LES DOULEURS DES GESTES INVASIFS : CAUSES, TRAITEMENTS, PREVENTION Journée du Réseau de Cancérologie d’Aquitaine Mardi 17 Octobre 2006 Dr Francis ANDRIAMAMPIONONA CH ST CYR Consultation Douleurs Chroniques Gériatrie HISTORIQUE Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la douleur induite par les soins était considérée comme le prix à payer pour obtenir la guérison. Chirurgie et extractions dentaires en étaient les grandes pourvoyeuses. L’extraordinaire développement des anesthésies générales et loco-régionales allait la gommer alors que la pratique de gestes invasifs diagnostiques ou thérapeutiques pratiqués en dehors des blocs opératoires se multipliait. Toutefois, le patient n’était pas toujours informé de cette douleur associée, considérée par l’équipe comme habituelle, parfois gênante pour le déroulement du geste. LE CHOIX DES MOTS Sous l’impulsion du plan national, de nombreuses études et publications ont abordé la « douleur provoquée », selon la terminologie initialement proposée. Cette réflexion a mis en évidence l’ampleur du sujet, la variété des situations et aussi la profusion de termes utilisés souvent de façon interchangeable : provoquée, iatrogène, associée, liée, induite… Notre but est ici de proposer des pistes pour une terminologie plus homogène. DEFINITIONS DOULEUR PROVOQUEE : Se dit d’une douleur intentionnellement provoquée par le médecin (ou un soignant) dans le but d’apporter des informations utiles à la compréhension de la douleur. Ex: recherche d’un signe de Lasègue, recherche d’une allodynie DOULEUR IATROGENE : Se dit d’une douleur causée par le médecin (ou son traitement) de façon non intentionnelle, de fréquence aléatoire, dont la prévention n’est pas facile à réaliser . DOULEUR INDUITE : Se dit d’une douleur, de courte durée, causée par le médecin, le soignant ou une thérapeutique dans des circonstances de survenue prévisibles et susceptibles d’être prévenues par des moyens adaptées. On précisera la situation qui induit la douleur. Dans ces situations, de nombreux protocoles sont aujourd’hui disponibles et doivent être mis en œuvre. IMPLICATIONS CLINIQUES En l’absence de prévention et de traitement rapide de la douleur aiguë, il existera une sensibilisation des nocicepteurs, à l’origine d’un passage à la chronicité. ETATS GENERAUX DE LA DOULEUR La prévention de la douleur induite par les soins reste cependant encore insuffisante dans les établissements de santé en France, comme le montre une enquête nationale présentée aux assises nationales de la douleur. Les réponses obtenues auprès de 438 établissements montrent qu’un quart d’entre eux proposent rarement, voire jamais un moyen analgésique ou sédatif avant un geste douloureux. Prenons les exemples de soins très techniques et de soins de pratique plus courante. Dans un plateau de technique interventionnelle Développement considérable des actes diagnostiques et/ou thérapeutiques invasifs dans la dernière décennie. Développement de techniques nouvelles dans plusieurs disciplines, notamment (mais non exclusivement) la radiologie et la gastro-entérologie, qui sont venues s’ajouter aux prises en charge déjà existantes ou, dans d’autres cas, se substituer à des explorations chirurgicales jusque-là pratiquées au bloc opératoire. Confrontation des médecins et des soignants à de nouvelles stratégies de prise en charge anesthésique et/ou analgésique. Certains proposent d’étendre la pratique de l’analgésie et de la sédation pour procédure interventionnelle aux médecins de diverses spécialités, voire aux infirmiers, sous réserve d’un apprentissage des techniques. Selon une enquête menée en 1996, 20% de l’activité anesthésique globale est réalisée en dehors du bloc opératoire. Les actes effectués en secteur radiologique occupent la seconde position derrière les endoscopies digestives. La radiothérapie peropératoire, la curiethérapie et la brachythérapie des tumeurs cancéreuses, réalisées dans des secteurs radioprotégés très spécifiques des CRLCC ne sont que mentionnées; de même que les chimiohyperthermies (CHIP) peropératoires des carcinoses péritonéales et des néoplasies pleurales diffuses, primitives ou métastatiques, qui relèvent de la pratique du bloc opératoire. Les modalités d’anesthésie et d’analgésie pendant la réalisation d’une endoscopie varient selon le geste réalisé : *endoscopie haute *coloscopie *cholangiopancréaticographie rétrograde endoscopique *échoendoscopie L’emploi de morphiniques d’action rapide et de demi-vie courte est fréquente. Ces actes peuvent être douloureux et sont toujours vécus comme déplaisants ou très déplaisants par les patients. L’imagerie interventionnelle: La liste des actes pratiqués s’allonge très régulièrement et ne seront mentionnés que les plus couramment pratiqués, pouvant être sources de douleur : *le traitement des MAV par embolisation et celui des anévrysmes intracraniens par occlusion * les désobstructions artérielles par angioplastie *les embolisations pour réduire la vascularisation de tumeurs, dans le cadre de l’urgence chez le polytraumatisé (plaies hépatiques, rénales…) et chez la parturiente lors d’hémorragies de la délivrance; la douleur est due aux lésions mais également aux conséquences ischémiques du geste *mise en place percutanée de stents digestifs et biliaires, néphrostomie percutanée, TIPS (transjugular intrahepatic portosystemic shunt) La tomodensitométrie interventionnelle : *les alcoolisations tumorales dans un but antalgique et de lyse des cellules tumorales, *les blocs neurolytiques splanchniques ou du ganglion coeliaque, ou dans le traitement des spasticités douloureuses des membres avec risque de brûlures intenses (peuvent nécessiter une analgésie morphinique intraveineuse de courte durée ou une sédation monitorée, ou faire bénéficier d’une injection première d’un anesthésique local mais peut gêner le repérage du tronc nerveux) *les vertébroplasties et les cimentoplasties, pour traiter les angiomes vertébraux agressifs ainsi que pour les envahissements tumoraux et les fractures *Les techniques de destruction par radiofréquence (courant électrique alternatif de haute fréquence introduite dans les tissus tumoraux qu’une électrode représentée par une aiguille va détruire par une température comprise entre 70 et 90°C, thermo-exérèse) pour les tumeurs hépatiques primaires ou secondaires inaccessibles à la chirurgie, ainsi que sur des tumeurs osseuses ou rénales, peuvent être douloureuses au temps de destruction tumorale, la phase postopératoire est aussi très algogène. *Les techniques de coagulation au laser, s’adressent pour l’essentiel aux ostéomes ostéoïdes très algogènes et préférentiellement localisées aux os longs. Ce geste est très douloureux, notamment dans la phase de repérage et lors de la coagulation, par condensation de vapeur dans le foyer lésionnel. L’analgésie fait appel aux morphiniques, aux blocs nerveux tronculaires et/ou aux injections souspériostées d’anesthésiques locaux. Les principes généraux de l’analgésie en radiologie interventionnelle et en endoscopie : Le malade doit sortir sans douleur du plateau technique et les conditions ultérieures de l’analgésie être prévues et anticipées. L’absence d’analgésie est une contre-indication à la sortie du patient. Pendant l’acte interventionnel, certains gestes ne nécessitent pas de recours aux morphiniques ; les AINS sont fréquemment utiles en l’absence de contre-indications. Le Paracétamol injectable peut s’avérer utile pour des douleurs d’intensité modérée. Une anesthésie locale ou locorégionale peut être associée à une sédation monitorée. Le MEOPA peut également être une alternative. Quels sont les soins et les actes de pratique plus courante qui font mal ? Les soins de pratique courante sont très souvent douloureux. Il ne faut jamais méconnaître la douleur provoquée par les soins ni la banaliser. Les personnels de santé ont à leur disposition des moyens pour prévenir et soulager la douleur lors : *de pose de sonde, cathéter ou chambre implantable, *de prélèvements sanguins veineux, artériels, *de ponctions veineuses périphériques, centrales, artérielles, de chambre implantable, de ponctions lombaire, pleurale, hépatique, d’ascite, de moelle osseuse ou de biopsie médullaire ou hépatique, *de mise en place de perfusion, d’injections intra-veineuses, *des pansements (plaies, cicatrices, escarres, ulcères) *des soins d’hygiène et de confort (toilette, réfection du lit, installation ou mobilisation du malade), *des soins de cathéters veineux et artériels, de poche de colostomie, de sonde de gastrostomie, * des transports ou mobilisationsinstallations pour examen (radiologie…) ou traitement (radiothérapie…) *de points de suture, de soins dentaires, *de séances de rééducation. Plus je fais d’examens, plus j’ai mal ! Des soins douloureux qui se répètent sont de plus en plus difficiles à supporter. La hantise de leur retour augmente l’anxiété du malade et renforce sa perception de la douleur. Les soins deviennent de plus en plus difficiles et plus longs à dispenser. Faites quelque chose pour m ’éviter d’avoir mal ! En dehors d’un traitement antalgique, avant tout soin, quelques impératifs sont à observer : évaluer l’appréhension du malade, planifier le soin, regrouper les soins douloureux (effectuer un seul prélèvement sanguin au lieu de trois), informer la personne sur le déroulement du soin (différentes étapes, heure, lieu, durée, délai d’action du traitement antalgique), choisir du matériel adapté au soin, réfléchir avant d’administrer un nouveau soin à quelqu’un qui en reçoit beaucoup. Quels sont les médicaments qui empêchent d’avoir mal? Il n’est pas toujours possible de faire disparaître totalement la douleur lors des soins. Sauf exception, les médicaments de niveau 1 et 2 sont insuffisants pour contrôler efficacement ce type de douleur. Par contre, cette douleur peut être fortement atténuée par : *les anesthésiques topiques de la peau ou des muqueuses (patch, crème anesthésiante, infiltration tissulaire, spray local, gel de lidocaïne); *l’inhalation de MEOPA, association d’une analgésie de surface et d’un effet anxiolytique pour des soins douloureux de courte durée; *les antalgiques de niveau 3 en tenant compte du délai d’action du produit (généralement une heure pour la morphine orale) *la prise en charge de l’anxiété (anxiolytique, relaxation). *élaborer des protocoles pour chaque soin douloureux est particulièrement recommandé. Comment choisir et ajuster un traitement antalgique ? Avant tout geste potentiellement douloureux, les professionnels de santé ont à prévenir la douleur et à mettre en œuvre un traitement adapté. Le type d’antalgique, la dose, la voie et l’heure d’administration dépendent du soin à dispenser, du traitement antalgique, de l’état clinique de la personne et du déroulement des soins antérieurs. Observer la personne pendant et après le soin, l’inciter à exprimer ce qu’elle ressent, à dire quand il faut arrêter ou interrompre le soin, à évaluer le niveau de sa douleur, favorisent une prise en charge personnalisée et adaptée (autres doses du même médicament, association d’un autre). Peut-on atténuer ma douleur par d’autres moyens que les médicaments ? Pour réaliser un soin dans des conditions optimales, il faut installer la personne dans une position adaptée à son état physique, donner des explications pendant le soin, veiller au calme de l’environnement, entretenir un état de décontraction (inciter à respirer calmement, dévier l’attention par le dialogue), user de gestes doux, habiles, attentifs. Rester empathique et rassurant avant et pendant le soin est fondamental. Faire en sorte que la personne ait bien compris l’information sur le soin qu’elle va recevoir et le protocole antalgique choisi. Au besoin, s’entourer d’un interprète ou d’un familier. CONCLUSION La prévention et le soulagement des douleurs induites par les soins sont devenus une exigence éthique, légale et surtout un indicateur de la qualité du système de santé. Si les moyens antalgiques existent, l’effort doit porter sur leur application par des personnels formés et en nombre suffisant pour garder toute sa valeur à la relation soignant-soigné.