Prêtres et Savants – .
B B
Inni mathématique et inni de Dieu
J-M M
jean-michel.maldame@dominicains.com
Bernard Bolzano est connu de tous les étudiants en sciences mathéma-
tique ou physique, puisque, dès la première année d’études universitaires, ils
apprennent lethéorème de Bolzano-Weierstrass, porte d’entrée dans les «ma-
thématiques modernes». La plupart ignorent que Bolzano est à Prague le
octobre et décédé dans la même ville le décembre . Entré à
l’Université de Prague en  pour étudier les mathématiques, la physique et
la philosophie, à lencontre de la volonté de son père, Bolzano décida de de-
venir prêtreet a entrepris des études de théologie sans renoncer à ses études
scientiques, puisquil a présenté sa thèse de mathématiques en . Or-
donné prêtre le  avril , il soutenu un doctorat en philosophie sit après
le  avril. Il a obtenu un poste denseignant à l’Université de Prague en ma-
thématiques et en science des religions. Élu doyen de la faculté de philosophie
en , il a été nommé à la Société Royale des Sciences de Bohême en .
Une très brillante entrée dans la vie intellectuelle donc!
Dès ces années de formation, les questions posées par Bolzano portent
sur larticulation de la raison et de la foi. Cest en partant des convictions et
des méthodes de Leibniz que Bolzano ouvre une voie il sera en conit avec
Kant et ses disciples (ce qui explique pourquoi il a été méconnu dans les uni-
. Son re dorigine italienne était marchand dart et sa mère pragoise était dun milieu
commerçant. C’était une famille très pieuse de style italien, mais de culture germa-
nique. La problématique de Bernard Bolzano est celle de luniversité allemande.
Revue des Questions Scientiques, ,  () : -

   
versités européennes) et Hegel (ce qui explique pourquoi certains lui ont re-
proché un rationalisme trop vère). Ces rapides remarques montrent que la
science nest pas un savoir cantonné dans une île, puisque son progrès est lié à
des personnalités qui font le passage entre divers savoirs. Ainsi en étudiant
lœuvre de Bolzano, il paraîtra que la racine de son œuvre et lunité de toutes
ses parties sont le fruit dun grand amour pour la vérité. De ce point de vue,
nous exprimons un regret. Les études françaises sur Bolzano ne s’attachent
qu’à son apport à la naissance des mathématiques modernes. Cette lecture a
les qualités de la spécialisation, mais ce faisant, elle ne respecte pas les moti-
vations de la recherche et occulte les éléments qui font partie de la philoso-
phie. L’étude actuelle de Bolzano est elle aussi limitée à la dimension
épistémologique et de ce fait il y a une séparation entre la philosophie et la
théologie. Le but de cette conférence est de montrer que ces éléments doivent
être unis. Nous le ferons en nous attachant à la question de linni selon les
vœux de Bolzano lui-même qui écrit au début des Paradoxes de linni: «Les
paradoxes mathématiques [sur linni] méritent toute notre attention, puisque
la solution de questions très importantes de plusieurs autres sciences, comme
la métaphysique ou la physique, dépend dune réfutation satisfaisante de leur
apparente contradiction» (§ ).
1. Une vie engagée
Le jeune et brillant professeur de l’Université de Prague s’impose par ses
travaux mathématiques. La chaire qu’il reçoit nest pas celle dun mathéma-
. Ne sont accessibles au lecteur français que deux ouvrages; Bernard B, Les Para-
doxes de linni, introduction et traduction par Hourya Sinaceur, «Les sources du sa-
voir», Paris, Seuil, , et De la thode mathématique & Correspondance Bolzano-
Exter, traduction fraaise Carole Magné et Jean Sebestik, Paris, Vrin, . Il ne s’agit
ici que des fondements des mathématiques. Un numéro de la revue Philosophies est
consacré à Bolzano, vol. , n° , .
. Nous rejoignons la critique faite par Jacques Courcier dans son «Bulletin de philoso-
phie des sciences», RSPT, , n° , , p. - constatant les carences de notations
de H. Sinaceur dans sa traduction, signe dune ignorance de la portée véritable des Pa-
radoxes de linni. Le même jugement est réitéré: «Cet ouvrage est dune parfaite éru-
dition en ce qui concerne le secteur mathématique et logique, et dune sespérante
faiblesse en ce qui concerne l’autre moitié, plus théologique et plus philosophique »
(RSPT, , n° , p. ).
. Ces travaux mathématiques portent d’abord sur des questions de géométrie: Considéra-
tions sur certains objets de la géométrie élémentaire, . Dans l’introduction aux œuvres
mathématiques de Bolzano, lhistorien des mathématiques, Jan VOJŤEK, note: «Bol-
zano s’occupait dans ses études géométriques de questions fondamentales spécialement
   – 

ticien, mais celle intitulée «science des religions» dont le propos est de pré-
senter une philosophie des religions. La fondation de cette chaire est due à
l’initiative de lempereur François-Joseph qui voulait contrer linuence né-
faste des idées «volutionnaires» venues de France. Il avait lintention de
donner aux étudiants une formation religieuse pour résister à leur inuence
subversive. Laction de Bolzano se fait dans le cadre de ses cours, mais aussi
dans des conférences destinées aux étudiants qui étudient dautres disciplines
que la philosophie (Erbauungsreden discours édiants) et encore dans ses
prédications liturgiques le dimanche.
1.1. Une morale politique
Si Bolzano a été choisi pour ses compétences multiples, il était sans doute
le moins qualié pour cette tâche, puisque, dans son enseignement et dans sa
prédication à Prague, Bernard Bolzano promeut les idées de liberté et déga-
lité, au fondement de la vie sociale. Ces idées qui héritent ouvertement des
Lumières contredisent labsolutisme impérial et suscitent lenthousiasme des
étudiants tchèques. Les idées défendues par Bolzano sont subversives; aussi,
par cret impérial, il est démis de ses fonctions universitaires en et
interdit de publication. Lenseignement de cette époque est cependant connu,
choisies, p. ex. de la théorie de la droite, de la théorie des parallèles, du problème de
lespace, de la notion de ligne et de surface, de leurs grandeurs, de leurs courbures et
ainsi de suite. Le choix de ces sujets montre la profondeur de son entendement pour les
questions de sciences ométriques les plus importantes, aussi diciles qu’elles soient.
Bolzano préparait une reconstruction systématique et complète de toute la ométrie,
mais il ne nous a pas laissé un exposé complet de ses idées; même ses travaux sur des
problèmes spéciaux ne sont (ce quil fait souvent remarquer lui-même) que des essais,
parfois incomplets. Néanmoins, les travaux de Bolzano sont originaux et remarquables
surtout du point de vue logique, ce qui se manifeste par la conformité et la précision de
la méthode dans larrangement de la matière et dans les démonstrations; de nombreux
détails portent le même caractère éminent. C’est pourquoi, il faut regretter que Bolzano
n’ait pas eu le temps ni la force détablir une construction systématique de la géométrie
qui serait équivalente à sa grande œuvre en logique.» Bernard Bolzano Schriften, t. V,
Geometrische Arbeiten, p. .
. L’instigateur de cette mesure est laumônier de la cour, Jakob Frint. Celui-ci intentera
un procès en hérésie, qui sera sans eet, puisque rien dans les écrits de Bolzano ne va à
lencontre de la foi. La question est celle du rapport entre labsolutisme de Metternich,
hélas appuyé par l’Église, et ce qui deviendra le Joséphisme, esprit des Lumières dans le
catholicisme de lempire.
. Tous les auteurs notent aujourdhui que cet interdit a été source de la méconnaissance
de la pensée et de loriginalité de Bolzano qui est aujourd’hui reconnu comme un pion-

   
parce que des étudiants rassemblent notes et documents pour composer un
livre publié en Allemagne en . Cet ouvrage comporte quatre volumes
sous le titre Lehrbuch der Religionwissenschaft Manuel de science de la reli-
gion. Il s’agit dune science des religions avec une présentation systématique.
Le statut de cette édition nempêche pas que lon puisse accéder à loriginalité
de la philosophie en matière de religion et de vie politique ou sociale.
Cette vacance universitaire ne contrarie pas trop Bolzano, car elle le li-
bère des charges administratives et des contraintes denseignement. Elle lui
permettra de se consacrer à des recherches personnelles; son état de prêtre lui
permet davoir un statut social. On note que son activité est marquée par un
fort engagement social dans le cadre des activités caritatives de l’Église de
Bohême.
Cette activité est celle dun intellectuel engacomme le montre la pu-
blication d’un ouvrage politique, Von dem besten Staate,Pour le meilleur État.
La question abordée dans cet ouvrage est de savoir comment lutter contre le
mal et diminuer la sourance humaine. Bolzano constate que bien des maux
sont dus à la mauvaise organisation de l’État. Il puise dans la tradition chré-
tienne une motivation pour une éducation qui forme à la «vertu», c’est-à-dire
enseignement et rigueur morale. Il propose des solutions pratiques pour le
logement des pauvres, pour l’élimination de la misère, pour lorganisation de
lentraide caritative et pour laccueil des enfants abandonnés. Lexposé très
systématique s’appuie sur les principes de la liberet de légalité. Bolzano
récuse la censure. Il aborde la question de la propriété et les impôts. Tout ceci
est fait dans un style philosophique: proposer des concepts clairs et déduire
les conséquences pratiques nécessaires pour le bien de tous. Dans ces textes,
nier en matière de logique, de mathématique et philosophie de lesprit. Cf. Bernard L,
Bolzano critique de Kant, Paris, Vrin, .
. Une autre édition complétée sera publiée après sa mort, Dr. Bernhard Bolzano’s Er-
bauungsreden an die Akademische Jugend,  vol., Prague et Vienne, -, une tra-
duction partielle est faite en anglais, Selected Writings on Ethics and Politics, Amsterdam-
New-York, Rodopi, .
. Les textes publiés anonymement reprennent des conférences faites aux étudiants de
l’Université de Prague. Ueber die Wohlthätigkein. Dem Wohle der Leidenden Meshchheit
gewidmet von einem Mehnschenfreunde,  et Vorschläge zur Behebung des unter einem
betchtlichen eile der Bewohner Prags dermal um sich greifenden Nothstandes, .
   – 

Bolzano aborde aussi la question des nationalités. Dans lempire austro-hon-
grois et en Bohême la question est bien complexe et vive. Textes dactualité!
1.2. Le statut des religions
Louvrage de Bolzano permet de voir quelle est sa philosophie de la reli-
gion. Dans le premier volume, Bolzano part dune dénition de la religion.
Il entend le terme de religion dans le sens subjectif d’engagement de la
conscience. Cet engagement de la personne est à la source de la morale et
donc de laction évoquée plus haut.
En lien avec les polémiques modernes, je relève que pour lui, lhistoire
dAdam et Ève nest pas à entendre comme un événement historique, mais
comme une leçon de morale qui une valeur dexemplarité. La référence à
Adam et Ève a pour eet de fonder l’égalité de tous les êtres humains. Il doit
donc y avoir un sentiment de fraternité entre tous les humains. Ainsi, il y a
place pour diverses religions dans une même nation.
Dans le champ des religions, Bolzano constate que le christianisme est la
meilleure des religions à raison du primat accordé à lamour du prochain et à
lexigence morale qui en résulte. Cette position est justiée dans le deuxième
volume qui cherche les éléments qui permettent de parler de vélation.La
question des miracles est longuement étudiée. Il récuse la notion commune
qui dit que le miracle échappe aux lois de la nature. Il voit dans le miracle une
«occurrence insolite» qui fait signe au croyant. Dans ce volume, Bolzano
entre alors dans une étude sur la valeur des propositions du discours chrétien;
il utilise le langage des moralistes cherchant le meilleur dans des situations
confuses en qualiant les autoritésselon leur degré de probabilité. Passage
donc de lestimation du probable au calcul des probabilités.
Dans cet ouvrage sur les religions, Bolzano reconnaît lexistence dune
religion naturelle. La reconnaissance de lexistence de Dieu est partagée par
. Ueber das Verhältnis der beiden Volkstämme in Böhmen, ; après sa mort : Was ist
Vaterland und Vaterlandsliebe ? Eine rede an die akademische Jugend im Jahre 1810
beantwortet, .
. Bolzano suit toujours cette méthode: il commence par donner des dénitions – au sens
premier du terme qui est de donner tous les éléments dintelligibilité classés selon l’ordre
logique.
. Cf. Ian H, LÉmergence de la probabilité, Paris, Seuil, .
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