SANTÉ MENTALE | 201 | OCTOBRE 2015 11
l’efficacité des traitements et sur le pronos-
tic. D’où l’importance de visites médicales
régulières effectuées par le médecin généra-
liste au sein des institutions psychiatriques.
Un dépistage trop tardif
Mais le dépistage reste tardif pour de multi-
ples facteurs, liés au patient, aux spécificités
de la maladie mais également aux soignants
ou à la lourdeur des traitements médicaux.
• Des facteurs liés au patient
ou à la maladie
– Le patient psychotique ne se plaint pas
immédiatement à l’apparition des premiers
symptômes et manifeste une réticence à
consulter en raison du déni des troubles
somatiques ;
– Une mauvaise compréhension de la mala-
die et des traitements proposés empêche
ou retarde la réalisation des examens com-
plémentaires et la mise en route des soins ;
– Le suivi et les traitements oncologiques
sont contraignants, ce qui provoque l’ambi-
valence et la mauvaise adhésion aux soins
avec des risques de rupture des soins ;
– Le milieu hospitalier somatique peut
être vécu comme « traumatisant » pour un
patient psychotique, s’il diffère trop de son
milieu habituel (habitus de vie ritualisés) ;
– Les modifications du traitement psy-
chiatrique ou une sous-estimation des
interactions médicamenteuses avec les
traitements oncologiques peuvent entraîner
un déséquilibre psychiatrique et somatique
et compromettre la réussite du traitement
du cancer.
• Des facteurs liés aux soignants
– Les équipes d’oncologie rencontrent ou
anticipent les difficultés en ce qui concerne
l’adhésion du patient psychotique aux soins,
la crainte d’un « passage à l’acte » violent,
la méconnaissance des psychotropes. Ces
réserves sont dues aux représentations
sociales péjoratives de la maladie mentale
et peuvent entraîner des attitudes de rejet
et de peurs souvent injustifiées.
– La haute technicité des soins oncologiques
associée à un manque d’effectif rendent les
équipes soignantes moins « disponibles »
pour ces patients ;
– La présence d’un psychiatre de liaison
ou d’un psycho-oncologue (6) pouvant
intervenir en cas d’urgence et de troubles
majeurs du comportement, reste rarement
effective.
Pour une éthique du
consentement aux soins
La prise en charge des patients psycho-
tiques ne peut donc se concevoir sans une
réflexion éthique collégiale au sein des
équipes soignantes (3). Tout patient souf-
frant de pathologie mentale a le droit de
consentir ou de refuser les soins proposés,
sous réserve que ce consentement ou ce
refus dits « éclairés » ne soient pas biaisés
par une altération de l’état cognitif et/ou
émotionnel ou par une phase de délire
productif. Il faut donc vérifier la capacité de
compréhension du patient et questionner
un refus de soins potentiellement sous-
tendu par un état anxieux prononcé ou
des difficultés d’intégration de la situation
médicale (7).
Les mesures d’hospitalisation sans consen-
tement n’ont pas vocation à contraindre un
patient psychotique à recevoir des soins
somatiques, sauf en cas d’urgence vitale.
Une fois l’affection psychiatrique stabilisée,
on cherchera donc à obtenir le consente-
ment du patient à ses soins oncologiques.
Chez les patients psychotiques bénéficiant
de mesure de protection juridique, le psy-
chiatre pourra faire appel à un tiers (tuteur,
curateur, mandataire) pour faciliter l’adhé-
sion au projet thérapeutique de soin (8).
Optimiser la prise en charge
Dans ce contexte particulier, l’accès aux
soins oncologiques nécessite plusieurs
paramètres (1, 3) :
– La prise en charge doit privilégier la plu-
ridisciplinarité avec comme acteur central
le psychiatre de liaison ou le psycho-on-
cologue (6) dans un centre de lutte contre
le cancer ;
– Une évaluation psychiatrique est deman-
dée par le cancérologue avant toute ins-
tauration du traitement oncologique,
afin d’expliquer aux équipes médicales
les aspects particuliers de la pathologie
psychiatrique du patient. Ceci permet de
lutter contre la discrimination, les préjugés
et les résistances éventuelles et d’aborder
les spécificités de la prise en charge. Il est
donc nécessaire d’adapter le traitement
psychiatrique en fonction des problèmes
somatiques rencontrés et de possibles
interactions médicamenteuses ;
– Un médecin et un infirmier référents
seront désignés pour les soins somatiques
quotidiens.
En conclusion
Les patients psychotiques souffrant de can-
cer ne doivent pas être ostracisés dans leur
accès aux soins oncologiques. Toutefois, du
fait de la pathologie mentale surajoutée, un
travail interdisciplinaire au-delà de la prise
en charge habituelle en cancérologie, est
indispensable.
Des modalités organisationnelles incluant
l’évaluation somatique sont à respecter.
Pour cela, les psychiatres institutionnels,
de liaison ou exerçant en centre de lutte
contre le cancer, ont un rôle essentiel pour
désamorcer les préjugés et les fantasmes
et assurer une prise en charge précoce,
optimale dans le respect, l’éthique et la
déontologie qui sied à toute prise en charge
médicale.
1– Saravane D, Gilquin AF. Dépistage des pathologies somatiques en institution
psychiatrique. Psycho-Oncologie 2010 ; 4(1) : 12-16.
2– Limousin S. Prise en charge d’un patient psychotique atteint de cancer : réfuter
la perte de chance d’une double pathologie. Psycho-Oncologie 2010 ; 4(1):17-21.
3– Reich M. Patients psychotiques en oncologie. Santé Mentale 2014 ; 191:18-24.
4– Reich M, Gaudron C. Caractéristiques et prise en charge du patient psychotique
en cancérologie. Bulletin du Cancer 2009 ; 96(2):227-237.
5– Rhondali W, Ledoux M, Sahraoui F, Marotta J, Sanchez V, Filbet M. Prise en
charge de pathologie cancéreuse avancée chez des patients institutionnalisés en
psychiatrie : une étude pilote. Bulletin du Cancer 2013 ; 100(9):819-827.
6– Ce professionnel est un psychiatre qui exerce dans les unités ou services de psycho-
oncologie, intégrés aux soins de support, afin d’offrir une prise en charge globale des
patients atteints de cancer.
7– Dauchy S. Le patient psychotique atteint de cancer. In : Dolbeault S, Dauchy
S, Bredart A, Consoli SM (eds). La psycho-oncologie. John Libbey Eurotext, Paris,
2007, pp124-31.
8– Reich M, Bonneterre J. De l’information au consentement « éclairé » chez le
patient atteint de cancer et présentant une pathologie mentale. Oncologie 2013 ;
15(1): 10–16
Fiche réalisée en partenariat avec la
Il importe de vérifier la capacité de compréhension du patient et de
questionner un refus de soins, potentiellement sous-tendu par un état anxieux
prononcé ou des difficultés d’intégration de la situation médicale. »
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