VertigO – La revue en sciences de l'environnement, vol6 no1, juin 2005
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VISAGES DE LA BIODIVERSITÉ MARINE1
Pierre Brunel, président, Institut québécois de la biodiversité, Département de sciences biologiques,
Université de Montréal, C.P. 6128, Succ. Centre-ville, Montréal, QC H3C 3J7, Courriel :
pierre.brunel@umontreal.ca
Résumé : L’immense variété des plantes, des animaux et des microbes, leurs gènes et les paysages qu’ils construisent, toutes ces
composantes du monde vivant – ou « biosphère » - de notre planète constituent ce qu’on nomme la biodiversité (ou diversité
biologique) depuis 1985 environ. Le gros de cette diversité est invisible pour la plupart des gens, surtout parce que, dans leur immense
majorité, les organismes vivants sont trop petits et cachés dans la végétation, dans le sol, dans les récifs coralliens, dans les vases et
les sables recouvrant le fond des océans, des lacs et des rivières. Beaucoup de ces organismes sont pourtant indispensables au bien-
être des humains, soit directement comme ressources renouvelables à valeur marchande, soit indirectement pour maintenir un certain
équilibre écologique dans la nature actuelle. On rompt présentement cet équilibre en maints endroits sur notre planète, car l’Homme
industriel a fait disparaître trop d’espèces qui rendaient des services écologiques ignorés dans sa comptabilité myope préoccupée
seulement par la valeur monétaire des biens et services immédiats. On peut traiter la biodiversité planétaire sous quatre de ses facettes,
celle des espèces, celle des groupes taxinomiques de hauts niveaux, celle de leur génétique, ou celle des écosystèmes et de leurs
fonctions et services pour l’humanité. Les méthodes nécessaires à l’acquisition des connaissances sur ces quatre types de variété du
vivant sont résumées. Il est plus difficile de connaître la diversité des espèces marines que celle des espèces terrestres et d’eaux
douces, probablement plus grande, mais la biodiversité de hauts niveaux est bien supérieure dans les océans. Des chiffres illustrent
celle des principaux embranchements et classes d’animaux, et des exemples de découvertes nouvelles et récentes à ces niveaux sont
cités. La biodiversité marine écologique est illustrée d’abord par les principaux modes de vie (plancton, necton, benthos et parasites),
et ensuite par les grands groupes d’espèces à répartitions géographiques différentes tributaires de la température contemporaine mais
fortement influencées par l’histoire évolutionnaire de la Terre. Les écosystèmes sont une troisième forme d’organisation fonctionnelle
des communautés microbiennes, végétales et animales, fortement tributaires de la profondeur et de la lumière dans la mer. Les
recherches sur la biodiversité génétique marine portent actuellement en grande partie sur des espèces d’utilité immédiate, mais elles
font progresser énormément celles qui reconstruisent la phylogénie des taxons de hauts niveaux, et les techniques moléculaires
modernes sont un complément prometteur des méthodes morphologiques classiques pour identifier les espèces. Pour contrer les
graves dangers qui menacent la biodiversité marine, des actions collectives et individuelles sont devenues urgentes. Par exemple, il
faut réorienter les priorités de protection des espèces vulnérables vers celle des écosystèmes vulnérables complets, et arriver à gérer en
entier les écosystèmes marins plutôt que leurs seules espèces commerciales abondantes.
Mots-clefs : Espèce, embranchements animaux, classes animales, collections de recherche, musées, biogéographie, écosystèmes,
zones hydroclimatiques
Abstract: The huge variety of plants, animals and microbes, their genes and the landscapes that they build, all these components of
the living world – or « biosphere » - on our planet make up its biodiversity (or biological diversity), so-called since about 1985. The
bulk of this diversity is unseen by most people since a huge majority of these living organisms are too small and hidden in vegetation,
in soil, in coral reefs, in muds and sands covering the bottom of oceans, lakes and rivers. Many of these organisms are nonetheless
indispensable to the well-being of humans, either directly as renewable resources with market value, or indirectly for maintaining a
certain ecological equilibrium in present-day nature. This balance is presently being broken in many places on our planet because
industrial Man has eradicated too many species supplying ecological services. The latter are ignored by his myopic accounting
bothered only by the monetary value of immediate goods and services. Planetary biodiversity can be viewed under four components,
that of species, that of high-level taxonomic groups, that of their genetics, and that of ecosystems and their functions and services for
humanity. Methods necessary to gain knowledge on those four types of living variety are summarized. The diversity of marine species
is harder to know than that of terrestrial or freshwater species, which is probably greater, but high-level biodiversity is much greater in
the oceans. Figures are given to demonstrate that of the main animal phyla and classes, together with examples of new and recent
discoveries at these levels. Marine ecological biodiversity is illustrated first by the major ways of life (plankton, nekton, benthos and
parasites), and afterwards by the large groups of species with different geographic distributions determined by present-day
temperatures but strongly influenced by the evolutionary history of the earth. Ecosystems are a third kind of functional organization of
microbial, plant and animal communities which are deeply structured by depth and light in the sea. Present knowledge on marine
genetic biodiversity rests heavily on species with short-term usefulness, but great progress is being made on the phylogeny of high-
level taxa, and modern molecular techniques promise to complement traditional morphological methods to identify species. To
counter current grave threats to marine biodiversity, collective and individual actions are now urgent. Examples are those of shifting
1 Traduction autorisée et augmentée du chapitre « Marine biodiversity » paru dans Nihoul, Jacques C.J. & Chen-Tung A. Cheng (editors), 2003. Oceanography : 4.
Biological oceanography (Louis Legendre & Fereidoun Rassoulzadegan, eds). Dans : Encyclopedia of Life Support Systems : 1. Earth and Atmospheric Sciences.
Eolss Publishers Ltd., Oxford, U.K. (Accessible en ligne seulement : http://www.eolss.net)
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protection priorities from vulnerable species toward whole vulnerable ecosystems, and managing entire marine ecosystems instead of
only their abundant commercial species.
Introduction
Les paragraphes qui suivent visent à brosser un panorama
général plutôt descriptif de la biodiversité marine en dirigeant
les lecteurs vers quelques sources bibliographiques qui les
mèneront vers des connaissances plus approfondies s’ils le
désirent. Les connaissances sur la biodiversité terrestre sont
toutefois bien plus grandes que pour les milieux aquatiques,
moins visibles. Il est donc apparu utile de présenter d’abord un
survol des connaissances sur la biodiversité générale, acquises
surtout en milieux terrestres, et des méthodes employées pour
l’étudier. Il était ensuite possible de comparer la biodiversité
marine à celle de chacun des trois autres milieux, terrestres,
d’eaux douces et symbiotiques, comparaisons ici très inspirées
par May (1994). Les espèces dites symbiotiques sont plus ou
moins étroitement associées à d’autres organismes vivants, qui
leur procurent un substrat ferme analogue aux substrats
minéraux durs ou meubles qui servent d’habitats aux espèces
benthiques. Sauf pour leurs stades larvaires qui servent à la
dispersion, les espèces endoparasites, notamment, deviennent
donc presque indépendantes du milieu extérieur de leur hôte.
Parmi les ouvrages collectifs généraux traitant en profondeur
de presque toutes les facettes de la biodiversité mondiale,
citons Groombridge (1992), Hawksworth (1994), Heywood et
Watson (1995) et Reala-Kudla et al. (1997). Les aspects
taxinomiques ont fait l’objet récemment d’un collectif édité par
Godfray et Knapp (2004) et de numéros thématiques dans les
revues Science (2003) et Trends in Ecology and Evolution
(2003). A l’échelle canadienne, les ouvrages du Biodiversity
Science Assessment Team (1994) et de Mosquin et al. (1995)
décrivent bien la situation à cette époque. Les documents
scientifiques de même calibre sur la biodiversité marine sont
nettement moins nombreux : celui d’Ormond et al. (1997)
rassemble 18 articles techniques de haut niveau. Dans la
catégorie des sources documentaires plus légères sur la
biodiversité marine, on trouvera des données sérieuses fort
utiles et bien vulgarisées dans quatre numéros thématiques des
revues BioScience (American Institute of Biological Sciences,
1991), Oceanus (Woods Hole Oceanographic Institution, 1995,
1996) et Oceanography (Sullivan, 1996). Nous avons
délibérément exclu ici, faute d’espace, les ouvrages proposant
des modèles théoriques interprétatifs de la biodiversité, des
mécanismes écologiques et évolutionnaires qui la sous-tendent
et de ses rapports avec la productivité ou d’autres propriétés
écologiques analogues des écosystèmes.
Quatre sortes de biodiversité sur notre planète
La notion de biodiversité se rattache à plusieurs domaines de la
biologie, mais ne les englobe pas complètement : ce concept
doit idéalement mettre à l’étude de nombreuses entités
biologiques, et suppose des études comparatives de ces
éléments. Les espèces sont encore les éléments les plus
opérationnels de la biodiversité en raison de l’ancienneté des
descriptions, des connaissances biologiques et des usages
accumulés sur elles. Ainsi, l’étude du comportement, de
l’écologie ou de la physiologie d’une seule espèce s’éloigne du
champ de la biodiversité, alors que celle de la distribution
spatiale de ses nombreuses populations en fait partie, de même
que celle des allèles ou des séquences génomiques qui les
caractérisent au niveau moléculaire. Les comparaisons peuvent
toutefois se faire à différents niveaux de la hiérarchie
d’organisation des êtres vivants. A cet égard, il est devenu
habituel parmi les biologistes de distinguer de trois à cinq types
de biodiversité. Quatre types sont différenciés ci-dessous.
La biodiversité des espèces
La biodiversité des espèces considère les espèces comme les
principales unités opérationnelles de la vie, dont les individus
peuvent se reconnaître et se reproduire entre eux et transmettre
à leur progéniture leurs gènes et mécanismes héréditaires; elles
l’ont fait pendant de longues, voire extrêmement longues,
périodes du passé géologique ou évolutionnaire. On peut aussi
désigner cette diversité « biodiversité taxinomique de niveau
inférieur », la taxinomie étant la science qui décrit et classifie
toutes les espèces connues. Le Lion, le Moineau, la Mouche et
l’Homme sont des exemples d’espèces bien connues; la Morue
atlantique, la Baleine bleue et la Moule bleue sont des espèces
marines familières. Seules les espèces bien connues des
humains ont reçu de tels noms dans les langues vivantes.
Puisque l’immense majorité des autres espèces n’ont jamais été
nommées avant l’avènement de la science, les biologistes ont
donné à toutes les espèces reconnues depuis des noms
scientifiques tirés du latin. La Morue atlantique a ainsi été
nommée Gadus morhua et son cousin l’aiglefin est baptisé
Gadus aeglefinus; le second nom est celui de l’espèce et le
premier celui du genre, qui exprime la proche parenté, comme
le nom de famille des humains.
La biodiversité taxinomique de hauts niveaux
La biodiversité taxinomique de hauts niveaux réfère aux
groupes d’espèces progressivement plus grands et emboîtés qui
forment une classification hiérarchique des êtres vivants. Les
groupes supérieurs englobent ou contiennent ceux des niveaux
inférieurs, et les différences de caractères entre les groupes
supérieurs sont plus grandes et plus nombreuses qu’entre les
groupes inférieurs. Les espèces sont ainsi groupées dans les
genres, les genres dans les familles, les familles dans les
ordres, les ordres dans les classes, les classes dans les
embranchements (ou « phylums ») et les embranchements dans
les règnes. Les groupes de tous niveaux sont désignés
« taxons ». Les biologistes anciens ne reconnaissaient que deux
règnes, celui des Plantes et celui des Animaux (plus le règne
sans vie des roches et minéraux, maintenant désuet). Les
progrès des connaissances aux niveaux microscopique et
moléculaire ont conduit les scientifiques à la reconnaissance
actuelle de cinq règnes, celui des Animaux (pluricellulaires et
consommateurs d’autres êtres vivants), celui des Plantes
(pluricellulaires et capables de photosynthétiser leur propre
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Habitats marins Habitats dulcicoles Habitats
terrestres
Habitats
symbiotiques
Embranchement
ou sous-embr. Benthos Pélagos Benthos Pélagos humides arides externes internes
Porifera +++ + +
Placozoa +
Orthonectida +
Dicyemida +
Cnidaria +++ ++ + + +
Ctenophora + +
Platyhelminthes +++ + +++ ++ + ++++
Gnathostomulida ++
Nemertea ++ + + + +
Nematoda +++ +++ +++ + +++ +++
Nematomorpha + ++ ++
Acanthocephala ++
Rotifera + + ++ ++ + + +
Gastrotricha ++ ++
Kinorhyncha ++
Loricifera +
Tardigrada + ++ +
Priapula +
Mollusca ++++ + +++ +++ + + +
Kamptozoa + + +
Pogonophora ++
Sipuncula ++
Echiura ++
Annelida ++++ + ++ +++ ++
Onychophora +
Arthropoda
Crustacea ++++ +++ +++ ++ ++ ++ ++
Chelicerata ++ + ++ ++ ++++ +++ ++ +
Uniramia + + +++ ++ +++++ +++ ++ ++
Phoronida +
Brachiopoda ++
Bryozoa +++ +
Echinodermata +++ +
Hemichordata +
Chordata
Urochordata +++ +
Cephalochordata +
Vertebrata +++ +++ ++ +++ +++ +++ + +
Tableau 1. Biodiversité des espèces décrites d’Animaux adultes dans 37 embranchements et sous-embranchements dans les différents
milieux de la biosphère, exprimée en ordres de grandeur (adapté de Pearse V. et al. 1987, p.7, avec l’autorisation de la Boxwood
Press). Légende : Les «plus» indiquent l’abondance approximative des espèces vivantes décrites: + = 1-100; ++ = 100-1,000; +++ =
10³-104; ++++ = 104-105; +++++ = 105 ou plus. «symbiotique»: vivant intimement avec le corps d’un autre organisme vivant, souvent
comme parasite; «Benthos»: vivant sur ou dans le fond ou un peu au-dessus; «Pélagos»: vivant entre deux eaux en toute indépendance
du fond
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matière organique), celui des Mycètes (pluri- ou unicellulaires
et décomposeurs d’autres êtres vivants, incluant les
champignons et les levures), celui des Protistes (surtout
unicellulaires et fonctionnant soit comme des plantes, soit
comme des animaux) et celui des Monères (dominés par les
bactéries, unicellulaires encore plus petits et habiles chimistes);
les Protistes sont en voie d’être divisés en deux règnes valides,
les Protozoaires (surtout des protistes animaux) et les
Chromistes (surtout des protistes végétaux), d’après des
découvertes ultramicroscopiques et moléculaires nouvelles.
Tout cela démontre que les taxons de hauts niveaux dépendent
de l’avancement des connaissances spécialisées et de l’opinion
éclairée des quelques biologistes pourvus d’un tel savoir. Bien
qu’on s’accordât généralement sur les espèces contenues dans
les taxons de hauts niveaux, le nom d’un taxon et le niveau
auquel on le place dans la hiérarchie sont un peu arbitraires;
par exemple, une liste des 33 embranchements reconnus en
1987 est présentée dans le tableau 1, tandis que le tableau 2
plus bas, qui contient seulement 23 embranchements, intègre
des propositions de 1998 qui réduisent d’anciens
embranchements au niveau des classes. Les Mammifères, les
Oiseaux, les Reptiles, les Amphibiens et les Poissons osseux
(Ostéichtyens) sont des exemples de classes dans
l’embranchement des Cordés. Les groupes taxinomiques de
hauts niveaux sont essentiellement des catégories d’espèces
moulées dans leurs nombreuses et distinctives différences par
leur hérédité complexe et stable, acquise pendant la durée
extrêmement longue de leur évolution : ils se sont adaptés aux
lents changements de leur environnement, ont survécu aux
brusques catastrophes naturelles, pour se figer dans leur
architecture morphologique distinctive. Parmi les exemples
marins, on peut voir les énormes différences architecturales
entre les embranchements animaux lorsqu’on compare une
éponge (embranchement Porifera), une étoile de mer (embr.
Echinodermata), un homard (embr. Arthropoda) et n’importe
quel poisson (embr. Chordata). Disséquer des individus de tels
taxons révèle de leur anatomie encore davantage des
différences fondamentales dans leur structure corporelle. La
plupart des embranchements sont très anciens, puisque leur
origine remonte à plus de 600 millions d’années, avant que la
plupart des fossiles se soient formés : on peut donc les qualifier
de mémoire de la biosphère. Très peu d’embranchements ont
disparu depuis leur origine, puisqu’il aurait alors fallu que
toutes leurs espèces aient disparu partout, événement peu
probable; mais beaucoup d’espèces et de genres, dans
différents embranchements et classes, ont subi l’extinction
quelque part durant ces centaines de millions d’années.
Taxons supérieurs Embranchement Océans et mers Eaux douces Sols Terres et air[1] Tous les domaines
Parazoa 1. Porifera 3 1 - - 3
2. Cnidaria 4 1 - - 4
3. Ctenophora 2 - - - 2
Radiata
4. Placozoa 1 - - - 1
? 5. Myxozoa (=myxosporidia) 2 2 - (1) 2
6. Platyhelminthes 4 4 - (2) 4
7. Mesozoa 2 - - - 2
8. Gnathostomulida 1 - - - 1
9. Nemertea 2 1 - - 2
10. Acanthognatha 3 3 - (1) 3
11. Nemathelminthes 5 2 1 (2) 5
12. Kamptozoa 2 - - - 2
13. Sipuncula 1 - - - 1
14. Lophophorata 3 1 - - 3
15. Mollusca 7 2 - 1 7
16. Annelida 5 3 1 - 5
17. Lobopoda 1 1 - 1 2
Protostomia
18. Arthropoda 5 3 4 4 6
19. Chaetognatha 1 - - - 1
20. Hemichordata 3 - - - 3
21. Echinodermata 6 - - - 6
22. Urochordata 3 - - - 3
Deuterostomia
23. Chordata 7 7 3 4 8
Total 73 31 9 10(+6%) 76
Représentation (en % de 76) 96% 41% 12% 13 (+8%) 100%
Tableau 2. Nombre de classes récentes dans les 23 embranchements animaux présents dans les quatre principaux domaines
environnementaux de la biosphère.[1] Les chiffres entre parenthèses réfèrent aux parasites isolés du milieu externe par leur
existence à l’intérieur du corps de leur hôte terrestre.
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La biodiversité génétique
La biodiversité génétique sous-tend les deux types précédents
de biodiversité, puisque les gènes procurent le mécanisme
moléculaire invisible de base qui engendre les myriades de
caractères, visibles et invisibles, qui distinguent les différentes
espèces et leurs populations. Les gènes sont en fait des blocs de
substances chimiques spéciales greffées sur une grosse
molécule hélicoïdale commune à tous les organismes vivants et
qu’on nomme l’acide désoxyribonucléique (ADN). La
structure chimique et le rôle de cette molécule fondamentale et
de ses substances chimiques satellites n’ont été découverts
qu’après 1950. Un gène peut parfois être responsable d’un seul
caractère mais, bien plus souvent, ce sont des combinaisons de
gènes ou des gènes qui sont activés ou désactivés par d’autres
gènes pendant le développement et la croissance qui
constituent les mécanismes génétiques complexes qu’on a
révélés au cours des décennies récentes grâce à des progrès
technologiques majeurs. Des gènes ou des combinaisons de
gènes d’un grand conservatisme sont à l’origine de la
biodiversité taxinomique de haut niveau, tandis que des
mutations plus récentes subies par d’autres gènes sont
responsables de la biodiversité des espèces, ainsi que des
variations au sein des espèces.
En simplifiant, on peut distinguer quatre grands champs de
recherche en biodiversité génétique moléculaire, qui diffèrent
quant à leur finalité. Le plus grand, qu’on désigne souvent
« génie génétique », cherche à élucider les mécanismes
génétiques moléculaires responsables des espèces, incluant
l’espèce humaine. D’immenses efforts sont consacrés aux
pathologies ou autres dysfonctionnements qui affectent la santé
ou le rendement économique. Ces recherches de type
expérimental sont ici exclues du domaine de la biodiversité
parce qu’elles ciblent généralement une espèce à la fois. En
identifiant les enzymes ou autres protéines codées par les
gènes, on fournit toutefois aux chercheurs animés d’objectifs
différents des techniques nouvelles et indirectes, parfois plus
rapides ou moins chères, pour étudier la biodiversité génétique.
Un second champ très actif de recherches tente de reconstituer
les origines des taxons de hauts et moyens niveaux, en
remontant jusqu’aux origines de la vie. A l’aide de séquences
géniques conservatrices jugées anciennes, on espère identifier
les grosses branches et le tronc de « l’arbre de la vie »
(Science, 2003; Cracraft et Donoghue, 2004) et élucider les
parentés de taxons dont la morphologie est très différente.
Puisque ces recherches dites « phylogénomiques » veulent
reconstituer l’histoire évolutionnaire très ancienne, leurs
données sont comparées à celles de la paléontologie lorsque les
taxons étudiés sont fossilisables. Lorsqu’il s’agit de
microorganismes, il n’est pas possible de confirmer ou
d’infirmer ainsi les données moléculaires de la biodiversité
génétique. On ne doit compter que sur la théorie de « l’horloge
moléculaire. »
Un troisième champ de recherche en biodiversité génétique
s’intéresse plutôt aux ramilles de l’arbre de la vie, c’est-à-dire
aux espèces, sous-espèces et autres populations plus ou moins
isolées les unes des autres dans les milieux écologiques
contemporains (Bohonak, 1999). On cherche à mesurer le
degré d’isolement des populations en utilisant des séquences
géniques plus récentes et peu différentes comme indicatrices
des flux géniques entre elles. Les modes de dispersion, le
comportement et l’autécologie des espèces dans leur milieu
actuel deviennent alors les facteurs comparatifs qu’il faut
connaître pour permettre de confirmer ou d’infirmer les
comparaisons obtenues par les marqueurs génétiques
moléculaires. La technique commode de l’électrophorèse
protéinique s’est souvent substituée à l’analyse directe des
séquences géniques comme moyen indirect d’étudier ces
dernières.
Le projet d’un code-barre de la vie est né récemment (Hebert
et al., 2003; www.barcodinglife.org), vu la lenteur des
identifications morphologiques d’espèces, l’immense diversité
des microorganismes et invertébrés à morphologie difficile, et
les progrès des techniques génétiques moléculaires. Il y a là un
quatrième champ de recherche fertile en promesses. La
variation ou biodiversité subspécifique, essentielle à
l’évolution adaptative dans des environnements changeants,
augmente aussi énormément le nombre de caractères,
dorénavant moléculaires, que doivent prendre en compte les
biologistes pour distinguer les espèces et leurs populations. Les
espèces cryptiques, par exemple, sont celles qu’on ne peut
reconnaître que par leurs différences génétiques, puisque leurs
caractères morphologiques sont les mêmes. Mais on peut
prédire qu’elles différeront dans leur comportement, dans leurs
subtiles capacités physiologiques (e.g. tolérance à la
température ou capacités digestives), dans leur capacité à
produire divers composés chimiques ou à y résister, ou dans
d’autres propriétés bien moins faciles à observer que leurs
caractères morphologiques. Les taxinomistes habitués aux
descriptions morphologiques craignent, non sans raison, que la
fascination contemporaine pour les technologies nouvelles ne
porte ombrage aux méthodes traditionnelles, déjà gravement
sous-financées. Mais il faut voir que ce ne sont pas des
molécules, toutes magiques qu’elles apparaissent, qui entrent
en rapports autécologiques adaptatifs et sélectifs avec
l’environnement, mais bien les caractères morphologiques,
éthologiques et autres patiemment décrits depuis bientôt trois
siècles et dont on est loin d’avoir épuisé l’étude. Pour acquérir
une réelle valeur biologique, ces nouveaux marqueurs
génétiques devront toujours être validés en les comparant aux
caractères morphologiques de la taxinomie classique
La biodiversité écologique
La biodiversité écologique porte sur la variété des paysages, à
la fois naturels ou modelés par les humains, qui sont
essentiellement composés des communautés de plantes,
d’animaux et de microbes vivant ensemble dans un
environnement donné. Ce dernier est fait de toutes les
propriétés physiques et chimiques de la nature telles que la
température, l’humidité de l’air, le vent, la lumière, les sels et
les autres substances chimiques contenues dans l’eau, le sol
mou ou le roc solide sur lequel marcher, se fixer ou dans lequel
creuser, les autres êtres vivants ou morts à consommer, etc. On
nomme écosystème toutes les composantes physiques,
chimiques, végétales, animales ou microbiennes d’un
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