GÉNÉTIQUE Par MARIE-PHILIP BRISSON, agronome, conseillère pour le territoire Ouest, Holstein Québec Sélectionner selon le type, est-ce encore « in » de nos jours? Des vaches bien classifiées sont aussi synonymes de production et de profitabilité. longue. Pour certains, cela n’est pas suffisant comme explication, car ils ne voient pas l’argent directement dans leur portefeuille. Pourquoi? Parce que les critères de conformation varient de moyennement héritables à faiblement héritables, tandis que les critères de production sont hautement héritables; lorsqu’on fait un accouplement uniquement basé sur le « lait », il est donc presque garanti que la génération suivante sera améliorée. 3,5 50 3,0 45 2,5 40 2,0 35 1,5 30 1,0 25 0,5 20 0,0 15 -0,5 10 -1,0 60-64 65-69 70-74 75-79 80-84 85-89 % de vaches ayant atteint le 4e vêlage GRAPHIQUE 1. PROFIT ET LONGÉVITÉ PAR VACHE EN RELATION AVEC LE SCORE FINAL Profit De nos jours, les producteurs laitiers se doivent d’être efficaces, parce que les marges sont de plus en plus petites et qu’il n’est pas toujours possible de prendre de l’expansion. Il faut donc produire plus de lait avec moins de vaches. Il y a plusieurs façons d’y arriver : améliorer le confort des animaux, exercer un bon suivi de la reproduction, augmenter la production et les composantes, réduire la charge de travail par l’automatisation de certaines tâches, etc. Sur le plan de la génétique, on entend souvent parler de production, de santé-fertilité, mais trop peu de la conformation. Pourquoi la conformation ne serait-elle pas la première ressource pour augmenter son efficacité en matière de génétique? Pour répondre à cette question, il faut d’abord se pencher sur un grand principe de base : on ne peut améliorer ce qu’on ne mesure pas. Le service de classification est surement l’outil de gestion le moins dispendieux pour mesurer ou quantifier la conformation fonctionnelle des troupeaux laitiers. Le but de la classification est de déterminer dès le premier vêlage quels sont les animaux qui possèdent la plus grande capacité à produire du lait et qui auront une durée de vie plus On peut comparer une vache à une voiture de Formule 1 : si on veut aller vite, on appuie plus fort sur la pédale. Toutefois, si la voiture n’est pas munie du meilleur moteur pour obtenir le maximum de vitesse, les chances de gagner la course sont plus minces. C’est la même chose pour une vache. On peut lui offrir la meilleure alimentation possible pour produire beaucoup de lait, mais si elle ne possède pas les fonctions corporelles pour atteindre l’objectif de production, elle a peu de chance d’y arriver. L’objectif de la classification est de se prévaloir du meilleur moteur pour durer le plus longtemps possible dans l’étable et produire du lait facilement. 5 Score 38 MAI 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS LAIT_MAI-2015.indd 38 2015-04-16 09:17 cas-ci. Le troupeau 1 compte 40 % des premiers veaux classifiés 78 points et plus, ce qui lui permet de dégager un profit moyen de 45 260 $ annuellement, comparativement au troupeau 2 qui, lui, comprend 90 % des premiers veaux classifiés au-dessus de 78 points et dégage un profit de 16 606 $ supplémentaire au troupeau 1. Si on travaille à améliorer la génétique fonctionnelle du troupeau 1, celui-ci pourrait engendrer des profits supplémentaires de 5 475 $ seulement en augmentant de 20 % les animaux classifiés 78 points et plus. Ce pourcentage peut être atteint en ayant recours au service de classification continue, en ciblant de meilleurs croisements pour chacun des animaux, en augmentant son intensité de sélection, en répertoriant des familles de vaches rentables qui répondent bien aux objectifs d’élevage définis et en améliorant la régie, soit le confort des animaux, la taille des onglons, etc. TABLEAU 1. PROFIT ESTIMÉ D’UN TROUPEAU LORS D’UNE AUGMENTATION MOYENNE DU SCORE FINAL TROUPEAU X (140 VACHES) MOYENNE DE CLASSIFICATION DU TROUPEAU PROFIT APPROXIMATIF ($/VACHE/JOUR) PROFIT ANNUEL MOYEN ($/AN) 78 80 1,30 $ 1,50 $ 66 430 $ 77 260 $ Actuel Objectif Une augmentation de 16 % du profit est anticipée (10 830 $) avec une augmentation de 2 points sur la moyenne de classification du troupeau. GRAPHIQUE 2. RENTABILITÉ D’UN TROUPEAU SELON LA RÉPARTITION DU SCORE FINAL 2,20 $ 2,00 $ 1,80 $ Profit Une recherche conduite en collaboration par Holstein Canada, les agences de contrôle laitier et le Réseau laitier canadien a mesuré le profit/vache/jour grâce à la classification en première lactation sur une période allant de 2003 à 2007. Le profit inclut le revenu de la production, les périodes de tarissement, les dépenses alimentaires liées à la maintenance et à la production, les coûts d’élevage des génisses ainsi que le coût d’opportunité des quotas. Le graphique 1 montre que les vaches les mieux classifiées en première lactation atteignent en plus grande proportion le quatrième vêlage et sont plus profitables. Les animaux ayant un pointage final supérieur de cinq points à la moyenne nationale, qui est de 78 points, ont une rentabilité supérieure aux vaches qui se trouvent en dessous de cette moyenne nationale. Pour chaque augmentation de cinq points du score final en première lactation, on note une augmentation moyenne de 0,58 $ de profit par jour, ce qui se traduit par une hausse moyenne de 193 $ par vache annuellement. Une comparaison peut également être faite sur l’ensemble d’un troupeau, qui compte 100 vaches dans ce 1,60 $ Troupeau 2 1,40 $ 1,20 $ 1,00 $ Troupeau 1 20 30 40 50 60 70 80 90 100 % du troupeau classifié 78 points et + MAI 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS LAIT_MAI-2015.indd 39 39 2015-04-16 09:17 GÉNÉTIQUE L’expérience a été réalisée avec un troupeau de 140 vaches (tableau 1), et l’objectif était d’augmenter la moyenne de classification de deux points sur la totalité du troupeau. Au départ, le troupeau rapportait un profit annuel moyen de 66 430 $, ce qui représente une estimation de 1,30 $ par vache par jour. Grâce à de meilleures décisions d’accouplements, à l’amélioration de la régie, au recours à de meilleurs taureaux pour l’obtention de gains génétiques, les gestionnaires ont pu augmenter le profit par jour par vache de 0,20 $, ce qui s’est traduit par une augmentation de 16 % de profit, soit 10 830 $ de plus annuellement pour ce troupeau. Il est important de noter qu’au Québec, en 2013, les trois raisons les plus fréquentes pour la réforme involontaire ont été les problèmes de reproduction, la mammite (haut comptage cellulaire) et les problèmes de pieds et membres. Les producteurs qui s’engagent à faire une évaluation continue de la conformation peuvent réduire ces risques de réforme et augmenter la productivité. En effet, selon Sewalem et al. (2004), le risque de réforme involontaire est deux fois plus élevé pour une vache classifiée à 70 points comparativement à une vache classifiée à 80 points, et quatre fois plus élevé comparativement à une vache classifiée à 85 points. Développer la longévité est en étroite corrélation avec la production de lait, la santé et la fertilité. Certains P our chaque augmentation de cinq points du score final, on note une augmentation moyenne de 0,58 $ de profit par jour. caractères sont à la fois très corrélés à la longévité, mais également à la rentabilité, comme le démontre le graphique 3. C’est le cas entre autres de la largeur de l’attache arrière du pis, la texture du pis, la suspension médiane et la vue arrière des membres arrière. Une vache classifiée à 85 points vs une vache classifiée à 79 points peut produire en moyenne jusqu’à 737 kg de lait de plus, 33 kg de gras de plus et 27 kg de protéine de plus, un gain supplémentaire d’environ 570 $/an avec un prix moyen du lait à 0,75 $/l. C’est pour cette raison que l’amélioration des performances exige d’abord de travailler le potentiel génétique en production. Il s’agit de critères à forte héritabilité qui donnent des résultats concrets à partir de la génération GRAPHIQUE 3. AUGMENTATION DU PROFIT RELATIVEMENT À LA COTE DE LA LARGEUR DE L’ATTACHE ARRIÈRE ET LA TEXTURE DU PIS Augmentation du profit 3,00 2,50 Largeur de l'attache arrière 2,00 1,50 Texture du pis 1,00 0,50 0,00 1 2 3 4 5 Score 40 6 7 8 9 Cote idéale suivante en parallèle avec une régie étroite des pieds et membres et de la santé des systèmes mammaires et reproducteurs des vaches. Ensuite viennent la conformation et la durée de vie pour maximiser l’efficacité et la rentabilité. Enfin, quand la production et la conformation sont au rendez-vous, on peut alors renforcer davantage la santé du troupeau en améliorant le potentiel génétique des critères de santé-fertilité. De nos jours, il est important de produire le plus de lait possible par stalle, mais on oublie souvent qu’il faut également calculer les coûts de remplacement par stalle. Si une vache a une conformation non fonctionnelle et qu’on doit la réformer avant même qu’elle ne se rende à sa deuxième ou troisième lactation, cela représente d’énormes coûts pour la remplacer, et ce, avant même qu’elle ait rapporté assez pour payer ses frais d’élevage. De là l’importance d’élever des vaches solides sur leurs membres et qui ont un bon système mammaire pour soutenir l’épreuve du temps. Cela dit, la rentabilité est maximisée lorsqu’on parvient à combiner production et longévité : l’un ne va pas sans l’autre, sinon c’est un divorce qui coûte cher! Plusieurs éleveurs commerciaux croient que ce sont les éleveurs élites qui se concentrent sur la conformation. Toutefois, on réalise finalement que ces derniers élèvent des animaux qui seront les plus profitables pour le producteur commercial. À la fin de la journée, on aime toujours mieux travailler avec des vaches fonctionnelles sans problème. La classification demeure un outil de gestion et de commercialisation incontournable, car il s’agit de l’opinion impartiale d’un expert qui analyse comment se compare votre animal au modèle type idéal propre au Canada. Grâce à cette évaluation, il est possible de prendre des décisions réfléchies pour son entreprise. Ce même outil aide également à fixer le prix des animaux et à prendre de meilleures décisions d’achat. Le but pour tous n’est pas nécessairement de posséder que des vaches classifiées « Très bonnes », mais de vouloir améliorer la conformation de son troupeau et traire des vaches présentant une bonne longévité et une bonne production laitière. ■ MAI 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS LAIT_MAI-2015.indd 40 2015-04-16 09:18