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Compagnie Divine Comédie
JEAN-CHRISTOPHE BLONDEL CHRISTELE BARBIER
Metteur en scène Dramaturge
06 60 82 74 30 06 09 54 03 74
Jean.christophe.blondel@gmail.com christelba[email protected]r
P
AUL
CLAUDEL
METTEUR EN SCENE
Une réflexion sur la mise en scène du geste théâtral à l’intérieur
même de l’écriture de Partage de Midi,
témoignage de la première semaine de répétitions de la
pièce.
CHRISTELE BARBIER – CLAUDEL METTEUR EN SCENE DANS PARTAGE DE MIDI 2
La mise en scène comme unification 2
Claudel metteur en scène 7
Théâtre et autobiographie 10
Théâtre et création 14
Bibliographie 17
J.C.BLONDEL – TEMOIGNAGE DES REPETITIONS 18
Quatre acteurs face à une brochure 18
Mesa metteur en scène 20
Les fantômes du théâtre 21
Scénographier « Cet état d’exclusion si fin » 23
2
Christèle BarbierClaudel metteur en scène dans Partage de midi
Partage de midi n’est pas la pièce de Claudel qui semble avoir été la plus conçue
pour la scène tant le dramaturge a refusé de la faire jouer pendant longtemps
1
.
Quand on songe à Claudel metteur en scène pour cette œuvre, on pense plutôt à
ses écbhanges passionnés avec Jean-Louis Barrault et à ses réécritures lors de la
création en 1948. Pourtant, la première version, si elle n’a pas été jouée
intégralement du vivant de Claudel, fait signe manifestement vers la scène et il est
tout à fait possible de lire dans la pièce un processus créatif en lien constant avec
l’art de la mise en scène. Partage de midi s’inscrit dans la modernité inaugurée par
Claudel au théâtre en proposant une nouvelle écriture du drame qui passe par une
forte théâtralisation. Les répétitions du spectacle de Jean-Christophe Blondel m’ont
fait ainsi apparaître le fait que l’œuvre ne cesse de faire allusion à la scène, comme
si la multiplicité des registres dramatiques et la variation des tons dans la pièce
étaient rendus possibles par l’unification qu’opère le travail de Claudel metteur en
scène, comme si la menace de dissolution qui pèse sur les personnages était
circonscrite par une théâtralité renforcée.
La mise en scène comme unification
Selon Jacques Copeau, la mise en scène est « l’ensemble des mouvements,
des gestes et des attitudes, l’accord des physionomies, des voix et des silences,
c’est la totalité du spectacle scénique, émanant d’une pensée unique, qui le conçoit,
le règle et l’harmonise. »
2
Cette définition est éclairante pour le travail de Claudel tant
il nourrit son texte d’indications sur les silences, le rythme, les gestes des
personnages, mais aussi la lumière, les sons, le décor. Dans Partage de midi,
Claudel écrit une partition scénique qui intègre des éléments de mise en scène qui
témoignent comme le dit Michel Lioure d’un « sens très sûr du spectacle »
3
. Si l’on
définit la mise en scène comme relation entre les éléments de la représentation, il est
1
La lecture même de la pièce n’est pas envisagée par Claudel : « Ce livre ne sera pas publié : j’en ferai imprimer
seulement un petit nombre d’exemplaires que je donnerai à mes amis. », Lettre de Paul Claudel à Gabriel
Frizeau, 15 novembre 1905. Correspondance Claudel Jammes Frizeau, p. 69.
2
Jacques Copeau, Appels, Registres I, Paris, Gallimard, 1974, p. 29-30.
3
L’Esthétique dramatique de Paul Claudel.
3
frappant de constater à quel point Claudel opère dans Partage de midi une mise en
relation de tous les arts de la scène qui ne vise pas à la fusion. Avec le lange des
registres, Claudel prémunit l’œuvre de ce qu’il appellera plus tard le « poison
wagnérien »
4
. La pièce se marque des rêves de Théâtre total : elle emploie les
ressources de la scène pour unifier le drame mais brise l’unité de genre pour éviter la
sensation d’ « écœurement »
5
. Le travail sur la lumière dans la pièce par exemple se
rapproche du travail d’un metteur en scène : Claudel unifie le dessin dramatique en
faisant passer à l’échelle de la pièce, et à l’échelle de l’acte I avec un effet de mise
en abîme, les personnages de Midi à Minuit. L’action dramatique elliptique
(notamment entre l’acte II et l’acte III) représente le passage du temps, la séparation,
l’absence tandis que le passage souligné de la lumière à l’ombre resserre l’action en
donnant une signification symbolique à la destinée des personnages. Le travail de
Claudel forme ainsi un ensemble dont la somme dépasse les parties, une mise en
scène.
La scénographie employée lors des répétitions, des palettes qui sont comme une
scène sur la scène, invite à étudier l’espace de la pièce. A chaque acte, nous avons
un « chœur » caché qui entoure les personnages : Nègres à fond de cale en I, morts
en II et volutionnaires chinois en III. Nous sommes dans un dispositif de théâtre à
double scène, les personnages « jouent » leurs rôles sur une scène circonscrite (le
pont du bateau, le carré européen du cimetière, la maison), ils sont entourés d’un
espace dans lequel évoluent ces chœurs omniprésents et invisibles, et le public
constitue le troisième cercle de cet espace fortement théâtral. Comme au début du
Soulier de satin, la réalité scénique devient plus prégnante que le décor
représentatif. Claudel relie ainsi l’espace de la scène à celui de la salle et intègre le
rapport au public dans la pièce. Ce qui est évoqué dans L’Echange, la séparation
entre la scène et la salle
6
et le spectacle, est mis en scène dans Partage de midi par
ce dédoublement. Les personnages de la pièce désignent le décor qui les entoure,
comme Mesa au début de l’acte II. Quand il découvre le lieu du rendez-vous, le vers
4
Voir Le Poison wagnérien, « Eh bien, oui ! J’ai admiré Wagner autrefois, d’une manière que les nouvelles
générations ont beaucoup de peine à comprendre. Ce poison m’a empoisonné et il m’a laissé dans l’organisme
des toxines qui ont été longues à s’évaporer. », Œuvres en prose, p. 368.
5
Id., p. 371. La métaphore du goût est celle qui revient le plus fréquemment dans cet article.
6
« Il y a la scène et il y a la salle. / Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils sont assis par rangées les
uns derrière les autres, regardant. » L’Echange, 1
ère
version, Théâtre 1, p. 676.
4
« C’est bien ici »
7
désigne autant le lieu du rendez-vous que le point de la scène.
L’opération d’énumération des tombes par Mesa souligne le caractère scénique de
ce décor, accentué par la référence à la scène du cimetière dans Hamlet. Le
personnage ne désigne pas un écart entre le texte et la scène, mais l’opération de
désigner introduit un clivage dans le principe d’identité et théâtralise ce monologue
descriptif. Claudel obtient un ger décollement de la représentation réaliste avec
cette désignation. Ce dispositif d’une scène sur la scène ne vise pas seulement à
souligner l’illusion théâtrale ou à faire entendre que le monde est « un théâtre ».
L’inscription de la scène du théâtre dans le macrocosme (la mer en I, la terre en II, le
ciel étoilé en III) remet en cause l’isolement de la scène et lui permet de représenter
le monde, de donner un « effet de monde ». Désigner le décor et inscrire celui-ci
dans le monde permet de mettre en lumière le lien entre l’histoire des personnages
et l’univers politique, ographique, cosmique, cela sera repris par Claudel dans la
première scène du Soulier de satin
8
. La scénographie de Partage de midi contribue à
maintenir l’hésitation nérique de la pièce. Le thème de la pièce n’est pas loin du
vaudeville, mais Claudel l’amplifie aux dimensions du monde, en identifiant dans la
pièce sir amoureux et désir du monde. Nous ne sommes pas non plus dans la
tragédie : le conflit amoureux ne s’oppose pas au monde. La représentation du
monde, la présence des chœurs, la mise en relief de la scène contribuent à unifier le
rapport entre la scène et la salle, le public est convié à s’identifier aux chœurs dans
un lieu de rassemblement au service d’une communion esthétique, politique, ou
religieuse. Mais l’horizontalité des éléments (eau, terre, ciel) et la planéité des
chœurs et du public par rapport à la verticalité des personnages représentent autant
ce désir de communion qu’une menace de dissolution. Le dédoublement du dispositif
scénique met en scène le rapport ambivalent dans la pièce entre spectacle et
création, exclusion et proximité, communion et dissolution.
En poursuivant le travail commencé à la manière de L’Echange sur les
changements de registres dramatiques, Claudel opère un placement du mélange
7
Partage de midi, 1
ère
version, Théâtre 1, p. 1013.
8
A la scène première : « Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l’Océan Atlantique qui est à
quelques degrés au-dessous de la Ligne à égale distance de l’Ancien et du Nouveau Continent. », p. 666, « Et
c’est vrai que je suis attacà la croix mais la croix je suis n’est plus attachée à rien. Elle flotte sur la mer. »,
p. 667, à la scène 2, « Don Balthazar, il y a deux chemins qui partent de cette maison. », p.669, à la scène 3,
« Cette charmille entre nous prouve que vous ne voulez pas me voir. », p.672, Théâtre 2. La signation du
décor opère un ger décollement de la réalité, elle inscrit la scène dans le monde tout en spatialisant la situation
des personnages, elle théâtralise le conflit dramatique.
5
des genres romantique vers des jeux sur la convention théâtrale. Il ne s’agit pas de
confronter sublime et grotesque afin de les faire valoir en un jeu de violents
contrastes, ni de faire se côtoyer des personnages issus d’univers différents. Comme
Lechy dans L’Echange
9
, les personnages de Partage de midi sont protéiformes et ne
savent quel rôle jouer, ainsi Ysé à l’acte I :
Ce n’est point cela, mais je ne vous comprends pas.
Qui vous êtes, qui ce que vous voulez, qui
Ce qu’il faut être, comment il faut que je me fasse avec vous. Vous
êtes singulier.
Ne faites point de grimace !
10
Claudel amplifie la manière de L’Echange en étendant cette faculté de jeu à tous les
personnages. La métaphore théâtrale qui parcourt la pièce est mise en lumière en
répétitions : ces personnages sont acteurs, spectateurs, metteurs en scène. Les
différents registres de jeu, du vaudeville au symbolisme, sont alors une image des
pensées des personnages ; le théâtre a pour fonction d’extérioriser leur intériorité.
Dans le même temps, la tension dramatique se déplace de l’action vers la scène,
l’enjeu des scènes est moins l’action que de savoir quel rôle les personnages vont
jouer et sur quel registre. C’est paradoxalement par le jeu, ou le refus du jeu, que
l’action progresse par révélations successives, comme si la pièce était composée de
scènes de reconnaissance déclenchées par les changements de registres
11
. Dans
une pièce des éléments essentiels de l’action sont mis en ellipse, les
personnages représentent moins une action qu’ils ne jouent des changements de
conventions théâtrales.
Ainsi à la fin de l’acte I, les quatre personnages sont réunis sur scène, il n’y a pas
d’action ou de décision dramatique. La scène représente le plan de l’action de
manière indirecte : par la géographie onirique (le passage de Suez et le désir de
conquérir l’Orient), par la référence aux mythes, par le jeu bouffon d’Amalric. Ce
9
« C’est moi qui fais toutes les femmes dans les comédies et je sais les faire toutes. », L’Echange, 1
ère
version,
Théâtre 1, p.705.
10
Partage de midi, 1
ère
version, Théâtre 1, p. 1000. Voir note 6 pour le lien entre singularité de l’être, création et
comique.
11
On pourrait ainsi distinguer des scènes de reconnaissance à l’acte I entre Ysé et Amalric, entre Ysé et Mesa, à
l’acte II, entre Ysé et Mesa, entre de Ciz et Mesa, à l’acte III, dans la scène finale entre Ysé et Mesa et des
scènes de « méconnaissance », à l’acte II entre Ysé et de Ciz, à l’acte III entre Yet Mesa lors de son entrée en
scène.
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