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Anne ZRIBI-HERTZ
Université Paris-8/UMR 7023 (CNRS)
Pour une analyse unitaire
de DE partitif
2003
à paraître dans
F. Corblin et L. Kupferman (sld.)
Actes du colloque Indéfinis et prédication
Paris : Presses de la Sorbonne
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Pour une analyse unitaire
de DE partitif
Anne ZRIBI-HERTZ
Université Paris-8/UMR 7023 (CNRS)
1. L’enjeu1
Kupferman (1999, 2001) propose une analyse
syntaxique unifiée des syntagmes nominaux illustrés en (1),
qu’on peut nommer partitifs en vertu de leur
interprétation impliquant l’extraction d’une portion d’un tout :
(1)a. J’ai vu {du pain/des pommes/de {ce/ton} pain/de
{ces/tes} pommes}.
b. J’ai {vu/mangé} une partie {du pain/des
pommes/de {ce/ton}pain/de {ces/tes} pommes.
c. J’ai {vu/mangé} beaucoup de {pain/pommes}.
Ces syntagmes incluent un syntagme nominal déterminé (SD),
lexical (SN) ou lexical-dénombré (SNb) enchâssé sous une
projection fonctionnelle dont la tête est remplie par de et dont le
spécificateur peut accueillir un syntagme quantitatif (SQt).
Kupferman baptise l’ensemble syntagme quantifié, mais je
l’appellerai ici partitif.2 L’analyse unitaire des suites en gras de
(1) est reprise de Kupferman en (2) à une étiquette près (les
noeuds entre parenthèses peuvent être absents):
(2) SPart
(spec) Part’
SQt Part° (SD)
(D°) SNb/SN
beaucoup de l-/c-/t- pommes
une partie pain
1 Merci à M. Kaneko, L. Kupferman et M.-T. Vinet pour leur lecture
attentive et critique d’une première version de ce texte.
2 Sur l’effet (ou l’absence d’effet) de quantification associé à de, V.
par ex. Attal (1976), Hulk (1996), Vinet (2003).
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Cette analyse est en phase avec les faits diachroniques, qui
impliquent la grammaticalisation d’une préposition indiquant
l’origine comme marqueur de partitivité au sein du groupe
nominal (cf. Englebert 1992, 1996, Wilmet 1986). Le schéma
(2) permet d’unifier la description des constructions que Milner
(1978) a distinguées sous les deux étiquettes quantitative
(beaucoup de gâteaux) et partitive (beaucoup des gâteaux).
D’autre part, la structure (2) permet d’associer à un syntagme
partitif de la forme de surface de SD soit une structure SANS
spécificateur, soit une structure à spécificateur VIDE. Cette
hypothèse, qui n’est pas avancée par Kupferman mais que
j’envisage ici, permet d’intégrer aux structures partitives le
déterminant du/des souvent nommé indéfini, que Bosveld
(2000) appelle autonome, et de décrire l’ambiguïté bien connue
du syntagme du gâteau dans une phrase comme (3) :
(3) J’ai mangé trois fois du gâteau.
= a. [SPart de [SD le gâteau]]
= b. [SPart [SQt ø] de [SD le gâteau]]
Dans (3a), le syntagme partitif dépourvu de
spécificateur est construit comme non quantifié indéfini ») ;
dans (3b), le syntagme partitif à Quantité implicite reçoit une
interprétation comparable à un peu du gâteau. La structure (3b)
est la seule disponible si la tête du syntagme SD contient un
déterminant distinct de l’article le.
J’argumenterai dans cet article pour l’hypothèse (3b) et
contre une certaine objection à l’analyse unitaire (2), qui est
paradoxalement développée par Kupferman lui-même (1979,
1998). L’objection prend sa source dans les données illustrées
ci-desous en (4) et (5) (jugements de Kupferman) :
(4)a. Je viens de manger de ce gâteau-là.
[OK « TYPE » ; OK « TOKEN »].
b. Je viens de boire d’un très bon cognac.
c. Vous reprendrez bien de quelque chose ?
d. J’aimerais bien boire de ça.
e. Le cognac dont j’ai bu était excellent.
f. De quoi voulez-vous reprendre ?
g. De quelle bière as-tu bu ?
(5)a. (*)Je viens de voir de ce gâteau-là.
[OK « TYPE » ; * « TOKEN »]
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b. *Je vous apporterai d’un très bon cognac.
c. *Avez-vous aperçu de quelque chose ?
d. *J’aimerais bien revoir de ça.
e. *Le cognac dont j’ai vu était excellent.
f. *De quoi voulez-vous vendre ?
g. *De quelle bière as-tu acheté ?
De ces deux séries d’exemples semble se dégager un
contraste entre deux sous-classes lexicales de verbes lorsqu’ils
ont un complément de la forme de SD : ceux de (4), mais non
ceux de (5), sont du type qu’Englebert (1992, 1996) a baptisés
fragmentatifs, une vingtaine de verbes incluant notamment
prendre, manger, boire. Les paradigmes (4)-(5) suggèrent que
les verbes fragmentatifs ont une affinité sélectionnelle
particulière avec un complément de SD. Pour décrire les
données, Kupferman suivant Milner (1978), et suivi de
Bosveld (2000) — retient d’abord l’hypothèse (6) :
(6) Caractérisation des verbes fragmentatifs
Les verbes fragmentatifs ont une double
complémentation directe, et indirecte.
Corrélativement, leur complément de SD peut
s’analyser soit comme un syntagme partitif (2),
soit comme un syntagme prépositionnel
indiquant la source d’une extraction.
Les verbes non-fragmentatifs du type voir seraient par contre de
purs transitifs directs. A ce titre, ils peuvent régir un objet de la
forme de SX, mais il ne peut alors s’agir que d’un syntagme
SPart de la forme (2), dont Kupferman suppose que
l’interprétation obéit à la contrainte (7) :
(7) Contrainte sur l’interprétation d’un syntagme
SPart [adaptation libre de Kupferman 2001]
En l’absence d’une expression de quantité
explicite dans le spécificateur de SPart, le
syntagme enchâssé sous de en (2) n’est pas
sémantiquement délimité.
L’idée sous-jacente est que l’élément de n’a pas en lui-même de
force délimitante. Il s’ensuit que si un syntagme nominal partitif
n’accueille pas dans son spécificateur supérieur une expression
de quantité explicite, le constituant dominé par de ne peut pas
recevoir une lecture discrète ou « TOKEN », mais seulement
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une lecture non délimitée, c’est-à-dire, selon Kupferman : (a)
générique, ou (b) « TYPE » :
(8)a. (*)Je viens de voir du gâteau sur la moquette.
[OK : générique ; * « TOKEN »]
b. (*)On vend de ce gâteau dans certaines
boulangeries. [OK : « TYPE »; * « TOKEN »]
Selon Kupferman, l’interprétation discrète ou « TOKEN » est
indisponible en (8a) comme en (8b), ce qui le conduit à
l’hypothèse suivante : les exemples (5) sont mauvais parce que
l’objet de SD du verbe non-fragmentatif ne peut être qu’un
syntagme partitif, qui n’autorise a priori (cf. (7)) qu’une lecture
générique ou « TYPE » pour sa composante SD ; les exemples
(4) sont acceptables parce que la suite de SD peut y être
analysée (cf. (6)) comme un syntagme prépositionnel dont la
composante SD, non partitive, échappe à la contrainte (7).
Cependant, la généralisation (7) de Kupferman n’est ni
empiriquement ni descriptivement adéquate. Il est d’abord
parfaitement possible de construire le référent {GATEAU} de
(8b) comme un certain gâteau discret et préidentifié dont on
vend des parties en plusieurs lieux. Ensuite, les verbes
fragmentatifs ne sont PAS sous-catégorisés pour un complément
prépositionnel de XP indiquant la source, cf. :
(9) *Jean a mangé de cette assiette.
Compar. angl. : John ate {off/from} this plate.
Enfin, la lecture « type de gâteau » qui est également disponible
en (8b) ne peut pas être confondue avec la lecture générique qui
est seule possible en (8a), ni la notion de délimitation
(atomisation) avec celle de spécificité (localisation voir note
3) : le nom type qui est implicite dans l’une des interprétations
de (8b) est un classificateur discret, comme le montre le fait
bien connu qu’il permet de dénombrer un référent massique :
trois riz est acceptable s’il signifie « trois types de riz ». Pour
déterminer dans quel sens il convient de corriger la
généralisation (7) , considérons globalement le paradigme (10) :
(10)a. Chaque matin, Jean mange de la confiture.
b. Chaque matin, Jean mange un peu de
confiture.
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