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HISTOIRE D’UN PROCESSUS LIE A L’ACTIVITE HUMAINE
L’eau vive, moteur de l’économie médiévale
Nous pouvons lire l’évolution des rapports des hommes et de l’eau au cours des vingt
derniers siècles dans les archives et les paysages de l’Europe.
Après des siècles de gestions judicieuses de l’eau par la civilisation gallo-romaine, les hordes
barbares déferlent sur l’Europe de l’Ouest et du Sud, balayent l’Empire romain décadent. Les
rivières, livrées à elles-mêmes, retrouvent leur naturalité ; les descendants des envahisseurs
s’implantent sur leurs rives. Ils seront eux-mêmes repoussés par d’autres qui emprunteront
les voies d’eau pour progresser à l’intérieur des terres.
Après l’effondrement de l’ordre antique et « l’atomisation » de la société médiévale en une
multitude de villes, monastères et domaines seigneuriaux-qui seront autant de petites unités
confrontés à la nécessité d’assurer leur autosuffisance avant de contribuer peu à peu à
l’édification d’une nation-la civilisation qui se développe au Moyen-Âge, par la multiplicité
des usages qu’elle fera de l’eau comme matière première et comme source d’énergie, ce sera
une civilisation de l’eau. De l’eau vive d’abord, puis des eaux mortes ensuite, avec le
stockage.
Pendant des siècles l’eau va être au cœur des activités et va structurer les paysages. Le rôle
de la rivière est déterminant pour soutenir les échanges économiques comme pour assurer
des rôles défensifs ; elle sera le moteur de l’économie médiévale.
Les cités vont naître et s’organiser au bord des fleuves. Comme les châteaux forts elles se
ceignent de murailles défensives flanquées de fossés remplis d’eau amenés de la rivière
voisine. Les rivières sont souvent équipées de ponts fortifiés, aux arches barrés de grilles ou
de herses pour bloquer la remontée des bateaux normands.
En marins avertis, ces Normands vont réaliser les premiers aménagements portuaires, ceux
de Rouen ou de Londres, par exemple, et de contribuer à rationaliser les échanges
économiques par voies d’eau.
L’économie occidentale du Moyen-Âge est basée sur une concentration progressive de
l’habitat et sur le développement d’un artisanat qui durant trois siècles, puisera ses
ressources dans l’eau des rivières. C’est d’abord le moulin à roue, verticale qui utilise l’eau
courante. On prête son invention aux Grecs ou au Romains, pourtant, dès la fin du IIe siècle,
les Celtes connaissaient la motricité avec les roues verticales. Le moulin restera la principale
source d’énergie du pays jusqu’à l’ère industrielle. Le moulin pompe, moud ou broie, puis il
tendra à devenir un petit moteur industriel avant l’heure en permettant de mouvoir maillet,
marteaux et pilons grâce à une transmission à cames.
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La meunerie est alors florissante car les conditions climatiques au Xe siècle, sont
exceptionnelles, et des méthodes innovantes, sont les causes des hauts rendements céréaliers
de l’époque. C’est la meunerie qui va générer les premières urbanisations. Puis les moulins à
eau, dont plus d’un tiers sont édifiés au bord des canaux de dérivation, vont gagner
progressivement l’espace rural. On comptait alors en Europe, un moulin pour quatre-cent
habitants. Au XIIe siècle, s’épanouissent tous les métiers de la rivière. C’est la draperie, la
teinturerie, la tannerie, la mégisserie, la vannerie qui toutes ont besoin d’une eau en
abondance et en permanence pour transformer la laine, tanner le cuir, rouir le lin ou le
chanvre, plus les cités se développent plus elles ont besoin d’eau. C’est la conquête des eaux
mortes.
Les bourgs entreprennent de conquérir toutes les zones humides avoisinantes et l’économie
urbaine du Moyen-Âge finissant et de la renaissance sera fondée plutôt sur l’eau stagnante.
Débute alors un gigantesque travail d’organisation des paysages fluviaux qui durera des
siècles. Le paysage urbain médiéval était tissé de canaux ; un tiers des villes, si ce n’est plus,
s’organisaient comme autant de petites Venise. La fontaine y occupait une place de choix. A
défaut d’aqueducs, les citadins font creuser des puits dans leur arrière- cour. La densité du
réseau hydraulique témoignait de la puissance d’une cité dont la richesse dépendait
essentiellement du drap et du cuir. Les tissus tiraient leur réputation notamment de leur
teinture qui dépendait de l’emploi judicieux des colorants et des qualités minéralogiques de
l’eau. Les teinturiers implantaient leurs ateliers sur un canal différent de celui des tanneurs.
Par contre pelletiers et corroyeurs se plaçaient souvent en contrebas des teinturiers pour
profiter des restes d’alun dissous dans le jus de teinture. Les tueries, elles, se situaient en
amont des tanneries, car si l’abattage du bétail exige de l’eau claire en abondance, la
préparation des peaux n’a besoin que d’un peu d’eau, éventuellement polluée.
Il n’en reste pas moins que c’était une époque de grande pollution chimique et surtout
microbienne des eaux courantes, qui les mêmes eaux pourvoyaient tout à la fois à la soif et à
l’évacuation des déchets et eaux usées !
Les cours d’eau d’une certaine taille deviennent des voies navigables les bateaux assurent
des trafics commerciaux à longue distance entre villes et trafic côtier. Cette activité de
navigation génère toute une architecture de barrage, d’écluses, de canaux et de ports avec
leur quai, et, l’émergence d’un nouveau métier, les bateliers.
C’est à l’époque de la renaissance que l’on doit l’invention des écluses qui permettent aussi
bien la navigation descendante qu’ascendante. Par la suite seront creusés des canaux qui
relient entre eux deux fleuves par-delà les lignes de partage des eaux. Celui qui reliera la
Loire à la Seine sera achevé en 1642 ; le canal du midi en 1682 ; celui de la Loire à la Saône
en 1793.
C’est alors l’épanouissement de cette civilisation des gens de l’eau, nautes et bateliers,
charretiers de rivière et cochers d’eau, mariniers et passeurs, éclusiers et dragueurs, marins
et capitaines qui, dès l’époque romaine , avaient appris à composer avec les caprices et les
eaux tumultueuses et difficilement navigable de certains fleuves, les gabariers utilisant
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souvent les courants pour les transports de bois(Dordogne). Désormais une péniche va
pouvoir traverser la France par les réseaux de canaux en évitant les eaux tumultueuses.
Le cours d’eau a toujours été un élément structurant et ambivalent de l’espace terrestre, car
s’il est une voie de communication privilégié, il est aussi un obstacle. Par ses gués naturels,
la rivière avait déterminé les orientations des chemins et des grandes voies de communication
et structuré leur maillage. La construction de ponts va conforter la puissance et la richesse de
certaines cités médiévales privilégiées en les plaçant en position clés de la circulation des
hommes mais aussi des matériaux et marchandises.
Les eaux mortes, sont aussi des eaux stagnantes !
Pendant trois siècles au moins, les épidémies de peste ravagent l’Europe, les entreprises
humaines contribuent à détériorer sérieusement les eaux courantes, à diminuer l’oxygénation
de l’eau, à aider à l’eutrophisation des rivières. Du XIVe au XVIIe siècle, la ville va
conserver le réseau hydraulique intra-muros du Moyen Âge tel qu’il avait été équipé, avec ses
moulins et ses ateliers. Par contre ses abords immédiats sinistrés par des guerres incessantes,
vont voir disparaître la plupart de leurs moulins. L’état de guerre agrandi les fossés défensifs
médiévaux au point de les transformer au contact des villes en d’immenses réservoirs reliés à
un réseau innombrable de canaux tracés dans une vallée quasi déserte.
La rivière se perd au passage de la ville dans ses eaux stagnante pour ne reprendre son cours
qu’en aval. Ces grandes réserves d’eau détrempent les terrains abandonnés à l’amont de la
ville et constituent en cela, une défense complémentaire contre les ennemies de la cité. Ils
seront partiellement drainés grâce à des réseaux de canaux peu profonds s’installent les
cultures du chanvre.
C’est qu’en effet l’humidité est le moteur économique de cette urbanisation fondée sur
l’industrie du textile dont les manufactures s’implantent dans les marais périurbains. La
vapeur d’eau est l’agent chimique de la fermentation de la détente des fibres et de la tension
de l’apprêt garant de la qualité des tissus. Le blanchiment des toiles exige de grandes
quantités d’eau.
A partir du XVe siècle, nombre de cité baignent dans un climat nébuleux qui découle
également d’un refroidissement général du climat global de C., provoquant une baisse
sensible des rendements céréaliers. L’humidité, immobile, pesante, adhère à la basse ville,
elle est souvent génératrice de graves maladies pulmonaires. Les eaux stagnantes engendrent
moustiques et donc fièvres intermittentes.
Le XVe siècle invente l’impôt « salpêtre ». Le salpêtre efflorescence de différents nitrates qui
se forment sur les murs humides, constitue la base de la poudre à canon autrefois fabriqué
avec du salpêtre, ou nitre (cycle de l’azote), du soufre et du charbon de bois ; sa production
est donc stratégique et doit pouvoir satisfaire les besoins militaires. Les rois de France,
d’ailleurs, organisent le « corps des salpêtriers » ayant pour mission de collecter
l’indispensable poudre de guerre dont l’Etat avait le monopole et les politiques municipales
encourageaient la putrification et l’humidité fétide des villes basses, grandes pourvoyeuses de
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salpêtre. Les industries papetières et les peausseries qui se développent alors, n’arrangent
pas cet état d’insalubrité. Les douves se comportent comme de véritables bassins de
décantation. Leur rendement est plus qu’honorable et on compte sur leur effet de lagunage
naturel pour éliminer 60 à 90% de la pollution organique en deux à trois mois. Mais cette
auto épuration génère des dégagements gazeux CH4, HS2, et les mauvaises odeurs. Tandis
que les fossés d’aisances contaminent allègrement les nappes souterraines dans lesquelles la
cité puise !... On ne trouve que des eaux claires qu’en amont des villes !
L’égout à ciel ouvert et la crasse :
Du Moyen-Âge à l’entrée dans l’ère industrielle, l’eau reste une richesse fondamentale, mais
la société européenne entretient avec elle des relations ambigües. Comme elle est la
ressource énergétique la plus facilement mobilisable et en son temps la plus efficace, elle
génère des enjeux et suscite des affrontements, elle organise les villes et les paysages.
La consommation d’eau et ses usages sont au cœur des politiques urbaines ; le fleuve en
fournit l’essentiel mais il est devenu un tout à l’égout à ciel ouvert car on ne sait pas comment
traiter les déchets que l’on y rejette. C’est un égout chacun peut boire une eau plus ou
moins décantée et filtrée mais sans que personne ne puisse à l’époque prouver sa nocivité.
Car Pasteur n’avait pas encore découvert les microbes. La noblesse boit la même eau, puisée
par des batteries de pompes et d’aussi mauvaise qualité que la plèbe ; ses privilèges se
limitent à pouvoir parfois la filtrer plus facilement et à pouvoir y rajouter de la glace en
saison estivale. Les puits apportent un complément à cette eau fluviale. Mais s’ils constituent
un lieu de rencontre et d’échange, il n’en reste pas moins que l’eau que l’on extrait de ces
puits, est souvent insalubre, car la nappe phréatique est très polluée. L’eau devrait être
bouillie ou réserver à des usages externes. Les aqueducs qui sont un moyen coûteux, avaient
régressés depuis le Ve siècle. Ils reprennent de l’activité à partir du XIIe siècle et servent
désormais à alimenter en eau les quartiers les plus éloignés et à lutter contre les incendies.
Aléatoire, l’alimentation en eau des villes est placée sous le double signe de la précarité et du
rationnement : l’été dessèche les rivières et les nappes, le gel hivernal bloque les pompes, les
crues de fin d’hiver, polluent encore davantage les nappes phréatiques. Les grands ouvrages
d’alimentation urbaine en eau ne sont entrepris réellement qu’à partir du XVIe siècle et
l’ancêtre des systèmes d’adduction et de distribution d’eau à Paris sera la pompe de la
Samaritaine au pont neuf, imposée en 1590 par le Roi Henri IV initiateur de l’aqueduc
d’Arcueil et de la surveillance des eaux.
Bref, durant des siècles, l’eau reste un bien précieux et coûteux dont l’usage doit être limité.
Elle est souvent mise en priorité au service de l’esthétique pour agrémenter un parc ou un
jardin ; les féeries aquatiques de Versailles en sont la grande illustration.
On la boit avec modération au XVIIIe siècle, nous dises les historiens- la ration liquide
journalière d’un Parisien devait être d’un demi litre d’eau pour un litre de vin.
On l’utilise avec parcimonie pour la toilette et, de fait jusqu’au XIX e Siècle la société
française entretient une méfiance collective à l’égard des ablutions : la saleté était considérée
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comme un rempart contre la maladie ; à trop se laver on craignait de perdre sa vigueur et
une odeur forte était alors un signe de puissance et de prospérité, plus que de négligence.
Plonger jusqu’au cou dans l’eau, comme le lavage intégral, passait plutôt pour une pratique
païenne. Les 800000 habitants du Paris de la Révolution disposaient tout au plus de deux
cents baignoires tant privées que publiques.
La fin du XVIIIe siècle va être l’époque d’une véritable remise en cause de nos rapports avec
l’eau
La prochaine publication sera de la machine à vapeur au thermo -nucléaire.
Le 05 Février 2012
Jean-Claude CHAMINANT
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