de la sorte ? Parce que la politique secrète une force, ou développe, si l’on préfère, une
énergie particulière que l’on appelle le pouvoir. Or, les manifestations de ce dernier,
dans l’attente de l’avènement du paradis terrestre (démocratie directe ou autogestion),
sont immuables dans le temps et l’espace. Elles se traduisent nécessairement par l’exis-
tence de relations inégalitaires, entre les titulaires et les destinataires du pouvoir, entre
ceux qui commandent et ceux qui obéissent ; entre ceux, enfin, qui conduisent la société
et ceux qui sont dirigés. Dans un raccourci fameux, le doyen Léon Duguit distinguait
les gouvernants et les gouvernés
8
;les Anglo-américains, pour leur part, opposent les
leaders aux followers. Une division grosse de domination et de contestation à base de
privilèges, pour les uns, et de sujétions, pour les autres. Fascination et prévention, le
pouvoir est intrinsèquement une notion valorisée autant que relativisée. Il désigne un
mode d’action ou d’influence de certains individus sur d’autres (le harcèlement sexuel
ou moral dans le monde du travail) sans cesse renouvelé
9
. De fait, le pouvoir demeure
inachevé à l’image de la destinée humaine, telle la mer, la mer toujours recommencée
(P. Valéry). J’ai fait ce que j’ai pu : la devise du chancelier Willy Brandt s’avère être
une admirable leçon d’humilité pour les gouvernants.
γ)
La politique intériorisée
11 Les actes politiques sont, par suite, habituellement le fait des gouvernants. Sans doute, les gouver-
nés sont partie prenante à la vie politique, tout au moins dans les régimes pluralistes (adhésion à un
parti, participation à des réunions publiques, à des manifestations, expression de leur volonté ou de leur
choix à l’issue d’une élection ou d’un référendum).
Ceux qui exercent une action sur d’autres hommes, qui les entraînent à prendre telle ou telle atti-
tude ou, au contraire, à s’abstenir dans telle ou telle circonstance, sont réputés détenir le pouvoir.Un
chef de gouvernement ou d’entreprise, le président d’un club sportif, un secrétaire de syndicat, le digni-
taire d’une église, un enseignant a fortiori, détiennent du pouvoir, parce qu’ils sont à même d’entraîner
d’autres personnes à penser ou à œuvrer dans tel ou tel sens.
De ce point de vue, on peut inciter celles-ci à agir de bien des façons, mais les deux moyens prin-
cipaux de la régulation sociale sont, en dehors de la croyance (gouverner c’est faire croire, prétendait
Machiavel), la persuasion et la contrainte. On peut, tout d’abord, chercher à peser sur la volonté
humaine par la parole ou par l’écrit, en s’attachant à démontrer la nécessité, l’utilité, l’intérêt ou l’agré-
ment de tel objectif. La parole est, sans doute, le mode de persuasion principal. Presque tous les grands
meneurs d’hommes sont des bons orateurs, sachant généralement joindre le geste à la parole. On
connaît le rôle grandissant des conseillers en communication (spin doctors, en anglais) dans les entou-
rages politiques notamment au moment des élections. Mais, la persuasion ne suffit pas toujours et le
recours à la contrainte, ultimum remedium, est parfois nécessaire. Georges Pompidou l’admettait ouver-
tement : Gouverner, c’est contraindre. Contraindre les individus àse plier àdes règles, dont chacune, à
tout moment, va contre l’intérêt immédiat de tel ou tel.
Cette dernière est toujours à l’arrière-plan et parfois utilisée, en ce sens que l’État a le monopole de
la contrainte légale. Il existe aussi des régimes ou des groupes politiques qui cèdent au terrorisme et
pratiquent la violence
10
. Mais, cette régression ne saurait laisser indifférent, car elle est antinomique
d’une authentique culture politique.
Au total, il existe des phénomènes politiques à l’intérieur de toute société et tout
particulièrement au sein de l’État, objet de la sollicitude du constitutionnaliste. Ces phé-
nomènes sont complexes, mais aussi et surtout conflictuels, dans la mesure où des
■8. La formule apparaît déjà sous la plume de Gracchus Babeuf, en 1796, dans le Manifeste des Égaux.
■9. V. J. BAECHLER,Le pouvoir pur, 1978 ; J. K. GALBRAITH,Anatomie du pouvoir, 1985 ;
M. FOUCAULT,Deux essais sur le sujet et le pouvoir in H. DREYFUS et P. RABINOW,Michel Foucault,
un parcours philosophique, 1984, p. 297 ; L. SFEZ,La symbolique politique, 1988.
■10. V. G. BOISMENU et J.-J. GLEIZAL (sous la direction), Les mécanismes de régulation sociale, 1988 ;
I. SOMMIER,Le terrorisme, 2000.
INTRODUCTION LA PRÉSENTATION DU DROIT CONSTITUTIONNEL
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