Psychose et accès aux soins oncologiques

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Psychose et accès
aux soins oncologiques
Lorsqu’ils sont atteints
d’un cancer, les patients
qui souffrent de psychose
sont dépistés plus
tardivement et accèdent
aux soins plus difficilement
que le reste de la population.
Michel Reich
Psychiatre, Équipe de psycho-oncologie,
Centre Oscar-Lambret, Lille.
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SANTÉ MENTALE
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Les patients qui souffrent de psychoses,
hospitalisés ou suivis en Centre médico-psychologique, présentent parfois des
pathologies somatiques sévères, relevant
d’un service spécialisé. Les équipes psychiatriques doivent ainsi intégrer à leur prise
en charge la dimension de prévention des
comorbidités somatiques (1).
En cas de cancer, les enjeux majeurs résident
dans le dépistage précoce et l’accessibilité aux soins, afin de préserver toutes les
chances de guérison. Or, force est de constater que beaucoup de ces patients psychiatriques ne bénéficient pas du même accès
aux soins oncologiques que les autres. La
comorbidité psychiatrique constitue ainsi
une réelle perte de chance (2).
Dans ce contexte particulier, une collaboration étroite entre services de psychiatrie
et oncologie et médecin généraliste s’avère
nécessaire pour une prise en charge optimisée, qui aura alors un impact indéniable
en termes de survie et d’amélioration de la
qualité de vie de ces patients vulnérables.
Des visites médicales
régulières
Si, selon les études, l’incidence des cancers
parmi les patients qui souffrent de schizophrénie reste controversée (3), leur mortalité par cancer est de 1,5 à 2 fois plus élevée
qu’en population générale. Sont incriminés
les comorbidités et les facteurs de risque
de cancer cumulés (obésité, tabagisme,
alcoolisme, sédentarité) et les difficultés
d’accès aux soins somatiques (4, 5).
On sait aujourd’hui qu’une prise en charge
précoce du cancer influe favorablement sur
Fiche réalisée en partenariat avec la
l’efficacité des traitements et sur le pronostic. D’où l’importance de visites médicales
régulières effectuées par le médecin généraliste au sein des institutions psychiatriques.
Un dépistage trop tardif
Mais le dépistage reste tardif pour de multiples facteurs, liés au patient, aux spécificités
de la maladie mais également aux soignants
ou à la lourdeur des traitements médicaux.
• Des facteurs liés au patient
ou à la maladie
– Le patient psychotique ne se plaint pas
immédiatement à l’apparition des premiers
“
Pour une éthique du
consentement aux soins
La prise en charge des patients psychotiques ne peut donc se concevoir sans une
réflexion éthique collégiale au sein des
équipes soignantes (3). Tout patient souffrant de pathologie mentale a le droit de
consentir ou de refuser les soins proposés,
sous réserve que ce consentement ou ce
refus dits « éclairés » ne soient pas biaisés
par une altération de l’état cognitif et/ou
psychiatrique en fonction des problèmes
somatiques rencontrés et de possibles
interactions médicamenteuses ;
– Un médecin et un infirmier référents
seront désignés pour les soins somatiques
quotidiens.
En conclusion
Les patients psychotiques souffrant de cancer ne doivent pas être ostracisés dans leur
accès aux soins oncologiques. Toutefois, du
fait de la pathologie mentale surajoutée, un
travail interdisciplinaire au-delà de la prise
en charge habituelle en cancérologie, est
indispensable.
Il importe de vérifier la capacité de compréhension du patient et de
questionner un refus de soins, potentiellement sous-tendu par un état anxieux
prononcé ou des difficultés d’intégration de la situation médicale. »
symptômes et manifeste une réticence à
consulter en raison du déni des troubles
somatiques ;
– Une mauvaise compréhension de la maladie et des traitements proposés empêche
ou retarde la réalisation des examens complémentaires et la mise en route des soins ;
– Le suivi et les traitements oncologiques
sont contraignants, ce qui provoque l’ambivalence et la mauvaise adhésion aux soins
avec des risques de rupture des soins ;
– Le milieu hospitalier somatique peut
être vécu comme « traumatisant » pour un
patient psychotique, s’il diffère trop de son
milieu habituel (habitus de vie ritualisés) ;
– Les modifications du traitement psychiatrique ou une sous-estimation des
interactions médicamenteuses avec les
traitements oncologiques peuvent entraîner
un déséquilibre psychiatrique et somatique
et compromettre la réussite du traitement
du cancer.
• Des facteurs liés aux soignants
– Les équipes d’oncologie rencontrent ou
anticipent les difficultés en ce qui concerne
l’adhésion du patient psychotique aux soins,
la crainte d’un « passage à l’acte » violent,
la méconnaissance des psychotropes. Ces
réserves sont dues aux représentations
sociales péjoratives de la maladie mentale
et peuvent entraîner des attitudes de rejet
et de peurs souvent injustifiées.
– La haute technicité des soins oncologiques
associée à un manque d’effectif rendent les
équipes soignantes moins « disponibles »
pour ces patients ;
– La présence d’un psychiatre de liaison
ou d’un psycho-oncologue (6) pouvant
intervenir en cas d’urgence et de troubles
majeurs du comportement, reste rarement
effective.
émotionnel ou par une phase de délire
productif. Il faut donc vérifier la capacité de
compréhension du patient et questionner
un refus de soins potentiellement soustendu par un état anxieux prononcé ou
des difficultés d’intégration de la situation
médicale (7).
Les mesures d’hospitalisation sans consentement n’ont pas vocation à contraindre un
patient psychotique à recevoir des soins
somatiques, sauf en cas d’urgence vitale.
Une fois l’affection psychiatrique stabilisée,
on cherchera donc à obtenir le consentement du patient à ses soins oncologiques.
Chez les patients psychotiques bénéficiant
de mesure de protection juridique, le psychiatre pourra faire appel à un tiers (tuteur,
curateur, mandataire) pour faciliter l’adhésion au projet thérapeutique de soin (8).
Optimiser la prise en charge
Dans ce contexte particulier, l’accès aux
soins oncologiques nécessite plusieurs
paramètres (1, 3) :
– La prise en charge doit privilégier la pluridisciplinarité avec comme acteur central
le psychiatre de liaison ou le psycho-oncologue (6) dans un centre de lutte contre
le cancer ;
– Une évaluation psychiatrique est demandée par le cancérologue avant toute instauration du traitement oncologique,
afin d’expliquer aux équipes médicales
les aspects particuliers de la pathologie
psychiatrique du patient. Ceci permet de
lutter contre la discrimination, les préjugés
et les résistances éventuelles et d’aborder
les spécificités de la prise en charge. Il est
donc nécessaire d’adapter le traitement
Des modalités organisationnelles incluant
l’évaluation somatique sont à respecter.
Pour cela, les psychiatres institutionnels,
de liaison ou exerçant en centre de lutte
contre le cancer, ont un rôle essentiel pour
désamorcer les préjugés et les fantasmes
et assurer une prise en charge précoce,
optimale dans le respect, l’éthique et la
déontologie qui sied à toute prise en charge
médicale.
1– Saravane D, Gilquin AF. Dépistage des pathologies somatiques en institution
psychiatrique. Psycho-Oncologie 2010 ; 4(1) : 12-16.
2– Limousin S. Prise en charge d’un patient psychotique atteint de cancer : réfuter
la perte de chance d’une double pathologie. Psycho-Oncologie 2010 ; 4(1):17-21.
3– Reich M. Patients psychotiques en oncologie. Santé Mentale 2014 ; 191:18-24.
4– Reich M, Gaudron C. Caractéristiques et prise en charge du patient psychotique
en cancérologie. Bulletin du Cancer 2009 ; 96(2):227-237.
5– Rhondali W, Ledoux M, Sahraoui F, Marotta J, Sanchez V, Filbet M. Prise en
charge de pathologie cancéreuse avancée chez des patients institutionnalisés en
psychiatrie : une étude pilote. Bulletin du Cancer 2013 ; 100(9) :819-827.
6– Ce professionnel est un psychiatre qui exerce dans les unités ou services de psychooncologie, intégrés aux soins de support, afin d’offrir une prise en charge globale des
patients atteints de cancer.
7– Dauchy S. Le patient psychotique atteint de cancer. In : Dolbeault S, Dauchy
S, Bredart A, Consoli SM (eds). La psycho-oncologie. John Libbey Eurotext, Paris,
2007, pp124-31.
8– Reich M, Bonneterre J. De l’information au consentement « éclairé » chez le
patient atteint de cancer et présentant une pathologie mentale. Oncologie 2013 ;
15(1): 10–16
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