Vingt ans après le rapport Brundtland, au-delà du développement durable ? Synthèse UEIE « St Jean D’Angély 2007 » Alfredo PENA-VEGA 1/ La notion de développement. ...................................................................................... 3 2/ La Crise de la Crise ..................................................................................................... 6 3/ Dimension paléo historique et cognitive de la crise ................................................... 8 4/ Pour une Politique de Civilisation .............................................................................. 9 “Se hace Camino al Andar” .......................................................................................... 10 1/ LA NOTION DE DÉVELOPPEMENT. Il a tout d’abord été rappelé que, pendant la guerre froide, le critère d’excellence des deux régimes dominants fut le taux de croissance auquel correspond un « mythe capitaliste », celui des trente glorieuses (croissance rapide socialement positive). Selon Ignacy SACHS1, ces trois dernières décennies ont été marquées par un débat qui, sous des allures et des terminologies diverses, n’a fait que stigmatiser, de manière assez improductive, l'opposition entre deux positions extrêmes des modèles conceptuels de développement : résoudre les problèmes soit par la croissance soit par son « degré zéro ». Selon le premier modèle, qui se globalise depuis la chute du modèle soviétique, avec la généralisation de la contre réforme néo libérale, c’est le marché, le « saint marché », qui est régulateur. Le deuxième modèle réapparaît sous divers vocabulaires et concepts moteurs (zégistes, simplicité volontaire, décroissance), que l’on pourrait faire relever globalement d’un « paradigme de l’ascétisme ». Dans ce contexte, les débats qui ont été menés jusque là, concernant la notion de développement semblent être des figures répétitives et peu innovantes d’un même débat. L’impossibilité de poursuivre dans la voie de la croissance des économies industrielles, la destructivité du modèle capitaliste de développement et de consommation, la rupture du lien entre « plus » et « mieux » rendaient nécessaire un changement. Dès lors, la notion de développement durable est un concept normatif, qui ne cesse de dire et de répéter ce que nous voudrions faire, mais pas comment le faire. Les solutions proposées par Ignacy SACHS sont de définir des stratégies inspirées du « trépied » (objectifs sociaux, conditionnalité environnementale, viabilité économique). Il est indispensable de refonder la politique : la remettre au centre et d’y réintroduire le long terme. Il s’agirait dès lors, selon lui, de repenser le rôle de l’état développeur. Le problème qui se pose concerne donc les modalités pratiques qui permettent la prise en compte des exigences d’une rupture avec l’industrialisme dominant et sa « religion » de la croissance. C’est ce que nous propose Jacques THEYS 2 à travers la notion de développement durable selon trois perspectives, 1- sa forme médiatique et populaire, montre une confusion entre développement durable et intégration de l’environnement, de ce point de vue cette terminologie est « un amalgame », un concept normatif qui n’a pas de norme fiables ; 2- en tant que concept spécifique, c’est un ensemble complexe fait de stratégie globale de développement, de priorité aux générations futures, d’articulation global/local, d’équité des relations internationales, de priorité aux besoins essentiels, d’intégration sociale, économique et écologique. Cela a été un échec sur ces 20 dernières années ; 3- en tant que concept procédural, il permet de mettre ensemble toute une série de nouveaux concepts : principe de précaution, sociétés du risque, commerce équitable, économie de l’environnement et entreprises citoyennes. De ce point de vue il a été la réussite de ces 2 dernières décennies : il a rendu légitime la prise en compte de l’environnement et des risques, a permis un infléchissement à long terme (« tout le monde est vert »), un repositionnement de l’état et de certaines de ses administrations, et suscite des décloisonnements et de la transversalité. La coexistence de ces trois perspectives fait du développement durable une « illusion motrice ». Il s’agirait dès lors, 1 2 Ignacy SACHS, Directeur d’étude honoraire à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris. Jacques THEYS, Centre de Prospective et Veille Scientifique, Paris. selon Jacques THEYS, de donner au développement durable un contenu substantif de redonner un sens à l’idée de stratégie de faire des prospectives d’innover dans les formes d’action publique de définir spécifiquement ce qu’est un développement non durable. Le sens fondamental pour Daniel COHN-BENDIT3, est de promouvoir aujourd’hui une responsabilité collective et l’on pourrait donc parler de « développement responsable ». Il existe pour cela une assise concrète, la victoire du mouvement écologique, et la conscience planétaire d’une dégradation climatique. Il s’agit d’attaquer l’idéologie du marché (en tant qu’instance qui résout tous les problèmes), de remettre en question le sens du superflu et du nécessaire, de jeter les bases d’une nouvelle morale « cosmopolite » (ce qui implique de réfléchir la politique délibérative et met au centre la justice inter et intra générationnelle, le partage des responsabilités plutôt que les conflits de souverainetés) et donc, de définir des préférences collectives communes. Il faut rétablir une vraie corrélation entre la politique, les changements écologiquement nécessaires, les modes de vie et les relations sociales. Pour ce faire il faudrait mettre en place des politiques où la délibération et la démocratie participative sont aussi présentes que la démocratie représentative et allers vers une « morale cosmopolite ». Aujourd’hui, selon Daniel COHN-BENDIT, il y a deux perspectives : « Radicale » : Fonder des Institutions coordinatrices (solution globale à partir de solutions locales) pour une gouvernance économique globale intégrant les normes sociales et environnementales; « Réformiste » : Produire un cadre normatif en vue d’un nouveau contrat social mondial. De son côté Nicole DEWANDRE4 met l’accent sur le rôle attendu de la recherche dans la mise en place d’une « stratégie développement durable ». Cette dernière repose sur le choix d’indicateurs dont dépendent en partie l’évaluation préalable à l’établissement d’un bilan, puis d’un plan d’action ou « stratégie ». Cette dernière vise à établir un corpus de textes législatifs, à promouvoir un engagement (favoriser la vie dans sa diversité, rejoindre les « trois piliers ») et à affronter des défis tels que : changer de mode de production et de consommation, décloisonner les politiques, briser le lien entre croissance (économique) et dégradation (de l’environnement), promouvoir l’interdisciplinarité et l’interface entre science et politique, ainsi que rechercher des nouveaux paramètres aux systèmes économiques. L’attente de la commission vis-à-vis de la recherche concerne l’élaboration de nouvelles connaissances, de nouveaux instruments/outils pour l’analyse d’impact, de nouveaux concepts/indicateurs et d’être pertinent vis-à-vis des objectifs politiques. A l’instar des réflexions précédentes, Saliem FAKIR 5 part d’un constat : la définition de la durabilité dans le rapport Brundtland fait référence à l’économie avec un penchant idéologique. Or, la sphère économiste est celle des choses qui peuvent être monétarisées, c'est à dire qui ont des valeurs qui peuvent être échangées ou payées. Donc, l’incorporation de l’environnement par le biais de valeurs marchandes ne change en rien la rationalité de la production économique de la croissance. Il nous invite de ce fait à 3 Daniel COHN-BENDIT, député européen, président du Groupe Vert au Parlement. Nicole DEWANDRE, unité développement durable de la Commission Européenne. 5 Saliem FAKIR, économiste de la Stellenbosch University, Afrique du Sud. 4 « défier l’orthodoxie » qui domine notre discours, et à gérer la relation entre l’économie et l’écologie. L’économie actuelle est motivée par l’idée que le capital est le vecteur de l’accumulation des choses, et non le vecteur de production, agissant comme une base pour la transformation. L’économie peut évoluer, on peut en modifier le paradigme, les valeurs et les objectifs. Saliem FAKIR nous décrit la situation spécifique en Afrique du Sud, état membre de l’« Initiative Africaine du Millénaire », où coexistent à la fois une zone développée, une autre en voie de développement et une autre sous développée. La priorité actuelle est donnée à la croissance économique sur l’environnement, et des conflits entre écologie, pauvreté, et propriété des ressources liées au droit sur la terre sont fréquents. Or en Afrique du Sud, comme dans la plupart des pays « émergeants », la mondialisation néolibérale ne permet plus à ses pays de protéger leur industrie et leur agriculture et encore moins leur environnement contre la concurrence des pays industrialisés. Les faits donnent fortement à penser qu’ils tombent dans un piège redoutable du modèle de développement. On évoque de toutes parts les vertus du développement, Alain GRAS6, a montré que cette notion est à mettre en lien avec celles de progrès et d’évolution. Or, l’évolutionnisme est une notion qui a éliminé du sens toutes les autres civilisations, ce qui donne l’impression que tous les systèmes sociaux ont été bloqués (au stade « primitif ») sauf le nôtre. Selon lui, l’évolution des Techniques, qui procède de contingences historiques, ne constituent pas un « progrès » réel en termes d’efficacité. Il s’agirait donc dès lors de faire le choix de l’efficacité plutôt que celui de la puissance d’instaurer un principe éthique et d’action en trouvant des alternatives aux « technologies du feu », de localiser (les productions) au sein d’un monde « méga machine », afin de provoquer une décroissance des flux. Selon Paul ARIÈS7, le développement durable n’est pas un concept scientifique, mais une idéologie politique dangereuse qui génère une « écologie réparatrice » (polluer un peu moins pour pouvoir polluer plus longtemps ou polluer pour pouvoir dépolluer). Il propose une « décroissance », selon lui, un mot « obus » pour décoloniser l’imaginaire : le plus n’est pas le mieux. Cela suppose un contexte global de décroissance et ne consisterait pas en la décroissance de tout pour tous. Elle serait équitable et sélective selon la visée (des choses tels que la culture, le politique, la santé, l’éducation devraient croître, d’autres, tel que l’armement, devraient décroître). Selon Paul Ariès, les contraintes environnementales posent la question fondamentale des limites et des moyens de générer cette capacité à se donner des limites. Pour ce faire, il propose de donner la primauté à la culture, de changer notre rapport au temps, à l’espace et à la nature (par exemple, faire l’éloge de la lenteur comme avec le mouvement « slow food ») de renforcer la puissance publique avec primauté du bon usage vs. mésusage (sachant qu’il n’y a pas de définition objective, scientifique, ni morale du bon usage, ce serait au citoyen et au politique de définir à chaque fois ce qu’est l’usage et le mésusage) de définir un revenu d’existence universel vs un revenu maximal autorisé. Les obstacles à ce projet seraient des intérêts économiques considérables et le fait que l’imaginaire est colonisé (« nous sommes tombés dans la marmite »). Nous sommes incapables de décider, voire de nous demander de quoi nous avons besoin, aussi bien en termes de quantité que de qualité. 6 7 Alain GRAS, professeur à l’Université Sorbonne. Paul ARIES, politologue Cette thématique du développement a été renforcée par les interventions venant du Sud, notamment celles de Marcelo TOKMAN8 et de Guido GIRARDI9. Au Chili, suite à des usages abusifs, la notion de développement soutenable est maintenant vide. Ce pays est loin d’être équitable, c’est de plus un pays en déficit de valeurs et de principes qui a besoin d’une deuxième transition (sociale cette fois et non plus uniquement économique). C’est un pays très asymétrique où se côtoient le meilleur et le pire : 1er au monde en termes d’ouverture économique mais l’une des pires sécurité sociale ; forte croissance économique mais distribution des revenus déplorable, etc. Or le danger est que l’inéquitabilité fait perdre de la valeur aux systèmes démocratiques. Les problèmes relèveraient donc, en définitive, d’insuffisances démocratiques nationales et globale. Sans aucun doute on observe une société qui se déstructure du fait d’une précarisation de plus en plus grande, et du démantèlement du peu qui reste d’« État providence » . 2/ LA CRISE DE LA CRISE Une très grande majorité des intervenants a relevé la situation de « crise dans la crise » et les inquiétudes, risques et menaces associés. Ainsi, pour Hamilton PEREIRA 10, la menace concerne la stabilité politique du pays. Il a spécifié trois « défis » sous les termes 1/ d’une « espérance politique » en un gouvernement populaire à ample participation locale qui garantirait les conquêtes démocratiques, la distribution des processus économiques et la mise en place d’un « deuxième cycle de développement » basé sur l’utilisation d’énergies propres et renouvelables, 2/ de la recherche de nouvelles bio énergies, et 3/ du maintient de la forêt amazonienne « sur pied ». À terme, l’objectif serait un nouveau processus de civilisation. De son côté, Patrick VIVERET11 s’est appuyé sur un rapport de l’OMC qui fait état des budgets des économies nationales consacrés au « nécessaire voire vitale » (éradication de la faim, accès à l’eau potable, soins de base, logement), comparés à ceux du « superflu voire destructeur » (publicité, stupéfiants, armement). Les rapports sont de l’ordre d’un facteur dix. Il en a conclu que le problème n’est pas d’ordre économique, mais concerne un dérèglement de l’humanité dans l’ « ordre du désir ». Selon lui, les budgets du « superflu voire destructeur » correspondent au coût du mal être ou de la maltraitance : Les frais d’armement gèrent de la peur et de la domination. Les stupéfiants gèrent du mal être Et la publicité transfère le désir depuis l’ordre de l’être vers l’ordre de l’avoir ce qui génère un dérèglement comparable à toxicomanie, qui consiste à en vouloir toujours plus, aussi bien en termes de pouvoir que d’économie. Il y aurait donc eu une « erreur anthropologique » (des socialistes et des communistes), celle de croire que l’on peut réguler la passion de richesse par de la passion de pouvoir. Une solution serait alors de réunifier la question anthropologique et la question politique au moyen d’une « Anthropolitique ». Dès lors, le défi écologique obligerait l’humanité à 8 Marcelo TOKMAN, ministre de l’énergie du Chili Guido GIRARDI, sénateur du Chili 10 Hamilton PEREIRA, président de la commission citoyenneté du ministère de l’environnement du Brésil. 11 Patrick VIVERET, magistrat à la Cour des Comptes et essayiste altermondialiste. 9 créer les conditions d’une conscience positive de son histoire (d’où, selon Patrick VIVERET, la part neuve et profondément positive de l’alter mondialisme) face à un capitalisme qui monopolise l’imaginaire par effet de « sidération ». La crise écologique serait donc une opportunité/défi pour Ouvrir la voie vers d’autres imaginaires Développer une dimension planétaire du politique Faire face à de nouveaux problèmes de gestion de la violence du fait de l’absence d’externalisation (pas d’extra terrestres / victimes émissaires) et la nécessaire gestion d’une « barbarie intérieure ». Et donc, pour retravailler toutes les sources internes de l’inhumanité. Selon Laurence TUBIANA12, si l’on fait l’historique de la notion de développement durable, celui-ci apparaît comme une « utopie molle ». Il avait une grande ambition (Brundtland et l’équité intra/inter générationnelle) mais sa mise en œuvre fut faible. Actuellement la perception du risque (notamment du risque climatique) évolue rapidement ce qui conduit à une « interprétation forte » du développement durable. Une visée théorique serait une troisième révolution industrielle, qui changerait les modèles économiques, organisationnels, énergétiques et technologiques. Comment ? Il s’agit de réinvestir le seul opérateur disponible (le développement durable) sans oublier qu’il est lié à la mondialisation. Cette dernière est donc à la fois un symptôme et un moteur, elle donne à prendre en compte une limitation (celle de la planète), ainsi qu’une solidarité planétaire (des réseaux internationaux se constituent qui partagent des valeurs). Par ailleurs la compétition sur les politiques publiques, sur la fiscalité, sur la régulation, sur les lois et les droits du marché du travail entraîne une contestation globale de l’état nation conventionnel (issu du 18èm siècle). À Haïti, selon Jacques LEMARQUET13, on peut observer la formation d’un « antimodèle » de développement durable sous les traits de l’histoire récente de ce qui fut la « Perle des Caraïbes ». Cela consiste aujourd’hui en une déforestation massive (sur 60 ans, il ne reste que 2% des réserves), une pauvreté rédhibitoire (60% de la population vit avec moins de 2 euros/jour), une instabilité politique chronique (en 200 ans, 10 présidents n’ont pas fini leurs mandats), une ingérence politique (trois occupations américaines 1915-1950 , 1994 et 2004 lors des coups d’État), un système éducatif très inéquitable. Dans ce contexte, la notion de durabilité n’a pas de sens car rien n’est durable (les seuls cas faisant exception se sont produits quand un plan a été concerté par les acteurs euxmêmes). D’un point de vue Géopolitique, Haïti est « en dehors », car il semble que règne un « esprit d’égoïsme des Nations » aussi, Jacques LEMARQUET a présenté les résolutions de son gouvernement pour « agripper notre destin de peuple » : faire en sorte que les politiques soient assujetties à la rationalité ; rassembler les ressources nationales (issues de la diaspora) ; mise en place d’un Agenda 2030 : pacte politique d’éducation afin d’assumer sa propre capacité nationale. Quant à Dale JAMIESON14, il a cherché ce qu’il y avait de commun à la grande diversité de réponses développées face au changement climatique. Certains pensent qu’il régresse, d’autres qu’il se développe, d’autres que cela sera en fin de compte positif, ou 12 Laurence TUBIANA, directrice de l’IDDRI, Paris. LEMARQUET, Recteur de l’Université d’Haïti. 14 Dale JAMIESON, New York University. 13 apocalyptique, que c’est une menace parmi d’autres que l’humanité doit surmonter et, pour d’autres encore, que c’est le problème le plus grave auquel elle ai été confrontée. Les menaces sont ressenties parfois en termes de pertes économiques, d’injustice, ou de risques aux effets irréversibles. Il semblerait cependant qu’au travers de cette diversité, ce soit une conviction morale qui soit en crise, liée à la possibilité même qu’aurait l’humanité de perturber les systèmes naturels de manière conséquente. 3/ DIMENSION PALÉO HISTORIQUE ET COGNITIVE DE LA CRISE Michel BRUNET15, a présenté brièvement les grandes catastrophes de l’histoire géologique ainsi qu’une histoire de l’hominisation. Il a montré que, d’une part, à l’échelle géologique, les crises sont « monnaies courantes » et que, d’autre part, les humains sont certainement « nés pour cause d’environnement ». De ce point de vue, les crises sont nécessaires aux mutations et il va donc falloir nous adapter à quelque chose qui est différent. L’origine du problème remonte certainement à la sédentarisation, il y a 10 000 ans. La solution pratique serait de renouer la relation avec la Nature, d’aller dehors, d’observer, de voir, de redécouvrir que la Nature est quelque chose de merveilleux. Pour le monde de la recherche cela consisterait à aller sur le terrain, à ne pas « rester dans les fauteuils ». En revanche, pour Peter WESTBROEK16, ce qu’il s’agit de traiter c’est la peur générée par le Global Change et le besoin d’orientation associé. Les gens cherchent des repères dans les religions, les sectes, le new age, la science en générale. Mais, selon lui, ce sont de fausses orientations car personne ne peut prévoir (même les scientifiques qui font comme s’ils savaient) et cela ajoute de l’incertitude. Et donc accentue le problème de fond qui est la peur. Comme il le soutient, le long terme relativise la peur et permet de ne plus agir et réfléchir dans et à partir de l’angoisse. L’orientation « juste » serait donc à chercher du côté des sciences fondamentales fondées sur le très long terme, les « Earth System Sciences » qui relativisent la crise actuel et la situent dans une dynamique qui fait sens. Dans une autre perspective, pour Louisa FRESCO17, « psychologiquement et même physiologiquement nous sommes programmés », nos mentalités restent instinctives et basées sur une (très) longue situation de pénurie, cela est de l’ordre d’une dimension cognitive de l’humanité. Il s’agit dès lors de prendre en considération la croissance des moyens technologiques qui ont accru considérablement les impacts de cette propension à vouloir consommer, accumuler et modifier l’environnement. Il s’agirait donc de « reconfigurer l’humain » en réintroduisant une autorité morale (détenue autrefois pas la religion) au moyen de l’éducation à une « économie écologique » basée sur le calcul et la gestion des « coûts écologiques » de chacun (analyses quantitatives). Il s’agit de responsabiliser l’individu citoyen et de lui en donner les moyens en favorisant 15 Michel BRUNET, professeur au Collège de France Peter WESTBROEK, géologue de l’Université Leiden. 17 Louisa FRESCO, de l’Université d’Amsterdam. 16 l’étiquetage détaillé (provenance, modes de production, etc. ) et quantifié des produits qu’il consomme. 4/ POUR UNE POLITIQUE DE CIVILISATION Concernant la notion de développement durable c’est, selon André BURGUIERE18, un « objet rare » issus de contradictions qui essayent de réunir l’idée d’un respect de la nature et l’idéal d’émancipation par la transformation et par le progrès. Le problème provient de l’hégémonie de l’idéologie du développement (dans les 3 mondes capitalistes, communistes, tiers) et de la soumission du bonheur humain à son accomplissement économique. Le postulat d’une nature passive, aux ressources infinies, exploitable et transformable n’est plus correct. Cette contrainte écologique fait que nous sommes amenés à être « involontairement solidaires » à l’échelle planétaire. Or pour Edgar MORIN19, il y a une politique de notre civilisation. Il faut changer de voie. Le problème est principalement lié au développement économique et technique et à son ambivalence. En effet, le développement est aussi celui de la misère, il détruit les solidarités traditionnelles et favorise l’individualisme (certes « responsable » mais aussi égocentrique et égoïste). Il ne tient pas compte des différences entre cultures. La croissance du bien être va de paire avec celui du mal être. C’est aussi le développement incontrôlé de la science, de la technique et du profit, qui conduit à la destruction de la biosphère, et favorise les fanatismes/intégrismes. Il faut repenser l’idée du développement car il y a plusieurs croissances. Il s’agirait dès lors de remplacer l’idée d’une politique de développement par une politique de civilisation et l’objectif ne serais plus seulement de sauvegarder l’environnement, la Terre, la Nature, mais notre propre nature (humaine) , car c’est aussi un problème de sens de la vie qui est posé. Bruno REBEL20, décrit la situation contemporaine comme étant d’une extrême tension (à la fois effrayante et passionnante, catastrophiste et créatrice), un « croisement de routes » où il s’agit de faire des choix cruciaux, un « village planétaire » (petit environnement et nécessité de partager les ressources), face à une « Terre en train de se révolter ». Les risques induits seraient une catastrophe écologique et un raidissement des relations internationales. Les problèmes sont liés à la surexploitation et aux rejets de polluants durables. Il défend une « équité durable » (ou « durabilité équitable ») et considère le développement durable comme un concept « cache sexe » de la non durabilité du modèle européen occidental. Il s’agirait de modifier le mode d’organisation politique, et de faire en sorte que les individus pensent à la globalité des enjeux, l’objectif étant de concilier modèles économiques et impératif écologique. La solution du problème ne peut être trouvée dans les principes du développement durable, mais au-delà. Ainsi, Cristovam BUARQUE21, part du constat, selon lequel la civilisation de la croissance (du capitalisme de marché ou du capitalisme d’état) a échoué, qu’au développement économique est associé un désastre social et écologique et qu’au 18 André BURGUIERE, directeur d’étude à l’EHESS. Edgar MORIN, directeur scientifique de l’Université Européenne. 20 Bruno REBEL, ancien Coordinateur des Programmes Globaux pour Greenpeace. 21 Cristovam BUARQUE, sénateur brésilien. 19 rideau de fer (idéologique) succède un « rideau d’or » (économique). Selon lui, on manque d’une utopie alternative, nous sommes dans un temps sans idéologie. Les religions regroupent les « ismes » (judaïsme, christianisme) et non plus le monde politique (capitalisme, socialisme). Or l’action politique a besoin d’une idéologie (sinon « elle n’est qu’un jeu »). Il propose de changer l’objectif civilisationnel, d’initier une révolution éducationnelle et de militer pour un « éducologisme », c'est à dire une harmonie entre les gens par le biais de l’éducation et des gens avec la planète par le biais de l’écologie. Par ailleurs, Cristovam BUARQUE, a développé l’idée que le Brésil est un« portrait de la civilisation », que c’est le pays le plus proche de la réalité de la civilisation : il a tous les problèmes et toutes les ressources, de grandes différences en termes d’éducation, de niveau de vie et de climat. Il pourrait donc constituer un système d’étude réduit du système global planétaire. “SE HACE CAMINO AL ANDAR”22 Une synthèse provisoire a été réalisée in vivo à la fin de l’Université Internationale Européenne d’Été, par Élimar PINHEIRO do NASCIMENTO23 qui a noté une « dimension affective » de la réflexion (impuissance, méfiance, angoisse), de l’ordre d’une « crise émotionnelle » et en a déduit que le développement durable suscite de la méfiance, que c’est un concept qui occupe aussi et surtout un imaginaire. De fait, la raison (du concept) ne vainc pas la majorité électorale plutôt sensible à l’imaginaire associé. Or les arguments théoriques proposés par la majorité des intervenants sont d’ordre politique, certainement du fait que c’est elle qui peut influencer en chaque peuple, chaque groupe et chaque individu, et résoudre ainsi le problème implicite de l’articulation des échelles. Donc, l’action étant politique, c’est d’une certaine manière la portée imaginaire du concept qui importe. Sa conclusion fut que la crise est un défi et que nous ne sommes pas au-delà du développement durable, mais en deçà. Une solution procédurale serait de construire des acteurs et des institutions du changement global. Une solution éthique, serait que chacun se sente responsable de construire une réponse. Enfin, sur un plan plus global, note Alfredo PENA-VEGA24, on sait que les plus grands dangers que court l'humanité viennent du développement incontrôlé de la science, de la technique et du profit La régulation en deviendra possible s'il y a une politique globale de notre civilisation. L’enjeu écologique et environnemental se confirme comme le réceptacle de ces errements profonds. Les solutions qui y sont appliquées restent limitées, touchant les effets et non les causes. Les innombrables avancées en la matière sont indispensables mais doivent être dépassées et comprises comme inscrites dans une proximité à élargir. 22 « En marchant se construit le chemin », A. MACHADO, chant XXIX, Proverbio cantares, Campo de Castilla, 1917. 23 Élimar PINHEIRO do NASCIMENTO, directeur du Centre Développement Durable, Brasilia. 24 Alfredo PENA-VEGA, Sociologue CNRS/EHESS, Paris, directeur scientifique de l’UEE.