manière un peu posée, à des vrais projets artistiques. Qui sont, par définition, politiques. Pour moi, l’art
occupe une fonction sociale : à partir du moment où on représente le monde, on doit le mettre en critique.
Et je n’ai pas le sentiment, parce que je travaille avec des subventions, de répondre à une commande
d’État. La question se pose plutôt de savoir en quoi consiste notre travail : faire du théâtre dans la société.
Avec le collectif, nous n’avons jamais menti en présentant un dossier de subventions : on n’a jamais
prétendu faire de la trahison sociale. Et on ne nous a jamais empêchés de travailler. Peut-être en
imaginant que notre propos se diluerait en passant au plateau, ce qui s’est déjà vu. Tant qu’on ne nous
empêchera pas de travailler avec de l’argent public, on continuera comme ça, parce que c’est aussi ce qui
nous permet de proposer des places à des prix accessibles. Mais je crois que, comme c’est aussi visible
dans les Nouveaux chiens de garde, il s’agit plus d’une question de traîtrise que de financement. Il me
semble qu’on est dans une période où beaucoup de gens nous ont trahis. C’est d’ailleurs une question que
nous nous posons, avec le collectif, de savoir si la trahison ne sera pas le sujet de notre prochain spectacle
: trahison de soi, trahison des idéaux, des siens…
Pourquoi les gens viennent-ils… ?
Parce qu’on leur a dit « Va voir ça, c’est génial ». Plus que pour le sujet. Ce qui me désole un peu, parce
que je fais partie des artistes qui croient qu’un sujet peut déplacer une personne. Idée difficile à tenir
quand beaucoup de gens travaillent à l’inverse : à ce que les théâtre ne concernent que les gens qui vont
au théâtre. Vois le nombre de flyers qui ne mentionnent même pas le sujet de la pièce. On n’est pas naïfs .
On sait que le succès est suspect. Cela nous interroge. Est-ce qu’on brosserait trop dans le sens du poil,
est-ce que le spectacle manque de cogne ? Enfin, un journaliste du Figaro est venu, et aucun papier n’est
sorti. (Rires) On essaie de garder les pieds sur terre, et que ça ne nous éloigne pas de nos réelles envies.
Le fait d’être un collectif a une influence, pour garder une ligne ?
Je crois, oui, parce qu’il y en a toujours un pour ramener sur le tapis la question du sens de ce qu’on fait.
Ce qui est en train de se passer nous met dans une situation où l’on pourrait se contenter pour les deux ou
trois années à venir de se laisser porter par les institutions. « Est-ce que ce n’est que pour ça que l’on fait
ce métier ? »
Comment pensez-vous, les un.es et les autres, la capacité du théâtre à transmettre un
imaginaire révolutionnaire et à déborder de la salle, à en sortir ?
En 1974, quand Dario Fo monte Faut pas payer, les gens sortent de la salle et commencent à piller les
supermarchés… Il y a un contexte, et une identification du contexte : est-ce que les spectateurs qui
viennent au théâtre identifient réellement la situation dans laquelle on est ? Est-ce que chacun le vit lui-
même, personnellement, de plein fouet ?
Je fais un détour : à Liège, j’ai mis du temps à monter une pièce de Karl Valentin L’Arbre de Noël.
L’histoire d’une famille pauvre qui voudrait fêter Noël et finit par tout casser… C’est une pièce assez
violente, que Valentin a écrite dans les années 30, dans un moment de famine généralisée en Allemagne.
Tout le monde y est pauvre, et les gens s’identifient spontanément à cette famille.
Aujourd’hui, cette pièce pourrait donner l’impression de porter un regard dépréciateur sur les
personnages. Quand je l’ai montée, c’est qu’il me semblait discerner dans ce que l’on était en train de
vivre un appauvrissement. Mais le public ne l’identifie pas. Je crois que les spectateurs s’imaginent dans
une situation meilleure que celle dans laquelle ils sont.