Un rouge luxueux qui est comme le prolongement de ce monde
de volupté projeté au lointain, le monde aristocratique de la
Vénus du Titien. Mais léclat de ce rouge se ternit grâce à une
atténuation de la lumière, vouant progressivement à la nuit la
toile si sensuelle. Commence alors une pantomime désarticulée,
celle des primitifs, des fous, des malades aux corps suppliciés,
jetant une ombre morbide sur ce rouge auparavant si triomphal.
Le rouge est devenu sang des pauvres du Christ, sang du Christ
lui-même. Lensauvagement du rouge, une transsubstantiation
en quelque sorte.
En jouant constamment avec le symbolisme chrétien le plus
éculé, comme avec ce rouge, lartiste parvient à nous offrir des
trouvailles formelles souvent réussies. Cette teinte dor par
exemple, enduite sur le corps dun acteur pour figurer la divinité
du Christ. Ainsi se réapproprie-t-elle, sur le mode du
détournement, licône byzantine ou lauréole si prisée par les
primitifs italiens. Il y a bien chez lartiste, derrière un dolorisme
parfois irritant, une part de ludisme salvateur.
Ce symbolisme qui singularise sa dernière pièce, quen faire ?
On ne sévertuera pas à y chercher la cohérence dun discours,
car lartiste ne met pas en scène des personnages qui
saffronteraient de manière discursive, avançant, même
violemment, des arguments : ce quelle donne à voir, cest bien,
au-delà de tout logos, le déchirement interne dune même
conscience. Dla singularité de cette ironie langagière et
plastique qui perce à de nombreuses reprises, et qui nest pas la
mise à distance sarcastique, voltairienne pourrait-on dire, de la
croyance religieuse, mais plutôt le rire dun désespéré au visage
ensauvagé.
Au centre de tout, lamour dont elle na jamais autant parlé, au
point de lentendre hurler ces mots à la simplicité trop souvent
ridiculisée, ces « je taime » dont les échos sans réponse
résonnent comme le silence de Dieu. Si, dans la lettre damour
de Marta à Tomas, lincroyante reproche au pasteur son
« indifférence à légard du Christ », cest que le Dieu de Tomas
est un Dieu de quiétude, sans vie et sans souffrance, le Dieu des
philosophes, celui contre lequel saint Paul sinsurge en prêtant
ces mots au verbe divin : « Je détruirai la sagesse des sages et
janéantirai lintelligence des intelligents. » Car pour Liddell,
comme pour Marta et Paul, Dieu nest rien sil ne sest pas fait
homme pour se manifester au monde, rien sans cet amour qui
lui est conféré par la vie, la souffrance et la chair.
À la vue de ce Dieu trop humain, de ce Christ qui est aussi un
Grand Amant, on peut se demander si la divinité nest pas
réduite à une simple métaphore de lamour, à un Dieu
entièrement mondanisé. Alors, athéisme ou religiosité ? Autant
dire que la question na pas de sens, car lartiste renvoie ces
deux positions antithétiques à la même quiétude, au respect de
lordre mondain pour lune, de lordre divin pour lautre, à
lobéissance à la Loi pour toutes deux. Cest que Liddell, à
limage de sa pièce, nest pas lune ou lautre de ces positions,
elle est lune et lautre, leur déchirement et linquiétude qui les
lie, lathée et la croyante, comme deux faces de nous-mêmes.
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