Les conflits sociaux

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agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2005-2006
fiches de lecture
Les conflits sociaux
Schelling (1960) : The Strategy of Conflict
Fiche de lecture réalisée par les agrégatifs de l’ENS Cachan
SCHELLING Thomas (1960), The Strategy of Conflict, Harvard University Press,
trad. française de la 2ème édition : Stratégie du conflit, Paris, Presses
universitaires de France avec le concours de la Fondation pour les Etudes de la
Défense nationale, 1986, 311 p.
Remarques :
D’après les Puf, l’édition originale date de 1960 et non 1965 comme dans la bibliographie officielle.
C’est un livre qui peut aussi être utilisé pour « Expliquer et Comprendre » par son approche
méthodologique (chap 6 très court est à ce titre intéressant).
L’auteur tente d’élaborer une théorie générale du conflit en partant d’une analyse de théorie des jeux
qu’il « sociologise », le texte est donc émaillé d’exemples très différents appartenant surtout à l’analyse
des conflits internationaux (il a été écrit en pleine guerre froide, l’affrontement entre les deux blocs est
omniprésent) mais aussi à l’analyse des situations de face à face (quelques références à Goffman dans les
notes) entre cambrioleurs et cambriolés, aux situations rencontrées dans la circulation et aussi aux
affrontements entre force de l’ordre et manifestants ou aux grèves. Il me semble pourtant que le but de
l’ouvrage est avant tout de fournir une théorie utilisable avant tout dans les conflits internationaux (et
surtout leur évitement). Je suis donc passée plus rapidement sur la fin, qui évalue les différentes pratiques
des gouvernements en matière de conflits internationaux.
Nota Bene :
Les sous titres ne portent pas toujours le même intitulé que dans le livre, je les ai parfois simplifiés.
Première Partie : Eléments pour une théorie de la stratégie
Chapitre 1 : Le retard en matière de stratégie internationale
Ce chapitre définit la posture de Schelling.
L’approche de l’auteur : il différencie plusieurs façons d’appréhender les conflits sociaux, outre la catégorie des
études qui considèrent les conflits comme « pathologique » :
- les études qui prennent en compte le comportement dans toute sa complexité et tiennent compte des éléments
irrationnels de l’acteur
- celles qui limitent investigations au seul comportement rationnel
Schelling choisit le deuxième domaine, qu’il appelle « stratégie du conflit » et qui emprunte ses méthodes
directement à la théorie des jeux.. L’intérêt du recours à la théorie des jeux est alors de confronter les comportements
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réels à des « règles correcte ». Le souci de coller à la réalité amène ainsi l’auteur à appeler son sujet « la théorie de la
décision interdépendante » (p. 31).
Il choisit alors de ne pas partir d’une hypothèse trop stricte concernant la rationalité et de prendre en compte 2
éléments :
- il est possible de déceler des comportements stratégiques dans des comportements apparemment irrationnels
- il n’est pas forcément avantageux d’apparaître toujours rationnel
La notion de « stratégie » : cette notion a l’avantage pour Schelling de ne pas se concentrer sur les situations de « pur
conflit » mais aussi de négociation. Ainsi, les situations de conflit sont aussi des situations de négociations, qui
peuvent être tacites ou explicites. La différence entre ces deux notions est très importante pour la suite :
* les situations de « pur conflit » sont des situations où s’affrontent des acteurs dont les intérêts divergent
* les situations de pure négociation sont celles où les acteurs en présence
partagent un intérêt commun
Exemple : dans une grève, les personnels de l’entreprise ne cherchent pas à la couler.
Il existe un continuum de situations possibles entre ces deux pôles. C’est précisément aux situations « mixtes » que
s’applique la notion de « dissuasion ». la dissuasion implique en effet le partage d’un conflit et d’une communauté
d’intérêt.
« La stratégie » renvoie à une étude de l’utilisation potentielle de la force.
L’utilisation de la notion de « stratégie » fait référence à celle de « gain », mais les gains ne renvoient donc pas
forcément à la « victoire » (jeux à somme nulle). La stratégie couvre ainsi la question de la répartition des gains et des
pertes entre les joueurs. Plus encore, la notion de gain n’est valable que par rapport à un système de référence
particulier.
Chapitre 2 : Essai sur la notion de négociation
Ce chapitre décrit les attitudes tactiques adoptées dans des jeux à somme nulle ou l’amélioration de la situation de
l’un des joueurs détériore celle de l’autre.
Pouvoir de négocier et pouvoir de contraindre
Pour faire croire une proposition à quelqu'un avant d’agir, il ne suffit pas seulement de
s’engager sur parole mais il faut prendre un « engagement », qui amène à « se contraindre soimême ».
Ex « d’engagement » : il est fréquent que les responsables syndicaux attisent les sentiments revendicatifs avant le
début d’une négociation.
Ainsi, si le syndicat a demandé une augmentation de 2 $ et que les employeurs estiment qu’ils ne peuvent pas aller au
dessus de 1.6 $, les syndicalistes peuvent persuader le personnel avant le début des négociations que la direction
pourrait monter jusqu’à 2 $ et que s’ils ne l’obtiennent pas, c’est qu’ils ne sont pas à la hauteur de la tâche.
Dès lors, c’est pour eux une façon de « s’engager » : ils signifient ainsi à la direction qu’ils ne pourraient accepter
moins de 2 $, même s’ils le voulaient.
Mais dans la prise d’engagement, la structure des communications joue un rôle très important. Ainsi, on peut
envisager des cas :
-
où les 2 parties ne peuvent pas communiquer ;
-
où une partie peut notifier un engagement à l’autre mais ne peut pas en recevoir ( ex il est sur une île déserte et
entend la radio ). L’avantage est alors à la partie qui ne peut pas recevoir de message de l’autre : on ne peut pas
la dissuader de formuler son engagement.
Structure et environnement de la négociation
Enumération des différents éléments qui conditionnent le résultat de la négociation :
- le recours à un mandataire ou non => Présence du mandataire restreint la capacité de contracter un engagement car
son champ est limité par des instructions difficilement modifiables.
- le secret ou la publicité. Exemple : Les syndicalistes peuvent faire en sorte que tout retrait soit visible de telle sorte
qu’ils peuvent employer comme argument face à la direction « si je vous l’accorde, je l’accorde à tous ».
- les négociations croisées. Exemple : quand un syndicat est engagé dans plusieurs négociations, ce n’est pas le cas de
la direction de l’une des entreprises avec laquelle il négocie. Il peut alors efficacement engager sa réputation.
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- la limitation de l’ordre du jour => Quand il y a plusieurs négociations liées, un acteur peut faire pression sur les
autres pour ne pas lier les sujets.
- les compensations => L’ordre du jour stipule quelles sont les compensations possibles
- le mécanisme de négociations => Des facteurs comme la possibilité de faire circuler de fausses informations, la
limitation du temps de négociation, le blocage possible, la valeur accordée au statu quo jouent un rôle important.
- les principes et les précédents => Pour être vraiment convaincant, l’engagement doit reposer sur des principes
rationnels. L’existence de précédents fournit ainsi un principe auquel se référer.
- la casuistique => Il est important de trouver une interprétation rationnelle à toute concession obtenue lors de la
négociation, pour que ces concessions n’apparaissent pas comme l’annonce de la capitulation.
-la menace
* L’énoncé de la menace suppose de montrer ses motivations à l’adversaire de façon suffisamment persuasive pour
que l’autre soit placé face à ses responsabilités. Ainsi, si l’on énonce une menace que l’on ne souhaite pas mettre à
exécution, il faut pourtant démontrer que l’on aurait de sérieuses raisons de le faire. Mais l’énoncé d’une menace doit
en même temps rester une « prise d’engagement » : non seulement il faut montrer qu’ on a de bonnes raisons de la
mettre à exécution, mais il faut aussi montrer qu’on le fera. On peut ainsi engager sa réputation, avoir recours à une
tierce partie…
* La menace perd sa raison d’être une fois que l’action
que l’on voulait éviter s’est déroulée ( ! incroyable !)
- la promesse : Il n’est pas facile de formuler une
promesse crédible et contraignante pour soi-même dans
la mesure où il est toujours possible ensuite d’y échapper.
Le fonctionnement de la promesse est en fait identique à
celui de la menace : il faut délimiter des seuils pour
vérifier si la promesse a été tenue. On peut « découper la
négociation » de manière à voir sur des sujets mineurs
s’il est possible d’établir une relation de confiance. Mais
la relation de confiance se construit dans le temps.
Toutes les différentes notions que nous venons de
clarifier sont alors illustrées par des représentations
graphiques (frustes à mes yeux)
Gains du pays « Est »
* L’énoncé de la menace doit en même temps expliciter clairement la nature des représailles à appliquer au cas où
l’adversaire accomplirait l’action que l’on veut éviter. Lorsque l’action que l’on veut éviter se déroule par degrés, il
est plus efficace de définir des sanctions portant sur l’accumulation qu’une sanction intervenant une seule fois.
aB
AB
ab
Exemple : Supposons que la situation initiale soit AB.
L’intérêt de « Nord », c’est alors de passer de AB à aB et
donc de jouer a. Mais cela désavantagera alors « Est ».
Dès lors, « Est » peut menacer « Nord » de jouer b si
jamais « Nord » joue a. « Nord » n’a pas intérêt à se
retrouver en ab et donc il ne jouera pas a, la situation
initiale ne changera pas.
Ab
Gains du pays « Est »
Chap3 : Négociation, communications et guerre limitée
Ce chapitre étudie les règles de comportement adaptées à l’impossibilité voulue ou subie de négocier, implicitement
ou explicitement avec l’adversaire. Il met en évidence des éléments liés à la perception et à la suggestion dans les
processus de formation d’attentes réciproques.
Négociation tacite : négociation caractérisée par l’absence ou la mauvaise qualité des relations entre adversaires.
Négociation tacite entre partenaires partageant les mêmes intérêts
Le résultat d’une telle négociation dépend souvent (empiriquement) du moment, du lieu, et de l’unicité des points,
elle est souvent couronnée de succès. La négociation met en œuvre une forme de coordination dans laquelle
l’imagination peut prendre le pas sur le raisonnement de pure logique. La coordination utilise en priorité des
conventions tacites
Ex un couple se perd dans un magasin, chacun de ses membres va se demander « que ferais je si j’étais à sa place en
train de me demander ce que je ferais moi-même sachant que je fais de même… ? » pour se retrouver. Ainsi, il n’ira
pas au guichet des objets trouvés s’il y en a plusieurs, mais peut-être dans un endroit central (ou bien dans un rayon si
chacun pense que l’autre pensera précisément à ce rayon)
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Ex similaire avec 2 parachutistes qui tentent de se retrouver et disposent de la même carte : la topographie de la
région leur suggèrera un endroit de rencontre suffisamment évident pour que chaque équipier pense que l’autre
parviendra à la même conclusion que lui même.
Négociation tacite entre partenaires ayant des intérêts divergents
Même lorsque les intérêts divergent, la notion de coordination explorée dans le cas précédent continue d’exister
pourvu que les deux protagonistes soient reliés par un intérêt commun. (= situation « mixte »). Pour parvenir à un
résultat commun, les acteurs sont obligés de se coordonner.
Ex des 2 parachutistes. Il y a 1 conflit d’intérêt dès que l’un d’entre eux cherche à marcher le moins possible. Mais
l’un ne peut pas appliquer la notion de « gain », car si le parachutiste ne tient pas compte de l’autre, et ne joue que
pour lui, les deux parties peuvent estimer avoir perdu par rapport à une situation où elles auraient été coordonnées.
Négociation tacite et explicite
Les indices liés à l’environnement qui jouent un rôle dans la coordination tacite voient leur importance grandir avec
la négociation explicite.
Ex : Dans la négociation sur des chiffres, tendance à les arrondir ou à utiliser des règles de partage déjà utilisées dans
le passé…
Ces indices font passer le résultat de la négociation pour « naturel » alors qu’il avantage souvent une partie et pas
l’autre. L’habileté des négociateurs consistera à déplacer les pôles dans un sens conforme à leurs intérêts mais ils sont
limités par la structure du problème à résoudre.
Ainsi, « le résultat (de la négociation) dépend pour une large part de la formulation du problème, des analogies
ou des précédents que cette formulation évoque dans l’esprit des négociateurs, des informations disponibles au
cours de la discussion » (p. 94)
On retrouve les mêmes résultats que pour la négociation tacite : les parties en présence préfèrent consentir à quelques
concessions plutôt que de courir à l’échec. On assiste à une « élaboration réflexive des attentes » qui fait converger
sur une solution unique définie par le fait que chacun des négociateurs ne s’attend plus à aucune concession de la part
de la partie adverse. Il y a donc la nécessité d’un point d’équilibre dans un processus de négociation pure, lié à
l’existence d’une « focalisation des volontés"( qui est elle même un processus psychique).
Application à l’étude de l’opinion publique : lorsque l’opinion pousse à une solution « équitable » qui est de fait
adoptée, il ne faut pas exagérer le pouvoir de « pression de l’opinion. En fait, c’est plus son rôle de « catalyseur » des
attentes qui a joué.
Application aux guerres limitées : en situation de guerre limitée, rien ne garantit qu’il serait possible de rétablir de
rétablir de nouvelles règles permettant d’éviter un conflit généralisé si les règles existantes sont violées. Il y a donc
une faible propension à violer les règles existantes.
En situation de négociation « mixte », rien ne garantit qu’on retrouve cet équilibre. D’où l’intérêt de prendre des
mesures avant le conflit qui puissent permettre de retrouver un équilibre une fois le conflit déclenché (ces mesures
peuvent être par exemple l’authentification des personnes habilitées à servir d’intermédiaire en cas de conflit). La
négociation préalable n’est pas alors nécessairement bilatérale : « Lorsqu’il apparaît vital aux deux parties en
présence de reconnaître un message quelconque, le plus ténu des messages de reconnaissance peut jouer ce rôle s’il
n’en n’existe pas d’autre ailleurs » (p108)
Deuxième Partie : Vers une réorientation de la théorie des jeux
Chapitre 4 : Vers une théorie de la décision interdépendante
Chapitre qui vise à identifier certains « coups » fondamentaux que l’on peut trouver dans les jeux réels.
Dans les jeux réels, on n’a pas seulement affaire à des jeux à somme nulle, comme dans ce qui précède. En effet, le
conflit est souvent associé à une dépendance mutuelle que la théorie des jeux est moins à même d’aider à
comprendre. Selon la théorie des jeux, les jeux qui ne sont pas à somme nulle créent une situation défavorable : la
stratégie du minimax. Cette insuffisance de la théorie des jeux tient au fait qu’elle s’est contentée d’étudier les cas de
pur conflit. Or, on a vu qu’on pouvait opposer au « pur conflit » la « pure négociation » et analyser tous les cas
intermédiaires entre ces deux pôles.
Schelling revient sur ses premières définitions
-Les jeux de pur conflit sont des jeux à somme nulle. Dans le repère du graphique présenté plus haut, la pente est
négative. Dans ce cas, l’objectif des joueurs est d’éviter toute « rencontre des esprits », même par inadvertance
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-Les jeux de pure négociation ou pure coordination sont des jeux à somme positive. Dans le repère du graphique
présenté plus haut, la pente est positive. Dans ce cas, l’objectif de chaque joueur est d’entrer en conflit avec son
partenaire au moyen d’un processus introspectif faisant appel à l’imagination ou à des indicateurs communs.
Illustration de la différence entre les deux (p116,129): Homes et Moriarty sont dans le même train mais ne sont pas
dans le même wagon.
-pur conflit : Homes obtient un gain s’il descend à la même gare et c’est Moriarty qui en obtient un si ils descendent
dans des gares différentes. Holmes peut neutraliser l’influence du baptême des gares en tirant à pile ou face sa
décision de descendre.
-pure coordination : Holmes et Moriarty obtiennent tous les deux une récompense égale s’ils descendent dans la
même gare. Dans ce cas, ils exploitent le nom des gares et cette exploitation relève plus de l’imagination que de la
pure logique.
Dans les deux cas, on a affaire à des jeux de stratégie dans lesquels « le meilleur choix de chacun des joueurs dépend
de l’idée qu’il se fait de l’attitude de son vis à vis sachant que celui-ci fait de même ».
Ceci ne remet pas en cause pour Schelling le caractère prédictif et normatif de la théorie des jeux : « cette hypothèse
n’implique nullement que les joueurs soient effectivement influencés par les détails symboliques que
pourraient comporter le jeu, mais elle pose le principe qu’ils auraient intérêt à y être sensibles pour coopérer
efficacement. » (p130)
Conséquence : « le jeu, mis sous sa forme mathématique n’est pas équivalent au jeu particulier auquel les
joueurs se trouvent réellement confrontés, étant entendu qu’il s’agit de joueurs rationnels cherchant à mettre
en œuvre tous les moyens susceptibles de les aider à concerter leurs attentes ».
Les implications concernant la communication
Si la communication des intentions n’est pas possible, la reconnaissance reposera l’aptitude des joueurs à reconnaître
la structure du jeu de l’autre, elle même structurée par des éléments très différents comme les précédents, la
casuistique morale, la jurisprudence… La structure d’action peut même être plus éloquente que les paroles.
Il existe souvent une incertitude concernant les valeurs de l’autre. Il est alors de l’intérêt de chacun de faire connaître
son propre système de valeur.
Les implications concernant la notion de « foyer de convergence »
Rien ne prouve que les mathématiques puissent être la source d’inspiration essentielle de la notion de
« convergence » des attentes. Ainsi, les solutions mathématiques appartiennent à une catégorie d’agents : les
mathématiciens. Mais elles exercent leur pouvoir de convergence à travers le même mécanisme psychique : le
pouvoir de convergence des attentes.
Ex : Si on revient à l’exemple des deux personnes perdues dans un magasin, les mathématiciens trouveront comme
solution non pas le milieu du magasin mais le centre de celui-ci. Mais on a vu que les couples réussissaient à se
retrouver grâce à d’autres critères.
Chap5 : Les actions stratégiques, les moyens de s’imposer et de communiquer
Ce chapitre étudie des éléments caractéristiques et structurels qui méritent d’être étudiés dans le cadre de la théorie
des jeux, même si celle ci a les limites que nous avons vues.
L’auteur utilise de nombreuses matrices pour montrer des résultats auxquels aboutit la théorie des jeux
- L’engagement revient à jouer le 1er coup.
- Les « coups » correspondent à la capacité qu’ont les joueurs de transformer irréversiblement le jeu. Ce sont donc les
promesses, les menaces et les engagements…
- « La particularité d’une menace réside dans le fait que l’on affirme avoir décidé d’accomplir, si certains événements
placés sous le contrôle de l’autre se produisent, une action que l’on préfèrerait autrement éviter. »
- Ce sont les asymétries entre les joueurs qui donnent leur attrait aux menaces. L’efficacité de la menace ne dépend
pas du fait que celui qui la formule ait moins à en souffrir.
- L’obligation d’exécution des promesses repose sur 2 facteurs :
* l’existence d’une autorité dotée de moyens de coercition
* la possibilité de décider d l’opportunité d’une sanction
- La promesse est en général considérée comme un engagement bilatéral : l’un promet quelque chose et en échange
l’autre promet autre chose. Mais il peut exister des situations dans lesquelles l’une des parties aura intérêt à proposer
une promesse unilatérale dans le but d’inciter l’autre joueur à effectuer un choix conforme à l’intérêt commun (ex : le
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témoin d’1 crime a des raisons de faire une promesse unilatérale lorsque le criminel risque de le tuer pour l’empêcher
de parler)
-Chaque fois qu’il y a plus de 2 possibilités de jeu, promesses et menaces sont imbriquées. C’est difficile de
distinguer les 2. On peut dire que la promesse est un « engagement contrôlé par la partie adverse, qui peut, à sa guise,
forcer son exécution ou l’annuler » (p170).
-Pour contraindre les parties à respecter les termes d’un accord il faut que qu’il existe un autorité extérieure
responsable de son application et de la détection de toute violation éventuelle. Certes, une confiance véritable peut
s’établir entre les partenaires mais celle ci n’est pas donnée à priori, elle se construit dans le temps en étapes
successives. L’accord une fois réalisé sur le plan formel devient l’unique « foyer de convergence » pour la
collaboration tacite ultérieure : les préférences de chacun vont vers ce que chacun s’attend à lui voir faire dans ce
contexte.
- Exemple : « l’équilibre de la terreur » (=l’équivalent d’une prise d’otages) : les Américains exposent leurs
population aux armes de destruction massives des Russes et reçoivent de leur côté le même pouvoir sur la population
russe. Les populations sont aussi vulnérables que si elles étaient à portée de main, à condition qu’il soit impossible
de détruire les capacités de riposte de l’adversaire par une attaque par surprise
- La suppression des contraintes rend la recherche d’une solution plus difficile
- La recherche des valeurs de l’adversaire risque de dévoiler les siennes propres
- La délégation permet d’éviter les pressions et d’éviter que les menaces énoncées manquent de conviction. Il y a
même une certaine rationalité à déléguer à des acteurs irrationnels. (ex : recourir à des fanatiques ou à des sadiques
pour mener à bien des extorsions)
- La médiation est différente de la délégation dans la mesure : le médiateur est un troisième joueur qui peut disposer
de valeurs propres et qui est susceptible d’influencer le système de communication en faisant par exemple en sorte
que les joueurs découvrent leur communauté d’intérêt. Il peu aussi jouer le rôle d’arbitre si une autorité irrévocable
lui est conférée.
- La destruction des moyens de communication en temps opportun peut être une stratégie gagnante : les menaces
restent sans effet tant qu’elles ne sont pas communiquées. D’où l’intérêt de recourir à des forces de police extérieures
lorsqu’on cherche à réprimer une manif : les forces extérieures ne peuvent pas être touchées par des menaces de
violences ultérieures qui leur seraient communiquées par les manifestants. Pour éviter toute communication avec la
foule, les forces de police doivent aussi être impassibles (elles ne doivent pas la regarder dans les yeux ni rougir
devant les insultes). L’uniforme lui-même contribue à créer cette désingularisation qui empêche la communication de
menaces.
- La notion de communication ne renvoie pas seulement à la communication de messages mais aussi à la
communication d’engagement
Retour sur la théorie des jeux
1) Lorsque les « coups » envisagés se prêtent à une analyse formelle, il est possible de les représenter sous forme de
choix stratégiques et de matrices. Les coups équivalent alors à une diminution de ses propres gains par le joueur
concerné. Chaque joueur choisit à l’avance une stratégie adaptée au choix présumé de son vis à vis. Cette stratégie
doit être associée à la sanction prévue en cas de non–respect par le joueur de l’obligation de choix qu’il s’est imposée
lui même.
On peut alors construire une MATRICE ELARGIE susceptible de rendre compte :
- des choix réels qui s’offrent aux joueurs
- des stratégies complémentaires (engagements, promesses, menaces)
2) Mais cette approche (en cadre de « super jeu abstrait ») ne nous apprend rien sur les procédés tactiques, les
processus de communication, les contraintes structurelles inévitables, les incidences de la chronologie des coups. « Il
nous reste donc à trouver une théorie englobant l’analyse systématique des facteurs universels et variés qui
constituent la structure même du jeu : un modèle trop abstrait ne saurait en rendre compte » (p195)
Chapitre 6 : Théorie des jeux et recherche expérimentale
Ce court chapitre revient sur le statut de l’abstraction mathématique dans l’étude des conflits « mixtes » et amène
l’auteur à redéfinir son approche.
La structure mathématique de la fonction de gains ne suffit pas :
Elle ne prend pas en compte les détails liés au contexte qui jouent pourtant un rôle important (cf Holmes et Moriarty
= le nom des gares) et déterminent l’issue du jeu.
Une partie de l’étude des jeux à motivation mixte est nécessairement EMPIRIQUE :
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Contrairement à ce qui se passe dans les jeux à somme nulle («pur conflit ») , une étincelle de COMPREHENSION
RECIPROQUE surgit dans les jeux à motivation mixte.
Cela ne signifie donc pas que le comportement réel des joueurs dans les jeux à motivation mixte relève d’une
approche empirique mais que « les principes applicables aux modes d’action efficaces, les principes stratégiques,
les propositions de la théorie normative ne peuvent être déterminés par des procédés purement analytiques à
partir de considérations à priori » (p 201). L’analyste ne dispose d’aucune méthode pour reproduire l’ensemble du
processus de prise de décision. Il peut « déduire les décisions d’une esprit rationnel unique à partir des critères qui les
déterminent mais l’analyse formelle ne lui permet pas de savoir ce qui se passe entre deux sujets conscients ».
Le pari de Schelling :
C’est alors de penser qu’il existe des propositions relatives au comportement coopératif dans les jeux à motivations
mixtes, que l’on puisse mettre en évidence par l’expérimentation
Les questions auxquelles il s’agira de répondre à partir de l’expérimentation sont alors les suivantes :
- les joueurs sont-ils plus efficaces quand les communications ne soulèvent pas de difficultés ou le contraire ?
- le caractère nouveau des connotations associées au résultat assure-t-il pourtant la stabilité de ce dernier ?
- le résultat obtenu est-il plus stable lorsqu’il est obtenu par des joueurs qui appartiennent à la même culture et qui ne
sont pas novices ?
- les premiers coups sont-ils déterminants ou pas ?
- quels sont les types de médiations les plus efficaces ?
- dans quelle mesure un joueur est-il réellement capable de discerner à quel moment son partenaire est en train de
mettre sa résolution à l’épreuve ?
- quel est le rôle joué par l’incrémentation impliquée par l’enchaînement des coups et des systèmes de valeur ?
Les résultats pour l’instant démontrés étaient valables pour 2 joueurs mais le sociologue est persuadé qu’il vaut
également pour un nombre beaucoup plus important de joueurs.
Troisième Partie : Hasard et Stratégie
Chapitre 7 : Introduction d’un élément aléatoire dans un jeu du type
« promesse / menace »
Ce chapitre utilise la théorie des jeux pour étudier certains effets de l’introduction du hasard dans les jeux.
L’auteur rappelle l’intérêt que représente l’introduction de la notion de hasard dans la théorie des jeux (cf Von
Neumann) mais indique que le hasard joue un rôle moins important et de nature différente dans les « jeux mixtes ».
Dans les « jeux de pur conflit », étudiés par la théorie des jeux, le hasard :
* diminue le coût de la promesse et favorise donc l’élaboration de promesses
(ex : si la seule récompense que l’on puisse promettre est trop importante et par ailleurs impossible à partager, il
pourra être envisagé de substituer une certaine probabilité de gain à la totalité de la récompense, ce qui aura pour effet
de réduire le coût de la promesse pour la personne qui la formule (p217))
* augmente le coût de la menace et ne favorise par la formulation de menaces trop fortes
(L’élément aléatoire permet de remplacer une menace trop forte et indivisible par une menace plus réduite et
modérée, qui devient alors une « menace partielle », dépendant d’une probabilité connue. En outre, il existe un risque
« d’exécution accidentelle des menaces » qui rend moins attrayantes les menaces. Ce risque correspond ainsi à un
risque d’exécution accidentelle de la menace, indépendante du fait que l’adversaire l’ait respectée ou non. Ex :
Lorsqu’un individu se trouve armé face à un cambrioleur aussi armé, un coup peut partir, même si le cambrioleur
était prêt à se rendre)
Cet effet du hasard sur les promesses et les menaces s’explique par le fait que leur véritable coût dépend en fait de la
probabilité de les exécuter. Dès lors, on peut parler « d’engagement aléatoire », équivalent à un « premier coup »
déterminé par un dispositif effectuant un tirage au sort, les probabilités étant fixées par le joueur.
Chapitre 8 : Menace et hasard
Ce chapitre approfondit l’étude des menaces présentées au dessus
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Le but des menaces est de dissuader à priori. Pourtant, des « menaces partielles » peuvent quand même s’avérer
efficaces, grâce à un mécanisme plus complexe que lorsque la menace est assortie d’une certitude.
La « guerre limitée » entre ainsi dans cette catégorie de « menaces partielles » car elle comporte le risque de voir le
conflit se généraliser. Différents indices montrent le caractère potentiellement incontrôlable d’une guerre limitée :
innovations, transgression des limites, manifestations d’irresponsabilité, choix d’alliés résolus… Comme les risques
sont partagés entre les deux adversaires, il se peut ainsi qu’ils « laissent tomber ». Ainsi, on peut laisser
volontairement une situation se dégrader au point de ne plus pouvoir la maîtriser, dans l’espoir que la pression ainsi
exercée sur l’adversaire soit suffisamment forte pour l’amener à la résipiscence.
L’imperfection du processus de décision explique pourquoi il peut exister des « menaces partielles ». Cette
imperfection du processus de décision peut être constatée si on tient compte du fait que :
-les
décisions
sont
souvent prises sur des bases d’alerte ambiguës
-l a guerre peut résulter de l’adoption par les parties en présence de positions inconciliables dont aucune ne veut
démordre
- même le gouvernement le plus policé dispose d’un processus de décision imparfait car il associe un certain nombre
de personnes au processus de décision. Or, leurs valeurs et leur appréciation de la position de l’adversaire peuvent
être différentes. La prise de décision en période de crise dépend alors des personnes présentes.
- les capacités naturelles de l’Homme (intellectuelles et émotives) sont limitées en général et surtout en situation de
crise.
Quatrième Partie : L’attaque par surprise : le cas de la méfiance
réciproque
Chapitre 9 : La crainte réciproque d’une attaque par surprise
Ce chapitre analyse l’idée intuitive selon laquelle les probabilités d’attaque par surprise se trouvent amplifiées par un
« effet multiplication » quand elles sont combinées aux appréhensions réciproques des acteurs. Il s’agit donc de
déterminer comment le phénomène de « composition des attentes » est justiciable d’une procédure rationnelle de
décision : l’intuition, même si elle est le fruit d’une appréciation erronée, peut constituer à elle seule un phénomène
réel et justifier l’action (p255)
Si on raisonne uniquement sur les probabilités « objectives » (comme « la probabilité associée au caractère « réel » de
la volonté du premier joueur d’attaquer son adversaire » ou « la probabilité associée au fait que l’adversaire pense que
le premier joueur pense qu’il sera vraiment attaqué »), on ne trouve pas d’algorithme générateur de la série de
probabilités : chaque probabilité résulte finalement d’une décision indépendante et la vraisemblance d’une attaque
peut s’exprimer soit par une estimation exogène, soit par une certitude. Dans le cas où les adversaires jouent à tour de
rôle, on obtient la même matrice de gains grâce à un raisonnement par récurrence.
Nouvelle approche du problème
Le modèle de Schelling ne comporte ni critère de décision, ni hypothèse de comportement nous permettant de prévoir
quelle stratégie parmi les deux possibles sera choisie par l’un ou l’autre des joueurs. C’est en prenant en compte la
probabilité associée à la décision des joueurs et non une règle de décision que l’on peut prendre en compte les
phénomènes d’agrégation.
Ex du cambrioleur (cf p8 de la fiche) : je regarde la probabilité exogène que le cambrioleur a de tirer, cela me rend
nerveux et accroît mes chances de tirer. Voyant ma nervosité, le cambrioleur devient de plus en plus nerveux, ce qui
accroît aussi ses chances de tirer.
Ce modèle n’abandonne pas la rationalité mais prend en compte le fait que la nervosité existe, elle ne relève pas de
l’intelligence et que le joueur peut être un joueur « pseudo-collectif » (p269). dans ce dernier cas, les critères de
décision liés au système d’alerte peuvent être modifiés avec la probabilité d’être attaqué : les décideurs peuvent
chercher à diminuer le risque de défaillances de la riposte, ce qui a pour effet d’augmenter le risque de fausse alarme
susceptible d’entraîner des représailles.
Conséquence : la probabilité d’attaque de l’un des joueurs devient une probabilité croissante de la probabilité
d’attaque par son adversaire dans ce modèle.
Chapitre 10 : Attaque par surprise et désarmement
Ce chapitre compare le désarmement et l’attaque par surprise
Agrégation de sciences économiques et sociales / Préparations ENS 2005-2006
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Il ne faut pas considérer le désarmement comme une alternative de l’attaque par surprise.
- L’intérêt du désarmement est de contrôler que son visu ne prépare pas d’attaque mais aussi de procurer à ce dernier
l’occasion de constater lui aussi que rien ne se prépare contre lui.
- L’intérêt de l’attaque par surprise doit s’évaluer en fonction de la vulnérabilité éventuelle des forces de représailles.
Si ces forces sont invulnérables, il n’y a pas de raisons pour que l’un ou l’autre prenne l’initiative d’une attaque.. Cela
est d’autant plus vrai qu’une réaction précipitée comporte le risque de réagir à une alarme fausse.
Dans ces conditions, l’évaluation du potentiel militaire, des mesures de défense et de la portée réelle des mesures de
contrôle prend un rôle très important.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser,
- l’augmentation du nombre de missiles ne déstabilise pas le système tant qu’elle se fait de manière équilibrée entre
les différents protagonistes.
- le désarmement peut être déstabilisant. Il doit être total sous peine de désastre.
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