L`assurance de la responsabilité civile professionnelle

Recommandations et responsabilité médicale
06 /2013
Jean VILANOVA Juriste
jean.vilanova@ca-predica.fr
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Par essence même, la médecine est un art qui se prête peu à la norme tant ses contours évoluent en permanence eu égard aux progrès de la science.
L’obligation régalienne de moyens dévolue au soignant méconnaît, si l’on s’en tient à une stricte lecture, toute limite hors celles fixées par le droit bien
entendu en matière d’investigation et de stratégie thérapeutique. Pour autant une forme d’encadrement de l’art existe aujourd’hui. Il s’agit des
recommandations de bonnes pratiques. Que pèsent, en droit ces recommandations ? Sont-elles compatibles avec l’obligation de moyens ? Comment justifier
de leur avènement ? Qu’implique leur non-respect ?
Une définition…
« Les recommandations médicales se présentent comme des documents écrits destinés à aider le praticien, éventuellement le patient, à choisir la prise en
charge la plus appropriée en fonction d’une situation clinique donnée. Outil d’aide à la décision, ces recommandations visent aussi à encadrer les pratiques
professionnelles afin de réduire leur hétérogénéité. » (1)
Une histoire…
A l’origine, on est en droit de penser qu’un système de recommandations médicales est antinomique avec l’art du praticien. Cet art, parce que c’est un art
justement, méconnaît a priori tout système normatif. Voilà pour le pur concept, une sorte d’idéal…
Mais la médecine est de notre monde, de notre temps et il lui faut s’y adapter. De là, naît la recommandation car il importe d’évaluer les pratiques. Les
évaluer du point de vue de leur efficacité mais aussi du point de vue de leur coût ; puis rechercher ce qui pourrait constituer le meilleur service au patient à un
moindre coût. Ce fût, au début des années 1990, l’époque des fameuses « références médicales opposables » (RMO) qui n’eurent « d’opposable » que le
terme et qui constituèrent une sorte de brouillon vite abandonné.
Aujourd’hui il appartient à la HAS d’abord, aux sociétés savantes et aux agences ensuite d’élaborer et de diffuser les recommandations. Ces
recommandations sont nombreuses. Elles touchent au geste technique, au médicament. Elles visent… « à améliorer la qualité des prises en charge et les
pratiques des professionnels… Elles reflètent un état de l’art scientifique à un moment donné » (1)
Tout le monde s’accorde sur l’obligation de délivrance des soins les plus appropriés au patient. Mais le qualificatif « appropr » porte tout autant sur le geste
médical lui-me (en s’attachant à écarter le geste inutile) que sur son coût. Une recommandation doit tendre vers une pratique qui garantit la meilleure
sécurité possible pour le patient à un coût acceptable. Et il n’est bien entendu pas question de sacrifier le premier objectif au second.
Définition et historique
Le respect ou non des recommandations : quelles conséquences ?
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De ce point de vue, les recommandations sont porteuses d’une double responsabilité : juridique et financière. Dès lors qu’en est-il si elles ne sont pas
respectées ?
L’aspect économique
Traitons d’abord de l’aspect économique, financier, le plus simple au fond. Il faut ici remonter à un arrêt rendu en 1999 par le Conseil d’Etat. Confrontée à un
cas de de non-respect des RMO, la haute juridiction avait alors estimé que les sanctions financières prévues dans le cadre de la convention de l’époque
étaient entachées d’illégalité.
Cet arrêt n’en vient pas, c’est évident, à consacrer tout abandon de la mesure en matière de dépense. Les dispositions du code de déontologie médicale qui
stipule que le médecin doit… « sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la
sécurité et à l’efficacité des soins » (2) ne s’en trouve en rien affaibli. C’est affaire de simple bon sens.
Reste à aborder l’aspect juridique et là, les choses paraissent plus complexes.
L’aspect juridique
Une question se pose : les recommandations se substituent-t-elles aujourd’hui aux données acquises de la Science (3) voire « aux soins les plus
appropriés… qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » (4) ?
Si l’on s’en tient à l’arrêt rendu le 27 /04 /2011 (5) par le Conseil d’Etat, elles ne substituent pas à ces données acquises et connaissances médicales
avérées ; elles s’y fondent. Et, de recommandations, elles deviennent des guides de bonnes pratiques :
« Les recommandations des bonnes pratiques élaborées par la Haute Autorité de Santé… ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la
définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances
médicales avérées à la date de leur édiction. »
Sur ce statut de guides de bonnes pratiques, le Conseil d’Etat ne fait qu’affiner sa jurisprudence antérieur, notamment un arrêt rendu le 12 /01 2005 (6). Les
hauts magistrats avaient confirmé la sanction disciplinaire prise par le Conseil National de l’Ordre contre un médecin non respectueux, selon l’arrêt, des
données acquises de la Science en ces termes :
« La section des assurances sociales du Conseil National de l’Ordre des médecins a pu, sans commettre d’erreurs de droit, estimer que M. X. n’avait pas
tenu compte pour dispenser ses soins à ses patients des données acquises de la Science, telles qu’elles résultent notamment des recommandations des
bonnes pratiques (souligné par nous) élaborées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé… en s’abstenant de prescrire le dépistage
systématique du cancer du col utérin chez ses patientes âgées de 25 à 65 ans et le renouvellement tous les trois ans de cet examen… »
Apprécions la nuance. La sanction infligée au médecin résulte non pas du non-respect en tant que tel d’une recommandation mais du non-respect des
données acquises de la Science, données constituant l’un des fondements des recommandations de l’Anaes.
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Eu égard à la complexité croissante de l’art mais aussi du fait d’une certaine judiciarisation, les soignants ont de plus en plus besoin de disposer d’un système
de recommandations médicales. Ces recommandations « balisent » l’action possible de l’homme de l’art confronté à une situation donnée tout en influant,
nous l’avons dit, sur le coût des soins.
Sans doute, y-a-t-il sur ce point consensus. Mais attention peuttre à ne pas aller trop loin car les recommandations aussi, opportunes soient-elles ne
définissent pas les contours de l’art. Il faut laisser aux médecins l’investigation, l’analyse et la critique. Quel assèchement que d’imaginer l’art servi par un
praticien appliquant de façon systématique et à la lettre une norme censée répondre on l’espère au cas clinique auquel il se voit confronté !
Puisque la standardisation des patients connaît de rapides limites, il y aurait alors quelque audace à vouloir, à toutes fins, conférer force d’obligation aux
recommandations qui, par nature ne répondent qu’à des standards.
D’autant que le destin d’une recommandation, c’est l’obsolescence, parfois rapide eu égard au progrès scientifique. Dans l’attente d’une actualisation, le
médecin devrait-il alors appliquer la recommandation obsolète ? Situation impensable qui, n’en doutons pas, conduirait ce médecin à devoir répondre d’un
manquement à son obligation de moyens et à en assumer les conséquences.
Enfin, autant que de besoin, rapportons les dispositions de l’article 8 du code de déontologie médicale qui rappelle que« dans les limites fixées par la loi et
compte tenu des données acquises de la Science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la
circonstance. » (7)
L’article balance encore entre les données acquises de la Science, objet désormais d’une appropriation de la part des recommandations et la liberté de
prescription. Mais quel que soit le contexte, cette liberté de prescription n’est pas un vain concept. Elle demeure une réalité quotidienne et nécessaire.
(1) 1er Ministre Centre d’analyse stratégique. Questions sociales. La note d’analyse n° 291 10 /2012
(2) Code de déontologie médicale ; art. 8 al. 2 - Code de la santé publique ; art. R. 4127-8
(3) Cour de cassation - Dame Mercier. Civ ; 20 /05 /1936
(4) Code de la santé publique ; art. L. 1110-5 al. 1
(5) Conseil d’Etat Association pour une formation médicale indépendante. CE ; 27 /04 /2011. Req. n° 334396
(6) Conseil d’Etat M. K. ; n° 256001 (recueil Lebon)
(7) Code de déontologie médicale ; art. 8 al.1
Quelles limites ? Quelle latitude pour le médecin ?
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