52 5 L’immobilier d’entreprise allemand et les investisseurs Par Marcus Cieleback, directeur de recherche, PATRIZIA Immobilien AG. 5.1/ SITUATION GÉNÉRALE C inq ans après le début de la crise financière, l’économie mondiale n’a toujours pas retrouvé son équilibre, bien au contraire : les déséquilibres semblent s’accroître, en particulier au sein de l’Europe et de la zone euro, car les points faibles, interconnectés, s’intensifient entre eux. Pour de nombreuses économies européennes, le redressement est balbutiant. De plus, pour corriger la mauvaise allocation des ressources observée pendant le boom, il faut s’armer de patience et déployer des efforts économiques considérables. Dans cet environnement marqué par l’incertitude, que les investisseurs institutionnels continuent d’estimer instable, les placements sûrs ont la cote. L’immobilier, en particulier, bénéficie d’une très grande popularité auprès des investisseurs institutionnels, aussi bien en Allemagne qu’à l’étranger. Dans ces circonstances, le choix entre les actifs core et les actifs opportunistes joue un rôle fondamental dans la décision de placement et, cinq ans après l’amorce de la crise financière, la balance continue généralement de pencher en faveur des placements core. Il est intéressant de constater qu’on ne s’accorde pas sur une définition d’un placement core. La seule donnée sûre, c’est qu’il s’agit pour les investisseurs d’effectuer le placement le moins risqué possible dans l’immobilier. Dans ce contexte, la sécurité et la faiblesse du risque sont également liées à l’environnement économique de l’immobilier. C’est pourquoi l’Allemagne et son marché de l’immobilier d’entreprise sont dans la ligne de mire de nombreux investisseurs institutionnels. 5.2/ Situation économique L e PIB allemand a enregistré en 2010 sa plus forte croissance depuis la réunification (+ 3,6 %) et cette évolution positive s’est largement poursuivie en 2011 (+ 3,0 %). Néanmoins, l’examen des différentes périodes de l’année 2011 montre une évolution plus nuancée. Après un premier trimestre marqué par une forte croissance, les perspectives économiques se sont assombries pendant l’été, pesant sur les résultats des trimestres suivants, un peu moins positifs. De nombreux indicateurs suggèrent une légère contraction de l’économie allemande au quatrième trimestre 2011, mais ce petit écart ne devrait pas se reproduire. L’économie allemande semble être revenue sur la bonne voie au premier trimestre 2012. La croissance devrait l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 83 54 l’immobilier d’entreprise allemand repartir peu à peu au cours de l’année, mais la faiblesse de la demande des autres pays de la zone euro empêchera une forte reprise. Graphique 1. Principaux indicateurs économiques Sources : PATRIZIA ; Bundesbank. La concentration dans les villes à forte croissance continue à s’accentuer. 12 10 5.3/ Structure régionale 8 6 En % 4 2 Q –0 –2 –4 –6 1996 PIB 1998 2000 2002 Taux de chômage 2004 2006 2008 2010 2012f Inflation La volte-face radicale en matière de politique des taux initiée par la Banque centrale européenne (BCE) à la fin de l’été 2011 s’est traduite par deux abaissements de 25 points de base chacun vers la fin de l’année dernière, à la suite de quoi le taux de refinancement s’élevait de nouveau à 1 %. Malgré cela, les problèmes de liquidités persistants du système bancaire des pays de la zone euro (y compris de l’Allemagne) et les incertitudes des marchés financiers ont continué de peser sur la croissance économique dans la zone euro au premier semestre. Ce qui a conduit la BCE à baisser, de nouveau, ses taux de 25 points de base, à 0,75 %. Cette dernière continue, en parallèle, d’introduire des contremesures non conventionnelles concernant les liquidités pour tenter d’éviter un rationnement du crédit, en particulier sur les marchés immobiliers. uels sont actuellement les sites les plus prisés des investisseurs en Allemagne ? Contrairement à la France et à la Grande-Bretagne, où le marché immobilier des capitales Paris et Londres est largement dominant, Berlin n’exerce pas ce type de domination sur le marché immobilier en Allemagne. De par la structure fédérale du pays, il existe différents sites d’investissement dont l’attractivité est comparable. À cela s’ajoutent les tendances régionales de réurbanisation, qui se sont accentuées au cours des dernières années à la suite de l’élargissement et de la diversification de la base exportatrice des villes et du développement du commerce transrégional dans le secteur des services. Résultat : les centres urbains continuent d’affermir leur position dans la division spatiale du travail. La concentration dans les (grandes) villes à forte croissance continue de s’accentuer et stabilise la structure polycentrique en répartissant les fonctions des métropoles (décision et contrôle, innovation et concurrence, nœud de transit) sur le territoire fédéral. En parallèle, on observe avec les espaces intermédiaires une interconnexion croissante des fonctions de métropole de plusieurs villes dans un contexte spatial plus large. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 83 56 l’immobilier d’entreprise allemand seurs pour ce secteur au cours des trois dernières années. L’Allemagne est ainsi devenue le marché de l’investissement immobilier le plus prisé d’Europe après le Royaume-Uni, et sa part du volume des transactions réalisées au sein de l’Europe ne cesse de progresser. Le volume de transactions reste toutefois nettement moins élevé qu’entre 2005 et 2007, époque où les transactions de portefeuille et les transactions individuelles avaient atteint leur sommet, avant le début de la crise financière. Carte 1. Zones métropolitaines en Allemagne Source : BBR Raumordnungsbericht (rapport sur l’organisation du territoire de l’Office fédéral pour le bâtiment et l’organisation du territoire). Kiel Schwerin Hamburg Szczecin Bremen Berlin Hannover Amsterdam Potsdam Graphique 2. Volume de transactions sur le marché de l’immobilier d’entreprise allemand Magdeburg Düsseldorf Sources : PATRIZIA ; PMA. Dresden Erfurt Voir page ci-contre. Liège Praha Wiesbaden Mainz Luxembourg Saarbrücken Stuttgart München 100 km Zürich Indice des fonctions des métropoles 250 100 10 © BBR Bonn 2004 Strasbourg Innsbruck Structure des espaces en fonction de l’accessibilité du centre et de la densité de population Espace central Espace intermédiaire Espace périphérique Autoroute fédérale 5.4/ MARCHÉ DE L’INVESTISSEMENT IMMOBILIER L es évaluations positives concernant la sécurité et les perspectives de l’immobilier d’entreprise allemand ont eu pour effet un intérêt croissant des investis- L’activité très dynamique de transactions observée en 2011 s’est poursuivie au premier trimestre 2012, bien que le volume de transactions tertiaires (5,3 Mde) ait légèrement reculé par rapport à la même période de l’année précédente. Toutefois, la période de référence sur 2011 avait été fortement marquée par les ventes du centre commercial CentrO Oberhausen (650 Me pour une participation de 50 %) et d’un portefeuille du groupe Metro (quarantecinq immeubles pour environ 700 Me). Le segment des immeubles de bureaux a très fortement progressé. En glissement annuel, les investissements dans l’immobilier de bureaux ont augmenté de 180 % au premier trimestre 2012, atteignant 2,2 Mde et devançant de nouveau l’immobilier de commerces au détail, qui a enregistré un volume de transactions d’environ 1,5 Mde. Les investissements dans l’immobilier de commerces au détail ont reculé de 56 % en raison des grosses transactions évoquées plus haut. La modification du classement des secteurs n’est pas due à la baisse de l’attractivité de l’immobilier de commerces au détail ou à la hausse de l’attractivité de l’immobilier de bureaux. Le volume des transactions est davantage déterminé par la disponibilité des immeubles d’investissement ciblés par les investisseurs. Environ 75 % des investisseurs venaient d’Allemagne, 15 % du reste de l’Europe et 11 % d’Amérique du Nord. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 83 58 l’immobilier d’entreprise allemand Graphique 3. Volumes d’investissements par secteur en Allemagne – Comparaison T1 2011 – T1 2012 Source : BNP Paribas Real Estate. Graphique 4. Écart entre le rendement des obligations et des immeubles de bureaux de 2000 à 2012 Sources : PATRIZIA ; Bundesbank ; CBRE. Bureaux Voir page ci-contre. En M€ Résidentiel Commerces de détail 5.5/ MARCHÉ DES IMMEUBLES DE BUREAUX Logistique Hôtellerie Autres immeubles commerciaux 0 Q1 2012 400 800 1 200 1 600 2 000 2 400 2 800 3 200 3 600 4 000 Q1 2011 Jusqu’à présent, les rendements sont restés très stables dans tous les secteurs et affichent globalement des niveaux semblables à ceux de l’an dernier. La fuite des placements dans les formes d’investissement sûres, provoquée par la crise de la dette souveraine dans la zone euro, ne s’est pas limitée à l’immobilier : elle s’est également traduite par une forte demande en obligations d’État allemandes sûres et liquides. Résultat : les obligations d’État allemandes à 10 ans ont été marquées par un recul continu des rendements, qui ne s’élevaient plus qu’à 1,8 % à la fin du premier trimestre 2012. En conséquence, l’écart entre le rendement des obligations et celui des immeubles de bureaux allemands a atteint un sommet. Il convient, toutefois, de se demander si cette situation n’est pas également due, dans une certaine mesure, à une bulle sur le marché des obligations. L’attractivité de l’immobilier allemand ne serait ainsi pas représentée « correctement » par cet écart de taux, qui reflèterait alors une prime de risque trop élevée pour les immeubles de bureaux. L es évolutions positives observées l’an dernier sur les marchés allemands des immeubles de bureaux se sont poursuivies pendant les premiers mois de 2012. Les marchés de Francfort et de Stuttgart, qui ont nettement devancé les autres principaux marchés allemands, ont enregistré une forte croissance de la demande. On constate, dans l’ensemble, un climat favorable et une accélération du nombre de recherches de grandes surfaces. Au premier trimestre, les seules transactions majeures ont été enregistrées à Francfort, avec notamment une prise en location de la banque Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) et du groupe Union Investment AG. Étant donné que plusieurs contrats (importants) sont en passe d’être conclus, on ne prévoit pas de baisse de la demande dans les mois à venir. La demande placée de bureaux d’ici à la fin de l’année devrait donc n’être que légèrement inférieure aux chiffres de l’an dernier. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 83 60 l’immobilier d’entreprise allemand La bonne santé de la demande reste confrontée à la faiblesse du volume de programmes neufs. Le taux de vacance va donc continuer de diminuer sur la plupart des marchés, comme l’an dernier. Les utilisateurs restent principalement intéressés par les surfaces de bureaux de qualité. On prévoit donc un niveau stable des loyers records sur le reste de l’année et on pourrait même observer de légères augmentations de loyer sur certaines localisations. Si l’on compare les marchés de bureaux européens d’envergure internationale, le niveau des loyers sur les principaux marchés de bureaux allemands reste relativement modéré, alors qu’une ville telle que Berlin peut se mesurer aux principaux pôles tertiaires de Londres ou de Paris en termes de surface absolue. 5.6/ MARCHÉ DES COMMERCES DE DÉTAIL A u premier trimestre 2012, les commerces de détail allemands ont enregistré une croissance du chiffre d’affaires réel de 0,8 % par rapport à la même période de l’année précédente, poursuivant ainsi leur dynamique de croissance, bien qu’à un rythme quelque peu ralenti. Les résultats du premier trimestre 2012 indiquent également une évolution positive sur les marchés de la location. Quelque 54 300 m2 ont été loués dans les hauts lieux du commerce allemands. Cette surface, qui représente 40 % du chiffre d’affaires total du marché de la location, est supérieure au résultat de l’année précédente (51 600 m2), déjà considéré comme excellent. Les grandes surfaces de 500 m 2 et plus sont de plus en plus demandées. Les commerçants du secteur de la mode ont été très actifs sur ce créneau : une série de magasins phares ont été ouverts sur des emplacements à forte visibilité. Toutefois, le gros des prises de location continue de concerner les segments aux superficies de magasins plus faibles, inférieures à 500 m2. Le secteur textile conserve la première place avec une part de 30 %, suivi du secteur de la gastronomie et de l’alimentation (dont la part est passée de 11 % à 23 %), de plus en plus présent dans les zones commerciales de premier plan des centres-ville. Parmi les entreprises particulièrement actives, on peut citer Dean & David, Vapiano, Dulce Chocolate & Ice Cream. La demande en provenance des autres secteurs reste constante dans l’ensemble. Seule exception notable, la demande dans le secteur des télécommunications et de l’électronique domestique a perdu du terrain : au premier trimestre 2012, elle représentait une part de 3 %, alors qu’à la même période de l’année dernière, ce chiffre s’élevait encore à environ 10 %. Comparaison entre Berlin, Londres et Paris (fin 2011) Berlin Surface disponible (millions de m2) Loyer record (€/m p.a.) 2 Rendement record (%) 7 premières villes allemandes Londres (centre) Paris (centre) 14,6 68,5 14,0 16,9 258,0 396,0 1 097,0 748,0 5,0 4,8 4,5 5,0 Sources : PATRIZIA ; PMA. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 83