Cadre géographique, structures sociales et anthropologiques

COURS DU 12 OCTOBRE 2010
Cadre géographique, structures sociales et anthropologiques
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L’islam n’apparaît pas dans la péninsule Arabique comme un éclair dans un ciel serein. Avant même la prophétie muhammadienne,
les Arabes croient au pouvoir des devins. Ils sont prêts à recevoir un message.
Ils révèrent les kâhin, les devins, et les hakîm, les savants, qui peuvent dévoiler l’inconnu en oracles formulés en prose rimée (saj’),
c'est-à-dire que même d’un point de vue formel aussi, l’islam et le coran n’apparaissent pas dans un monde analphabète.
Le kâhin et le hakîm étaient souvent sollicités comme arbitres en cas de conflits, en raison des pouvoirs surnaturels qui leur étaient
attribués et qui garantissaient la validité de leur jugement.
Par ailleurs, dans les cas de polythéisme, tendance à la valorisation d’un des dieux. Essor du judaïsme et du christianisme. Tendance à
occulter pendant longtemps cette évolution antérieure à l’islam, pour faire apparaître celui-ci comme un miracle.
I- Un milieu prévaut un équilibre précaire
L’islam apparaît dans un milieu difficile.
L’irrégularité et la faiblesse des précipitations empêchent le développement de cultures pluviales et favorisent le pastoralisme et
l’itinérance.
Importance des puits et des sources, qui seuls permettent l’irrigation, et sont les points de fixation d’îlots de peuplement
séparés par de vastes étendues vides, parcourues par les pasteurs nomades qui s’abritent sous des tentes.
En raison de l’aridité, de la pauvreté des sols, de l’étroitesse des zones habitables et de la faiblesse du potentiel hydrologique, les
déserts de la péninsule Arabique ne peuvent supporter une population importante.
Face au défi du milieu, les habitants ont apporter des réponses adaptées pour survivre et se reproduire.
Les points d’eau polarisent le peuplement sédentaire en permettant l’agriculture grâce à des techniques élaborées d’irrigation
(norias, canalisations souterraines) et à l’utilisation des espèces les plus résistantes (palmier dattier, olivier).
Les touffes d’herbe et les plantes xérophytes de la steppe et du désert permettent l’élevage (ovin et caprin) réservé aux
pasteurs nomades.
Ainsi se développe un paysage spécifique les contrastes sont violents : le vert des palmeraies et des oasis et le noir des
tentes bédouines tachetant l’or du désert.
La poésie arabe préislamique n’a cessé de chanter les ressources du désert, les vestiges des campements du temps passé et
les instruments de la survie des bédouins : chameaux, dattes, eau. La religion musulmane est née dans ce milieu, elle en est un produit.
Dans cet environnement difficile, la préoccupation principale est la pérennité du groupe.
1. La tribu
Le mode de vie du désert est conditionné par l’impératif de survie.
La segmentation de la société en tribus, qui a permis aux anthropologues de parler de la « structure segmentaire » des sociétés
musulmanes, est une autre réponse des hommes du désert.
La tribu, de quelques centaines à quelques centaines de milliers d’individus, est une entité relativement autonome, repliée sur elle-
même, tournée vers la défense et la reproduction du groupe.
Cette organisation s’accorde parfaitement aux conditions de vie précaires.
Le but ultime est de sauver le clan, au besoin en sacrifiant les bouches inutiles. La mortalité est élevé. La taille optimum du clan est
sans doute comprise entre 400 et 1 200 individus. Le clan doit demeurer mobile avec les chameaux, solidarité liée au lignage
agnatique et non au lieu. La solidarité de la qabīla/tribu est liée à filiation par le père, au nasab/généalogie par les pères.
Ce clan s’organise autour d’un dār/maison large, qui s’organise en plusieurs bayt/pièce dans la maison large. Ce n’est pas une
structure fermée, même si elle est repliée sur elle-même : il existe en effet des structures d’assimilation des étrangers dans la tribu par
le sang, par le voisinage, (ǧār, voisin), l’alliance qui concerne le (alīf, allié), le clientélisme (mawlá, adopté, maître, serviteur).
L’isolé, suʿlūk, a de la peine à survivre.
Une famille a la primauté, fournit le sayyid/seigneur ou le šay/vieillard d’expérience sans prépondérance ni de la filiation directe ni
de la primogéniture, jamais un enfant ne peut se voir attribuer l’autorité, pas de régence, pas de femme au pouvoir. Le pouvoir doit
être régulièrement rendu à la tribu au décès du chef.
La sagesse du šay, recours à des assemblées qui donnent la bayʿa/investiture orale, le sayyid reçoit le quart du butin, le prix du sang
ou paiement d’une diya’/rachat du sang versé, loyauté à l’égard du groupe.
La razzia, menée contre les agriculteurs sédentaires de certaines oasis, et le vol du bétail des tribus rivales sont des activités
complémentaires largement codifiées.
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Le sang est rarement versé, car la vie est chère, et des mois de trêve permettent la tenue de marchés et la vente du bétail.
L’opposition aux autres tribus donne un caractère guerrier à ces pasteurs mobiles qui s’abritent sous des tentes noires en peau de
chèvre.
2. Hospitalité
À l’« esprit nomade » se rattache la iyāfa, l’hospitalité.
Cette institution se rapporte au droit coutumier des nomades et elle vise à assurer la protection au ayf ou dāḫil (l’« hôte ») qui la
requiert dans des formes traditionnelles.
Ce droit d’asile, probablement fort ancien, est attesté dans tout le monde sémitique.
Cette notion, qui ne s’est pas intégrée au droit musulman, reste encore très vivante.
Elle a souvent permis, malgré l’insécurité régnante, l’essor d’un négoce fondé sur une politique d’échanges entre les oasis et la steppe.
3. Honneur
Le rapprochement de la carte des structures familiales avec celle de l’expansion territoriale de la civilisation musulmane évoque
aussi des permanences anthropologiques.
La protection du groupe se traduit en effet dans le statut particulier des femmes, qui constituent le capital humain le plus précieux. Ce
n’est pas propre à l’islam : judaïsme et christianisme aussi (cf Sicile, Corse)
Les femmes doivent être conservées et protégées pour permettre la reproduction de l’espèce. Cette fonction originelle,
essentiellement biologique, des femmes dans les peuples du désert a profondément marqué la civilisation musulmane et se prolonge
aujourd’hui dans le statut particulier des femmes dans les mondes arabe, turc et irano-pakistanais.
La stratégie du mariage et du rapt vise à conserver ses jeunes mâles grâce à la ʿaabiyya/solidarité de sang. Il faut prendre les filles
des groupes inférieurs pour augmenter le nombre d’enfants entre les périodes de famine.
Milieu caractérisé par la rudesse, amasa/courage guerrier, le asab/noblesse personnelle, l’honneur ou la réputation, l’hospitalité. al-
asab wa l-nasab, la noblesse de caractère et d’origine.
En outre les contraintes du milieu et la structure segmentaire de la population et du peuplement expliquent la diffusion de
l’endogamie dans toutes les sociétés tribales des déserts et des steppes, chauds et froids, d’Arabie, d’Asie Centrale et du Sahel. Dans
ces sociétés du harem et des cousins (Tillion, 1966), de la protection de l’honneur féminin et de l’endogamie, un individu épouse de
manière préférentielle la fille du frère de son père.
La femme est détentrice de l’honneur de la famille, elle est propriété du père, du frère, puis du mari.
Aujourd’hui encore, malgré de nombreuses évolutions, la femme passe, au cours de sa vie, d’une tutelle à une autre. La diffusion de
ce modèle de famille communautaire endogame est une spécificité des mondes arabe, berbère et turco-iranien, du Maghreb au
Tadjikistan, en passant par l’Afghanistan, l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan, recouvrant une bonne partie des déserts
et des steppes d’Afrique et d’Asie.
Si le mariage endogame n’est pas une création musulmane, l’islam l’a organisé et réglementé en interdisant par exemple les pratiques
pharaoniennes ou zoroastriennes des unions entre frères et sœurs, entre oncle et nièce, ou tante et neveu.
La civilisation musulmane se serait ainsi étendue de manière privilégiée dans les régions les obligations exogamiques n’étaient pas
trop fortes (Todd).
Aux femmes sont réservés l’intérieur de la maison, les activités domestiques et la gestion des biens.
Dans les campements et sous la tente, elles sont tenues éloignées du regard des autres hommes par une cloison.
L’espace des femmes et celui des hommes ne se recoupent qu’au sein de la famille proche, bref tous ceux avec qui le mariage est
impossible : les autres femmes, les parents, les frères et les oncles.
L’espace public et les relations avec les autres tribus sont réservés aux hommes. Quand les femmes apparaissent en public, c’est
cachées au regard des hommes par un voile qui projette à l’extérieur le cloisonnement domestique.
4. Lignages et patrilinéarité
À l’exception de certains groupes d’Afrique occidentale, le monde tribal est cloisonné en familles patriarcales.
Présentation traditionnelle de la société arabe, très patrilinéaire ; en fait, pour Yathrib et les Yéménites, des traces de matrilinéarité.
Le rôle structurant de la parenté paternelle a garanti un repli des groupes sur eux-mêmes, les a juxtaposés les uns aux autres,
individus ou clans, à l’intérieur de lignées ou de coalitions de lignées.
cohésion interne par des généalogies patrilinéaires
Un ancêtre éponyme donne souvent son identité au groupe.
Jusqu’à l’époque contemporaine, les généalogies ont fleuri dans tout le monde musulman.
EXEMPLE : Les rivalités entre tribus arabes ont été exportées dans la péninsule Ibérique aux VIIIe et IXe siècles ou en Asie Centrale.
Le rattachement à la famille du prophète, ou à un ancêtre musulman prestigieux, par une série plus ou moins longue
d’intermédiaires a été, du Maghreb à l’Indonésie, un puissant facteur de notabilité et de légitimité pour les souverains.
C’est un faisceau d’interrelations dans lesquelles sont pris les individus et qui fonctionnent comme autant de pôles identitaires
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concurrents de l’appartenance au monde de l’islam.
Double encadrement de l’individu : À l’encadrement horizontal incarné par les solidarités tribales ou claniques, répondent les
encadrements verticaux (générationnels).
Le clan, ou le sous-clan, sert traditionnellement de système de sécurité, d’organisation judiciaire et d’unité de solidarité en période de
guerre, les décisions étant prises par le conseil des anciens.
Dans ce système fortement décentralisé, la religion assume souvent le rôle de force d’unité.
II- Un monde nomade
1. L’islam : une religion pour les nomades ?
L’adéquation entre les limites de l’Islam et ces grandes régions du nomadisme mondial a permis de conclure à une synergie entre
la religion musulmane et les sociétés le nomadisme occupe une place importante.
En effet, quoique la prédication de Muammad ait pris naissance dans un milieu urbain, la nouvelle religion semble profondément
marquée par le mode de vie nomade.
On peut se demander d’ailleurs si La Mecque et Yarib constituaient réellement des villes.
Ne s’agissait-il pas plutôt d’un groupement de tentes, en contact constant avec le monde des pasteurs qui contrôlaient les routes
caravanières, ces noyaux d’habitat permanent reproduisant à une échelle locale l’organisation tribale de la péninsule Arabique ?
Face aux études qui insistaient sur le « caractère urbain » de la religion musulmane, l’anthropologue Joseph Chelhod a insisté sur
l’influence du mode de vie nomade, influence que l’on retrouve dans la simplicité et la souplesse très grandes des rites :
un tapis suffit pour faire la prière
même la prière du vendredi perd son caractère obligatoire dans le désert
le sable peut convenir pour les ablutions c’est la lustration pulvérale (tayammum), prévue par le Coran (IV, 43 et V,
6) ;
l’embryon de clergé que connaissait, à La Mecque, le paganisme arabe est supprimé ;
l’absence de sacrements est parfaitement adaptée à l’errance des pasteurs ;
le sacrifice rituel, legs direct de la vie pastorale, est maintenu…
Qu’on lui attribue une image positive ou négative, le nomadisme est un élément structurant de la civilisation musulmane.
Le nomade peut être dépeint comme l’archétype de l’homme éloquent, pourvu de nombreuses vertus parmi lesquelles le courage,
l’honneur, la vivacité d’esprit et l’empathie avec le milieu : tous les hommes obéissent à des lois, mais le privilège du nomade serait
de n’obéir à aucun ordre humain, à aucun règlement conventionnel.
Dans les grands noyaux de sédentarité que constituent les villes, l’errance du nomade se construit durablement en mythe des
origines : le désert arabe, les nomades, la douceur de l’oasis, les « vestiges du campement » l’on revient après plusieurs années et
l’on est pris de nostalgie… Umm Khalum dans sa chanson « al-Alāl » les vestiges »).
À l’heure de l’ordinateur, de l’attaché-case, du jet privé, le port des vêtements traditionnels (jellaba, keffieh) des émirs du Golfe,
qui se fournissent par ailleurs régulièrement dans les grandes maisons de la haute couture internationale, apparaît comme une
réminiscence affichée de l’origine bédouine des grandes familles princières.
D’autres textes, médiévaux ou contemporains, dépeignent le nomade comme un bandit des grands chemins et un fossoyeur de la
civilisation. L’irruption des nomades est alors décrite comme dévastation et régression.
2. Le grand mouvement des peuples nomades de la steppe et du désert
C’est grâce au chameau, apparu en Palestine vers 3 000 bc, en même temps que le buffle et avant le cheval, qui apparaît au Moyen
Orient, au IIe millénaire avant JC), que le grand nomadisme apparaît, plus indépendant des points d’eau, affrontant de fortes difficultés
dans les rapports avec la nature.
Régulièrement, l’équilibre entre les ressources disponibles et la population est rompu en raison d’une croissance
démographique excessive.
La quête de nouvelles ressources pousse alors les peuples du désert à chercher ailleurs des moyens de subsistance.
Les grandes respirations du nomadisme et les déplacements récurrents des peuples de la steppe sont une conséquence de la
précarité des conditions de vie.
La péninsule Arabique a fourni ainsi pendant plusieurs siècles un excédent démographique qui a favorisé les grandes
conquêtes arabes du VIIe siècle et le déplacement des Hilâliens au XIe siècle vers le Maghreb.
Les nomades ont été le fer de lance de la nouvelle religion, tant au début de l’islam que lors de l’intervention des « nouveaux
peuples », Berbères et Turcs seljukides au XIe siècle.
Toutes les sources confirment que les princes expédiaient délibérément vers les frontières de l’Islam les nomades du Sahara ou d’Asie
Centrale et que ces néophytes fournissaient le gros des combattants de la « guerre légale » (jihâd).
À partir du XIe siècle, les grands mouvements de populations se font dans le sens est-ouest et sud-nord et sont le fait des
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Turcs, des Mongols et des Berbères.
Les aires de nomadisme turco-mongole et arabo-berbère se complètent sans se concurrencer. Les nomades des ergs et
des déserts chauds d’Arabie étaient montés sur le dromadaire, relativement haut sur pattes, aux pieds fragiles.
Ce type d’animal souffre du froid. La montagne lui est donc interdite.
Quant aux Turcs, nomades des steppes froides et des montagnes continentales de l’Asie Centrale, ils utilisaient pour leurs
déplacements le chameau de Bactriane, à deux bosses, couvert d’une épaisse toison. De grande taille, mais allongé plutôt que haut,
trapu, au pied robuste, il peut s’adapter à la montagne, et de façon générale aux sols pierreux et aux pays difficiles et escarpés.
En revanche, la chaleur, surtout humide, lui est pénible.
Les montagnes, isolées au sein des zones chaudes, deviennent alors des zones refuges, obstacles décisifs à la
bédouinisation, souvent à l’arabisation (montagnes du Maghreb restées berbérophones, quoiqu’islamisées), parfois même à
l’islamisation (Mont-Liban ou hautes terres éthiopiennes).
D’autres accueillent les mouvements réprimés par les princes sunnites des plaines : Alaouites du Jabal Ansariyya, Druzes du
Jabal druze, Zaydites du Yémen, voire duodécimains des montagnes et des hauts-plateaux iraniens.
OPPOSITION ENTRE migrations pastorales à court rayon des semi-nomades, pratiquant l’élevage ovin ou caprin, ET les
gigantesques déplacements des nomades montagnards qui couvrent parfois des distances de plusieurs milliers de kilomètres.
Cette évolution fondamentale de la structuration sociale, religieuse et culturelle de cet ensemble continental conduit Xavier
de Planhol à parler de « bédouinisation généralisée » à l’époque médiévale.
Aussi, en Iran et en Asie Centrale, au XXe siècle, après plusieurs siècles de sédentarisation, le nombre de nomades reste-t-il
encore élevé.
En Turquie, en raison de la politique du gouvernement central de l’Empire ottoman, puis de la république turque, les
nomades ne sont plus que quelques dizaines de milliers.
Il n’en reste pas moins que l’islam de ces régions demeure fortement marqué par les bédouinisations médiévales dont l’ampleur a été
exceptionnelle.
3. Les traits culturels du nomadisme
Malgré la diversité linguistique, ethnique et religieuse des régions conquises, l’islam a réussi à s’imposer dans des sociétés
fortement marquées par le nomadisme et a donné un cadre religieux aux nomades.
Inversement le nomadisme porte en lui quelques traits culturels qui ont profondément marqué la civilisation musulmane.
L’art du tapis est l’un d’eux.
Avec les bijoux, les cuirs et les pièces d’orfévrerie, le tapis est un des rares éléments précieux du mobilier facilement transportable des
nomades.
Orfévrerie, travail du cuir et tissage des tapis sont ainsi aux fondements de leur artisanat.
Du Maghreb à l’Asie Centrale, les grands centres de production de tapis se sont multipliés, chacun avec son style.
Utilisés à titre individuel pour la prière dans le désert, les tapis sont massivement présents dans les mosquées traditionnelles des
grandes régions de nomadisme.
Le souvenir de ce trait culturel s’est conservé dans la figure du marchand de tapis et dans le thème littéraire du tapis volant, présent
dans de nombreux contes des Mille et une nuits.
4. Nomades et sédentaires
Même si les nomades ont menacé périodiquement les grandes villes des plaines du Moyen-Orient, du sub-continent indien, du
Maghreb et de Haute Égypte,
il ne faut pas avoir une image trop schématique de la séparation entre sédentaires et nomades, les premiers étant soumis à l’État, les
seconds incontrôlés.
Le clivage entre nomades et sédentaires passe en fait au sein même de la tribu : la cohésion du groupe naissant de la
complémentarité des activités (culture irriguée et sèche, élevage et commerce). En outre l’interpénétration des genres de vie est
partout la règle.
En fait l’originalité essentielle de l’Islam, tout au long de l’histoire, est cette alliance, cette conjonction des citadins et des nomades.
Ainsi s’établit une complémentarité agropastorale entre le monde des villes et celui du désert, les nomades assurant, en
période de paix, la sécurité des convois et des caravanes, donc du commerce, menaçant, en période de guerre, la tranquillité des
villes.
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III- Islam et arabité
1- L’islam naît dans un environnement arabe
Identification fréquente entre arabité et islam, à tort. Mais raisons de cette identification.
Les liens entre islam et arabité sont anciens et complexes. La nature divine du message confère à la langue arabe, qui le véhicule, et au
peuple, qui l’a reçu, un caractère exceptionnel.
Au début du VIIe siècle, le sentiment d’appartenance à un même groupe culturel, linguistique et ethnique n’est pas encore bien
affirmé parmi les populations et tribus de la Péninsule.
Pourtant, dès le IXe siècle avant notre ère, des textes non-arabes, comme la Bible, utilisent le terme « Arabe » ou « Arabie » (pour
désigner la Mésopotamie, l’Égypte orientale entre Nil et mer Rouge, la Syrie méridionale et la péninsule du même nom), mais ce n’est
que près de mille ans plus tard que la forme ʿarab est utilisée dans un document en langue arabe, ce qui témoigne alors
vraisemblablement de la prise de conscience d’une identité de groupe.
Des caractères spécifiques à l’écriture arabe, qui utilisait jusque- d’autres alphabets, apparaissent au début du VIe siècle après J.-C.,
le texte conservé le plus ancien dans cette langue étant daté de 527 et provenant du sud de la Syrie.
À la mort du prophète, les habitants de la péninsule Arabique se réclament d’une même ethnie, utilisent la même langue et la même
écriture. Beaucoup sont musulmans et l’identification à la nouvelle religion achève l’unification des diverses tribus et des différents
peuples de la Péninsule. En ce sens, on peut affirmer que l’islam a contribué à créer la langue et le peuple arabes, autant qu’il en est le
produit.
Ainsi, bien que le message délivré par Muhammad ne soit pas exclusivement « arabe » dans la mesure il reprend du matériau
exogène (juif, chrétien, zoroastrien…) mélangé au fonds péninsulaire de croyances, de coutumes et de rites, on peut considérer la
religion musulmane, au VIIe siècle, comme une religion arabe dans la mesure les musulmans non-arabes sont encore une infime
minorité.
Très rapidement, en quelques dizaines d’années, cette identification n’est plus valide en raison de l’intégration ou de la conversion à
l’islam de populations non-arabes très importantes. Progressivement, les conquêtes arabo-musulmanes débouchent sur un processus
d’arabisation qui semble plus rapide que celui d’islamisation. La plupart des historiens s’accorde par exemple pour considérer
qu’au Xe siècle al-Andalus la partie de la péninsule Ibérique contrôlée par les émirs, puis les califes omeyyades de Cordoue est
presque entièrement arabisé, même si d’importantes populations chrétiennes ou juives continuent d’y vivre. Les Évangiles sont alors
traduits en arabe et les clercs parlant latin sont rares.
Or aujourd’hui ce caractère « arabe » originel a en grande partie disparu puisque les Arabes ne constituent plus que 20 à 22 % du
total des musulmans dans le monde, soit 300 millions d’individus environ.
Les trois principaux pays musulmans— l’Indonésie, le Pakistan et le Bengladesh —, ne sont pas arabes.
Aujourd’hui encore, une proportion non négligeable des arabophones n’est pas musulmane, mais chrétienne 40 % de ces
arabophones chrétiens sont libanais, 12 % syriens, 8 % égyptiens, les autres étant irakiens, jordaniens ou palestiniens.
2- L’apport des autres peuples
Les liens entre arabisation et islamisation sont forts.
La nouvelle religion favorisa la naissance d’une langue arabe classique, qui se conserve presque immuable jusqu’à nos jours, à
travers le modèle « inégalable » - parce que « divin » - du Coran.
Reprenant à son compte l’héritage poétique préislamique, la langue arabe s’est nourrie d’un lexique immense renvoyant au désert et à
la civilisation de la tente et du chameau. Aujourd’hui l’arabe reste un référent linguistique pour tous les musulmans, y compris dans
les régions non-arabes coexistent langues nationales, dialectes et langues littéraires. Cette diversité linguistique du monde
musulman est d’autant plus marquée qu’elle caractérise aussi le monde arabe cohabitent des versions dialectales, véhiculées et
diffusées par les productions cinématographiques de pays comme l’Égypte, la Syrie ou la Palestine, une langue de presse, un arabe
classique et littéraire…
La langue arabe a été promue et enrichie par de nombreux peuples (turcophones, iranophones, berbérophones). Ce sont les
Persans par exemple qui, sous l’empire abbasside de Bagdad (750-1258), ont été chargés de faire de l’oralité bédouine une langue
administrative, et plus généralement citadine, à l’origine de l’arabe classique.
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