conduira à mettre en doute les valeurs que prétend soutenir notre diplomatie, et qui constituent le fondement de notre rayonnement international. Concernant notre rôle de 31 Concernant notre rôle de puissance diplomatique, notre intérêt fondamental consiste en la préservation de notre soft power), permettant de convaincre sans contraindre, et contribuant à la diplomatie française d’être opérante. Au vu de ces différents éléments, la mise en place d’une politique internationale cohérente apparaît comme incompatible avec les termes actuels de ce partenariat franco-saoudien. Les fondements de cette relation doivent être redéfinis car, en l’état, ils desservent les intérêts français plus qu’ils ne les garantissent.. « Si ces opportunités (économiques) devaient prendre l’allure d’une sorte d’alliance avec le « front sunnite » qu’appelle de ses vœux l’Arabie saoudite, cela ne correspondrait à aucun des intérêts fondamentaux de la France », estime Hubert Védrine51. Marc Trévidic, ex-juge au parquet anti-terroriste de Paris, établissant un lien entre la position française et les attentats du 13 novembre, estime pour sa part que « la France n’est pas crédible dans ses relations avec l’Arabie saoudite52 ». Une politique internationale ne peut se réduire à sa seule dimension économique. Ces contrats de plusieurs milliards d’euros contribuent effectivement à assurer, pendant une certaine période, un emploi à quelques milliers d’ouvriers et d’ingénieurs français. Ils permettent également à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) de perdurer. Pourtant, la poursuite de l’intérêt économique, grâce à ces quelques contrats, aussi opportuns et avantageux soientils à court-terme, ne doit pas supplanter l’ensemble de la politique française, au risque que celle-ci se retrouve paralysée, précisément dans l’opportunisme et l’absence de vision globale. La politique du gouvernement français, ainsi réduite à un calcul commercial, porte les symptômes d’un syndrome généralisé et profond : la suprématie de l’économique sur le politique. 31 1 32 Références 1- Françoise Feugas, « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », OrientXXI.info, 12 octobre 2015, http://orientxxi.info/magazine/la-france-a-t-elle-encoreune-politique-au-moyen-orient,1049. 2- Institut de Recherche et d'Études Méditerranée Moyen Orient. 3- David Rigoulet-Roze, « Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans », atlantico.fr, 3 novembre 2014, http://www.atlantico.fr/decryptage/wahhabite-connection-commentarabie-saoudite-destabilise-monde-en-exportant-islam-radical-depuis-40-ans-davidrigoulet-roze-1838403.html ; voir également L'Humanité, (2015). Alain Chouet : « Nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène djihadiste ». [online] Available at: http://www.humanite.fr/alain-chouet-nous-sommes-allies-avec-ceuxqui-sponsorisent-depuis-trente-ans-le-phenomene-djihadiste. 4- Organisation des pays exportateurs de pétrole. 5- Tresor.economie.gouv.fr, (2015). Arabie saoudite. [online] Available at: https://www.tresor.economie.gouv.fr/pays/arabie-saoudite. [Accessed 12 Oct. 2015]. 6- diplomatie.gouv.fr, (2015). Présentation de l’Arabie saoudite. [online] Available at: http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/arabie-saoudite/presentation-de-l-arabiesaoudite/ [Accessed 15 Oct. 2015]. 7- Tresor.economie.gouv.fr, (2015). Arabie saoudite. [online] Available at: https://www.tresor.economie.gouv.fr/pays/arabie-saoudite. [Accessed 12 Oct. 2015]. 8- Anthony Samrani, « Le jour où Roosevelt et Ibn Saoud ont scellé le pacte du Quincy... », L’Orient-Le Jour, 7 août 2015, http://www.lorientlejour.com/article/938052/le-jour-ouroosevelt-et-ibn-saoud-ont-scelle-le-pacte-du-quincy.html. 9- La Tribune, (2016). La France conclut 10 milliards d'euros d'accords avec l'Arabie saoudite. [online] Available at: http://www.latribune.fr/economie/france/la-franceconclut10-milliards-d-euros-d-accords-avec-l-arabie-saoudite-513153.html. 10- Ibid. 11- Tresor.economie.gouv.fr, (2015). 2ème Forum d'Affaires Franco-Saoudien 1212/10/2015 Riyad. [online] Available at: https://www.tresor.economie.gouv.fr/12469_2eme-forum-daffaires-franco-saoudien-1213102015-riyad [Accessed 29 Jan. 2016]. 12- Ibid. 13- Françoise Feugas, « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », OrientXXI.info, 12 octobre 2015, http://orientxxi.info/magazine/la-france-a-t-elle-encoreune-politique-au-moyen-orient,1049, et Cher-Leparrain, M. (2015). Des « Mistral russes » aux « Mistral sunnites » - Les ambitions égyptiennes de l'Arabie saoudite. [online] Orient XXI.info. Available at: http://orientxxi.info/magazine/des-mistral-russes-aux-mistralsunnites,1048 [Accessed 29 Jan. 2016]. 14- Bauer, A. (2015). Les promesses de l’Arabie saoudite à Manuel Valls. [online] lesechos.fr. Available at: http://www.lesechos.fr/industrie-services/airdefense/021402373433-les-promesses-de-larabie-saoudite-a-manuel-valls-1165142.php. 15 - Ibid. et La Tribune, (2016). La France conclut 10 milliards d'euros d'accords avec l'Arabie saoudite. [online] Available at: http://www.latribune.fr/economie/france/la-franceconclut-10-milliards-d-euros-d-accords-avec-l-arabie-saoudite-513153.html. 16- Gouëset, C. (2015). La France doit-elle garder l'Arabie saoudite pour alliée?. [online] Lexpress.fr. Available at: http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/lafrance-doit-elle-garder-l-arabie-saoudite-pour-alliee_1738941.html. 17 - David Rigoulet-Roze, « Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans », atlantico.fr, 3 novembre 2014, http://www.atlantico.fr/decryptage/wahhabite-connection-commentarabie-saoudite-destabilise-monde-en-exportant-islam-radical-depuis-40-ans-davidrigoulet-roze-1838403.html, Serge Halimi, « Dégringolade de la France », Le Monde diplomatique, novembre 2015, http://www.monde-diplomatique.fr/2015/11/HALIMI/54131 et Hiault, R. (2015). Marc Trevidic : « D’autres attentats sont à prévoir ». [online] lesechos.fr. Available at: http://www.lesechos.fr/politiquesociete/politique/021479598108-marc-trevidic-dautres-attentats-sont-a-prevoir1175316.php?sqzvyV4DqLlOfqCF.99. 32 2 33 33 18 - Voir la conférence de Stéphane Lacroix, « Frères musulmans et salafistes », IReMMO, 2013, https://www.youtube.com/watch?v=25HB1WN1v6M. 19 - Ibid., David Rigoulet-Roze, « Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans », atlantico.fr, 3 novembre 2014, et Amghar Samir, « La Ligue islamique mondiale en Europe : un instrument de défense des intérêts stratégiques saoudiens. », Critique internationale 2/2011 (n° 51) , p. 113-127. 20 - Ibid. 21 - Ces théologiens font aujourd’hui office d’idéologues auprès des différents groupes djihadistes. Une distinction doit cependant être faite entre différentes formes de salafismes. En effet, à l’inverse de l’islam observé par Al-Quaida ou l’OEI, souvent appelé « salafisme djihadiste », le salafisme se projette, par nature, hors du politique. Il existe ainsi un courant salafiste quiétiste, ou cheikhite, opposé à toute forme d’activisme politique ou guerrier. Antoine Sfeir (dir.), Dictionnaire du Moyen-Orient, Bayard Éditions, 2011, 964 p. http://antoinesfeir.net/decryptages/salafisme/. 22 - Varende, A. (2015). Qui manipule l'organisation de l'État islamique ? - Le jeu trouble des pays du Golfe et de la Turquie. [online] Orient XXI.info. Available at: http://orientxxi.info/magazine/qui-manipule-l-organisation-de-l-etat-islamique,0801. 23 - David Rigoulet-Roze, « Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans », atlantico.fr, 3 novembre 2014. 24 - « Le site Wikileaks avait ainsi divulgué un message de Hillary Clinton, classé document secret, en date du 28 décembre 2009, et selon lequel elle qualifiait même l’Arabie Saoudite de « cash machine du terrorisme » (dans David Rigoulet-Roze, « Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans », atlantico.fr, 3 novembre 2014). 25 - Ibid. 26 - Ibid. 27 - Ibid. 28 - « Alors que l’Égypte et l’Arabie Saoudite s’affrontaient pour imposer leur magistère moral et politique respectif sur l’ensemble du monde musulman, la Ligue nouvellement créée a reçu pour mission de contrer l’influence du régime nassérien dont la propagande était en partie dirigée contre l’Arabie Saoudite.» dans Amghar, S. (2011). La Ligue islamique mondiale en Europe : un instrument de défense des intérêts stratégiques saoudiens. Critique internationale, 51(2), p.113. 29 - David Rigoulet-Roze, « Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans », atlantico.fr, 3 novembre 2014. 30 - « Outre le Conseil supérieur mondial des mosquées chargé de coordonner, gérer et financer la construction des lieux de culte, et dont la branche européenne se situe à Bruxelles, la Ligue dispose de plusieurs autres structures : le Conseil islamique du fiqh, l’organisation humanitaire Islamic Relief, l’Organisation internationale islamique pour l’éducation et l’Organisation internationale islamique pour la mémorisation du Saint Coran. Engagée dans une stratégie d’encadrement associatif à l’échelle mondiale, elle est présente aujourd’hui dans près de 120 pays et contrôle environ 50 lieux de culte, dont de très grandes mosquées », dans Amghar, S. (2011). La Ligue islamique mondiale en Europe : un instrument de défense des intérêts stratégiques saoudiens. Critique internationale, 51(2), p.113. 31 - Etat islamique en Irak et au Levant. 32 - David Rigoulet-Roze, « Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans », atlantico.fr, 3 novembre 2014. 33 - Recasens, O. (2015). Alain Chouet : "Il faut surtout s'attaquer aux parrains idéologiques et financiers". [online] Le Point. Available at: http://www.lepoint.fr/politique/alain-chouet-il-fautsurtout-s-attaquer-aux-parrains-ideologiques-et-financiers-13-01-2015-1896100_20.php. 34 - Ibid. 35 - Serge Halimi, « Dégringolade de la France », Le Monde diplomatique, novembre 2015, http://www.monde-diplomatique.fr/2015/11/HALIMI/54131. 36 - Hourcade, B. (2014). Accord sur le nucléaire iranien : ils ont signé ! - Cette entente contribuera-t-elle à tirer le Proche-Orient du chaos ?. [online] Orient XXI.info. Available at: http://orientxxi.info/magazine/accord-sur-le-nucleaire-iranien-ils-ont-signe,0858. 37 - Serge Halimi, « Dégringolade de la France », Le Monde diplomatique, novembre 2015. 38 - Ben Hubbard, Mayy El Sheikh, « WikiLeaks Shows a Saudi Obsession With Iran », NYTimes.com, 16 juillet 2015, http://www.nytimes.com/2015/07/17/world/middleeast/wikileakssaudi-arabia-iran.html?smid=fb-share&_r=2. 33 3 34 39 - Alexis Varende, « Qui manipule l’organisation de l’État islamique ? », OrientXXI.info, 29 janvier 2015, http://orientxxi.info/magazine/qui-manipule-l-organisation-de-l-etatislamique,0801. 40 - L'Humanité, (2015). Alain Chouet : « Nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène djihadiste ». [online] Available at: http://www.humanite.fr/alain-chouet-nous-sommes-allies-avec-ceux-qui-sponsorisent-depuistrente-ans-le-phenomene-djihadiste. 41 - Human Rights Watch, (2015). ONU / Yémen : Le Conseil des droits de l’homme a manqué à son devoir envers les civils yéménites. [online] Available at: https://www.hrw.org/fr/news/2015/10/02/onu/yemen-le-conseil-des-droits-de-lhomme-manqueson-devoir-envers-les-civils. 42 - Arabnews.com, (2015). Dozens of Houthis killed in Najran misadventure. [online] Available at: http://www.arabnews.com/featured/news/84375. 43 - Courrier international, (2015). L’Arabie Saoudite abandonne le Yémen au chaos. [online] Available at: http://www.courrierinternational.com/article/moyen-orient-larabie-saouditeabandonne-le-yemen-au-chaos. 44 - Cher-Leparrain, M. (2015). Des « Mistral russes » aux « Mistral sunnites » - Les ambitions égyptiennes de l'Arabie saoudite. [online] Orient XXI.info. Available at: http://orientxxi.info/magazine/des-mistral-russes-aux-mistral-sunnites,1048. 45 - Maurisse, M. (2015). Le rôle de l’Arabie saoudite au Conseil des droits de l’homme fait débat. [online] Le Monde.fr. 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Available at: http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/lafrance-doit-elle-garder-l-arabie-saoudite-pour-alliee_1738941.html. 50 - Ibid. 51 - Françoise Feugas, « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », OrientXXI.info, 12 octobre 2015, http://orientxxi.info/magazine/la-france-a-t-elle-encore-unepolitique-au-moyen-orient,1049. 52 - Hiault, R. (2015). Marc Trevidic : « D’autres attentats sont à prévoir ». [online] lesechos.fr. Available at: http://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/021479598108-marc-trevidicdautres-attentats-sont-a-prevoir-1175316.php?sqzvyV4DqLlOfqCF.99. 34 1 35 35 5 QUESTIONS À UN DOCTORANT SPÉCIALISÉ SUR LE MOYEN-ORIENT Emma Soubrier, doctorante en Science politique à l’université d’Auvergne et rattachée à l’IRSEM Peux-tu te présenter ? Je m’appelle Emma Soubrier, je suis doctorante en Science politique à l’Université d’Auvergne (Clermont I) et rattachée à l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM). Avant de commencer ce doctorat, j’ai suivi le Magistère de Relations internationales et action à l’étranger de la Sorbonne, qui m’a donné toutes les clés et l’expérience nécessaires pour me lancer dans la grande aventure de la thèse. Pourquoi as-tu souhaité faire de la recherche et pourquoi le choix du Moyen-Orient ? J’ai découvert la recherche à travers mon mémoire de Master 1 en Etudes anglophones en 2007-2008. Essayer de faire le tour d’une question le plus en profondeur possible et donner forme, sur la base de travaux existants, à une analyse et une réflexion personnelles m’a passionnée. J’ai aussi eu la chance d’être encouragée dans cette voie par deux spécialistes qui ont été mes mentors au cours de mes premiers pas dans la recherche : Claire Sanderson et Nadine Picaudou. Je travaille sur les problématiques moyen-orientales depuis 2008. Ce choix vient d’un amour et d’un intérêt de longue date pour une région dont j’admire la richesse d’histoire et de culture. L’exercice sera sans doute difficile, mais peux-tu synthétiser l’objet de ta thèse ? Ma thèse porte sur l'évolution des politiques de défense et des stratégies d’acquisitions militaires des Emirats arabes unis et du Qatar. Ma question de recherche principale peut être synthétisée ainsi : les modifications de l’environnement stratégique de ces pays sont-elles le critère le plus déterminant dans l’élaboration et l’évolution de leurs politiques de défense ? Le fil rouge de la thèse est l’expression de 35 2 36 besoins capacitaires de ces deux pays, que j’aborde dans une perspective comparée, et j’interroge notamment la corrélation qui existe – ou non – entre l’évolution de leur politique de défense et celle de leurs achats de systèmes de défense et sécurité. Est-ce difficile de travailler sur cette zone géographique ? As-tu eu l’occasion de te rendre dans ta zone d’étude ? Je ne pense pas qu’il soit bien plus difficile de travailler sur cette zone géographique plutôt qu’une autre. Certes, ses problématiques sont complexes et fortement interconnectées, ce qui fait qu’il est presque impossible de traiter une seule question en évacuant toutes les autres. Mais c’est aussi cela qui rend l’exercice si passionnant. Il est néanmoins particulièrement ardu de travailler sur les thématiques de défense et sécurité de ces pays car la culture du secret prégnante chez eux rend difficile l’accès aux sources – et l’on risque d’éveiller parfois la suspicion de ses interlocuteurs. J’ai toujours eu la chance de pouvoir me rendre sur mes terrains de recherche, que ce soit au Proche-Orient ou dans la région du Golfe. Un conseil à ceux qui s’intéressent au Moyen-Orient ou à ceux qui voudraient entreprendre une thèse sur le Moyen-Orient ? Le premier conseil que j’aurais à donner à ceux qui s’intéressent au Moyen-Orient est de lire des ouvrages de référence sur la région. Aujourd’hui, il est devenu « à la mode » de se pencher sur cette aire mais les analyses de courte vue et les amalgames sont malheureusement légion dans la presse grand public et les débats à la télévision ou à la radio. Il est primordial de faire partir ses réflexions d’un socle solide de connaissances concernant l’histoire de cette région pour véritablement apprécier la complexité de ses enjeux et analyser de manière juste les rebondissements de son actualité. Un autre conseil utile à mon sens est de ne jamais négliger l’importance de tisser des liens avec des chercheurs chevronnés et experts travaillant sur les problématiques ou les pays spécifiques qui nous intéressent. Ils sont souvent d’une aide précieuse 36 1 37 37 Focus sur une personnalité marquante du Moyen-Orient Naguib Mahfouz (1911-2006) Premier romancier arabe à recevoir le prix Nobel de littérature en 1988 H omme de lettre égyptien et penseur politique libéral, Naguib MAHFOUZ est le pionnier du roman moderne arabe. Elevé dans une famille de la petite bourgeoise cairote, il est profondément marqué, dès l'âge de huit ans par la répression sanglante de 1919 du mouvement populaire contre les anglais. Dès lors, Naguib aura à cœur de défendre ses idées politiques, de lutter contre l'autoritarisme et pour le respect des peuples ; il le fera à travers ses écrits et notamment en 1959 dans Awlâd hâratimâ (Les fils de la Médina). Dernier d'une fratrie, et enfant tardif, Naguib est solitaire, s'intéresse très tôt à l'écriture et entreprend des études de philosophie. Il écrit dès l'université plus de quatre-vingt nouvelles et publie de nombreux articles pour des revues littéraires. Dédaignant la carrière universitaire, il occupe jusqu'à sa retraite des postes de fonctionnaires au ministère de la culture. Passionné de lettres, écrivain à l'avenir prometteur, Naguib entreprend en 1939 l'écriture de l'histoire pharaonique. Toutefois, devant l'ampleur du projet et l'absence de succès immédiat, il est contraint d'abandonner son œuvre et de se recentrer sur l'histoire contemporaine de l'Egypte qui offre un palmarès important de sujets à traiter au vu de la situation politique chaotique des années 1950. Les événements qui secouent l'Egypte jusqu'à la chute de Farouk en 1952 constituent le cadre idéal pour son œuvre majeure, La Trilogie du Caire, publiée entre 1956 et 1957. Le réalisme transparait alors dans ses écrits, il dépeint avec virtuosité la société égyptienne, de la Première Guerre Mondiale à l'abolition de la monarchie. Le portait d'une famille bourgeoise sur trois générations lui permet de transporter le lecteur dans le Caire qui fût celui de son enfance et de sa vie. LITTÉRATURE è EGYPTE PAR DOMITILLE POIRIER 80ème Session Jeunes Limoges, 2013 37 2 38 Nonobstant les obstacles et les critiques certaines, et extrêmement touché par la répression de 1919, il entreprend des écrits plus engagés. En 1959, il publie Awlâd hâratinâ, fiction allégorique qui offre une vibrante critique du régime autoritaire de Nasser. Dans le contexte de son engagement en faveur des accords de Camps David, son roman fait polémique. Jugé blasphématoire il est interdit à la publication par les autorités musulmanes. En 1989, suite à une nouvelle publication de son roman, les Islamistes développent envers ce représentant des idées libérales une haine farouche. L'auteur réchappe de peu à un assassinat en 1994. Néanmoins il perdra dans cet attentat la faculté d'écrire (paralysie da la main droite) et une partie de sa vue. Sa témérité n'en est que confortée et poursuivant sa carrière, en rien entachée par les évènements politiques et ses écrits, Naguib ne cesse de prendre position à travers de nombreux écrits en faveur d'un régime plus libéral. Dictant ses pensées Naguib se fait le farouche défenseur de la tolérance et de la paix. Dans ses œuvres, l'écrivain fait revivre l'histoire de son pays, il le glorifie, loue ses célébrations (Le jeu du Destin, Radubis, La lutte de Thèbes). Il décrit la société telle qu'il la ressent et laisse transparaître son opinion à travers la critique. Ses œuvres romanesques (Dérives sur le Nil, Saladin) adaptées au cinéma lui permettent d'exposer ses idées au monde entier. Critiqué en Egypte, boycotté dans de nombreux pays arabes, Naguib Mahfouz est le premier romancier arabe à recevoir le prix Nobel de la littérature en 1988. A sa mort en 2006, plusieurs personnalités et même des Frères Musulmans, pourtant opposés en son temps à Awlâd hâratinâ et à ses écrits, vient lui rendre hommage à la mosquée alHussein, au Caire. 38 39 39 ©KarineMeunier ♦ DIRECTEURS DE PUBLICATION : François Mattens, Stéphane Cholleton ♦ RÉDACTRICE EN CHEF : Gaëlle Znaty ♦ EQUIPE DE RÉDACTION : Pauline Besson, Vincent Blanc, Hadrien Diakonoff, Gabriel Gros ♦ CONTRIBUTEURS : Romain Dewaele, Isabelle Guillaume, Emma Soubrier ♦ COMITÉ DE RELECTURE : Xavier Delattre, Karine Meunier, VictorManuel Vallin ♦ CONCEPTION GRAPHIQUE : Hadrien Diakonoff, Caroline Govin, Gaëlle Znaty RETROUVEZ TOUTES LES PUBLICATIONS DE L’ANAJ : http://anajihedn.org/category/actualites/publications-revues POUR TOUTE QUESTION : [email protected]