La démocratie d`une crise à l`autre, Marcel Gauchet

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La démocratie d’une crise à l’autre, Marcel Gauchet
I) Le socle de son analyse : la modernité
A) L’autonomie
La démocratie des modernes correspond à la sortie de la société de la religion.
Mise en place de trois vecteurs de l’autonomie :
1) Un vecteur « politique »
Fin du pouvoir politique se positionnant en médiateur entre l’au-delà et l’ici-bas
 Avènement d’un nouveau pouvoir : l’Etat, clamant l’autosuffisance de l’ici-bas (rejet de la
religion). Ce nouveau pouvoir constitue l’essence de la politique moderne.
2) Un vecteur « juridique » (le droit)
Passage d’une société qui reposait sur la hiérarchie et l’inégalité des individus à un lien d’égalité.
Redéfinition totale du rapport humain. Avant la source du droit était en Dieu et provient
désormais de la nature, de l’état de nature (l’égalité devient un droit originairement détenu)
3) Un vecteur historique : renversement de l’orientation temporelle de l’activité collective.
Avant : obéissance inconditionnelle au passé fondateur, aux traditions.
Désormais c’est l’invention de l’avenir qui importe.
 Modernité = déploiement et conjugaison progressive de ces 3 vecteurs
Modernité = matérialisation de l’autonomie
Attention : L’Etat procure les moyens de l’autonomie mais il faut savoir construire le pouvoir
correspondant à cette autonomie et à cette liberté.
B) Le fait libéral
Le vecteur de l’orientation historique est celui qui amène les plus grands changements :
naissance de la dimension libérale.
S’installe entre 1750 et 1850 : révolution industrielle, perspective du progrès.
Réorganisation complète des sociétés : découverte de la société en tant que siège de la
dynamique collective et source du changement.
 Elle légitime l’émancipation de la société civile par rapport à l’Etat. Changements porteurs
d’une politique de liberté : redéfinition du rapport entre pouvoir et société.
 Le pouvoir n’est plus regardé comme l’instance chargée de faire exister la société, il est l’effet
de la société.
Renversement libéral = redéfinition des rapports pouvoir/société : donne sens au gouvernement
représentatif au sens moderne.
Fait libéral = reconnaissance pratique de l’indépendance de la société civile et des individus qui
la composent : primauté de la société civile sur le pouvoir politique
II) La démocratie en crise
La démocratie traverse des crises de « croissance ».
 Il utilise le terme de crise de croissance dans le sens où la démocratie se retrouve en danger à
cause de son propre développement.
Les problèmes de la démocratie se ramènent à la combinaison et à l’ajustement des 3
dynamiques de l’autonomie précédemment énoncées (autonomie politique, juridique et
historique). Chacune de ces composantes tend à fonctionner de manière autosuffisante pour son
propre compte sans intégrer les autres.
 Problème du régime mixte (définit autour des trois « vecteurs »).
 Question du gouvernement de l’autonomie, de la maîtrise des 3 vecteurs de l’autonomie
 Problème de maîtrise des instruments de notre liberté.
A) Une première crise…
1880 – 1914 : 1ière crise de croissance de la démocratie. Crise de croissance car c’est une crise
d’installation. Cette crise culmine dans les années 1930.
 La légitimité démocratique entre dans les faits et impose le « règne des masses » MAIS cette
avancée de l’autonomie conduit à la perte de maîtrise collective.
On pense que la sortie de la religion pourrait avoir donné naissance à une société intenable.
 Deux réponses à cette crise, représentant les 2 grands phénomènes politiques du XXème
siècle : irruption des totalitarismes et formation des démocraties libérales.
B) Une nouvelle crise
- Réformes après 1945 : Injections de puissance démocratique dans les sociétés libérales.
On parle de synthèse libéralo démocratique (= régime mixte).
 Mise en place d’une expression politique capable de donner corps au gouvernement de
soi de la communauté
 Passage du libéralisme démocratisé à la démocratie libérale
Cela a permis de rassurer les populations, de résorber les rejets…
- Mais nombreux changements à partir de la fin des années 1970. Changements dans la sphère
économique : mesures de dérégulation et de libéralisation de l’économie. Ces mesures vont
ensuite pénétrer les institutions politiques petit à petit.
 L’équilibre de la synthèse libéralo démocratique va se rompre : hégémonie de la dimension
libérale.
 Nouveau développement des vecteurs de l’autonomie qui bouleverse les compromis
établis après 1945.
NOUVELLE CRISE DE CROISSANCE : Autodestruction douce de la démocratie qui tend à la priver
de son effectivité.
1) Individualisme de masse
2) La démocratie devient antipolitique
3) Crise des fondations
 L’autonomie devient impossible à gouverner

 Crise du régime mixte : suprématie du vecteur juridique
L’hégémonie unilatérale du droit entraine un déséquilibre alors que l’autonomie ne
fonctionne qu’à condition d’un compromis, d’une conciliation de ses trois vecteurs.
III) Quelle démocratie aujourd’hui ?
A) « La démocratie des droits de l’homme »
Toute-puissance du vecteur juridique  la démocratie devient démocratie des droits de
l’homme puisque ces derniers sont passés du statut d’idéal au statut praticable.
Les droits individuels sont désormais conçus pour déterminer l’action collective.
La démocratie n’est plus une puissance collective ou une capacité d’autogouvernement.
 Désormais assimilée à la sauvegarde des libertés privées.
 Ce n’est plus la souveraineté du peuple mais la souveraineté de l’individu
Le danger est la possibilité de mettre en échec la puissance collective.
B) Une démocratie minimale
Démocratie minimale du fait de l’avancée de la souveraineté individuelle aux dépens de la
souveraineté du peuple
Le pouvoir de tous s’efface au profit de la liberté de chacun
Tout ceci marque le passage d’une démocratie du public à une démocratie du privé et la sphère
publique devient dépendante de la sphère privée
Marcel Gauchet parle de « société politique de marché ».
 Conséquence : oligarchisation croissante de nos régimes. On laisse la
préoccupation de l’ensemble de la société aux élites dirigeantes.
 Creusement du fossé entre les élites et le peuple
Conclusion
-
Il est intéressant de souligner le fait que ces deux crises sont dues à un changement
profond des sociétés.
-
Il ne s’agit pas d’une fatalité : ce n’est qu’une tendance. Le déséquilibre actuel peut
converger vers l’équilibre des 3 composantes pour que la démocratie fonctionne.
 Pessimisme a CT : la crise ne peut que s’aggraver
 Optimisme à LT : la crise peut se résorber, il suffit d’œuvrer pour
-
L’ouvrage ne constitue pas une critique des droits de l’homme ou de l’individualisme
mais consiste en une volonté d’éclairer ces deux éléments.
 Il faut montrer aux individus que leur liberté n’a de sens qu’au sein de la réalisation
d’un pouvoir commun.
-
Ambition civique (via l’avertissement des citoyens) et philosophique : cela permettra
un approfondissement de l’intelligence de la démocratie.
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