INTRODUCTION
LA PRÉSENTATION DU DROIT
CONSTITUTIONNEL
SECTION I LOBJET ET LA SIGNIFICATION DU DROIT
CONSTITUTIONNEL
1Le droit constitutionnel ou le droit politique (Littré) vit en nous et
par nous. À ce titre, il concerne autant le juriste que le citoyen et bénéficie, assurément,
de lattrait de lactualité.
Mais, ce serait méconnaître gravement sa raison dêtre que de le ravaler à un simple
point de vue événementiel. La passion intellectuelle que lon éprouve, à son égard, ne
saurait être dissociée de la réflexion. Il nest pas douteux, en effet, que le gouvernement
des hommes par la raison demeure, à ce jour, la démarche la plus conforme au miracle
grec.Lexamen respectif de lobjet (§ 1) et de la signification (§ 2) du droit constitu-
tionnel simpose, dès lors, à lattention.
§1. LOBJET DU DROIT CONSTITUTIONNEL
2Dune manière simple, on peut ainsi définir lobjet du droit
constitutionnel : lencadrement juridique des phénomènes politiques. Ce qui revient à
dire que lactivité politique relève de la règle juridique, et non plus du bon plaisir ou de
caprice : la loi nexprime la volonté générale que dans le respect de la constitution
(C.C., 23 août 1985, Nouvelle-Calédonie,Rec. 70). De cette vision découle la bonne
gouvernance ou lÉtat de droit
1
;lÉtat soumis au droit, au sein duquel les citoyens
sont protégés de larbitraire par la règle de primauté du droit qui exprime la préférence
pour lordre public dans une société plutôt que pour lanarchie, la guerre et les luttes
incessantes (Wade et Phillips). La limitation de la puissance de lÉtat récuse lÉtat des-
pote,oude police. La Révolution de 1789, cest lavènement de la Loi
2
.Laffirmation
1. Sur ce concept forgé par la doctrine allemande (Rechtsstaat) au XIX
e
siècle : V. J. CHEVALLIER,
LÉtat de droit,4
e
éd., 1999 ; LÉtat de droit, Mélanges Guy Braibant, 1996 ; B. BARRET-KRIEGEL, État
de droit, D.C., p. 415.
2. Un gouvernement sans lois est, je suppose, un mystère politique, inconcevable pour lesprit humain
et incompatible avec la société des hommes.J.L
OCKE.
19
de Michelet signifie, en clair que désormais le règne de la loi se substitue à la domina-
tion de lhomme par lhomme. Doù la formule topique de la constitution du 14 septem-
bre 1791 : Il ny a point en France dautorité supérieure àcelle de la loi. Le roi ne
règne que par elle et ce nest quau nom de la loi quil peut exiger lobéissance.
Cependant, ces notions, pour être comprises, impliquent des explications : que
faut-il entendre par phénomènes politiques ? En quoi consiste leur encadrement juri-
dique ?
A. LES PHÉNOMÈNES POLITIQUES
3La politique est lart du possible. Lexpression est courante, tel un poncif. Toute-
fois, elle est malaisée à cerner en raison de son ambiguïté
3
. Voici, à nen pas douter, un
mot déprécié et valorisé, à propos duquel les nuances péjoratives et laudatives sentre-
choquent. Quest-ce à dire ?
Pour le commun des mortels, la politique est repoussée avec une belle indignation.
Activité peu ragoûtante, voire sale, selon le tempérament poujadiste. Qui ne se souvient
de la définition de DAlembert : Lart de tromper les hommes ; de linvocation de Mus-
set : La politique, voilà notre misère ! ou de la réflexion de Mauriac : La politique ?
Est-ce quon sintéresse aux batailles de singes ? Mais, la politique nest pas un vice,
ni un jeu de société (S. de Beauvoir), ainsi que latteste le meurtre de conseillers muni-
cipaux à Nanterre, en 2002. Bref, elle est aussi noble, par civisme et altruisme. Son-
geons aux institutions caritatives ou humanitaires (la Croix rouge, Médecins sans fron-
tières, les restaurants du cœur de Coluche) pour se persuader quelle mérite mieux que
le mépris. En vue de sen convaincre, on sattachera à sa définition (1) et à sa condi-
tion (2).
1. La définition de la politique
4La politique différencie lhomme de lanimal, à lopposé de Platon qui prétendait
quelle était lart délever les troupeaux. Elle est susceptible de deux acceptions, lune
restrictive, lautre extensive. La langue anglaise par sa richesse (policy, politics, politi-
cal) tranche avec le français. Doù lambivalence foncière de la politique.
a) Lacception restrictive de la politique
5À cet égard, une double signification sattache, tant au substantif quàladjectif.
La politique, dans un premier temps, désigne laction, la mission, le comportement
ou le programme dun homme, dun parti, dun Gouvernement, dun État... On dénonce
toute politique attentatoire aux droits de lhomme ; on milite pour la politique euro-
péenne, on pratique la politique du pire.
Dans un second temps, le mot caractérise une activité ou un secteur spécifique,
mieux irréductible, par rapport aux autres activités ou secteurs dune société. En
somme, la politique, selon une démarche obsidionale, se présente, au sein de cette
3. V. Ph. BÉNETON,Introduction à la politique, 1997 ; J.-L. CHABOT,Introduction à la politique,
1991 ; D. CHAGNOLLAUD,Introduction à la politique, 1996 ; Ch. DEBBASCH et J.-M. PONTIER,Introduc-
tion à la politique, 2
e
éd., 1986 ; O. VALLET,Principes du politique, 1991.
DROIT CONSTITUTIONNEL ET INSTITUTIONS POLITIQUES
20
dernière, à la manière dun monde clos, dun milieu retranché qui détonne, à la limite,
tel un coup de pistolet au milieu dun concert (Stendhal).
Vue de la place de la Concorde à Paris, lAssemblée nationale mérite dêtre appelée la maison sans
fenêtres. De fait, et à lévidence, la politique obéit à des règles spécifiques, tant du point de vue des
conditions daccès, que du comportement observé. On a prétendu, avec raison, que la politique était le
seul métier (si lon ne regarde pas de trop au sens des mots) que lon peut exercer sans jamais lavoir
appris. En lien avec la règle du tutoiement introduite au Parlement par Gambetta, les sentiments politi-
ques se différencient des sentiments privés. Il y a moins de différence entre deux députés dont lun est
révolutionnaire et lautre ne lest pas, quentre deux révolutionnaires, dont lun est député et lautre ne
lest pas (Robert de Jouvenel). La leçon de réalisme ou de cynisme, donnée par Machiavel souligne
lautonomie, pour utiliser un délicat euphémisme, entre la morale et la politique. Un État de ce nom,
affirmait le général de Gaulle, na pas des amis, mais des intérêts.Doù le recours, en tant que de
besoin, à laction militaire au Koweït et en Irak en vue de leur sauvegarde. De même, remarquait-il,
on ne doit jamais mentir au peuple, mais il nest pas interdit dêtre habile. Plus pragmatique, Lincoln
admettait quon peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps,
mais on ne peut pas tromper le peuple tout le temps.
Véritable caméléon, lhomme politique agit, selon les circonstances, à la manière du renard ou du
lion. Réussir est le plus clair du temps synonyme de trahir
4
. Talleyrand et Fouché, soit le vice appuyé
sur le bras du crime (Chateaubriand), démontreront au final que la trahison nest quune question de
dates (A. Thérive).
Ainsi, la politique stricto sensu sanalyse en une activité spécialisée, celle dune
minorité (la classe politique). Avec humour, Paul Valéry notait : La politique, cest
lart dempêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. Toutefois, une tendance
àlaréappropriation de la politique se dessine, car, selon Aristote, lhomme est naturel-
lement un animal politique.
b) Lacception extensive de la politique
6Entendu au sens large, le mot se comprend à laide de létymologie. Politique vient
du terme grec polis,quisignifiecité. La cité était le cadre spatial dans lequel les individus
se réunissaient. Son origine nous avertit par conséquent, quil sagit de relations entre les
personnes dans le cadre dune société organisée ou policée
5
. En dépit de son exiguïté et
de linstitution de lesclavage, la cité antique représentait une organisation politique per-
fectionnée préfigurant lÉtat moderne. Il suit de là, que la politique se rapporte aux indi-
vidus vivant en socté, lÉtat apparaissant, en définitive, comme la société des socs.
Loin dêtre une activité spécialisée, comme on lindiquait à linstant, elle se présente
désormais comme fondamentalement banalie,la chose de toutes et de tous.Enun
mot, cest le régime de la collectivité tout entière ou son mode dorganisation (R. Aron).
Dès lors, la politique napparaît plus sous laspect dun champ clos, mais dun univers sans rivages
ni frontières. En un mot, tout ce qui est humain est politique et vice versa. À la réflexion courante Je ne
moccupe pas de politique, Jules Renard répliquait : Cest comme si vous disiez, je ne moccupe pas de
la vie ! Bref, si lon ne sintéresse pas de la politique, celle-ci sintéresse à chacun dentre nous, en
déterminant notre condition.
Il appartient, dès lors, au droit de systématiser la condition de lhomme au milieu de
ses semblables. Dune façon plus précise, le droit constitutionnel détermine les relations
4. V. D. JEAMBAR et Y. ROUCAUTE,Éloge de la trahison, 1988 ; P. LENAIN,Le mensonge politique,
1988 ; M. ABÉLÈS,Un ethnologue à lAssemblée, 2000
5. En sollicitant les ressources de la sémantique, on observe que politique et politesse sont unies par une
même racine, à la manière du livre de Jean-Jacques Rousseau (Du contrat social ou principes du droit
politique, 1762).
INTRODUCTION LA PRÉSENTATION DU DROIT CONSTITUTIONNEL
21
entre lindividu et la société, entre la liberté dont celui-là est investi et lautorité dont
celle-ci se nourrit. Si le droit est larmature de la société, le droit constitutionnel en
constitue, à nen pas douter, la matrice. Lexamen de la condition de la politique en
témoigne.
2. La condition de la politique
7Emmanuel Mounier prétendait que si la politique nest pas tout, elle en est tout.De
fait, lactivité humaine est marquée de son empreinte indélébile
6
. Elle présente, à cet
effet, deux caractères, que lon voudrait envisager succinctement : un aspect contrasté,
dune part, et rationalisé,dautre part.
a) Le caractère contrasté de la politique
8La politique relève dun paradoxe, dans la mesure où elle rapproche les individus,
tout en les opposant. Tel le dieu Janus des Anciens, elle se présente, dans un même
mouvement, sous laspect dune communion et dune ségrégation.
Communion, à partir de linstant où elle est inhérente à la condition humaine. Sans
verser dans le truisme, on observe que tout est politique dans une société, où chacun la
pratique, à linstar de M. Jourdain, en lignorant ou en sen défendant.
α)
La politique illustrée
9Pour sen tenir à des exemples hétéroclites, le sport ne relève pas de la neutralité : la victoire de
léquipe de France dans la coupe du monde de football en 1998 a célébré lunion de la Nation dans sa
diversité ethnique. Par ailleurs, on sait que la gestion des relations internationales sollicite régulière-
ment le canal sportif (la diplomatie du ping-pong entre les États-Unis et la Chine ; celle du cricket
entre lInde et le Pakistan). En certaines circonstances, une âme politique pourra être attribuée à un
objet (le TGV change les mentalités en intégrant Paris aux régions) ; à un fait atmosphérique (le
réchauffement climatique) ; à Internet à travers les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) voire même à
une activité sociale (les apéros géants). Un certain vocabulaire (celui du politiquement correct) cultive
leuphémisme ou la langue de bois. Au nom de la sécurité alimentaire, manger est devenu un acte
politique. Reste que la guerre, selon Clausewitz, est une simple continuation de la politique par dau-
tres moyens.
Au passage, lapolitisme mérite, à ce titre, dêtre récusé. Un non-sens tout au plus, ou pis encore,
une forme dhypocrisie dissimulant le conservatisme, cest-à-dire le maintien de lordre politique exis-
tant
7
. On se prend à parodier Musset : haïr la politique, cela se peut, mais la nier, quelle plaisanterie !
Ainsi, la politique est-elle gage de cohésion du groupe humain, tout en introduisant une opposition
entre ses membres.
β)
La politique différenciée
10 À cet égard, la politique participe de la ségrégation, peu importe, au demeurant, la
société au sein de laquelle elle se manifeste : de la plus grande (lÉtat) à la plus petite (le
couple) ; de la permanente (lentreprise) à léphémère (jeux enfantins) ; de la forme la
plus respectable (la démocratie) à la plus détestable (la monocratie). Pourquoi en est-il
6. À telle enseigne que lÉglise catholique a proclamé, en novembre 2000, Thomas More, ancien chan-
celier du roi Henry VIII dAngleterre, mort en martyr, en 1535, saint patron des hommes politiques.
7. On connaît, à ce propos, la réplique fameuse dAlain : Lorsquon me demande si la coupure entre
partis de droite et de gauche, hommes de droite et hommes de gauche, a encore un sens, la première idée
qui me vient est que lhomme qui pose cette question nest certainement pas un homme de gauche.
DROIT CONSTITUTIONNEL ET INSTITUTIONS POLITIQUES
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de la sorte ? Parce que la politique secrète une force, ou développe, si lon préfère, une
énergie particulière que lon appelle le pouvoir. Or, les manifestations de ce dernier,
dans lattente de lavènement du paradis terrestre (démocratie directe ou autogestion),
sont immuables dans le temps et lespace. Elles se traduisent nécessairement par lexis-
tence de relations inégalitaires, entre les titulaires et les destinataires du pouvoir, entre
ceux qui commandent et ceux qui obéissent ; entre ceux, enfin, qui conduisent la société
et ceux qui sont dirigés. Dans un raccourci fameux, le doyen Léon Duguit distinguait
les gouvernants et les gouvernés
8
;les Anglo-américains, pour leur part, opposent les
leaders aux followers. Une division grosse de domination et de contestation à base de
privilèges, pour les uns, et de sujétions, pour les autres. Fascination et prévention, le
pouvoir est intrinsèquement une notion valorisée autant que relativisée. Il désigne un
mode daction ou dinfluence de certains individus sur dautres (le harcèlement sexuel
ou moral dans le monde du travail) sans cesse renouvelé
9
. De fait, le pouvoir demeure
inachevé à limage de la destinée humaine, telle la mer, la mer toujours recommencée
(P. Valéry). Jai fait ce que jai pu : la devise du chancelier Willy Brandt savère être
une admirable leçon dhumilité pour les gouvernants.
γ)
La politique intériorisée
11 Les actes politiques sont, par suite, habituellement le fait des gouvernants. Sans doute, les gouver-
nés sont partie prenante à la vie politique, tout au moins dans les régimes pluralistes (adhésion à un
parti, participation à des réunions publiques, à des manifestations, expression de leur volonté ou de leur
choix à lissue dune élection ou dun référendum).
Ceux qui exercent une action sur dautres hommes, qui les entraînent à prendre telle ou telle atti-
tude ou, au contraire, à sabstenir dans telle ou telle circonstance, sont réputés détenir le pouvoir.Un
chef de gouvernement ou dentreprise, le président dun club sportif, un secrétaire de syndicat, le digni-
taire dune église, un enseignant a fortiori, détiennent du pouvoir, parce quils sont à même dentraîner
dautres personnes à penser ou à œuvrer dans tel ou tel sens.
De ce point de vue, on peut inciter celles-ci à agir de bien des façons, mais les deux moyens prin-
cipaux de la régulation sociale sont, en dehors de la croyance (gouverner cest faire croire, prétendait
Machiavel), la persuasion et la contrainte. On peut, tout dabord, chercher à peser sur la volonté
humaine par la parole ou par lécrit, en sattachant à démontrer la nécessité, lutilité, lintérêt ou lagré-
ment de tel objectif. La parole est, sans doute, le mode de persuasion principal. Presque tous les grands
meneurs dhommes sont des bons orateurs, sachant généralement joindre le geste à la parole. On
connaît le rôle grandissant des conseillers en communication (spin doctors, en anglais) dans les entou-
rages politiques notamment au moment des élections. Mais, la persuasion ne suffit pas toujours et le
recours à la contrainte, ultimum remedium, est parfois nécessaire. Georges Pompidou ladmettait ouver-
tement : Gouverner, cest contraindre. Contraindre les individus àse plier àdes règles, dont chacune, à
tout moment, va contre lintérêt immédiat de tel ou tel.
Cette dernière est toujours à larrière-plan et parfois utilisée, en ce sens que lÉtat a le monopole de
la contrainte légale. Il existe aussi des régimes ou des groupes politiques qui cèdent au terrorisme et
pratiquent la violence
10
. Mais, cette régression ne saurait laisser indifférent, car elle est antinomique
dune authentique culture politique.
Au total, il existe des phénomènes politiques à lintérieur de toute société et tout
particulièrement au sein de lÉtat, objet de la sollicitude du constitutionnaliste. Ces phé-
nomènes sont complexes, mais aussi et surtout conflictuels, dans la mesure où des
8. La formule apparaît déjà sous la plume de Gracchus Babeuf, en 1796, dans le Manifeste des Égaux.
9. V. J. BAECHLER,Le pouvoir pur, 1978 ; J. K. GALBRAITH,Anatomie du pouvoir, 1985 ;
M. FOUCAULT,Deux essais sur le sujet et le pouvoir in H. DREYFUS et P. RABINOW,Michel Foucault,
un parcours philosophique, 1984, p. 297 ; L. SFEZ,La symbolique politique, 1988.
10. V. G. BOISMENU et J.-J. GLEIZAL (sous la direction), Les mécanismes de régulation sociale, 1988 ;
I. SOMMIER,Le terrorisme, 2000.
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