La MNH prend soin de vous © Michael Courtney – Fotolia.com. Psychose et accès aux soins oncologiques Lorsqu’ils sont atteints d’un cancer, les patients qui souffrent de psychose sont dépistés plus tardivement et accèdent aux soins plus difficilement que le reste de la population. Michel Reich Psychiatre, Équipe de psycho-oncologie, Centre Oscar-Lambret, Lille. 10 SANTÉ MENTALE | 201 | OCTOBRE 2015 Les patients qui souffrent de psychoses, hospitalisés ou suivis en Centre médico-psychologique, présentent parfois des pathologies somatiques sévères, relevant d’un service spécialisé. Les équipes psychiatriques doivent ainsi intégrer à leur prise en charge la dimension de prévention des comorbidités somatiques (1). En cas de cancer, les enjeux majeurs résident dans le dépistage précoce et l’accessibilité aux soins, afin de préserver toutes les chances de guérison. Or, force est de constater que beaucoup de ces patients psychiatriques ne bénéficient pas du même accès aux soins oncologiques que les autres. La comorbidité psychiatrique constitue ainsi une réelle perte de chance (2). Dans ce contexte particulier, une collaboration étroite entre services de psychiatrie et oncologie et médecin généraliste s’avère nécessaire pour une prise en charge optimisée, qui aura alors un impact indéniable en termes de survie et d’amélioration de la qualité de vie de ces patients vulnérables. Des visites médicales régulières Si, selon les études, l’incidence des cancers parmi les patients qui souffrent de schizophrénie reste controversée (3), leur mortalité par cancer est de 1,5 à 2 fois plus élevée qu’en population générale. Sont incriminés les comorbidités et les facteurs de risque de cancer cumulés (obésité, tabagisme, alcoolisme, sédentarité) et les difficultés d’accès aux soins somatiques (4, 5). On sait aujourd’hui qu’une prise en charge précoce du cancer influe favorablement sur Fiche réalisée en partenariat avec la l’efficacité des traitements et sur le pronostic. D’où l’importance de visites médicales régulières effectuées par le médecin généraliste au sein des institutions psychiatriques. Un dépistage trop tardif Mais le dépistage reste tardif pour de multiples facteurs, liés au patient, aux spécificités de la maladie mais également aux soignants ou à la lourdeur des traitements médicaux. • Des facteurs liés au patient ou à la maladie – Le patient psychotique ne se plaint pas immédiatement à l’apparition des premiers “ Pour une éthique du consentement aux soins La prise en charge des patients psychotiques ne peut donc se concevoir sans une réflexion éthique collégiale au sein des équipes soignantes (3). Tout patient souffrant de pathologie mentale a le droit de consentir ou de refuser les soins proposés, sous réserve que ce consentement ou ce refus dits « éclairés » ne soient pas biaisés par une altération de l’état cognitif et/ou psychiatrique en fonction des problèmes somatiques rencontrés et de possibles interactions médicamenteuses ; – Un médecin et un infirmier référents seront désignés pour les soins somatiques quotidiens. En conclusion Les patients psychotiques souffrant de cancer ne doivent pas être ostracisés dans leur accès aux soins oncologiques. Toutefois, du fait de la pathologie mentale surajoutée, un travail interdisciplinaire au-delà de la prise en charge habituelle en cancérologie, est indispensable. Il importe de vérifier la capacité de compréhension du patient et de questionner un refus de soins, potentiellement sous-tendu par un état anxieux prononcé ou des difficultés d’intégration de la situation médicale. » symptômes et manifeste une réticence à consulter en raison du déni des troubles somatiques ; – Une mauvaise compréhension de la maladie et des traitements proposés empêche ou retarde la réalisation des examens complémentaires et la mise en route des soins ; – Le suivi et les traitements oncologiques sont contraignants, ce qui provoque l’ambivalence et la mauvaise adhésion aux soins avec des risques de rupture des soins ; – Le milieu hospitalier somatique peut être vécu comme « traumatisant » pour un patient psychotique, s’il diffère trop de son milieu habituel (habitus de vie ritualisés) ; – Les modifications du traitement psychiatrique ou une sous-estimation des interactions médicamenteuses avec les traitements oncologiques peuvent entraîner un déséquilibre psychiatrique et somatique et compromettre la réussite du traitement du cancer. • Des facteurs liés aux soignants – Les équipes d’oncologie rencontrent ou anticipent les difficultés en ce qui concerne l’adhésion du patient psychotique aux soins, la crainte d’un « passage à l’acte » violent, la méconnaissance des psychotropes. Ces réserves sont dues aux représentations sociales péjoratives de la maladie mentale et peuvent entraîner des attitudes de rejet et de peurs souvent injustifiées. – La haute technicité des soins oncologiques associée à un manque d’effectif rendent les équipes soignantes moins « disponibles » pour ces patients ; – La présence d’un psychiatre de liaison ou d’un psycho-oncologue (6) pouvant intervenir en cas d’urgence et de troubles majeurs du comportement, reste rarement effective. émotionnel ou par une phase de délire productif. Il faut donc vérifier la capacité de compréhension du patient et questionner un refus de soins potentiellement soustendu par un état anxieux prononcé ou des difficultés d’intégration de la situation médicale (7). Les mesures d’hospitalisation sans consentement n’ont pas vocation à contraindre un patient psychotique à recevoir des soins somatiques, sauf en cas d’urgence vitale. Une fois l’affection psychiatrique stabilisée, on cherchera donc à obtenir le consentement du patient à ses soins oncologiques. Chez les patients psychotiques bénéficiant de mesure de protection juridique, le psychiatre pourra faire appel à un tiers (tuteur, curateur, mandataire) pour faciliter l’adhésion au projet thérapeutique de soin (8). Optimiser la prise en charge Dans ce contexte particulier, l’accès aux soins oncologiques nécessite plusieurs paramètres (1, 3) : – La prise en charge doit privilégier la pluridisciplinarité avec comme acteur central le psychiatre de liaison ou le psycho-oncologue (6) dans un centre de lutte contre le cancer ; – Une évaluation psychiatrique est demandée par le cancérologue avant toute instauration du traitement oncologique, afin d’expliquer aux équipes médicales les aspects particuliers de la pathologie psychiatrique du patient. Ceci permet de lutter contre la discrimination, les préjugés et les résistances éventuelles et d’aborder les spécificités de la prise en charge. Il est donc nécessaire d’adapter le traitement Des modalités organisationnelles incluant l’évaluation somatique sont à respecter. Pour cela, les psychiatres institutionnels, de liaison ou exerçant en centre de lutte contre le cancer, ont un rôle essentiel pour désamorcer les préjugés et les fantasmes et assurer une prise en charge précoce, optimale dans le respect, l’éthique et la déontologie qui sied à toute prise en charge médicale. 1– Saravane D, Gilquin AF. Dépistage des pathologies somatiques en institution psychiatrique. Psycho-Oncologie 2010 ; 4(1) : 12-16. 2– Limousin S. Prise en charge d’un patient psychotique atteint de cancer : réfuter la perte de chance d’une double pathologie. Psycho-Oncologie 2010 ; 4(1):17-21. 3– Reich M. Patients psychotiques en oncologie. Santé Mentale 2014 ; 191:18-24. 4– Reich M, Gaudron C. Caractéristiques et prise en charge du patient psychotique en cancérologie. Bulletin du Cancer 2009 ; 96(2):227-237. 5– Rhondali W, Ledoux M, Sahraoui F, Marotta J, Sanchez V, Filbet M. Prise en charge de pathologie cancéreuse avancée chez des patients institutionnalisés en psychiatrie : une étude pilote. Bulletin du Cancer 2013 ; 100(9) :819-827. 6– Ce professionnel est un psychiatre qui exerce dans les unités ou services de psychooncologie, intégrés aux soins de support, afin d’offrir une prise en charge globale des patients atteints de cancer. 7– Dauchy S. Le patient psychotique atteint de cancer. In : Dolbeault S, Dauchy S, Bredart A, Consoli SM (eds). La psycho-oncologie. John Libbey Eurotext, Paris, 2007, pp124-31. 8– Reich M, Bonneterre J. De l’information au consentement « éclairé » chez le patient atteint de cancer et présentant une pathologie mentale. Oncologie 2013 ; 15(1): 10–16 SANTÉ MENTALE | 201 | OCTOBRE 2015 11