ALBERT CAMUS,
LETTRES À UN AMI ALLEMAND
, 1946
Albert Camus
Lorsque la 2
ème
guerre mondiale éclate en 1939, Camus tente de s’engager, mais le conseil de réforme
l’en empêche à cause de ses rechutes de tuberculose. s lors, il milite activement au sein des
mouvements qui luttent contre le fascisme, pour la paix et pour l’avènement d’une culture populaire.
À cette époque, il travaille sous la direction de Pascal Pia pour
Alger républicain
, journal de gauche
créé suite à l’avènement du front populaire et visant à la défense des musulmans. Il ne tarde pas à
être interdit par le gouvernement général. Par la suite, Albert Camus est obligé de fuir l’Algérie pour
la France, il participe à la Résistance. C’est dans ce contexte de Résistance qu’il commence des
Lettres à un ami allemand
.
En 1942, il publie ses premiers romans liés à l’absurde (
L’Etranger
et
Le Mythe de Sisyphe
) dans la
détresse d’une époque tourmentée. Mais, dès 1945, ses œuvres marquent le passage du cycle de
l’absurde à celui de la révolte (
La Peste
,
Les Justes
et
L’Homme révolté
).
En 1957, Albert Camus reçoit le Prix Nobel de littérature. Le 4 janvier 1960, il décède dans un
accident de voiture.
Issu d’un milieu très modeste, Albert Camus nait le 7 novembre
1913 à Mondovi, en Algérie, et passe son enfance et son
adolescence à Alger. Alors qu’il n’est âgé que d’un an, Camus perd
son père, tué à la guerre. A 17 ans, il est atteint de tuberculose,
ce qui ne l’empêche pas de réaliser de brillantes études
universitaires avec l’obtention, en 1936, d’un diplôme en
Philosophie. Dès lors, Camus se lance dans l’écriture, exploitant
tous les domaines littéraires : pièces de théâtre, romans,
jou
rnaux
LE CONFLIT MONDIAL
Suite aux conditions draconiennes et humiliantes du
Traité de Versailles après la Première Guerre mondiale,
auxquelles s’ajouta le désastre économique de la crise de
1929, des ambitions nationalistes se développent au sein
du peuple allemand, facilitant la montée au pouvoir
d’Hitler. En 1936, l’Axe Rome-Berlin-Tokyo est formé.
Dès 1937, le Japon se lance à la conquête de la Chine.
Quant à l’Allemagne hitlérienne, elle envahit la Pologne
en 1939. Cette attaque marque l’entrée en guerre du
Royaume-Uni et de la France, et le début de la Seconde
Guerre Mondiale. Grâce à leur supériorité militaire, les
Allemands mènent une guerre totale contre les Alliés.
En avril 1940, ils envahissent le Danemark et la Norvège
et en mai de la même année, les Pays-Bas, la Belgique et
la France. En 1941, Hitler se lance à la conquête de
l’U.R.S.S. L’attaque de Pearl Harbor par le Japon en
décembre 1941 provoque l’entrée en guerre des Etats-
Unis contre les puissances de l’Axe.
En 1943, les Soviétiques parviennent à arrêter l’offensive allemande. Les troupes américaines barquent
dans le Sud de l’Italie et en Sicile, et en 1944, se lancent à la reconquête des territoires occupés par le Japon
et l’Allemagne nazie. Le 6 juin a lieu le débarquement de Normandie qui accélère le recul des troupes
allemandes. La prise de Berlin par l’armée rouge le 2 mai 1945 marque la fin de la guerre en Europe. Les
bombes atomiques américaines lancées sur Hiroshima et Nagasaki entraînent la capitulation du Japon le 2
septembre.
LA FRANCE OCCUPÉE
Devant la débâcle de l’armée française face à
l’invasion allemande, le maréchal Pétain est appelé à
diriger le gouvernement. Considérant le conflit perdu
d’avance, il demande l’armistice le 17 juin. Cette
requête provoque l’appel à la Résistance, via la radio
de la BBC, du général de Gaulle qui venait de se
replier à Londres. Le 22 juin 1940, l’armistice est
signé à Rethondes et entraîne la scission de la France
entre une zone occupée par l’armée allemande au
Nord, et une zone libre au Sud avec Vichy comme
capitale. En juillet, Philippe Pétain devient chef de
l’Etat français et établit une collaboration politique
avec l’Allemagne hitlérienne en octobre. Cependant,
le 11 novembre 1942, l’accord est rompu et l’armée
allemande envahit la zone dite libre et occupe dès lors
l’entièreté de la France.
LA RÉSISTANCE
La Résistance va réunir de plus en plus de partisans refusant de se soumettre à l’occupant. Entre l’annonce
de l’Armistice en juin 1940 et la Libération en 1944, la Résistance s’organise pour lutter contre les forces de
l’Allemagne nazie et contre les collaborateurs.
On peut distinguer deux types de Résistance. La première, extérieure, est menée par le Général de Gaulle, à
la tête des forces de la France Libre auquel, cependant, les anglais ne reconnaissent pas le statut de chef du
gouvernement français en exil. La seconde, intérieure, est organisée autour de plusieurs mouvements, se
manifestant principalement par une presse clandestine et, progressivement, par des actions de sabotage. Dans
le Sud du pays, entre 1940 et 1942, les actions sont relativement facilitées par l’absence des forces
allemandes, tandis que, dans le Nord, les résistants mettent en place des réseaux clandestins pour éviter les
représailles de la Gestapo. Cependant, la Résistance intérieure reste peu organisée. Ce n’est qu’en 1942, sous
l’impulsion de Jean Moulin, que la Résistance s’unit à la France Libre de Charles de Gaulle. Ancien préfet
de Chartres, Jean Moulin rejoint Londres en octobre 1941, après avoir été révoqué par le Gouvernement de
Vichy. Adhérant aux idées politiques de Charles de Gaulle, il retourne en France pour créer le Conseil
National de la Résistance en mai 1943, regroupant tous les mouvements de résistants français.
Charles de Gaulle parvient peu à peu à s’imposer comme chef de la France libre et obtient finalement, en
juin 1944, le titre de chef du Gouvernement Provisoire de la République Française.
C’est dans le contexte de la Résistance civile, regroupant des actes non violents avec des enjeux
idéologiques et politiques, qu’intervient Albert Camus. L’action des résistants se manifeste à travers la
distribution de tracts, la publication de journaux clandestins, la production de faux papiers, etc. Ils subissent
la répression de la Gestapo et de la police de Vichy.
En 1943, Albert Camus et son collègue Pascal Pia entrent
dans le mouvement
Combat
. Celui-ci, créé à Lyon deux ans
auparavant, publie un journal clandestin du même nom
appelant à la Résistance et au rassemblement des patriotes.
Le mouvement se voit comme le noyau des Mouvements unis
de Résistance, et puis du Mouvement de Libération
nationale. 1943 est également l’année qui marque la
rencontre entre Jean-Paul Sartre et Albert Camus. À ce
moment, Camus voyage entre le Pannelier (petit village au
sud de Saint-Etienne), Lyon et Paris. Il utilise des faux
papiers pour circuler en territoire ennemi et participe à la
Résistance sous le pseudonyme de Beauchard.
C’est dans le contexte du journal
Combat
que sont publiées les
premières « Lettres à un ami allemand ». En 1944, année de la
Libération, la rédaction du journal est déplacée de Lyon à
Paris. Camus en devient alors le rédacteur en chef et le reste
jusqu’en 1947. Après la Libération, lorsque le journal parait au
grand jour,
Combat
a pour sous-titre « De la Résistance à la
Révolution » et porte le numéro 59. Ainsi, le lecteur garde à
l’esprit les 58 numéros clandestins qui l’ont précédé et qui ont
coûté la vie à tant de résistants. L’éditorial est rédigé par
Albert Camus, bien qu’il ne le signe pas, afin de souligner que
l’article ne reflète pas sa seule pensée mais celle de toute
l’équipe.
Questions
(pour le cours d’Histoire)
- Pouvez-vous faire un lien entre la Résistance française et la situation en Belgique durant la
Seconde Guerre mondiale ? La Belgique connut-elle des mouvements de Résistance ? Y-a-t-il
eu une presse clandestine belge ? (ex : l’épisode du Soir volé)
- Y-a-t-il eu des collaborateurs en Belgique ? (ex : De Grelle, Verdinaso - mouvement
nationaliste flamand, la légion wallonne, le parti nationaliste flamand d’extrême droite VNV
(Vlaams Nationaal Verbond))
- Par rapport à la « France Libre » du Général de Gaulle, quelle était la situation des autorités
politiques belges? (ex : Brigade Piron en Angleterre, pilotes belges engagés dans la Royal Air
Force, refuge du Gouvernement belge à Londres, refus de Léopold III de quitter la Belgique).
- Y-a-t-il des régimes politiques dans le monde d’aujourd’hui la censure s’exerce ?
Développez.
Faux document
d’identité
de Camus
LES LETTRES À UN AMI ALLEMAND
.
Analyse littéraire
La trame du livre se développe sous la forme d’un dialogue fictif entre un correspondant français et son
ami allemand, sous-entendant des échanges réels et authentiques. Cependant, la présence de l’ami allemand
ne se manifeste qu’à travers les propos du correspondant français qui répond aux questions fictives ou
réelles de « son ami ». A travers ces Lettres, l’auteur présente les conceptions d’un français résistant
(Albert Camus) et celles d’un Allemand nazi.
L’expéditeur et le destinataire
Dans un premier temps, Albert Camus emploie un « nous » qui englobe à la fois le « je » français et le
« vous » allemand. Ensuite, quand il s’adresse au correspondant en « je » ou en « nous », ces pronoms
personnels désignent le peuple français, et à plus grande échelle, les Européens, aux noms desquels parle
l’auteur. Quant au « vous », il s’adresse au destinataire seul qui très vite au fil de l’écriture incarne la nation
allemande pour finalement se restreindre aux Nazis.
Pour info… Le style épistolaire
En principe, le style épistolaire a comme paratexte la date et le lieu d’expédition, les noms de l’expéditeur
et du destinataire, une formule introductive et une formule finale, une signature et, dans certains cas, un
post-scriptum.
Lettres à un ami allemand n’entre pas dans ces critères, bien que l’auteur donne l’illusion d’une
correspondance authentique. Avec Inconnu à cette adresse, Kressmann Taylor applique, quant à elle, les
caractéristiques du style épistolaire.
Alors que la victoire des alliés sur les forces allemandes se profile à
l’horizon, Camus exprime à travers les Lettres son questionnement
sur la guerre. Dans sa préface pour l’édition italienne, Camus
précise que le but de celles-ci « était d'éclairer un peu le combat
aveugle nous étions et, par là, de rendre plus efficace ce
combat. »
Les première et deuxième lettres sont rédigées au Pannelier en juillet
et décembre 1943 et les troisième et quatrième lettres sont, quant à
elles, écrites à Paris en avril et juillet 1944.
La première paraît dans la Revue Libre (2
ème
numéro, 1944), la
seconde dans les Cahiers de la Libération (3
ème
numéro, 1944).
Quant aux deux autres, elles restent inédites jusqu’à la Libération.
En 1948, les quatre lettres sont réunies dans un recueil, qui est
publié chez Gallimard sous le titre de Lettres à un ami allemand.
Le livre est dédié à René Leynaud, résistant et ami de Camus qui fut
exécuté le 13 juin 1944 par les Allemands. Ainsi, le recueil Lettres à
un ami allemand, jugé par l’auteur comme un récit de circonstance,
peut être considéré comme un mémorial aux résistants.
Alors que ses écrits pour Alger républicain mettent en scène un
Camus pacifiste, les Lettres à un ami allemand montrent une
volonté de passer activement au combat et justifient l’entrée en
guerre de la France.
Le contenu
Chaque lettre est centrée sur un thème particulier concernant les deux acteurs et montrant le passage de
l’amitié à la rupture : l’amour pour leur nation respective, l’intelligence française opposée à la puissance
allemande, les conceptions sur l’Europe, et la rupture définitive.
La première lettre, rédigée en 1943, présente l’amour que porte l’ami allemand pour sa nation, amour
qu’il juge supérieur à celui du Français. Ainsi, la correspondance débute sur une phrase de l’ami allemand
Vous n’aimez pas votre pays !. A ce reproche lancé peu de temps avant la guerre, le correspondant français
rétorque que, bien que son peuple perde énormément dans la guerre, il combat pour des « raisons pures »
qui sont la défense des valeurs françaises telles que la justice et le courage. De ce fait, il sera noble et aisé
de reconstruire une histoire sur les ruines :
La deuxième lettre, rédigée en décembre 1943, met en avant les critiques émises par l’ami allemand
concernant les intellectuels français qui placent la justice avant l’amour de leur pays :
Selon le correspondant français, l’attitude reprochée relève de l’intelligence :
Afin de sensibiliser les lecteurs, Camus intègre à cette lettre une anecdote racontant la fuite d’un adolescent
d’un train qui le menait à un lieu d’exécution ; dénoncé par un aumônier allemand, il est rattrapé et tué. A
travers cette personne, le lecteur peut reconnaitre une situation qui lui est familière en ce temps de guerre.
La troisième lettre, rédigée en 1944, met en évidence les divergences d’opinions relatives à des notions,
telles que celle de la « patrie ». Alors que l’ami allemand envisage l’Europe comme « propriété » de
l’Allemagne, le correspondant français considère sa nation comme s’intégrant à un tout européen :
La phrase finale introduit la rupture définitive qui conclura la quatrième lettre : (…) il y a désormais en
nous une supériorité qui vous tuera. Par cette phrase, nous assistons à un déplacement d’une supériorité
allemande à une supériorité française.
« (…) Mais nous avons nos certitudes, nos raisons, notre justice : votre défaite est
inévitable.
(…) Je crois que la France a perdu sa puissance et son règne pour longtemps et qu’il lui
faudra pendant longtemps une patience désespérée, une révolte attentive pour retrouver
la part de prestige nécessaire à toute culture. Mais je crois qu’elle a perdu cela pour des
raisons pures. Et c’est pourquoi l’espoir ne me quitte pas.
»
« Dans toutes ses intelligences, la France se renie elle-même. Vos intellectuels préfèrent
à leur pays, c’est selon, le désespoir ou la chasse d’une vérité improbable. Nous, nous
mettons l’Allemagne avant la vérité, au-delà du désespoir. » (Allemand)
« (…) si parfois nous semblions préférer la justice à notre pays, c’est que nous
voulions seulement aimer notre pays dans la justice (…). »
« (…) lorsque vous dites Europe, même à vos meilleurs moments, lorsque vous vous laissez
entraîner par vos propres mensonges, vous ne pouvez vous empêcher de penser à une
cohorte de nations dociles menée par une Allemagne de seigneurs, vers un avenir fabuleux
et ensanglanté. »
« (…) votre Europe n’est pas la bonne. Elle n’a rien pour réunir ou enfiévrer. La nôtre est
une aventure commune que nous continuerons de faire, malgré vous, dans le vent de
l’intelligence. »
1 / 8 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !