Les Pendules de Monsieur

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Odile Noël-Shinkawa
Les Pendules de Monsieur
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– « C’est vraiment une drôle d’histoire »
marmonne le commissaire Vautrin en astiquant pour
la nième fois son 9 millimètres,
– « On peut rien prouver. C’est pire que l’histoire
de la bonne femme de la secte Nichiren Shoshu, qui a
provoqué la mort de sa patronne en bourrant son
bureau de téléphones portables foireux qui ont fini
par dérégler son pacemaker », renchérit le Lieutenant
Charlus, en ramassant un rapport d’autopsie tombé
par terre,
– « Oui, je me rappelle, elle s’était aussi démerdée
pour creuser dans la cave et faire arriver une rivière
qui a fait rouiller les prothèses de la vieille ! Elle a dû
être réopérée trois fois de suite, faire tout un tas de
scanners qui ont achevé de bousiller son pacemaker,
mais on n’a jamais rien pu retenir contre
l’employée ! »
– « Dans le cas présent, c’est encore plus
hallucinant… le légiste ne comprend pas ce qui est
arrivé aux organes de la victime : à la place du cœur et
du cerveau, il y avait des rouages, comme des
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mécanismes d’horlogerie… et pas trace d’intervention
humaine ou de chirurgie, c’est comme s’ils faisaient
partie intégrante du corps… »
– « Et puis l’endroit où on l’a retrouvé… devant le
cadran solaire de l’Institut de France, les bras écartés
comme les aiguilles d’une montre, correspondant
exactement à l’ombre portée sur le sol par le cadran
solaire… »
– « Mais… le mouvement des bras indiquaient
une heure précise ? »
– « J’y ai réfléchi comme toi… Oui, effectivement,
ils indiquaient 0 Min 9 S… Mais comment savoir à
quoi ça correspond ? Il s’agit d’un cadran solaire, ça
ne nous donne aucune indication quant à l’heure du
crime… »
Vautrin réfléchit un moment, pose son 9
millimètres, prend une clope, en dépit du panneau
« Interdiction de fumer » qu’il a lui-même collé au
mur, trifouille un instant dans ses papiers, sort une
liasse de son rapport et la tend à son collègue :
– « Tiens, tu liras ça, c’est ce que j’ai pu collecter
sur le suspect… Tu parlais de secte bizarre tout à
l’heure, mais à côté de lui, je te jure que c’est rien ! Un
vrai personnage de roman ce mec ! Et puis rien à en
tirer, crois-moi ! Ca fait deux jours que je le cuisine, il
marmonne des trucs dans une langue qu’on ne
comprend pas… Quand je lui demandais ce qu’il
faisait au moment du crime, il m’a répondu “Tempus
fugit” !!! »
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– « Il est où pour l’instant ? »
– « A la maison d’arrêt de N., mais je vais être
obligé de le relâcher faute de preuves ! »
– « Mais quand même, on a ses empreintes
digitales sur le corps de la victime ! Et il y avait un
mobile : l’altercation qu’il y a eue entre eux ! »
– « Oui, mais il n’y a pas d’empreintes digitales
sur les mécanismes d’horlogerie… On ne peut pas le
situer sur le lieu du meurtre… Et puis ils se voyaient
régulièrement, la victime est le neveu du suspect…
– « Ben justement, les histoires familiales… y’a
rien de pire ! Il voulait peut-être faire chanter le
tonton !
– « Le faire chanter ? Mais pourquoi ?
– « Lis le rapport. Tu verras… Le gosse pouvait
aussi vouloir le forcer à lui laisser une part d’héritage,
le tonton en question n’a pas d’enfants…
– « Et puis il y a cette histoire de cannabis… Il en
faisait pousser en secret dans le jardin du vieux, il
aura pu péter les plombs quand il s’en est aperçu… »
– « Faut pas oublier la gouvernante dans tout
ça… Elle est pas blanche comme neige non plus ! Elle
a l’air toquée de son patron, elle serait prête à tout
pour lui, et puis je te jure qu’elle a un passé plus que
louche !
– « Tu veux parler des soupçons d’infanticide ?
Sur ses propres enfants ? Encore un autre truc qu’on
n’a jamais pu prouver ! Les fœtus étaient en tellement
mauvais état que l’analyse n’a rien donné !
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Monsieur s’est peu à peu retiré du monde, ou
devrait-on dire, n’en finit pas de se retirer… Y a-t-il
d’ailleurs jamais vraiment été présent ?
Il surnage dans les eaux troubles de la
philosophie, en ne s’accordant des escales dans
l’Antiquité. Il a navigué à vue dans les professions les
plus abstraites possibles, passant d’ailleurs plus de
temps dans les bibliothèques, universités, et salles de
conférences qu’à son domicile, si tant est que l’on
puisse appeler ainsi les chambres d’hôtel, toutes plus
impersonnelles les unes que les autres, où il s’octroie
quelques heures de vague sommeil, méditant sur le
caractère éphémère de toute chose et la sensation de
n’être que de passage…
Il se substante à peine, fait en sorte de ne posséder
que le strict minimum, ne garde même pas les livres,
et Dieu sait pourtant s’il les a fréquentés… Du temps
de sa période parisienne, avec un peu de chance, on
pouvait l’apercevoir, armé d’un Gaffiot et d’un Bailly,
chaussé de ses multiples bésicles, dans les cafés de
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