326 Cahiers de Linguistique Française
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généralement pas
problématisées,
ou simplement renvoyées à un locuteur-audi-
teur idéal. Cela permet la thèse qu'un mot ou qu'une phrase sont pourvus de si-
gnification indépendamment du
contexte
et de la situation de leur emploi. Cette
signification pourrait elle-même relever d'une étude objective - qui ne se pose
pas la question du statut de l'interprète, dès lors qu'il assume le titre d'observa-
teur scientifique,
A cette problématique positiviste de la signification, nous avons opposé
la problématique herméneutique du sens. A un palier d'analyse supérieur, et à
un autre degré de complexité, le sens est une propriété des textes (cf. Rastier
1994 b). Et à la détermination principielle du local par le global répond une
détermination de la signification lexicale et phrastique par le sens textuel.
1.1. De la
tri partition
à la
sémantique cognitive
La
tripartion sémiotique syntaxe/sémantique/pragmatique
marque l'incidence
majeure du positivisme logique sur les sciences du langage. Elle est réputée les
diviser sans
reste.
Elle constitue poux leur développement, depuis quarante ans,
l'obstacle
épistémologiquc
principal1. Notamment, elle est fondée sur un
pa-
radigme du signe (selon la sémiotique de Morris et Carnap) et non du texte.
Encore ce signe est-il réduit à une simple expression.
a) La sémantique logique
Le problème herméneutique est radicalement éludé par l'absence du signifié
linguistique, qu'il soit
assimilé
au concept (dans la tradition aristotélicienne,
aujourd'hui
cognitive)
: ou supprimé par la théorie de la dénotation directe, qui
réduit
à
la relation entre un symbole (pur signifiant) et un objet. Nous avons
discuté naguère (1987) la conception logique de l'interprétation, et nous ne la
détaillerons pas. Retenons que si l'on considère un texte comme une suite de
symboles (dans l'acception logique du terme), c'est à dire une suite d'expres-
sions,
il ne peut trouver son interprétation que dans un domaine externe d'ob-
jets.
Ce domaine se décompose en états de choses. Dans ce domaine extant. les
mots - du moins les catégorématiques - trouveraient leur référence, et les
propositions décidables leur valeur
de
vérité. Mais on se heurte alors à des
dif-
ficultés trivialement insurmontables. Pour déterminer par exemple la valeur de
vérité de Les enfants de John ont les yeux bleus,
Kamp
se voit obligé de déter-
miner le nombre minimal de ces enfants, soit deux, et de créer un symbole Z,
qui représente le nombre maximal des enfants possibles de John. Je n'épilogue-
rai
pas sur le caractère oiseux de ces calculs, en l'absence de tout texte et de
tout contexte. Les linguistes gagneraient à se priver sans regret de ce genre de
faux problèmes.
Voilà en tout cas
à
quoi conduit le découplage de la sémantique et de la
situation,
du sens et
de
l'interprète. L'absence du signifié est la cause de cette
séparation. Le sens étant ailleurs, dans le monde extralinguistique (conceptuel
1
Sur ses effets
—
que nous
ne
pouvons
tleiailler
ici.
cf. Rastier (1990).