VertigO – La revue en sciences de l'environnement, vol6 no1, juin 2005
VertigO, Vol 6 No 1 5
La biodiversité génétique
La biodiversité génétique sous-tend les deux types précédents
de biodiversité, puisque les gènes procurent le mécanisme
moléculaire invisible de base qui engendre les myriades de
caractères, visibles et invisibles, qui distinguent les différentes
espèces et leurs populations. Les gènes sont en fait des blocs de
substances chimiques spéciales greffées sur une grosse
molécule hélicoïdale commune à tous les organismes vivants et
qu’on nomme l’acide désoxyribonucléique (ADN). La
structure chimique et le rôle de cette molécule fondamentale et
de ses substances chimiques satellites n’ont été découverts
qu’après 1950. Un gène peut parfois être responsable d’un seul
caractère mais, bien plus souvent, ce sont des combinaisons de
gènes ou des gènes qui sont activés ou désactivés par d’autres
gènes pendant le développement et la croissance qui
constituent les mécanismes génétiques complexes qu’on a
révélés au cours des décennies récentes grâce à des progrès
technologiques majeurs. Des gènes ou des combinaisons de
gènes d’un grand conservatisme sont à l’origine de la
biodiversité taxinomique de haut niveau, tandis que des
mutations plus récentes subies par d’autres gènes sont
responsables de la biodiversité des espèces, ainsi que des
variations au sein des espèces.
En simplifiant, on peut distinguer quatre grands champs de
recherche en biodiversité génétique moléculaire, qui diffèrent
quant à leur finalité. Le plus grand, qu’on désigne souvent
« génie génétique », cherche à élucider les mécanismes
génétiques moléculaires responsables des espèces, incluant
l’espèce humaine. D’immenses efforts sont consacrés aux
pathologies ou autres dysfonctionnements qui affectent la santé
ou le rendement économique. Ces recherches de type
expérimental sont ici exclues du domaine de la biodiversité
parce qu’elles ciblent généralement une espèce à la fois. En
identifiant les enzymes ou autres protéines codées par les
gènes, on fournit toutefois aux chercheurs animés d’objectifs
différents des techniques nouvelles et indirectes, parfois plus
rapides ou moins chères, pour étudier la biodiversité génétique.
Un second champ très actif de recherches tente de reconstituer
les origines des taxons de hauts et moyens niveaux, en
remontant jusqu’aux origines de la vie. A l’aide de séquences
géniques conservatrices jugées anciennes, on espère identifier
les grosses branches et le tronc de « l’arbre de la vie »
(Science, 2003; Cracraft et Donoghue, 2004) et élucider les
parentés de taxons dont la morphologie est très différente.
Puisque ces recherches dites « phylogénomiques » veulent
reconstituer l’histoire évolutionnaire très ancienne, leurs
données sont comparées à celles de la paléontologie lorsque les
taxons étudiés sont fossilisables. Lorsqu’il s’agit de
microorganismes, il n’est pas possible de confirmer ou
d’infirmer ainsi les données moléculaires de la biodiversité
génétique. On ne doit compter que sur la théorie de « l’horloge
moléculaire. »
Un troisième champ de recherche en biodiversité génétique
s’intéresse plutôt aux ramilles de l’arbre de la vie, c’est-à-dire
aux espèces, sous-espèces et autres populations plus ou moins
isolées les unes des autres dans les milieux écologiques
contemporains (Bohonak, 1999). On cherche à mesurer le
degré d’isolement des populations en utilisant des séquences
géniques plus récentes et peu différentes comme indicatrices
des flux géniques entre elles. Les modes de dispersion, le
comportement et l’autécologie des espèces dans leur milieu
actuel deviennent alors les facteurs comparatifs qu’il faut
connaître pour permettre de confirmer ou d’infirmer les
comparaisons obtenues par les marqueurs génétiques
moléculaires. La technique commode de l’électrophorèse
protéinique s’est souvent substituée à l’analyse directe des
séquences géniques comme moyen indirect d’étudier ces
dernières.
Le projet d’un code-barre de la vie est né récemment (Hebert
et al., 2003; www.barcodinglife.org), vu la lenteur des
identifications morphologiques d’espèces, l’immense diversité
des microorganismes et invertébrés à morphologie difficile, et
les progrès des techniques génétiques moléculaires. Il y a là un
quatrième champ de recherche fertile en promesses. La
variation ou biodiversité subspécifique, essentielle à
l’évolution adaptative dans des environnements changeants,
augmente aussi énormément le nombre de caractères,
dorénavant moléculaires, que doivent prendre en compte les
biologistes pour distinguer les espèces et leurs populations. Les
espèces cryptiques, par exemple, sont celles qu’on ne peut
reconnaître que par leurs différences génétiques, puisque leurs
caractères morphologiques sont les mêmes. Mais on peut
prédire qu’elles différeront dans leur comportement, dans leurs
subtiles capacités physiologiques (e.g. tolérance à la
température ou capacités digestives), dans leur capacité à
produire divers composés chimiques ou à y résister, ou dans
d’autres propriétés bien moins faciles à observer que leurs
caractères morphologiques. Les taxinomistes habitués aux
descriptions morphologiques craignent, non sans raison, que la
fascination contemporaine pour les technologies nouvelles ne
porte ombrage aux méthodes traditionnelles, déjà gravement
sous-financées. Mais il faut voir que ce ne sont pas des
molécules, toutes magiques qu’elles apparaissent, qui entrent
en rapports autécologiques adaptatifs et sélectifs avec
l’environnement, mais bien les caractères morphologiques,
éthologiques et autres patiemment décrits depuis bientôt trois
siècles et dont on est loin d’avoir épuisé l’étude. Pour acquérir
une réelle valeur biologique, ces nouveaux marqueurs
génétiques devront toujours être validés en les comparant aux
caractères morphologiques de la taxinomie classique
La biodiversité écologique
La biodiversité écologique porte sur la variété des paysages, à
la fois naturels ou modelés par les humains, qui sont
essentiellement composés des communautés de plantes,
d’animaux et de microbes vivant ensemble dans un
environnement donné. Ce dernier est fait de toutes les
propriétés physiques et chimiques de la nature telles que la
température, l’humidité de l’air, le vent, la lumière, les sels et
les autres substances chimiques contenues dans l’eau, le sol
mou ou le roc solide sur lequel marcher, se fixer ou dans lequel
creuser, les autres êtres vivants ou morts à consommer, etc. On
nomme écosystème toutes les composantes physiques,
chimiques, végétales, animales ou microbiennes d’un