Dans la retraite imposée par sa mise à l’écart de l’Université, Bolzano, consacre ses
forces à l’écriture de l’ouvrage Philosophie des sciences ou Théorie des sciences (en allemand
Wissenschaftlehre), une œuvre philosophique majeure
. Elle reste en lien avec les travaux
mathématiques qui demeurent la base de son activité
.
La logique
Bolzano est un des pionniers de la logique moderne
. La notion de logique est alors
plus large qu’aujourd’hui ; elle désigne le mode rationnel de penser. La perspective de
Bolzano s’inscrit dans une option réaliste, en ce sens que les concepts ne dépendent pas de
l’esprit qui pense.
1. Le premier point de sa manière de construire la logique est de poser qu’il existe des
vérités en soi (Wahrheit an sich). L’expression désigne des affirmations qui sont vraies
indépendamment du fait d’être pensées ou crues. Ainsi dire que la terre tourne sur elle-même
et autour du soleil est une vérité en soi ; c’était vrai même quand on pensait le contraire ; une
formule mathématique est vraie quel que soit le mathématicien qui la formule. Il faut
distinguer la vérité d’une proposition d’avec la croyance en la vérité d’une proposition.
2. La deuxième étape de la philosophie impliquée dans cette présentation de la vérité
des propositions est la question de la réalité. Sur cette question, il faut noter que Bolzano
emploie deux termes, wirklich et wirksam. Le premier terme renvoie à une existence réelle; le
second terme renvoie à l’action. Ainsi la vérité d’une proposition logique se tient dans l’ordre
de la déduction logique – pas dans l’existence physique ou mentale.
3. La logique étudie les propositions, les phrases construites pour elles-mêmes. Il
considère les différentes manières de construire une proposition et leur valeur de vérité. Le
cœur de la question est le rapport entre le sujet de la proposition et le prédicat attribué au
sujet. Il examine les divers modes des propositions : avec affirmation, avec négation,
subjonctives ou disjonctives, propositions particulières. Ces divers statuts des propositions
sont classés à différents niveaux ; toutes ont une valeur d’affirmation d’existence (es gibt – il
y a).
4. Les propositions ont un contenu (Inhalt) ; ce sont les idées que Bolzano étudie
comme telles. Il y a des idées simples qui n’ont pas de parties et des idées complexes qui sont
composées de plusieurs parties. Les idées ont un objet. Il y a des idées sans objet ou vides,
quand elles sont contradictoires (gegenstandlos) ou imaginaires (un cheval ailé). Une idée
peut avoir un contenu (gegenständlich) singulier ou général. À ce propos, Bolzano introduit la
considération de l’extension (Umfang). Bolzano étudie les relations entre les idées en les
L’œuvre fut méconnue en son temps. Bolzano en était conscient quand il écrivait : « Si les vues exposées dans
ce livre sont justes, elles feront la révolution dans plus d’une science : à savoir en métaphysique, en morale et en
droit, en esthétique, en mathématique, dans la partie rationnelle de la physique, dans la théorie philosophique du
langage et (Dieu nous garde) aussi en théologie », Correspondance Bolzano-Fesl, cité par J. SEBESTIK,
Mathématique et théorie de la science chez Bolzano, Thèse, Paris, 1974, citée par Jacques LAZ, op. cit., p. 21.
Le travail de Bolzano mathématicien est bien connu. Il fit au début de sa carrière de la géométrie, mais sa
remise en cause des éléments euclidiens alors reçus comme incontestables n’est pas suivie d’un
travail systématique ; ses collègues Lobatchevski et Bolayi y travailleront avec Riemann. Bolzano a publié des
études en analyse par un traité sur les séries convergentes (en 1817 – avant les travaux de Cauchy de 1821). Dans
son étude de 1817 se trouve le célèbre théorème dit de Bolzano-Weierstrass. Le nom de Weierstrass est apparu à
ce propos ; en effet l’œuvre de l’Allemand a été connue avant celle de Bolzano ; le théorème a été présenté sous
son nom, jusqu’à la découverte de l’antériorité de l’énoncé de Bolzano. Bolzano a introduit la notion d’ensemble
dans deux ouvrages : Les Paradoxes de l’infini et Sur la grandeur. Ces ouvrages sont à la base des travaux de
Dedekind et Cantor qui ont fondé explicitement la théorie des ensembles.
Husserl a présenté Bolzano comme « un des plus grand logiciens de tous les temps », Jacques LAZ, op. cit., p.
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