Université de Montréal Santé reproductive et santé mentale des

Université de Montréal
Santé reproductive et santé mentale des femmes qui ont subi la violence sexuelle en temps de
conflit armé : cas de la République Démocratique du Congo
par Nissou Ines Dossa
Département de Médecine Sociale et Préventive/École de Santé Publique
Faculté de Médecine
Thèse présentée à la Faculté des Études Supérieures en vue de l’obtention du grade de PhD en
Santé Publique, Option Épidémiologie
Décembre 2013
© Nissou Ines Dossa
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Résumé
Problématique : Depuis bientôt deux décennies, la République mocratique du
Congo (RDC) est le territoire d’un conflit armé qui, selon l’International Rescue Commite,
aurait occasionné plus de 3 millions de décès et autant de déplacés internes. Plusieurs rapports
font également cas des nombreux actes de violence sexuelle (les viols, les mutilations,
l’esclavage, l’exploitation sexuelle, etc.) commis envers les filles, les femmes et dans une
moindre ampleur les hommes. S’il existe un consensus sur le côté barbare des actes de
violence sexuelle liés aux conflits armés, rares sont les études qui ont évalué leurs
conséquences sur la santé reproductive des survivantes surtout en termes d’issues telles que les
fistules, les douleurs pelviennes chroniques (DPC), le désir de rapports sexuels, le désir
d’enfant et le désir d’interruption de la grossesse issue de tels actes. Par ailleurs, même si la
santé mentale des populations en zones de conflit représente un sujet d’intérêt, l’impact
spécifique de la violence sexuelle liée au conflit sur la santé mentale des survivantes a été peu
étudié. De plus, ces travaux s’intéressent aux effets de la violence sexuelle liée au conflit sur la
santé mentale et sur la santé reproductive séparément et ce, sans évaluer les relations qui
peuvent exister entre ces deux dimensions qui, pourtant, s’influencent mutuellement. Aussi,
l’impact social de la violence sexuelle liée au conflit, ainsi que la contribution des normes
socioculturelles aux difficultés que rencontrent les survivantes, a été peu étudié. Pourtant,
l’impact social de la violence sexuelle liée au conflit peut permettre de mieux comprendre
comment l’expérience d’un tel acte peut affecter la santé mentale. Enfin, aucune étude n’a
évalué les effets de la violence sexuelle liée au conflit en la comparant à la violence sexuelle
non liée au conflit (VSNLC). Pourtant, il est reconnu qu’à de nombreux égards, la violence
sexuelle liée au conflit est bien différente de la VSNLC puisqu’elle est perpétrée avec
l’intention de créer le maximum d’effets adverses pour la victime et sa communauté.
Objectifs : Les objectifs poursuivis dans cette thèse visent à : 1) évaluer les effets de la
violence sexuelle liée au conflit sur la santé reproductive; 2) évaluer les effets de la violence
sexuelle liée au conflit sur la santé mentale en termes de sévérité des symptômes de stress
posttraumatique (PTSD), de sévérité des symptômes de détresse psychologique et de
probabilité de souffrir de troubles mentaux communs (TMC); 3) évaluer la contribution des
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troubles physiques de santé reproductive, en particulier les fistules et les douleurs pelviennes
chroniques (DPC), aux effets de la violence sexuelle liée au conflit sur la santé mentale; 4)
évaluer la contribution de l’état de santé mentale aux effets de la violence sexuelle liée au
conflit sur le désir de rapports sexuels et le désir d’enfant; et 5) étudier l’impact de la violence
sexuelle liée au conflit sur le plan social ainsi que la contribution des normes socioculturelles à
ses effets adverses et la façon dont ces effets pourraient à leur tour influencer la santé des
femmes et leur relation avec l’enfant issu de l’acte de violence sexuelle subi.
Méthodologie : Un devis mixte de nature convergente a permis de collecter des
données quantitatives auprès de l’ensemble des participantes (étude transversale) et des
données qualitatives sur un nombre plus restreint de femmes (étude phénoménologique).
Une étude transversale populationnelle a été conduite entre juillet et août 2012 auprès
de 320 femmes âgées de 15 à 45 ans habitant quatre (4) quartiers de la ville de Goma située
dans la province du Nord-Kivu en RDC. Les femmes ont été recrutées à travers des annonces
faites par les responsables des programmes d’alphabétisation et de résolution de conflits
implantés dans les différents quartiers par le Collectif Alpha Ujuvi, une ONG1 locale. Les
issues de santé reproductive évaluées sont : les fistules, les DPC, le désir de rapports sexuels,
le désir d’enfant et le désir d’interruption de la grossesse issue d’un acte de violence sexuelle.
Les variables de santé mentale d’intérêt sont : la sévérité des symptômes de détresse
psychologique, la sévérité des symptômes de PTSD et la probabilité de souffrir de TMC. Pour
les analyses, l’exposition a été définie en trois (3) catégories selon l’expérience passée de
violence sexuelle : les femmes qui ont vécu des actes de violence sexuelle liée au conflit,
celles qui ont vécu des actes de VSNLC et celles qui ont déclaré n’avoir jamais subi d’acte de
violence sexuelle au cours de leur vie. Les variables de confusion potentielles mesurées sont :
l’âge, le statut matrimonial, le nombre d’enfants, le niveau d’éducation le plus élevé atteint et
l’occupation professionnelle. Les mesures d’associations ont été évaluées à l’aide de modèles
de régressions logistiques et linéaires simples et multiples. Des tests d’interaction
multiplicative et des analyses stratifiées ont été également conduits pour évaluer l’effet
potentiellement modificateur de quelques variables (âge, statut matrimonial, nombre
1 Organisation Non Gouvernementale
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d’enfants) sur la relation entre la violence sexuelle et les variables de santé reproductive ou de
santé mentale. Ces tests ont également été utilisés pour évaluer la contribution d’une variable
de santé reproductive ou de santé mentale aux effets de la violence sexuelle sur l’autre
dimension de la santé d’intérêt dans cette étude.
Une étude phénoménologique a été conduite dans le même intervalle de temps auprès
de 12 femmes ayant participé à la partie quantitative de l’étude qui ont vécu la violence
sexuelle liée au conflit et ont eu un enfant issu d’une agression sexuelle. Les sujets explorés
incluent : la perception de l’acte de violence sexuelle liée au conflit vécu et de la vie
quotidienne par les victimes; la perception de l’acte de violence sexuelle liée au conflit par la
famille et l’entourage et leurs réactions après l’agression; la perception de la grossesse issue de
l’acte de violence sexuelle par la victime; la perception de l’enfant issu de la violence sexuelle
liée au conflit par la victime ainsi que son entourage; les conséquences sociales de
l’expérience de violence sexuelle liée au conflit et les besoins des victimes pour leur
réhabilitation. Une analyse thématique avec un codage ouvert a permis de ressortir les thèmes
clés des récits des participantes. Par la suite, l’approche de théorisation ancrée a été utilisée
pour induire un cadre crivant l’impact social de l’expérience de la violence sexuelle liée au
conflit et les facteurs y contribuant.
Résultats : Le premier article de cette thèse montre que, comparées aux femmes qui
n’ont jamais vécu un acte de violence sexuelle, celles qui ont vécu la violence sexuelle liée au
conflit ont une probabilité plus élevée d’avoir une fistule (OR=11.1, IC 95% [3.1-39.3]), des
DPC (OR=5.1, IC 95% [2.4-10.9]), de rapporter une absence de désir de rapports sexuels
(OR=3.5, IC 95% [1.7-6.9]) et une absence de désir d’enfant (OR=3.5, IC 95% [1.6-7.8]).
Comparées aux mêmes femmes, celles qui ont vécu la VSNLC ont plus de probabilité de
souffrir de DPC (OR=2.3, IC 95% [0.95-5.8]) et de rapporter une absence de désir d’enfant
(OR=2.7, IC 95% [1.1-6.5]). Comparées aux femmes qui ont vécu la VSNLC, celles qui ont
vécu la violence sexuelle liée au conflit ont également une probabilité plus élevée d’avoir une
fistule (OR=9.5, IC 95% [1.6-56.4]), des DPC (OR=2.2, IC 95% [0.8-5.7]) et de rapporter une
absence de désir de rapports sexuels (OR=2.5, IC 95% [1.1-6.1]). En ce qui concerne les
grossesses issues des viols, comparées aux femmes qui ont vécu la VSNLC, celles qui ont
vécu la violence sexuelle liée au conflit sont plus nombreuses à souhaiter avorter (55% vs 25%
v
pour celles qui ont vécu la VSNLC). Elles sont également plus nombreuses à déclarer qu’elles
auraient avorté si les soins appropriés étaient accessibles (39% vs 21% pour celles qui ont
vécu la VSNLC).
Le second article montre qu’en comparaison aux femmes qui n’ont jamais subi de
violence sexuelle, celles qui ont vécu la violence sexuelle liée au conflit présentent des
symptômes de détresse psychologique (moyennes de score respectives 8.6 et 12.6, p<0.0001)
et des symptômes de PTSD (moyennes de score respectives 2.2 et 2.6, p<0.0001) plus sévères
et ont plus de probabilité d’être dépistées comme un cas de TMC (30% vs 76%, p<0.0001). De
plus, comparées aux femmes qui ont vécu la VSNLC, celles qui ont cu la violence sexuelle
liée au conflit présentent des symptômes de détresse psychologique (moyennes de score
respectives 10.1 et 12.6, p<0.0001) et des symptômes de PTSD (moyennes de score
respectives 2.2 et 2.6, p<0.0001) plus sévères et ont plus de probabilité d’être dépistées
comme un cas de TMC (48% vs 76%, p<0.001). Les valeurs minimales et maximales de score
de sévérité de symptômes de détresse psychologique sont de 0/12 pour les femmes qui n’ont
jamais vécu de violence sexuelle, 4/19 pour celles qui ont vécu la VSNLC et de 5/18 pour
celles qui ont vécu la violence sexuelle liée au confit. En ce qui concerne la sévérité des
symptômes de PTSD, les scores minimal et maximal sont respectivement de 0.36/3.22,
0.41/3.41 et 0.95/3.45. Le fait d’avoir développé une fistule ou de souffrir de DPC après
l’agression sexuelle augmente la force des associations entre la violence sexuelle et la santé
mentale. Les femmes qui ont subi la violence sexuelle liée au conflit et qui ont souffert de
fistules présentent des symptômes de détresse psychologique et de PTSD plus sévères
comparées aux femmes qui ont subi la violence sexuelle liée au conflit mais n’ont pas de
fistules. Les résultats sont similaires pour les femmes qui ont subi la violence sexuelle liée au
conflit et qui souffrent de DPC. Des résultats complémentaires suggèrent que le statut
matrimonial modifie l’effet de la violence sexuelle sur la sévérité des symptômes de détresse
psychologique, les femmes divorcées/séparées et les veuves étant celles qui ont les moyennes
de score les plus élevées (respectivement 11.3 et 12.1 vs 9.26 et 9.49 pour les célibataires et
les mariées). Par ailleurs, la sévérité des symptômes de détresse psychologique modifie
lassociation entre la violence sexuelle liée au conflit et le désir d’enfant.
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