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« C’est bien ici »
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désigne autant le lieu du rendez-vous que le point de la scène.
L’opération d’énumération des tombes par Mesa souligne le caractère scénique de
ce décor, accentué par la référence à la scène du cimetière dans Hamlet. Le
personnage ne désigne pas un écart entre le texte et la scène, mais l’opération de
désigner introduit un clivage dans le principe d’identité et théâtralise ce monologue
descriptif. Claudel obtient un léger décollement de la représentation réaliste avec
cette désignation. Ce dispositif d’une scène sur la scène ne vise pas seulement à
souligner l’illusion théâtrale ou à faire entendre que le monde est « un théâtre ».
L’inscription de la scène du théâtre dans le macrocosme (la mer en I, la terre en II, le
ciel étoilé en III) remet en cause l’isolement de la scène et lui permet de représenter
le monde, de donner un « effet de monde ». Désigner le décor et inscrire celui-ci
dans le monde permet de mettre en lumière le lien entre l’histoire des personnages
et l’univers politique, géographique, cosmique, cela sera repris par Claudel dans la
première scène du Soulier de satin
8
. La scénographie de Partage de midi contribue à
maintenir l’hésitation générique de la pièce. Le thème de la pièce n’est pas loin du
vaudeville, mais Claudel l’amplifie aux dimensions du monde, en identifiant dans la
pièce désir amoureux et désir du monde. Nous ne sommes pas non plus dans la
tragédie : le conflit amoureux ne s’oppose pas au monde. La représentation du
monde, la présence des chœurs, la mise en relief de la scène contribuent à unifier le
rapport entre la scène et la salle, le public est convié à s’identifier aux chœurs dans
un lieu de rassemblement au service d’une communion esthétique, politique, ou
religieuse. Mais l’horizontalité des éléments (eau, terre, ciel) et la planéité des
chœurs et du public par rapport à la verticalité des personnages représentent autant
ce désir de communion qu’une menace de dissolution. Le dédoublement du dispositif
scénique met en scène le rapport ambivalent dans la pièce entre spectacle et
création, exclusion et proximité, communion et dissolution.
En poursuivant le travail commencé à la manière de L’Echange sur les
changements de registres dramatiques, Claudel opère un déplacement du mélange
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Partage de midi, 1
ère
version, Théâtre 1, p. 1013.
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A la scène première : « Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l’Océan Atlantique qui est à
quelques degrés au-dessous de la Ligne à égale distance de l’Ancien et du Nouveau Continent. », p. 666, « Et
c’est vrai que je suis attaché à la croix mais la croix où je suis n’est plus attachée à rien. Elle flotte sur la mer. »,
p. 667, à la scène 2, « Don Balthazar, il y a deux chemins qui partent de cette maison. », p.669, à la scène 3,
« Cette charmille entre nous prouve que vous ne voulez pas me voir. », p.672, Théâtre 2. La désignation du
décor opère un léger décollement de la réalité, elle inscrit la scène dans le monde tout en spatialisant la situation
des personnages, elle théâtralise le conflit dramatique.