Des sites d`observation des échanges de polluants

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Des sites d'observation des échanges de polluants
entre les écosystèmes et l'atmosphère
Pierre CELLIER(1), Benjamin LOUBET(1), Olivier ZURFLUH(1),
Mark IRVINE(2), Eric LAMAUD(2)
(1) INRA, UMR Environnement et Grandes Cultures, 78850 Thiverval-Grignon
(2) INRA UR Ecologie fonctionnelle et physique de l'environnement (EPHYSE)33883 Villenave
d’Ornon Cedex
Introduction
Le rôle des écosystèmes dans les cycles de l’eau et du carbone est aujourd’hui relativement
bien documenté, et de nombreux projets de grande ampleur (Amériflux, Euroflux, …) ont mis
en évidence leur rôle-clef dans les cycles de ces composés, mais aussi dans le cycle de l’azote.
Les écosystèmes naturels, forestiers ou agricoles occupent également une position importante,
mais moins connue, dans les cycles des polluants atmosphériques, qu’ils soient sous forme
gazeuse ou d’aérosols. Ces écosystèmes sont en effet une source de multiples gaz ayant un
impact sur l’environnement ou la santé (Simpson et al., 1999) : gaz à effet de serre direct ou
indirect (N2O, NOx, CH4, CO2), gaz impliqués dans l’acidification ou l’eutrophisation des
écosystèmes naturels (NH3, NOx) ou dans la pollution photo-oxydante (NOx, COV tels que
terpènes ou isoprène, mais aussi des COV oxygénés) et composés ayant un impact sur la santé
(ozone, pesticides). A l’inverse, les écosystèmes représentent un puits très significatif pour de
nombreux polluants ou gaz atmosphériques ainsi que des aérosols.
Les dépôts atmosphériques de composés acidifiants tels que NH3, NO/NO2 et SO2 se font
pour une bonne part sous forme de dépôts secs, soit gazeux c’est à dire absorption du polluant
gazeux par les stomates (et, le cas échéant, métabolisation de ce composé par la plante) ou
adsorption sur les surfaces externes de la plante (Sutton et al., 1995), soit particulaires
(aérosols microniques ou submicroniques) (Cellier et al., 2004). Concernant la pollution
photo-oxydante (ozone), le rôle des écosystèmes forestiers comme source de précurseurs
d’ozone tels que les COV biogènes (principalement isoprène et mono-terpènes) est
aujourd’hui assez bien connu, au moins qualitativement (Fuentes et al., 2000). Les
écosystèmes remplissent également une fonction importante de puits, puisque les dépôts
d’ozone sur la végétation (absorption par voie stomatique ou destruction sur la cuticule)
pourraient représenter de 10 à 20% de l’ozone produit au cours d’une journée de beau temps.
Pour les aérosols, dont la taille va de quelques centièmes de microns à quelques microns, la
végétation remplit une fonction de filtre vis à vis de l’atmosphère, d’autant plus forte que la
surface aérienne développé est importante. Par le biais de ces dépôts secs, les écosystèmes
contribuent de manière significative à la dépollution de l’atmosphère. A ce titre, les chimistes
de l’atmosphère et les prévisionnistes de la pollution, cherchent à mieux prendre en compte
les dépôts secs de gaz ou aérosols dans leurs modèles.
Les dépôts (et donc le recyclage des polluants au niveau de l’écosystème) mettent en jeu le
fonctionnement biologique et physique de l’écosystème, soit par ses caractéristiques
d’échange avec l’atmosphère, soit par le métabolisme des plantes ou des organismes
microbiens.
-
les caractéristiques physiques des écosystèmes : les échanges entre l’atmosphère et la
végétation ou le sol prennent leur origine dans les mouvement turbulents à l’interface solvégétation-atmosphère et dans le couvert végétal qui dépendent à la fois des conditions
météorologiques, de la structure du couvert végétal et de son bilan énergétique.
-
l’analyse des flux de polluants nécessite aussi de prendre en compte la chimie de surface,
au niveau des surfaces cuticulaires ou au niveau de l’apoplasme, dans les chambres sousstomatiques. Les équilibres entre formes chimiques au niveau des surfaces et entre la
surface et l’air dépendent fortement de la température, de la présence d’eau liquide (même
simplement sous forme adsorbée) et des autres composés préalablement déposés. La
chimie de surface doit est aussi être prise en compte au niveau du sol (pH notamment).
-
le métabolisme des plantes et micro-organismes du sol est également un élément
déterminant de ces échanges. On pense bien sûr tout d’abord à l’ouverture stomatique qui
détermine en grande partie les échanges entre l’atmosphère et l’intérieur de la plante, mais
également au métabolisme et aux transformations de l’azote de l’azote par rapport aux
flux de composés azotés gazeux (NH3, NO/NO2, N2O) (Sutton et al. 1995). Concernant
l’ozone, les dépôts modifient l’activité photosynthétique et la conductance stomatique et
donc en retour, les échanges d’autres composés entre l’écosystème et l’atmosphère.
Les échanges de polluants atmosphériques entre un écosystème et l’atmosphère sont donc
complexes et dépendent de multiples facteurs du milieu, qui induisent des variations plus ou
moins rapides (de l’heure à la saison) et de forte amplitude des flux d’émission et de dépôt.
Cette problématique des échanges de polluants entre la biosphère et l’atmosphère, doit donc
être abordée à plusieurs échelles de temps. Concernant l’analyse et la paramétrisation des
processus de dépôt, l’échelle pertinente est l’heure en raison de l’influence des facteurs
météorologiques sur les flux et de la régulation biologique qui induisent des variations rapides
des échanges. Concernant les impacts sur l’écosystème ou la qualité de l’air, elle peut varier
de la journée, pour des polluants tels que l’ozone, à la saison, voire plusieurs années pour des
problématiques telles que l’effet de serre (stockage de carbone, émissions de NOx et incidence
sur l’ozone), l’acidification ou les changements globaux.
Pourquoi des sites de suivi continu des flux et comment ?
L’étude des échanges de polluants entre des écosystèmes et l’atmosphère ont donné lieu à de
nombreuses expériences de courtes durées, généralement limitées à des études de processus
ou des calages de modèles. Il apparaît aujourd’hui de plus en plus essentiel de faire des suivis
à moyen et long terme des flux d’éléments majeurs (C,N) et d’espèces en trac en vue de
mieux évaluer le rôle des écosystèmes dans le cycle de ces éléments et leur impact positif ou
négatif sur la qualité de l’air. Cela est particulièrement important pour des problématiques
telles que les changements globaux (changement climatique, changement d’usage ou de
qualité de l’air par exemple), ou pour appréhender la variabilité de ces flux en fonction des
conditions météorologiques et des caractéristiques des surfaces naturelles. Dans le premier
cas, l’échelle d’intégration pertinente est de l’ordre de 10 ans, dans le deuxième, de quelques
années. Enfin une vision intégrée des problématiques environnementales demande souvent de
mesurer simultanément des flux de plusieurs gaz et non plus d’un seul, par exemple, CO2,
N2O, CH4, O3, … lorsqu’on s’intéresse à l’effet de serre, ou NH3, N2O, NO, NO2 (+ nitrates
dans les eaux et CO2) pour le cycle de l’azote, … A ce titre des sites permanents se veulent
aussi être des plateformes expérimentales disposant d’une logistique technique (garantie de
mise à disposition du site, électricité, laboratoire, …) et scientifique (mesures de base) sur
lesquelles peuvent se greffer des expérimentations de chimie atmosphérique, par exemple.
Pour répondre à ces questions, l’objectif de ce projet est de mettre en place des sites de
mesure des échanges de polluants entre des écosystèmes et l’atmosphère destinés à acquérir
des données de flux sur des bases de temps courtes (heure ou moins) et de longues périodes
(plusieurs années). Ce réseau de sites devra appréhender la variabilité des surfaces
continentales, à savoir les surfaces agricoles, les prairies et les forêts, qui représentent 30, 28
et 31% de la surface du territoire français métropolitain, respectivement (IFEN, 2002). Afin
de favoriser des synergies entre programmes et recherche et partager les infrastructures
existantes, ce réseau sera basé sur les sites français du projet européen CarboEurope-IP ou
des Observatoires de Recherche en Environnement (Tableau 1). Tous ces sites sont ou seront
dans un proche avenir équipés pour des mesures de flux de CO2 et bilan d’énergie. Pour le
moment, seuls les sites de Grignon et Bordeaux sont équipés de mesures de dépôt d’ozone.
Tableau 1 : Sites et mesures possibles pour les mesures de polluants atmosphériques
Lieu
Couvert
végétal
Institut
Projets en
gestionnaire cours
Mesures en
cours
Mesures
restant à
installer
Grignon
Agricole (blé,
maïs, orge)
INRA
INA P-G
CO2, H2O, O3
N2O, NOx
Bordeaux
Forêt conifères
INRA
CO2, H2O, O3
N2O, NO
(ponctuel)
Nancy
Fontainebleau
Lusignan
Forêt feuillus
(hêtraie)
Forêt feuillus
(chênaie)
Prairie
CarboEurope
BIOPOLLATM
CarboEurope
BIOPOLLATM
INRA
CarboEurope
CO2, H2O
O3 (2004 ou 2005)
Univ. Paris XI
& CNRS
CarboRegion
CarboEurope
ORE PCBB
CarboEurope
Site en cours
d’installation
ORE en cours
d’installation
CO2, H2O, O3,
(N2O, NO ?)
CO2, H2O (2004)
N2O ponctuel
INRA
Nous avons vu que les flux d’émission et dépôt de polluants atmosphériques dépendent de
nombreux facteurs liés à l’environnement physique, chimique et biologique. Au delà des
mesures de flux de polluant elles-mêmes, il est donc essentiel sur ces différents sites de
caractériser le milieu et de mesurer certaines variables et flux d’échange entre le couvert
végétal et l’atmosphère.
Les dispositifs centraux seront constitués des éléments suivants
-
Station météorologique comprenant l’ensemble des variables principales (rayonnement
global, température et humidité de l’air, vitesse et direction du vent), complétées par des
mesures plus spécifiques, importantes pour caractériser les échanges et le fonctionnement
de la végétation : rayonnement net, flux de chaleur dans le sol, température et humidité du
sol à plusieurs profondeurs, durée d’humectation, rayonnement photosynthétiquement
actif (PAR).
-
système de mesure des flux de quantité de mouvement (u*), chaleur sensible, évaporation
et CO2 à l’aide de la méthode des corrélations. Les dispositifs utilisés seront en général
semblables à ceux utilisés dan le réseau CarboEurope (anémomètres sonique 3D Gill R3,
analyseur CO2/H2O LI7500).
-
Suivi de variables agronomiques (sur les cultures et les prairies) et biologiques (indice
foliaire, hauteur, …)
Des systèmes de mesure directe de flux de polluant seront installés selon les possibilités de
chaque site dans l’ordre de priorité suivant :
-
dépôt d’ozone par la méthode des corrélations (analyseur rapide en chimie-luminescence)
-
émissions de CO2 et N2O du sol à l’aide de chambres statiques manuelles ou automatiques
-
flux de NO/NO2 : pour le moment la seule méthode envisageable d’un point de vue
opérationnel est celle des chambres. Il serait toutefois intéressant de poursuivre des
développements afin de mesurer ces flux par méthodes micro-météorologiques, au moins
sur la base de campagne de courtes durées (quelques jours à quelques semaines)
(a)
(b)
Figure 1 : dispositif expérimental installé sur les sites de Grignon (a) et de la forêt de
Bray, près de Bordeaux (b) pour la mesure des flux de quantité de mouvement, chaleur,
évapotranspiration, CO2 et ozone
400
100
200
100
0
01-août
0
06-août
11-août
16-août
21-août
26-août
31-août
Evaporation (W/m²)
300
-100
-100
-200
Date
2
Flux d'ozone (unité arbitraire)
Flux de CO2 (µmol/m²/s))
200
0
01-août
-2
06-août
11-août
16-août
21-août
26-août
31-août
-4
-6
-8
-10
Date
Figure 2 : flux de CO2 (en vert) et H2O(en bleu) (a) et ozone (b) mesurés au dessus
d’un champ de maïs à Grignon au mois d’août 2002 à l’aide du dispositif décrit à la
figure 1 (voir aussi texte ci-dessus). Les mesures présentées ici sont des données brutes.
La figure 1 montre les dispositifs de mesures actuellement opérationnels sur les sites de
Grignon (cultures agricoles) et de Bordeaux (Bray, forêt de conifères). Toutes les mesures
précédentes, hormis les mesures faites à l’aide de chambres, seront réalisées sur une base de
temps de 30 minutes et intégrées dans une base de données.
A titre d’illustration, on montre également sur la figure 2 des mesures de flux de CO2, H2O et
ozone faite sur une culture de maïs au mois d’août 2002 à Grignon, dans le cadre du projet
BIOPOLLATM (Cellier et al., 2002). Les données acquises par la méthode des corrélations sont
mesurées à une fréquence de 20 Hz. A Grignon, l’acquisition est faite à partir d’un logiciel
développé sous LabView®, permettant une visualisation graphique en temps réel des données
de base et des flux semi-horaires calculés (première approximation).
Conclusion
La mise en place de sites de mesure continue des échanges de polluants entre différents
écosystèmes et l’atmosphère permettra de mieux quantifier les flux dans des conditions
d’environnement et météorologiques diverses. De tels jeux de données permettront
d’améliorer les modèles et paramétrisations d’émissions et dépôts de polluants, et d’améliorer
l’évaluation de l’impact des écosystèmes sur la qualité de l’air.
Face à la variété des composés, qui nécessitent de mesurer simultanément les flux de plusieurs
espèces, de tels sites se veulent aussi des plateformes expérimentales susceptibles d’accueillir
des expérimentations complexes de chimie atmosphérique.
Références
Cellier P., Dizengremel P., Castell J.F., Biolley J.P., Le Thiec D., Bethenod O., Roche R., Lebard S., Goujet R. 2002 - BIOPOLLATM: a French national project to analyse the biosphere-atmosphere interactions in the
context of air pollution. Workshop "Establishing ozone critical levels II", United Nations Economic
Commission for Europe, Göteborg (SWE), 19-22/11/2002 (poster).
Cellier P., Garrec J.-P., Brignon J.-M., Jacquemoud S., 2004. Impact des particules sur les écosystèmes. Actes du
séminaire PRIMEQUAL2 sur les particules (à paraître).
Fuentes J.D., Lerdau M. Atkinson R., Baldocchi D., Bottenheim J.W., Ciciolli P. Lamb B., Geron C., Gu L.,
Guenther A., Sharkey T.D., Stockwell W., 2000. Biogenic hydrocarbons in the atmospheric boundary
layer : a review. Bull. Amer. Meteorol. Soc., 81, 1537-1575.
IFEN, 2002. L’environnement en France. Editions 2002. Editions La Découverte, 606 pages
Simpson D. et al., 1999. Inventorying emissions from nature in Europe. J. Geophys. Res., 104, 8113-8152.
Sutton M.A., Schjørring J.K., Wyers G.P.: 1995. Plant-atmosphere exchange of ammonia, Phil. Trans. Roy. Soc.
Lond. A, 351, 261-278.
Remerciements
Ce projet a bénéficié d’une partie des financements liés au programme BIOPOLLATM (INRA,
ACI Ecologie Quantitative, PNCA, PRIMEQUAL2 et ECCO) et bénéficiera à l’avenir des
financements du projet européen CarboEurope-IP et de l’ORE PCBB (site de Lusignan).
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