Hamlet de Shakespeare - dossier pédagogique - Tandem Arras

Autour d’Hamlet de Korsunovas: dossier réalisé par Alexandra
Pulliat
Textes de présentation sur les sites de théâtre pour le spectacle :
1) Sites de l’Hippodrome et de la Rose des vents
2) Site du Maillon
Oskaras Koršunovas, figure majeure du théâtre contemporain
lituanien, revient à Strasbourg avec Shakespeare dont le Théâtre du Maillon a accueilli Le
Songe d’une nuit d’été en 2001 et Roméo et Juliette en 2004. Sa troupe, renommée en
Europe pour la qualité de ses acteurs, est une vraie troupe, capable de porter haut le héraut
tragique, de lui redonner jeunesse, sens et corps. La pièce commence devant le miroir de la
loge. Hamlet dit aux acteurs : jouez comme si vous vous trouviez face à un miroir. Face au
miroir, on se rend compte combien notre existence dépend du simple regard des autres. En
définitive, celui qui nous regarde est un être plus réel que nous. Le miroir, c’est l’être et le
paraître du théâtre, plus fondamentalement encore dans cette tragédie. Hamlet s’apprête, se
prépare, interroge son être, dont il ne voit que le reflet. Son univers est simulacre (sa folie),
apparition (son père), ou dissimulation (le crime de sa mère). Son acte ultime le soustrait à
nouveau du réel dans la mort. Hamlet commence et finit dans les loges, où tout est
rassemblé. Oskaras Koršunovas a toujours eu, dans ses mises en scène, des partis pris
radicaux qui n’ont jamais fait du théâtre une pâle copie de la réalité, mais un lieu puissant
d’investissement de l’imaginaire du spectateur. La question "qui êtes-vous ?" donne ici le ton
du voyage, emplit l’espace, guide le jeu. En ce sens, Oskaras Koršunovas "aide" le
spectateur à imaginer ce qui ne peut pas être joué. En même temps, il met notre imaginaire
dans une "souricière" : le théâtre devient le château d’Elseneur et l’acteur, son personnage.
Les 17 et 18 décembre à 20h30 au Maillon Wacken.
http://www.le-maillon.com/
3) Site du Théâtre de Brétigny au Val d’Orge
Une version ébouriffante et ancrée dans le monde d’aujourd’hui de cette pièce du répertoire.
« Hamlet transmet aux acteurs : jouez comme si vous vous trouviez face à un miroir.
Lorsque l’on se regarde de près dans un miroir, on réalise à quel point on dépend des
autres. C’est un étranger qui nous regarde. Quelqu’un de plus réel que nous. Un inconnu qui
nous est aussi étranger que notre propre destin. L’instrument d’un tel regard est d’ores et
déjà annoncé au début d’une tragédie, qui se termine par les histoires d’Oedipe, d’Oreste et
de Hamlet.
Jouer comme si l’on se trouvait devant un miroir signifie être le plus honnête possible envers
soi-même.
Le théâtre commence dans le miroir de la loge de maquillage, ou, pour être plus précis, dans
le regard que les acteurs portent sur eux-mêmes.
Hamlet ne gagne pas son combat. Toutefois, il vit au maximum le moment présent.
Vous ne pouvez pas interpréter Hamlet, tout comme vous ne pouvez pas reconstruire le
château d’Elseneur, car tout cela n’a jamais existé. _ Par contre, vous pouvez vivre votre
moment présent, ouvrir la porte qui mène à votre Elseneur, pour chercher un théâtre
hamlétien, qui agit comme une souricière pour notre réalité intérieure. »
"Nous avons un besoin aigu d’introspection, afin de comprendre notre environnement et les
décisions que nous prenons par rapport à la vie. Il nous est peut-être même nécessaire de
nourrir une certaine paranoïa en nous pour nous empêcher de faire des erreurs
fondamentales dans la compréhension du monde. Nous devons surmonter le calme qui nous
entoure, nous avons besoin d’apprendre encore et encore que c’est une illusion.
C’est pourquoi Hamlet est la pièce la plus d’actualité pour notre époque. Au premier abord,
la question que se pose Hamlet semble absurde, car notre existence est tellement
confortable, et l’avenir semble presque assuré. Mais en réalité, nous devons trouver notre
avenir en chacun de nous, et non dans des slogans politiques ou dans des messages
publicitaires. Nous avons besoin de déchirer le voile qui nous cache de la vie, et de réduire
en morceaux notre existence soi-disant sûre. La sécurité peut s’avérer très dangereuse."
Oskaras Koršunovas
Site du théâtre de Brétigny (Val d’ Orge)
Entretiens trouvés sur le Net :
1) Entretien dans le magasine de la Terrasse
Oskaras Korsunovas
La scène comme point de départ vers l’imagination des spectateurs Pour Oskaras
Korsunovas, figure emblématique de la scène lituanienne, un art dramatique qui n’a lieu que
sur le plateau est un art dramatique mort, qui se nie lui-même. Invité par le Théâtre de la
Commune et la Comédie-Française, le jeune metteur en scène présente Dans le rôle de la
victime et La Mégère apprivoisée.
Le Maître et Marguerite, Visage de feu, Œdipe roi… Quel lien invisible se dessine-t-il
entre les pièces que vous choisissez de mettre en scène '
Oskaras Korsunovas : Le fil conducteur qui, de manière étrange et assez inattendue, lie
toutes ces pièces, c’est ma vie, ma mémoire, mes propres expériences. On peut dire que
chaque spectacle, en quelque sorte, provoque le spectacle suivant. Par exemple, c’est
l’écriture de Marius von Mayenburg qui m’a donné envie de mettre en scène Roméo et
Juliette, Sophocle qui m’a permis de comprendre que les œuvres de Sarah Kane sont des
tragédies contemporaines. Dans mon théâtre, les pièces contemporaines sont souvent
mises en relation avec des pièces classiques. Car j’essaie de mettre en scène les classiques
de façon contemporaine et les pièces contemporaines comme des classiques.
Quelle est la pièce qui vous a mené jusqu’à Dans le rôle de la victime '
O. K. : C’est Hamlet, de façon assez évidente puisque Valya, le personnage principal de la
pièce, est une sorte de Hamlet contemporain, un jeune homme dont le métier est de prendre
la place du mort lors des reconstitutions criminelles de la police. Il s’agit d’un personnage
qui, comme Hamlet, est déçu moralement par le monde de ses parents. Sa mère est au
centre de cette désillusion. Dans le rôle de la victime dépeint une sorte d’isolement qui
semble inhérent au monde contemporain. Tout au long de la pièce, le rapport à la mort
évolue vers une forme d’apprivoisement. Comme Hamlet, Valya ne pourra véritablement
vivre, agir, résoudre le conflit qui l’oppose à son entourage, qu’après avoir vaincu sa peur de
la mort.
Il s’agit également d’un texte faisant preuve de beaucoup de dérision…
O. K. : Si l’on regarde le monde de ce point de vue, tout devient dérisoire, tout paraît
absurde et vain. Il ne reste plus alors que deux solutions pour continuer à vivre : prétendre
être fou, comme le fait Hamlet, ou jouer le mort, prendre la place des cadavres, comme le
fait Valya.
« Prétendre être soi-même dans la vie est une utopie totale. »
Est-ce une façon de dire que Valya ne peut être lui-même qu’en jouant le mort '
O. K. : Oui, et c’est une figure très juste des frères Presniakov. Prétendre être soi-même
dans la vie est une utopie totale. Il est impossible d’échapper aux rôles que la société nous
attribue. Je crois que seul l’art permet cela. Si l’on devenait soi-même dans la vie, on
deviendrait dangereux et inutile. Dans l’art c’est exactement le contraire, si l’on n’est pas soi-
même, alors on crée des œuvres inutiles. C’est peut-être ce que Sarah Kane voulait dire
lorsqu’elle déclarait qu’elle essayait d’être la plus sincère possible. Elle a exprimé cette
sincérité à travers le théâtre, ou même en agissant comme elle l’a fait [ndlr : Sarah Kane
s’est donné la mort en 1999].
Quel sens souhaitez-vous donner à votre travail de mise en scène '
O. K. : Pour moi, le théâtre et l’espace du théâtre ne se résument pas aux 20 ou 30 m2 de la
scène. L’espace théâtral dans lequel le théâtre a réellement lieu est l’imaginaire du public. Je
veux dire que si le théâtre a uniquement lieu sur le plateau, c’est un théâtre mort, qui se nie
lui-même. La scène n’est qu’un point de départ sur lequel on doit prend son élan pour se
projeter dans l’imagination du spectateur et ainsi le transformer en créateur. Car, finalement,
celui qui crée, c’est lui. De ce point de vue, je trouve très intéressant de travailler sur La
Mégère apprivoisée. Car cette pièce n’est pas l’histoire toute simple de l’apprivoisement
d’une mégère. A travers son prologue, Shakespeare parle d’un théâtre qui va au-delà des
limites de la réalité, qui se joue puis oublie qu’il est théâtre pour rejoindre le monde sans
repères de l’imaginaire, un monde dans lequel il n’y a plus de conditionnel, plus de relatif.
C’est peut-être ce à quoi Artaud faisait référence lorsqu’il parlait du théâtre comme rêve.
Dans un rêve, le rêveur n’existe pas, il est en dehors du monde qu’il construit. De la même
façon, le théâtre doit faire mourir, dans le spectateur, l’être qui a conscience d’être un
spectateur. Et le seul moyen de le faire, c’est de se transporter dans son imaginaire. Le
spectateur s’oublie alors lui-même. C’est à ce moment-là que peut avoir lieu le miracle du
théâtre.
La Terrasse, 152, novembre 2007
2) Autre entretien:
Oskaras Koršunovas à propos de Hamlet
Anders Kreuger. Pourquoi mettez-vous en scène Hamlet justement maintenant ?
Oskaras Koršunovas. Pour un metteur en scène, Hamlet est un peu comme se marier.
C’est quelque chose que vous sentez que vous devez faire quand le moment arrive. Et tôt ou
tard, ce moment arrivera. Ma propre vie intérieure est en ce moment, je pense, cohérente
avec la vie de Hamlet en tant que personnage dramatique.
D’une part, toute conversation sur combien Hamlet est d’actualité aujourd’hui semblera plutôt
naïve compte tenu que cette pièce est tellement d’actualité qu’elle peut toujours être
associée de manière crédible aux affaires courantes. D’autre part, la vie de tout jeune au
début du XXIe siècle est semblable à celle de Hamlet dans un sens fondamental. Toutes les
réponses à ce qui nous survient se trouvent dans notre passé récent. Toute notre
compréhension de la réalité est entièrement conditionnée par les événements et la pensée
du XXe siècle. C’est presque comme si le XXIe siècle se refusait de commencer.
Kreuger. Le fait d’être dominé par le passé représente-t-il le principal embarras de Hamlet ?
Koršunovas. Le passé ‘programme’ notre futur à pratiquement tous les niveaux. Nous
croyons avoir échappé aux horreurs d’hier et nous essayons d’éviter de faire face aux défis
d’aujourd’hui et de demain. Nous avons un besoin aigu d’introspection afin de comprendre
notre environnement et les décisions que nous prenons par rapport à la vie. Nous pouvons
même avoir besoin de nourrir une certaine ‘paranoïa’ en nous-mêmes afin d’éviter de faire
des erreurs fondamentales dans la compréhension du monde. Nous avons besoin de
dépasser le calme autour de nous, nous avons besoin d’apprendre et de -apprendre que
c’est une illusion.
C’est pourquoi Hamlet est la pièce la plus actuelle pour notre époque. La question de Hamlet
nous semble tout d’abord absurde. Notre existence est tellement confortable et le futur
semble pratiquement garanti. Mais en fait le futur doit être trouvé en chacun d’entre nous et
pas dans les slogans politiques ou les publicités commerciales. Nous avons besoin de
déchirer le voile qui nous cache notre vie, nous avons besoin de lacérer notre existence soit-
disant sûre. La sécurité peut s’avérer très dangereuse.
Kreuger. En termes de théâtre, s’agit-il d’une tragédie de notre époque ?
Koršunovas. Durant les cinq dernières années environ, un discours de changement radical
a été progressivement remplacé par un discours de sécurité illusoire. Je parle de la réalité
qui m’entoure de près mais je crois que cela est également vrai pour un contexte plus ample.
Il se peut que ce ne soit pas une tragédie dans le sens classique du terme mais ce qui
prépare le terrain pour Hamlet maintenant c’est que les jeunes ne semblent pas capables de
mûrir, qu’ils restent infantiles tellement longtemps. Du moins en Lituanie, dans l’Europe post-
soviétique, les jeunes sont encore affectés par les conditions totalitaires ou absolutistes dans
lesquelles ils sont nés. Beaucoup d’entre eux sont trop heureux des améliorations qu’ils ont
vu durant les quinze années depuis qu’ils étaient enfants. Ils sont devenus complaisants. Ils
sont en train de se dégrader et pourtant ils sont trop satisfaits d’eux-mêmes !
Kreuger. Mais pourquoi devraient-il s’identifier avec Hamlet ?
Koršunovas. Ils ont besoin de trouver la motivation en eux-mêmes pour devenir à nouveau
Hamlet. Il se peut que leur motivation soit leur désir de savoir à quel mystère ils participent.
Les enfants sont maintenus dans un rôle passif. On ne leur raconte pas la vérité sur ce qu’il
leur arrive. L’état réel des affaires n’est pas révélé à Hamlet, soit-disant pour son bien. Avec
l’adolescence prolongée d’aujourd’hui, cette condition de passivité protégée s’est étendue
jusque dans la vie adulte.
Nous ne savons pas à quoi nous avons affaire. Nous avons besoin de tout regarder avec les
yeux de Hamlet, nous avons besoin de plus de ses soupçons. Nous sommes tombés
amoureux de l’illusion de la sécurité. (…)
Ce qui caractérise ma génération est son mimétisme par rapport à son époque. Ma
génération sait comment s’adapter à notre époque par l’imitation. Elle a été affectée par des
événements significatifs et elle est même passée à travers des moments révolutionnaires
avec un ‘statut d’observateur’ mais cela n’a généré aucun changement profond en elle-
même. De nombreuses personnes appartenant à ma génération gardent l’illusion qu’elles
ont influencé le cours du monde mais en fait elles ont simplement bien réussi à s’adapter.
Nous sommes une génération de caméléons, une génération petit-bourgeoise des derniers
jours. (…)
Kreuger. Quand vous mettrez en scène Hamlet, comment affronterez-vous le problème
théâtral ‘en général’ ? Essayerez-vous de vous y retrouver ?
Koršunovas. Mon point de départ est que je ne veux pas parler de Hamlet en tant que
personnage de théâtre, mais de nous, de moi.
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