« il apparaît bien que l'expression moderne judéo-chrétien, amphibologique à souhait, inadéquate certes,
problématique, mais aujourd'hui couramment reçue, peut désigner selon les auteurs :
- un chrétien d'ascendance juive — sens ethnologique ;
- un membre de la communauté primitive de Jérusalem — point de vue chronologique et géographique ;
- un chrétien de culture juive réfléchissant ses convictions en fonction de ses propres référents culturels
ataviques, sémitiques aussi bien qu'hellénistiques — point de vue culturel (Daniélou) ;
- "un judéo-chrétien est un homme qui se sent, qui veut être et qui est en fait, dans les différentes
manifestations de sa vie religieuse, à la fois juif et chrétien", qu'il s'agisse d'un juif converti ou d'un gentil
gagné à l'observance — sens "religieux" (Simon) ;
- un chrétien cherchant à allier un judaïsme de stricte observance à sa fidélité à Jésus Messie, mais non fils de
Dieu […] — sens doctrinal.
D'un autre point de vue, le judéo-christianisme constitue une entité propre :
- qui se différencie au sein du judaïsme des débuts de notre ère comme un courant, une airèsis parmi d'autres
au sein desquels il se recrute,
- qui se distingue du christianisme paulinien ou d'expression hellénistique : par son enracinement juif et
son herméneutique de l'Écriture ; par sa pratique des mizvot ; par sa façon de penser et de s'exprimer plus
fonctionnelle que spéculative, plus historique que métaphysique ; par sa conscience de constituer le Verus
Israël, l'Israël authentique de l'ère eschatologique comme déjà la communauté essénienne »9.
Avant d'opter pour telle ou telle autre définition du judéo-christianisme, je souhaiterai
m'arrêter plus longuement sur l'apport de Jean Daniélou à ce débat car il est l'un des rares à tenir
un compte effectif de la spécificité théologique de ce courant.
b. L'apport de Jean Daniélou
Le débat sur le judéo-christianisme a été initié en France en 1957 par les travaux de Jean
Daniélou. Celui-ci propose trois sens au mot judéo-christianisme. « Il peut, dit-il, désigner d'abord
des Juifs qui ont reconnu dans le Christ un prophète ou un messie, mais non le Fils de Dieu, et
qui constituent un groupe intermédiaire entre Juifs et Chrétiens »10. Il peut désigner aussi « la
communauté chrétienne de Jérusalem, dominée par Jacques » c'est-à-dire une communauté qui
reste attachée à certaines formes de vie juive, sans les imposer d'ailleurs aux prosélytes venus de la
gentilité11. Il peut enfin désigner « une forme de pensée chrétienne qui n'implique pas de lien avec
la communauté juive, mais qui s'exprime dans des cadres empruntés au judaïsme. Le mot a alors un
sens plus large. Il embrasse les groupes dont nous avons parlé jusqu'ici ; il comprend aussi des
mouvement chrétien (30-135), Cerf, Paris 2001 ; SIMON CL. MIMOUNI, Le judéo-christianisme dans tous ses états : actes
du colloque de Jérusalem 6-10 juillet 1998, Cerf, Paris 2001 ; FRÉDÉRIC MANNS, Le judéo-christianisme, mémoire ou
prophétie ? , « Théologie historique » 112, Beauchesne, Paris 2000 ; LUIGI CIRILLO, « Courants judéo-chrétiens » dans
Histoire du christianisme des origines à nos jours. Le nouveau Peuple (des origines à 250), I Desclée, Paris 2000, p. 273-
330 ; SIMON CL. MIMOUNI, Le judéo-christianisme ancien, essais historiques, « Patrimoines », Cerf, Paris 1998 ; JEAN-
DANIEL KAESTLI, « Où en est le débat sur le judéo-christianisme ? » dans D. MARGUERAT (éd.), Le déchirement, o. c., p.
272.
9 BLANCHETIÈRE, o. c., p. 82-83.
10 JEAN DANIÉLOU, Théologie du Judéo-christianisme, « Bibliothèque de théologie » I, Desclée, Paris 19912, p. 35.
11 J. DANIÉLOU, ib., p. 36.