PIERRE LAURENDEAU La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels La liberté, c’est notre destin ! LA PHILOSOPHIE ANTIQUE AU CŒUR DES DÉBATS ACTUELS La liberté, c’est notre destin ! LA PHILOSOPHIE ANTIQUE AU CŒUR DES DÉBATS ACTUELS P L Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition. Mise en pages : Diane Trottier Maquette de couverture : Laurie Patry ISBN : 987-2-7637-1785-2 ISBN-PDF 9782763717869 ISBN-ePUB 9782763717876 © Les Presses de l’Université Laval 2013 Dépôt légal 3e trimestre 2013 LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de l’Université Laval. Table des matières Introduction 1 NATURE ................................. 1 Cultive le naturel… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 ÉPICURE et MARC-AURÈLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Épicure [–341 –270] . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 LETTRE À MÉNÉCÉE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 13 Marc-Aurèle (stoïcien) [121-180] . . . . . . . .14 PENSÉES POUR MOI-MÊME . . . . . . . . . . . . . . . 17 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 19 Deux philosophes en débat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 2 CONNAISSANCE Allume tes lumières…. . . . . . . . . . . . . . . . . 21 PLATON et ARISTOTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Platon [–428 –348] . . . . . . . . . . . . . . . . . .26 MÉNON . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 31 Aristote [–384 –322] . . . . . . . . . . . . . . . . .32 DERNIERS ANALYTIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 37 Deux philosophes en débat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 3 CITÉ Arrive en ville… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 CICÉRON et DIOGÈNE DE SINOPE . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Cicéron [–106 –43] . . . . . . . . . . . . . . . . . .44 DES BIENS ET DES MAUX (DE FINIBUS). . . . . 46 VI La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 47 Diogène de Sinope [–413 –327] . . . . . . . . . .48 DIOGÈNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 SUR LE CYNISME. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 54 Deux philosophes en débat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 4 ACTION Lance-toi… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 ÉPICTÈTE et PLUTARQUE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 Épictète [50-130]. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .62 ENTRETIENS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 MANUEL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 66 Plutarque [46-125]. . . . . . . . . . . . . . . . . . .67 DE LA VERTU MORALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 71 Deux philosophes en dialogue . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 5 SENS DE LA VIE À L’OCCIDENTALE Suis ta route . . . . . . . 73 SEXTUS EMPIRICUS et LUCRÈCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Sextus Empiricus [IIe-IIIe s.] . . . . . . . . . . . . .78 QUELLE EST LA FIN DU SCEPTICISME ?. . . . . 81 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 83 Lucrèce [–98 –55] . . . . . . . . . . . . . . . . . . .84 PROSOPOPÉE DE LA NATURE . . . . . . . . . . . . . 87 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 89 Deux philosophes en dialogue . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 Table des matières 6 SENS DE LA VIE À L’ORIENTALE VII Éclaire l'univers. . . . . . . . 91 LAO-TSEU et BOUDDHA. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 Lao-Tseu [–VIe siècle –Ve siècle] . . . . . . . . .95 TAO TÖ KING. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . . 98 Bouddha [–VIe siècle –Ve siècle] . . . . . . . . .99 MAHÂTANHÂSANKHAYA-SUTTA. . . . . . . . . . 101 Questions à réflexion et à argumentation . . . . . . . . 102 Deux philosophes en dialogue . . . . . . . . . . . . . . . . 103 En guise de conclusion : un défi plus qu’une fin… . . . . . . . . . . . . 105 Introduction 1 « Il existait deux opinions sur lesquelles se partageaient les anciens philosophes, les uns pensant que tout se produit par le destin, en sorte que ce destin apportait la force de la nécessité (Démocrite, Héraclite, Empédocle, Aristote étaient de cet avis), les autres pour qui les mouvements volontaires de l’âme existaient sans aucune intervention du destin ; Chrysippe, en position d’arbitre officieux, me paraît avoir choisi la position intermédiaire ; mais il se rattache plutôt à ceux qui veulent voir les mouvements de l’âme libérés de la nécessité. Or quand il utilise ses propres expressions, il tombe dans des difficultés qui l’amènent à confirmer malgré lui la nécessité du destin. » – (Cicéron, Du destin, §392) T out au long de l’histoire de l’humanité, des êtres humains se sont battus contre la nature, les dieux, l’oppression, l’ignorance, et même contre eux-mêmes afin de conquérir leur liberté. Cette conquête de la liberté semble être l’une des motivations fondamentales de la vie humaine. Mais, face à la liberté, se sont toujours imposées des idées contraires, entre autres celle de la nécessité ou encore celle du déterminisme. L’idée de destin en fut une autre, elle se définissait principalement de la façon suivante : une force plus ou moins occulte, obscure et mysté1. 2. http://nathaliecordeaux.blog.pacajob.com/public/mesdossiers/Crois_e_ des_chemins.jpg. http://fr.wikipedia.org/wiki/Libert%C3%A9. 2 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels rieuse obligeant les êtres humains à suivre un chemin les menant à une réalité incontournable. À partir de cette vision du destin, la liberté apparaissait, pour beaucoup, comme une illusion. En partant du fait que les idées de liberté et de destin ont toujours habité l’esprit des hommes, nous proposons une troisième voie, une espèce de duel inhérent à leur réalité. Encore aujourd’hui, ce duel d’idées, déterminant pour l’ensemble de nos choix et de nos actions, exprime, selon nous, le mouvement même de la vie. Pour comprendre la dynamique de ce duel, remontons à l’Antiquité3 grecque, latine et même asiatique. C’est à cette époque qu’il a pris une tournure décisive : la quête de liberté se faisait alors plus consciente et plus systématique, et ce pour de plus en plus de gens. Lorsque les premiers penseurs grecs ont remis en question l’ordre du cosmos établi par les dieux, ils cherchaient à comprendre les phénomènes naturels sans avoir recours à des explications surnaturelles. Ils se donnaient ainsi la liberté de penser le monde autrement. Ils remettaient aussi en question le sens et la place de l’être humain dans l’univers afin de mieux délimiter ses marges de manœuvre. De plus, ils instaurèrent la cité démocratique afin d’assurer les conditions de vie nécessaires aux hommes libres. Ils apprirent à débattre et à dialoguer, traçant les voies de la liberté d’expression. Ils visèrent à élargir leur liberté de penser et d’agir, comme si elle seule pouvait donner un sens à leur vie. Mais le duel n’était pas clos pour autant : aux yeux de plusieurs des penseurs et des gens d’action de l’Antiquité, le fait que la liberté soit plus grande ne signifiait pas nécessairement la disparition du destin, et encore moins celle des dieux, vus souvent comme les maîtres de ce destin. 3. On situe l’Antiquité entre –500 avant J.-C. et +400 après J.-C. Introduction 3 En interrogeant le passé réflexif des êtres humains, c’est une façon de prendre un certain recul face aux enjeux contemporains de l’humanité et, par contraste, d’en dégager une perspective nouvelle. Prenons un seul exemple : les débats et les combats « violents » concernant la religion. Dieu est toujours présent pour la grande majorité des êtres humains et justifie bien des actions, parfois absurdes, sinon cruelles ; mais, avec Dieu, il en va aussi du sens que les êtres humains donnent à la vie ! Quand on se débarrasse de Dieu, que met-on à sa place ? Les recherches contemporaines en génétique et en psychologie nous font prendre conscience que nous sommes plus ou moins conditionnés, programmés, déterminés. Si une large part de ce que nous sommes est inconsciente, comme le croyait le docteur Freud, père de la psychanalyse, et si la société et les conditions sociales déterminent ce que nous sommes, comme le croyait le philosophe-économiste Karl Marx, que nous reste-t-il comme liberté ? L’ONU a défini, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, des principes universels qui semblent valables pour la conduite de tous les humains. En ce sens, n’y a-t-il pas un but, un destin commun à toute vie humaine ? Le souci pour l’humanité aurait-il remplacé la sollicitation de Dieu ? Finalement, nous constatons que la liberté est au cœur de nos réalités quotidiennes, et que nous sommes constamment amenés à réfléchir à nos propres limites à son sujet. Globalement, ce duel liberté/destin soulève toujours la question de l’avenir de l’humanité : toujours plus de liberté ou la reconnaissance d’un destin commun à l’espèce vivante que nous sommes ? Deux poids à mettre dans la balance de notre conscience personnelle, car il semble bien que le futur humain repose sur la responsabilité de chacun. Dans ce duel, que nous présentons comme une dualité liberté/destin, nous retenons cinq angles de réflexion qui ont prévalu au cours de l’Antiquité et qui demeurent encore pertinents : la nature, la connaissance, la cité, l’action et le sens de la 4 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels vie. Pour ce qui a trait au sens de la vie, nous l’avons d’abord présenté sous l’aspect de la pensée occidentale, et ensuite sous l’aspect de la pensée orientale, étant convaincu de la complémentarité de ces deux aspects pour bien comprendre ce que nous sommes, nous, les êtres humains. Pour chacun des angles de réflexion, nous vous proposons deux extraits de textes en duel : l’un nous apporte des arguments favorables au destin et l’autre à la liberté. Mais on peut souvent sentir que la frontière est bien mince entre les deux positions, car la pensée humaine ne semble pas pouvoir faire abstraction ni de l’une ni de l’autre. Alors, où trouver l’équilibre sinon en explorant les deux pôles et en les gardant vivants, afin de se faire « une tête » sur ce duel profondément humain. En ce sens, nous terminons la présentation de chaque angle de réflexion par un encadré dans lequel nous imaginons une certaine perspective des choses, perspective qui nous semble pertinente pour le XXIe siècle. De plus, nous vous suggérons quelques questions à réflexion après chaque extrait de texte, et finalement une mise en débat ou en dialogue des deux penseurs vus. Nous osons croire que cette présentation des penseurs de l’Antiquité vous fera voir leur intarissable actualité, comme s’ils demeuraient des sources d’inspiration profondes pour nous, les êtres humains du XXIe siècle. 1 NATURE Cultive le naturel… 6 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels ÉPICURE et MARC-AURÈLE « La nature, pour être commandée, doit être obéie1. » Avant les premiers penseurs grecs, ce sont les dieux de la mythologie qui expliquaient les phénomènes naturels : le dieu Zeus, par exemple, était responsable de la foudre et des éclairs, comme Poséidon des tempêtes de la mer. Ainsi, les dieux étaient, en quelque sorte, les maîtres de la nature, autant celle de l’être humain que celle du cosmos. Dans cette perspective, ce sont les dieux qui déterminaient le destin des êtres humains, destin auquel ceux-ci ne pouvaient pas véritablement échapper ; ils étaient un jouet entre leurs mains. Puis il y avait le héros qui incarnait celui qui acceptait et assumait tragiquement et courageusement son destin ; il devenait une espèce de modèle dans ce face-à-face de l’homme avec les épreuves que lui imposait la vie. Les premiers penseurs de l’Antiquité grecque, que l’on appelle les Présocratiques, ont étudié la nature des choses sans recourir aux explications mythologiques et divines. Par la suite, avec Socrate, considéré comme le père de la philosophie occidentale, ce n’était plus la nature des choses, mais plutôt la nature humaine qui était mise en question. Autant chez Socrate que chez les Présocratiques, les dieux n’étaient pas éliminés, mais questionnés sur le rôle qu’ils jouaient dans le cosmos et dans la vie humaine. De plus en plus, l’être humain se reconnaissait un pouvoir et un devoir de remettre en question la réalité, sous la tutelle de la raison. La raison se révélait inhérente 1. Francis Bacon, dans Novum Organum, http://www.evene.fr/citations/mot. php?mot=nature&p=3. 1 – NATURE Cultive le naturel… 7 à notre nature humaine et, paradoxalement, apparaissait comme un cadeau des dieux dont il fallait faire bon usage. Plusieurs penseurs de l’Antiquité ont réfléchi sur la nature et nous en avons retenu deux d’entre eux : le Grec Épicure (–341–270) et le Romain Marc-Aurèle (121-180). Si Épicure a pensé la nature, dans sa dimension matérielle, et plus particulièrement corporelle, en tant que guide dans l’exercice de notre liberté, Marc-Aurèle nous l’a plus particulièrement montrée dans sa dimension spirituelle, en tant que source inspirante pour réaliser notre destin d’être humain. Que sont alors devenus les dieux, vus antérieurement comme maîtres de la nature, pour ces deux philosophes, avides de mieux comprendre le sens de celle-ci ? Pour Épicure, les dieux ne s’intéressaient tout simplement pas au sort des humains. Nous étions libres et c’est nous qui faisions notre malheur ou notre bonheur. Pour Marc-Aurèle, un Dieu, vu comme un Tout expliquant l’ordre du cosmos, l’ordre de l’univers, nous poussait à vivre en accord avec notre nature fondamentale. Finalement, dans les deux cas, l’idée de dieu symbolisait essentiellement un ordre de l’univers auquel nous appartenions, ordre dans lequel nous étions libres, selon Épicure, et qui nous déterminait « positivement », selon Marc-Aurèle. Encore aujourd’hui, notre appartenance à l’ordre naturel du monde n’est-elle pas une perspective des plus inspirante, tant sur le plan écologique que sur le plan spirituel, et ce même sans Dieu ? Quand nous pensons, par exemple, aux Amérindiens, ne sommes-nous pas fascinés par ce lien spirituel qu’ils entretenaient avec la nature et qui la leur faisait respecter ? Les environnementalistes et les écologistes ne nous font-ils pas comprendre de plus en plus combien est fragile l’équilibre de la nature avec laquelle nous interagissons ? Tout n’est-il pas interconnecté ? Tout n’est-il pas interdépendant ? Dans la culture bouddhiste, on parle de retrouver, par la méditation, « notre 8 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels vraie nature » d’être humain : chacun est libre de méditer, mais la quête finale est la même pour tous ceux qui s’engagent dans la méditation. Nous appartenons donc à la nature, comme la roche, la rose, le ciel et le chien, mais nous en sommes aussi différents : c’est cette singularité qui appelle réflexion, que l’on soit d’hier ou d’aujourd’hui, car notre futur en dépend. Et il faut bien admettre que l’idée que nous nous ferons de la nature, que ce soit celle de notre corps ou celle de notre environnement, risque fort d’influencer nos choix et nos actions de demain. Aliments naturels, pétrole naturel, coca naturel, maladie naturelle, tout est dans la nature. Un sourire, c’est aussi naturel qu’une face de bœuf. Les chevaux-vapeurs et le cerveau électronique, c’est de la nature transformée. Tout cela, c’est une question de goût, naturel et artificiel. À nous de goûter de tout notre corps et de tout notre esprit ! 1 – NATURE Cultive le naturel… 9 2 Épicure [–341 –270] « Le plaisir n’est pas un mal en soi, mais certains plaisirs apportent plus de peine que de plaisir3. » Épicure a écrit la Lettre à Ménécée qui « se présente précisément comme une sorte de guide à la fois pratique et thérapeutique : elle accompagne et oriente notre désir d’être heureux ; elle définit les soins dont notre âme a besoin pour se guérir des opinions fausses et des peurs infondées4 ». L’extrait que nous vous proposons vient de cette lettre, dans laquelle Épicure nous donne des pistes conduisant à l’autosuffisance, source de liberté et de sérénité intérieure. Philosopher, pour Épicure, c’est apprendre à ne pas craindre les dieux et la mort. C’est aussi découvrir, avec l’aide de nos sensations et de notre raison, les plaisirs naturels et nécessaires : boire, manger, se vêtir et se protéger des éléments, mais de la manière la plus simple possible. Notre nature physique est bien 2. 3. 4. Épicure, Sentences vaticanes 77, dans L’art de vivre. Stoïcisme et épicurisme, Les Éditions CEC, 1998, p. 186. http://www.google.fr/images?hl=fr&source=imghp&q=%C3%A9picure& gbv=2&aq=f&aqi=g1&aql=&oq=&gs_rfai=. http://www.evene.fr/citations/epicure. Pierre-Marie Morel, Présentation de Épicure, Lettre à Ménécée, GF Flammarion, 2009, p. 16. 10 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels faite : elle nous dit clairement ce qui est bon pour nous si l’on sait l’écouter. De la sorte, à l’instar du sage qui « ne craint ni la fortune ni le destin, et sait que ce qui dépend de lui est sans autre maître que lui-même5 », on accède à la santé corporelle et à la paix de l’esprit. Mais n’est-il pas paradoxal de devoir suivre la nature pour y trouver notre liberté ? Pour Épicure, il semble bien que non puisque c’est toujours notre raison, en dernière instance, qui choisit, la nature ne nous indiquant qu’une direction à prendre. Épicure a fondé sa propre école, appelée Le Jardin, et il y proposait de philosopher dans un lieu calme, loin des agitations du monde, en petite communauté. Sa philosophie, l’épicurisme, très appréciée à son époque, proposait l’amitié comme valeur principale de cette vie en communauté. Aujourd’hui, lorsque l’on dit de quelqu’un qu’il est épicurien, on veut dire que c’est un ardant jouisseur. Contrairement à ce sens contemporain d’intensifier nos plaisirs, Épicure proposait plutôt des façons d’apaiser nos désirs au profit de nos besoins. De même, le sens qu’Épicure donnait à la liberté ne doit pas être confondu avec celui que l’on donne aujourd’hui à celle-ci, consistant à faire tout ce que l’on veut pour devenir soi-même ; la liberté pour Épicure, c’était le pouvoir de choisir les moyens pour alléger et idéalement éliminer nos souffrances, tant physiques que morales. L’extrait que nous vous proposons vous permettra de découvrir un sens différent à cette valeur centrale dans nos vies, qui relève de notre nature et qui est en relation directe avec l’expression de notre liberté : le plaisir. 5. Pierre-Marie Morel, Présentation de Épicure, Lettre à Ménécée, GF Flammarion, 2009, p. 18. 1 – NATURE Cultive le naturel… 11 LETTRE À MÉNÉCÉE6 Considérez aussi que des choses différentes sont l’objet de nos souhaits et de nos désirs ; les unes sont naturelles, et les autres sont superflues ; il y en a de naturelles absolument nécessaires, et d’autres dont on peut se passer, quoique inspirées par la nature. Les nécessaires sont de deux sortes ; les unes font notre bonheur par l’indolence du corps, et quelques autres soutiennent la vie, comme le breuvage et l’aliment. Si vous spéculez ces choses sans vous éloigner de la vérité, l’esprit et le corps y trouveront ce qu’il faut chercher et ce qu’il faut éviter ; l’un y aura le calme et la bonace, et l’autre une santé parfaite, qui sont le centre d’une vie bienheureuse. N’est-il pas vrai que le but de toutes nos actions, c’est de fuir la douleur et l’inquiétude, et que, lorsque nous sommes arrivés à ce terme, l’esprit est tellement délivré de tout ce qui le pouvait tenir dans l’agitation que l’homme croit être à la dernière période de sa félicité, qu’il n’y a plus rien qui puisse satisfaire son esprit et contribuer à sa santé. La fuite du plaisir fait naître la douleur, et la douleur fait naître le plaisir ; c’est pourquoi nous appelons ce même plaisir la source et la fin d’une vie bienheureuse, parce qu’il est le premier bien que la nature nous inspire dès le moment de notre naissance ; que c’est par lui que nous évitons des choses, que nous en choisissons d’autres, et qu’enfin tous nos mouvements se terminent en lui ; c’est donc à son secours que nous sommes redevables de savoir discerner toutes sortes de biens. […] La nature, pour sa subsistance, n’exige que des choses très faciles à trouver ; celles qui sont rares et extraordinaires lui sont 6. http://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_%C3%A0_M%C3%A9n%C3%A9c %C3%A9e, traduction par Jacques Georges Chauffepié, Lefèvre, 1840. 12 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels inutiles, et ne peuvent servir qu’à la vanité ou à l’excès. Une nourriture commune donne autant de plaisir qu’un festin somptueux, et c’est un ragoût admirable que l’eau et le pain lorsque l’on en trouve dans le temps de sa faim et de sa soif. Il faut donc s’habituer à manger sobrement et simplement, sans rechercher toutes ces viandes délicatement préparées ; la santé trouve dans cette frugalité sa conservation, et l’homme, par ce moyen, devient plus robuste et beaucoup plus propre à toutes les actions de la vie. Cela est cause que, s’il se trouve par intervalles à un meilleur repas, il y mange avec plus de plaisir ; mais le principal, c’est que par ce secours nous ne craignons point les vicissitudes de la fortune, parce qu’étant accoutumés à nous passer de peu, quelque abondance qu’elle nous ôte, elle ne fait que nous remettre dans un état qu’elle ne nous peut ravir, par la louable habitude que nous avons prise. […] Cette volupté, qui est le centre de notre bonheur, n’est autre chose que d’avoir l’esprit sans aucune agitation, et que le corps soit exempt de douleur ; l’ivrognerie, l’excès des viandes, le commerce criminel des femmes, la délicatesse des boissons et tout ce qui assaisonne les bonnes tables, n’ont rien qui conduise à une agréable vie : il n’y a que la frugalité et la tranquillité de l’esprit qui puissent faire cet effet heureux ; c’est ce calme qui nous facilite l’éclaircissement des choses qui doivent fixer notre choix, ou de celles que nous devons fuir ; et c’est par lui qu’on se défait des opinions qui troublent la disposition de ce mobile de notre vie. 1 – NATURE Cultive le naturel… 13 Questions à réflexion et à argumentation 1. Selon Épicure, c’est le plaisir qui nous permet de déterminer ce qui est bien pour nous. Tous les plaisirs sont-ils, selon lui, de bonnes façons de déterminer ce qui est bien pour nous ? Justifiez votre position. 2. Lorsque l’on choisit quelque chose qui nous nuit, est-ce dû à un mauvais usage de notre liberté ? 3. Est-ce qu’Épicure refuserait de prendre un bon repas ? Expliquez votre position. 4. Épicure nous propose-t-il une bonne façon d’être libre, c’est-à-dire en respectant notre nature ? Justifiez votre réponse. 14 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels 7 Marc-Aurèle (stoïcien) [121-180] « Accommode-toi aux choses que t’assignera le sort ; et les hommes, que le destin te donna pour compagnons, aime-les, mais du fond du cœur8. » Marc-Aurèle, empereur romain, écrit ses Pensées « au jour le jour, sous l’impulsion directe des évènements ou de simples incidents9 » ; il philosophe afin de bien conduire sa vie. Ces Pensées pour moi-même, desquelles nous avons puisé un extrait, sont conçues comme une espèce de journal philosophique et nous proposent des façons d’aborder la vie afin d’y vivre serein et heureux. Dans l’extrait qui suit, il est question de santé : si nous acceptons notre destin, qui est d’être une parcelle détachée d’une Matière ou nature première, nous la trouvons, et si nous nous y opposons, on la perd. Dans ce second cas, on agit même contre la santé des autres puisque nous sommes tous reliés. Contrairement à Épicure, Marc-Aurèle n’a pas fondé d’école de philosophie. Il appartient à l’école stoïcienne de 7. 8. 9. http://www.google.ca/images?hl=fr&gbv=2&tbs=isch:1&q=Marc-Aur% C3%A8le&sa=N&start=20&ndsp=20. Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, Garnier-Flammarion, 1964, p. 106. M.A. Puech, cité dans Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, traduction de M. Meunier, Garnier-Flammarion, 1964, p. 24. 1 – NATURE Cultive le naturel… 15 pensée, dite aussi école du Portique. Le stoïcisme privilégie le respect, tout à la fois, de sa propre nature et de la nature universelle : chacun a un destin qui lui est propre, mais tous les destins conduisent à se reconnaître dans une Intelligence universelle. Selon les stoïciens, on ne choisit pas ce qui nous arrive, mais on choisit les pensées qui les accompagnent. Autrement dit, chaque chose qui nous arrive, on peut la voir positivement ou négativement. Si l’on vit, par exemple, un échec amoureux, on a le choix entre se sentir démoralisé ou décider d’apprendre de son échec, ce qui oriente positivement nos amours futurs. Globalement, il faut retenir de cette philosophie que nous sommes naturellement des êtres de raison et des êtres sociables, faisant partie d’un tout immuable et harmonieux. Chez les stoïciens prime donc le destin, mais ce sort n’exclut pas totalement toute forme de liberté, car nous pouvons, avec notre raison, développer une maîtrise de nos pensées, nos croyances et nos jugements. Dans ce contexte, la liberté individuelle, cadeau du divin, sert essentiellement à réaliser notre destin d’être humain, qui lui est universel. En d’autres mots, notre bonheur ne peut faire fi de celui des autres. Aujourd’hui, de quelqu’un qui adopte cette philosophie, on dit qu’il est stoïque, c’est-à-dire courageux, ferme, imperturbable, inébranlable, affrontant la souffrance et l’adversité avec détermination. La pensée positive, qui consiste à se convaincre que tout va bien aller, irait peut-être dans le sens du stoïcisme. Notre sens d’une responsabilité face à l’humanité, qui se concrétise par notre engagement dans des causes humanitaires, rejoint de même cette philosophie. Dans l’extrait qui suit, il vous est proposé d’apprendre à être plus satisfait de ce que vous avez au lieu de toujours chercher à avoir ce que vous n’avez pas. Comme une façon de miser davantage sur l’être que sur l’avoir, c’est-à-dire que ce qui est le plus important, c’est ce que vous êtes et non ce que vous possédez. Vous y trouvez aussi une invitation à faire confiance à 16 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels la vie et à tirer leçon de ce qui vous arrive, surtout face aux choses que vous ne choisissez pas et qui sont difficiles à vivre. C’est finalement une présentation du destin au cœur de notre double nature : personnelle, bien sûr, mais surtout humaine et universelle. 1 – NATURE Cultive le naturel… 17 PENSÉES POUR MOIMÊME10 *Dans l’extrait qui suit, Esculape est le dieu romain de la médecine. On dit en parlant d’un malade : « Esculape lui a prescrit l’exercice du cheval, l’usage des bains froids, la marche à pieds nus. » On peut dire tout à fait de même : « La nature universelle a prescrit pour tel homme la maladie, la mutilation d’un membre, la perte des êtres les plus chers, ou telle autre épreuve non moins pénible. » Et quand je dis « prescrit », cela signifie, d’une part, que le médecin a ordonné ses remèdes en vue de la santé et, d’autre part, que tout ce qui arrive à chacun de nous est également ordonné pour nous conformément au destin. Et encore, lorsque nous disons que tout est arrangé pour nous, c’est au sens où les ouvriers le disent des pierres carrées des murs et des pyramides, qui s’arrangent entre elles et s’encastrent régulièrement, selon la disposition qu’on leur donne. Dans la totalité des choses, il n’y a qu’une seule et unique harmonie. Et de même que l’univers, qui est le corps immense que nous voyons, est rempli et se compose de tous les corps particuliers, de même, le destin, qui est la cause que nous savons, se compose de toutes les causes particulières. L’opinion que j’exprime ici est aussi celle des gens les plus simples ; car on entend dire à tout moment : « C’était là son sort. » Oui, certes ; c’était bien le sort qui lui était réservé ; c’était bien là ce qui avait été réglé pour lui dans l’ensemble des choses. Ainsi donc, acceptons tout cela comme nous acceptons les remèdes qu’Esculape nous ordonne. Bien souvent ses prescriptions nous sont douloureuses ; mais nous les agréons dans l’espérance d’y retrouver la santé, que nous avons perdue. Considère l’accomplissement des décrets de la commune nature et le but auquel ils concourent, à peu près 10. http://fr.wikisource.org/wiki/Pens%C3%A9es_pour_moi-m%C3% AAme/Livre V, partie VIII, traduction par Jules Barthélemy Saint-Hilaire, 1876. 18 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels comme tu considères ta propre santé. Aime également tout ce qui t’arrive dans la vie, quelque dure que l’épreuve puisse te paraître, parce que tout cela conduit à un résultat qui est la santé du monde, […] car la nature ne fait jamais rien qui s’égare, et qui ne concorde pas avec le plan général qu’elle s’est prescrit. Voilà donc deux raisons pour aimer tout ce qui t’arrive. La première, c’est que la chose a été faite pour toi, que pour toi spécialement elle a été disposée dans l’ensemble, et qu’elle a avec toi ces rapports précis, venus de haut et se rattachant, dans la trame universelle, […]. La seconde, c’est que, pour Celui qui gouverne l’univers, ce qui arrive à chacun des êtres en particulier concourt au succès de ses démarches, à l’accomplissement de ses décrets et à la durée même des choses. C’est mutiler le tout que de retrancher quoi que ce soit de son enchaînement et de sa continuité, dans les causes qui le forment, aussi bien que dans les parties qui le composent. Or c’est te retrancher toi-même de ce tout, autant qu’il dépend de toi, que de te révolter contre ses lois ; et en quelque façon, c’est le détruire. 1 – NATURE Cultive le naturel… 19 Questions à réflexion et à argumentation 1. Si l’être humain a un destin dans l’univers, comme le croit Marc-Aurèle, est-ce à dire qu’il faut se laisser aller ? 2. Est-ce juste de dire que tout ce qui nous arrive a un sens, un sens tout à la fois personnel et universel ? 3. Peut-on accepter l’idée que ce que nous faisons qui nuit à notre santé nuit à la santé du monde ? 4. Peut-on être encore stoïcien aujourd’hui ? Expliquez votre position par des exemples. 20 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels Deux philosophes en débat Encore aujourd’hui, plusieurs questions s’imposent aux êtres humains lorsqu’il est question de la NATURE. La science nous rend plus libres, les sociétés démocratiques privilégient la liberté d’expression, mais nos choix personnels impliquent, de plus en plus, toute l’humanité. Sur le plan de notre santé, on parle de plus en plus de prévention et du fait que nous sommes responsables de notre santé. Lorsqu’il est question de choix, de démocratie et de responsabilité, nous sommes du côté de la philosophie. Alors, comment respecter notre nature personnelle (notre corps) et humaniser la nature (notre environnement), c’est-à-dire la mettre à notre service sans la bousiller ? Nos deux penseurs de l’Antiquité font référence à un ordre naturel de l’univers, comme quelque chose d’immuable, mais le chemin de vie qu’ils empruntent est différent : l’un mise sur la liberté et l’autre sur le destin. Il est vrai que nous n’avons pas vraiment d’influence sur la dynamique des galaxies, mais, sur le plan terrestre, ce sont nous, les êtres humains, qui avons le dernier mot, d’où la nécessité d’en débattre. À la lumière des propos d’Épicure et de Marc-Aurèle, ne faut-il pas réfléchir, encore plus aujourd’hui qu’hier, à l’exercice de notre liberté à l’intérieur d’un ordre naturel des choses ? 2 CONNAISSANCE Allume tes lumières… 22 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels PLATON et ARISTOTE « La nécessité n’est aveugle qu’autant qu’elle n’est pas comprise. La liberté consiste en la souveraineté sur nous-mêmes et sur le monde extérieur fondée sur la connaissance des lois nécessaires de la nature1. » Si l’on regarde, à nouveau, du côté des Présocratiques, on constate qu’ils ont voulu connaître le cosmos, l’univers et, tout particulièrement, ce qui persistait à travers le changement. Ils étaient en quête d’unité, en quête de la source de toute chose. Certains avaient même imaginé le monde constitué de particules qu’ils appelaient des atomes. Afin de répondre à leurs aspirations face à la connaissance, les penseurs de l’Antiquité se donnaient, en quelque sorte, le droit de remettre en question les explications sur la matière, mais aussi sur l’être humain. Deux aspects de la connaissance ont alors été surlignés, si l’on peut dire, par les philosophes de l’Antiquité : d’abord, la relation entre la réalité et la vérité sur cette réalité ; ensuite, la relation entre savoir et pouvoir. Si le premier aspect pointait vers la science, qui en était à ses balbutiements, le second aspect nous orientait vers la sagesse, à se demander ce que nous allions faire de nos savoirs : le bien ou le mal ? Dans les deux cas, les penseurs de l’Antiquité devenaient de plus en plus conscients que la connaissance était un « bien » accessible aux êtres humains, et que sa quête leur était nécessaire pour devenir, de par leur nature, ce qu’ils étaient. Elle faisait, en quelque sorte, partie de leur destin puisqu’ils avaient la raison pour la trouver et la construire. Elle apparaissait aussi comme source de liberté : 1. Engels, Anti-Dühring, dans http://www.mediadico.com/dictionnaire/citation/connaissance/1#. 2 – Connaissance Allume tes lumières… 23 liberté de penser et liberté d’agir. La dualité liberté/destin face à la connaissance était alors bien en selle. Pour réfléchir à la place de la connaissance comme source de liberté ou comme trajet vers le destin, nous avons choisi deux grands philosophes de l’Antiquité grecque : Platon et Aristote. Platon, disciple de Socrate, s’intéressait tout particulièrement aux relations que les êtres humains établissaient entre eux et à la sagesse qui pouvait en émaner. À cet égard, il proposait le dialogue entre les hommes, c’est-à-dire une discussion méthodique et raisonnée afin de définir les principales idées avec lesquelles ils conduisaient leur existence, comme celles de bien, de vrai, de beau, de juste. Mais nous ne pouvions pas chercher à définir ce que nous ne connaissions pas au préalable : la connaissance était donc, pour Platon, une question de se ressouvenir des idées innées et oubliées. La connaissance avait, pour Platon, figure de destin : des Idées prévalaient à notre existence et lui donnaient son sens. Ce sont elles qu’il fallait retrouver et contempler pour tendre vers la sagesse. Quant à Aristote, disciple de Platon, il cherchait d’abord à établir les bases nécessaires à la connaissance du monde matériel et du monde humain. L’acquisition et l’usage de ces bases nécessaires constituaient le chemin d’expression de notre liberté et de la découverte de notre être. Si nous voulions que la connaissance nous mène à l’essentiel de ce que nous étions, il nous fallait passer par le sensible et non s’en « évader », comme le faisait Platon avec son monde des Idées. Avec Aristote, on parlait d’idée construite ou concept : c’était, par exemple, en connaissant plusieurs arbres concrets que j’arrivais au concept abstrait d’arbre, qui lui me permettait ensuite de classer tous les arbres que je verrais. Pour Aristote, cette démarche désintéressée de connaissance était ce qu’il y avait de plus important dans la vie humaine pour rejoindre ce que nous étions véritablement, et ainsi accéder à la sagesse. 24 La liberté, c’est notre destin ! La philosophie antique au cœur des débats actuels Si Aristote misait sur la liberté humaine, au cœur d’un monde de nécessités inhérentes à la réalité, Platon considérait plutôt qu’un monde d’idées nous guidait vers notre vérité humaine. Dans les deux cas, il y avait libération, accès à la sagesse, mais pas par le même chemin : un sensible pour Aristote et un intelligible pour Platon. Aujourd’hui, avec nos connaissances du génome humain, de l’énergie atomique, de l’esprit humain et des moyens de communication en temps réel, nous espérons toujours connaître l’essentiel des choses et de nous-mêmes. On appelle les ordinateurs et les robots à notre rescousse, comme le souhaitent les transhumains, ces promoteurs d’une culture underground qui alimente le rêve d’un homme immortel grâce aux prouesses de la science. Chose certaine, avec la science, on se libère de plus en plus des contraintes de la matière et l’on explore les pouvoirs de l’esprit. La connaissance nous permet de devenir de plus en plus maître de notre destinée d’être humain : curieux paradoxe que celui de devenir libre de toute forme de destin, car n’est-ce pas, cela aussi, notre destin ? Dans nos pays occidentaux, on a même démocratisé la connaissance à travers nos systèmes d’éducation afin que de plus en plus d’humains acquièrent un pouvoir sur leur vie. A-t-on obtenu le résultat escompté ? En partie peut-être, mais une question de fond demeure, héritée de l’Antiquité : nos connaissances sont-elles toujours mises à profit pour le meilleur de l’être humain ? Il paraît évident que certains usent de la connaissance pour dominer et pour manipuler et, en ce sens, elle favorise la discrimination, l’exploitation et l’exclusion. L’humanité est donc de plus en plus appelée à garder vivante la question du but de la connaissance : ne doit-elle pas toujours nous conduire vers le bonheur, le bien, la liberté, et ultimement la sagesse ? À ce sujet, il semble bien que Platon et Aristote tomberaient d’accord. Et beaucoup d’humains sont aussi convaincus que le but de la connaissance, c’est l’épanouis- 2 – Connaissance Allume tes lumières… 25 sement de notre humanité. Tel serait notre destin comme espèce vivante ! La dualité entre liberté et destin, face à la connaissance, se passe entre l’Idée innée de Platon, aux allures de destin, et l’idée construite d’Aristote, aux figures de liberté. Personne aujourd’hui ne peut nier l’importance de la connaissance pour notre avenir, mais il faut savoir à quelles sources s’abreuver et dans quel sens il faut l’orienter pour le meilleur de l’humanité… Lorsque l’on observe bien un enfant, on sait, sans l’ombre d’un doute, que l’être humain est fou de connaissance, car il cherche, questionne, expérimente, critique et crée. Faisons-en tout autant ! Que la lumière soit !, comme disait l’autre. L’être humain n’est pas con à la naissance ; il le devient quand on lui coupe les ailes. Sans l’acquisition de connaissances, c’est comme aller en aveugle dans la vie !