Une éthique du discours médiatique est-elle possible?

Cadernos de Letras da UFF – Dossiê: Linguagem, usos e ensino no 43, p. 21-44, 2011 21
une éthique Du DiScourS méDiAtique
eSt-eLLe poSSibLe?
Charaudeau, Patrick (Universidade Paris XIII)
RESUMO: Estudo das estratégias utilizadas pelo discurso
mediático/jornalístico na divulgação da informação e
na formação da opinião pública. Condicionamento dos
sujeitos (interpretante e enunciador) ao público a ser
persuadido. Confronto entre os campos do simbólico
(do “ideal”) e do pragmático (do “real”). Relativização
dos valores éticos em detrimento de interesses comerciais
e/ou políticos.
PALAVRAS-CHAVE: Análise do discurso - mídia - ética
Pour pouvoir répondre à une telle question, il convient d’examiner
quelles sont les conditions de réalisation de ce discours, quelle place il
occupe dans les pratiques sociales, quelles sont ses contraintes, quelles
ses possibles stratégies de mise en scène.
Sera donc envisagé ici, et successivement, les domaines d’activité qui
structure la société, le dispositif et les contraintes propres au discours média-
tique d’information, enn, les dérives auxquelles il se livre engageant ainsi sa
responsabilité. C’est alors que pourra être posée la question de l’éthique au
regard de ce que sont les caractéristiques de ce type de discours.
Société et domaines dactivité:
Une société est comme une fourmilière (ou une ruche) organisée en
divers secteurs d’activité qui se dénissent selon leur but, la répartition des
statuts et des rôles des acteurs qui s’y trouvent et les rapports d’inuence qui
s’instaurent entre eux. Voici donc une vue d’ensemble de quelques unes des
sphères qui structurent la vie sociale: la sphère politique, la sphère économi-
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que, la sphère médiatique, la sphère judiciaire, la sphère éducative, la sphère
scientique, la sphère religieuse.
Ces sphères interagissent plus ou moins les unes sur des autres, selon les
types de société (aux Etats-Unis les rapports économie/politique sont diérents
de ceux d’autres pays européens), les époques (le poids de l’économie et des
médias n’a pas été toujours le même), les cultures1 (du Nord, du Sud, protes-
tantes, catholiques, juives et islamistes).
Chacune de ces sphères d’activité fonctionne selon une double logique:
une logique symbolique qui dénit le but idéal vers lequel doit tendre toute
l’activité; une logique pragmatique qui détermine un ensemble de comporte-
ments et de règles plus ou moins institutionnalisés pour atteindre ce but. Par
1 En l’occurrence, le religieux fait partie du culturel.
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exemple, la sphère économique fonctionne selon une double logique: celle
idéale du prot sur le marché d’échange des biens de consommation, celle
pragmatique de la gestion du travail cherchant la meilleurs rentabilité. Cette
double logique n’est pas la même que celles qui dénissent les sphères poli-
tique, juridique ou éducative.
Quant à la sphère médiatique, elle fonctionne selon une logique symbo-
lique qui est de s’inscrire dans une nalité démocratique en se mettant – idéa-
lement – au service de l’opinion publique et de la citoyenneté en l’informant
sur les événements qui se produisent dans l’espace public et en contribuant
au débat social et politique par la mise en scène de la confrontation des idées;
elle fonctionne également selon une logique pragmatique de captation du pu-
blic car pour pouvoir survivre, tout organe d’information doit tenir compte
de la concurrence sur le marché de l’information ce qui l’amène à tenter de
s’adresser au plus grand nombre en mettant en oeuvre des stratégies de séduc-
tion qui entrent en contradiction avec le souci de bien informer. On voit déjà
là la contradiction dans laquelle se trouve le discours médiatique.
1. Le dispositif communicationnel et les contraintes discursives
dans lespace public
Dans toute sphère sociale, cette double logique est mise en scène à tra-
vers un certain dispositif qui détermine un certain contrat de communica-
tion et certaines contraintes discursives. Mais avant de décrire les spécicités
de chaque dispositif et contrat de communication, il convient de constater
que du seul fait de se trouver dans un espace public, les diérents dispositifs
ont des caractéristiques communes:
u) une instance de production qui représente toujours une entité collec-
tive, même quand elle se trouve congurée par une personne en particulier:
une entité politique derrière tel homme ou telle femme politique; une entité
commerciale derrière telle ache publicitaire; une entité éducative derrière
tel professeur, etc. Cette instance de production est légitimée par une norme
sociale qui dit son droit, ici à vanter un produit (pour faire acheter), là à van-
ter un projet politique (pour faire voter), là encore à transmettre du savoir
(pour instruire). Elle agit de façon volontaire, ce qui l’oblige à faire preuve de
crédibilité.
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u) une instance de réception qui représente, sous des congurations
diverses, un public, non homogène, composite et non captif à priori. C’est
pourquoi l’instance de production doit construire ce public en destinataire-
cible, plus ou moins segmenté, qui est présenté comme bénéciaire d’un bien
futur s’il se laisse persuader ou séduire. D’une façon ou d’une autre, l’instance
cible est placée en position de devoir croire qu’elle peut être l’agent d’une quête
qui lui sera bénéque.
De ces caractéristiques communes, il s’ensuit un certain nombre de con-
traintes discursives elles aussi communes aux dispositifs qui se trouvent sur la
scène publique, dont la principale est la contrainte de simplicité. Car s’adresser à
un public, c’est s’adresser à un ensemble d’individus hétérogènes et disparates
du point de vue de leur niveau d’instruction, de leur possibilité de s’informer,
de leur capacité à raisonner et de leur expérience de la vie collective. L’instance
de production doit donc chercher quel peut être le plus grand dénominateur
commun des idées du groupe auquel il s’adresse, tout en s’interrogeant sur
la façon de les présenter: il lui faut simplier. Simplier la langue en usant
d’une syntaxe et d’un vocabulaire simples; simplier le raisonnement ce qui
conduit l’orateur à abandonner la rigueur de la raison au prot de sa force de
persuasion; simplier les idées en mettant en exergue des valeurs qui puissent
être partagées et surtout comprises par le plus grand nombre. Évidemment,
simplier n’est pas toujours aisé et surtout comporte un risque, celui de ré-
duire la complexité d’une pensée à sa plus simple expression, et donc à son
dévoiement.
Le dispositif et le contrat médiatique
Le contrat médiatique a été décrit dans mon ouvrage sur le discours d’in-
formation2 et donc je me contenterai d’en rappeler les données essentielles.
L’information médiatique est déterminée par un dispositif dont les caractéris-
tiques sont les suivantes:
u) une instance de production composite comprenant divers acteurs
(journalistes, rédacteurs en chef, direction de l’organe d’information, etc.)
2 Les médias et l’information. L’impossible transparence du discours, De Boeck-Ina, Louvain-
la-Neuve, 2005.
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ayant chacun des rôles bien déterminés, ce qui rend dicile l’attribution de
la responsabilité des propos tenus. Cette instance se dénit globalement à
travers cinq types de rôles qui englobent tous les autres: de chercheur d’infor-
mations, ce qui la conduit à s’organiser pour aller aux sources de ces informa-
tions (réseau avec les Agences de presse, correspondants de terrain, envoyés
spéciaux, relais d’indicateurs); de pourvoyeur d’informations, ce qui l’amène à
sélectionner l’ensembles des informations recueillies en fonction d’un certain
nombre de critères; de transmetteur d’informations, ce qui la conduit à mettre
en scène les informations sélectionnées en fonction d’un certain nombre de
visées d’eet, et en jouant sur des manières de décrire et de raconter; de com-
mentateur de ces informations, ce qui l’amène à produire un discours explica-
tif tentant d’établir des relations de cause à eet entre les événements (ou les
déclarations) rapportés; enn, de provocateur de débats destinés à confronter
les points de vue de diérents acteurs sociaux;
u) une instance de réception, elle aussi composite, mais sans détermina-
tion de rôles spéciques, ce qui la rend on ne peut plus oue. Elle est dicile
à saisir, ce qui n’empêche pas l’instance médiatique de tenter de la cerner à
grands coups de sondages et enquêtes. Dès lors, l’instance-cible devient une
construction imaginée à partir des résultats de ces sondages, mais surtout à
partir d’hypothèses sur ce que sont les capacités de compréhension du public
visé (cible intellective), ses intérêts et ses désirs (cible aective3).
Quant à la nalité de ce contrat, elle correspond à la double logique que
l’on a dénie plus haut: nalité symbolique de transmission d’informations
au nom de valeurs démocratiques: nalité pragmatique de conquête du plus
grand nombre de lecteurs, d’auditeurs, de téléspectateurs, puisque l’organe
d’information est soumis à la concurrence et ne peut vivre qu’à la condition
de vendre ou d’engranger des recettes publicitaires. La nalité éthique oblige
l’instance de production à traiter l’information, à rapporter et commenter les
événements de la façon la plus crédible possible: elle se trouve surdéterminée
par un enjeu de crédibilité. La nalité commerciale oblige l’instance média-
tique à traiter l’information de façon à capter le plus grand nombre de récep-
teurs possible: elle se trouve surdéterminée par un enjeu de captation4.
3 Idem. p. 64
4 Idem, p. 71-73
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