Accompagnement et soutien psychologiques a`
domicile : expe´rience et re´flexions
L. Cludy
1
,F.Ellien
2
1
Unite´ de psycho-oncologie et centre de la douleur et de soins palliatifs, institut Gustave-Roussy
39, rue Camille-Desmoulins, F-94800 Villejuif, France
Exercice libe´ral, a` ce titre en lien avec le re´ seau de soins palliatifs ENSEMBLE (75)
2
Re´ seau soins palliatifs Essonne Sud, groupement hospitalier universitaire Sud
1, rue Georges-Cle´ menceau, F-91750 Champcueil, France
Correspondance : e-mail : [email protected] ; f[email protected]
Re´sume´:La cre´ ation de re´ seaux
de soins palliatifs destine´s aux
patients qui souhaitent mourir
chez eux s’est re´ cemment multi-
plie´ e. Des psychologues cliniciens
installe´ s en libe´ ral ont rejoint les
autres intervenants du domicile et
se sont engage´ s dans cette expe´-
rience nouvelle pour eux. Ils assu-
rent le suivi psychologique des
patients en soins palliatifs ou de
leur proche. Cet article de´ crit le
travail traditionnel du psychologue
et la spe´ cificite´ decenouveau
champ de la pratique qu’est le
domicile.
Mots cle´s : Soins palliatifs – Soins
a` domicile – Cancer – Pratique en
re´ seau Exercice libe´ ral Soutien
psychologique
Following and psychological
support at home: experience
and thoughts
Abstract: Networks of palliative
care for patients who wish to die
at home have recently spread all
over the country. Some clinical
psychologists working in private
practice have joined in with the
home-care teams, thus engaging
in an aspect of care, which is new to
them. These clinical psychologists
follow-up the patients and their
families all over the palliative
period. In this paper, we first des-
cribe the usual practice of clinical
psychologists working in private,
then how these networks of pallia-
tive care have been developed in
France and finally what is specific
to this new type of practice for
the clinical psychologist in private
practice who chooses to work
in a home-care practice with
patients in palliative care and their
families.
Keywords: Palliative care – Home-
care – Cancer – Network practice
Private practice – Psychological
support
Historique d’une pratique
Les co-auteurs psychologues clini-
ciennes ont une expe´ rience cli-
nique identique en cance´ rologie et
en soins palliatifs. Leur pratique du
domicile s’est de´ veloppe´e pour
l’une de` s 1996 et a de´ bute´ en 2005
pour l’autre.
En 1996, l’e´ quipe mobile de
soins palliatifs (EMSP) de l’hoˆ pital
Georges-Clemenceau APHP (91),
compose´ e d’un me´decin, dune
psychologue clinicienne et d’un
infirmier, obtient l’autorisation de
sortir de l’hoˆ pital pour travailler
aupre` s des acteurs du soin du
domicile : me´decins ge´ne´ralistes,
infirmiers libe´ raux... Afin de per-
mettre aux patients qui le de´ sirent,
de rester avec les leurs dans leur
univers familier. Cette e´quipe
apporte a` la demande, son exper-
tise, ses soutiens technique, logis-
tique et psychologique a`des
patients en soins palliatifs. C’est
dans ce travail hors les murs de
l’hoˆ pital que la psychologue se
rend au domicile pour offrir un
accompagnement psychologique
au patient et a` ses proches. Tre`s
vite, un impe´ ratif de´ja` constate´en
unite´ de soins palliatifs s’impose :
intervenir bien en amont des pha-
ses terminales de la maladie pour
e´ viter la complexification des situ-
ations, source de souffrances sup-
ple´ mentaires pour tous. Cette
EMSP va promouvoir une ve´ ritable
re´ flexion pour favoriser cette
pratique du soin psychique au
domicile et pour faciliter la commu-
nication entre les multiples acteurs
de soins dans le parcours du
patient.
De` s 1998, soucieux de re´ pondre
au mieux a`lare´alite´ du patient
cance´ reux au domicile, les prati-
ciens libe´ raux et hospitaliers en
cance´ rologie, en ge´ rontologie et
en soins palliatifs de´cident de
mutualiser leurs compe´ tences. En
effet, les hospitalisations, sont pour
des raisons diverses, de plus en
plus bre` ves et le patient se trouve
le plus souvent a` son domicile. C’est
le mode`ledure´ seau, cette nouvelle
organisation me´ dicopsychosociale
alliant la multidisciplinarite´a`un
lien ville–hoˆ pital qui semble re´pon-
dre au mieux a` cette ambition : a-
me´liorer la qualite
´ des prises en
charge au domicile, graˆce a`une
meilleure continuite´ , coordination
et proximite´ des soins dans leur
globalite´.
Oncologie (2006) 8: 1–6
©Springer 2006
DOI 10.1007/s10269-006-0418-y
ORIGINAL
1
C’est dans ce cadre que des
psychologues cliniciens hospita-
liers de l’Essonne confronte´ s aux
proble´ matiques du cancer, pren-
nent en compte les effets d’une
situation en mutation dans la prise
en charge de cette pathologie.
En effet, si les difficulte´ s psycho-
logiques commencent a`eˆ tre prises
en compte dans les soins de´ livre´sa`
l’hoˆ pital de` s 1998 sur l’impulsion,
notamment de la circulaire (DGS/
DH/AFS n
o
98-213 du 24 mars 1998)
qui stipule qu’il faut un psycho-
logue et un psychiatre forme´ s dans
les CLCC pour leur bon fonctionne-
ment et des premiers e´ tats ge´ne´-
raux des malades du cancer en
novembre 1998 qui soulignent la
ne´ cessite´ d’un accompagnement
psychologique tout au long de la
maladie. « Ces difficulte´ s psycho-
logiques continuent a` peser lourde-
ment sur la vie du patient, une fois
qu’il a rejoint son domicile » [5].
Il nous faut alors repenser l’offre
de soins psychiques pour ces
patients et leur entourage, cre´er
d’autres lieux pour l’accompa-
gnement psychologique.
Pour de tre` s nombreux de´ parte-
ments en France, la majorite´ des
patients atteints de cancers est
soigne´ e loin de leur domicile. En
particulier, pour le de´partement
de l’Essonne, plus de 60 % des
patients sont traite´s lors de la
phase curative du cancer hors du
de´ partement dans les CLCC et
CHU du sud parisien. On de´ nom-
bre 4000 nouveaux cas de cancer
par an sur ce de´ partement. Aux
vues du petit nombre des psycho-
oncologues dans ces institutions,
de leur charge de travail et de
l’e´ loignement ge´ ographique des
patients de leurs lieux de soins, un
constat s’impose : les patients et
leur proche se retrouvent dans
une quasi-exclusion du soin psy-
chique. Par ailleurs, bon nombre de
patients sont traite´ s dans des cen-
tres de proximite´, au sein de
services de spe´ cialite´ s diverses :
pneumologie, he´ matologie, derma-
tologie etc. Par exemple, une
enqueˆ te mene´ e avec le soutien de
la DASS de l’Essonne en 2000 qui a
pour objet de recenser sur le
de´ partement les possibilite´ s de pri-
ses en soins psychiques pour le
patient cance´ reux et son entourage
montre que le nombre de psycho-
logue dans ces e´ tablissements
est insuffisant, sur les neuf e´ tablis-
sements de sante´ traitant ces
pathologies, cinq n’ont pas de
psychologue et quatre disposent
en moyenne de 2,5 ETP de psycho-
logues, lesquels ont une activite´
transversale dans l’institution.
Comment re´ pondre aux demandes
d’accompagnement psychologique
des patients non hospitalise´ s et de
leur entourage dans ce contexte ?
En attente de stabilisation et de
meilleure visibilite´ des textes qui
re´ gissent alors les re´ seaux de soins
expe´ rimentaux, le travail des diffe´-
rents professionnels de sante´ et des
travailleurs sociaux se de´ veloppe
sur le terrain. Des liens se tissent,
des outils se cre´ ent et les e´ changes
sont fructueux avec un objectif :
potentialiser les ressources de la
ville et des institutions de sante´en
les maillant et en les coordonnant.
En 2001, l’association soins pal-
liatifs Essonne-Sud voit le jour. Il
nous faudra attendre 2002 pour la
naissance du re´ seau ville–hoˆ pital,
soins palliatifs Essonne-Sud, SPES,
pour officialiser ce maillage : cette
expe´ rience de l’EMSP de l’hoˆ pital
Georges-Clemenceau et de ces
praticiens libe´ raux et institution-
nels. Cette officialisation s’effectue
par l’obtention du fond d’aide a`
l’ame´ lioration de la qualite´des
soins de ville, FAQSV.
Tout au long de ces anne´es le
travail de la psychologue clini-
cienne au domicile des patients se
poursuit, accompagne´ d’une re´ fle-
xion sur les e´ ventuelles incidences
sur la pratique de ce lieu singulier.
Si cette expe´ rience d’une prise
en soins psychiques au domicile
s’est de´ veloppe´ e pour des situ-
ations palliatives de pathologies
cance´ reuses bien en amont de la
phase terminale, c’est qu’elle
correspond a` une ve´ ritable priorite´
en termes de sante´ publique.
De plus, le cadre des re´ seaux
autorise et favorise les innovations,
meˆ me si dans ce domaine de la
pre´ sence possible du psychologue
au domicile d’autres expe´ riences
existaient de´ja` : la psychiatrie de
liaison, notamment.
De` s 2002, de´ but de l’aventure
du re´ seau SPES, un montage orga-
nisationnel est e´ labore´ pour re´ ali-
ser des soins psychiques au
domicile, gratuits pour ses be´ne´ fi-
ciaires graˆce a` une subvention du
conseil ge´ne´ ral. Un autre dispositif
existait avec le meˆ me objectif au
sein du re´ seau Quie´ tude (75). Pour
ces deux re´ seaux les psychologues
cliniciens libe´ raux, inte´ resse´ s par
ces proble´ matiques et par l’e´ mer-
gence de cette pratique au domi-
cile, sont sollicite´ s, rencontre´s et
forme´ s. Ils sont re´ mune´re´ s sous
forme d’honoraires directement
par le re´ seau.
Tre` s rapidement en I
ˆle-de-
France tout au moins, les psycho-
logues des re´ seaux de soins
palliatifs et des institutions (hoˆ pi-
taux, HAD, centres d’accueil cancer
de la ville de Paris...) vont se
rencontrer et travailler sur ce qui
paraıˆt eˆ tre une « extension » d’une
pratique, a` l’œuvre jusqu’alors soit
en leur cabinet pour les libe´ raux,
soit dans les e´ tablissements de
sante´ jusqu’au domicile du patient.
Plusieurs communications sur ce
the` me sont re´ alise´ es et pre´ sente´es
dans diffe´ rents congre` s et collo-
ques [1].
Aujourd’hui, l’I
ˆle-de-France
compte dix re´ seaux de soins pallia-
tifs, budge´te´ s par la dotation re´ gio-
nale des re´ seaux, DRDR. Cette
question de l’offre de soins psychi-
ques au domicile est naturellement
prise en compte. C’est dans le cadre
d’une expe´rimentation re´ gionale
organise´ e par les tutelles ARHIF,
URCAMIF et les CPAM et les
re´ seaux de soins palliatifs qu’une
solution est trouve´ e. Un budget
DRDR spe´ cifique a` cette expe´ rience
est alloue´a` chacun des re´ seaux
participants. Il va permettre aux
me´ decins ge´ne´ ralistes et aux infir-
miers libe´ raux d’eˆ tre plus juste-
ment re´ mune´re´ s (majoration pour
le MG [30 euros en plus de la
tarification habituelle], cre´ation
d’acte n’existant pas dans la
nomenclature infirmie`re comme
l’acte d’e´ valuation douleur [7,5
ONCOLOGIE
2
euros maximum quatre fois par
jour...]) et aux psychologues libe´-
raux de percevoir des honoraires
(50 euros par consultation d’une
dure´ e moyenne de 45 minutes)
[www.urcamif.assurance-maladie.
fr, www.reseau-epsilon.fr].
Les re´ seaux ge` rent et adminis-
trent ces re´mune´ rations spe´ cifiques.
Cette expe´ rimentation de´ bute en
2005 et va permettre de de´ velopper
ce qui a e´te´initie´ par les re´ seaux
SPES et Quie´ tude aux autres terri-
toires franciliens : une offre de
soins psychiques gratuits pour ses
be´ne´ ficiaires tout comme a`lhoˆpital.
D’avril 2005, de´ but de l’expe´rimen-
tation a`finfe´ vrier 2006, 25 % des
patients (ou leur proche) inclus dans
les re´ seaux franciliens ont be´ne´ ficie´
d’un soutien par 30 psychologues
libe´raux re´partis en I
ˆle-de-France.
Sur cette pe´ riode de dix mois,
environ 1000 patients ont e´te´ inclus
par ces re´ seaux. Des donne´es affi-
ne´ es et exhaustives sur les motifs
des prises en soins psychiques,
leurs dure´ es entre autres seront
disponibles a` la fin de l’expe´rimen-
tation re´gionale en fe´ vrier 2007. Un
e´ valuateur externe aux re´ seaux est
en charge de l’e´tudedelapertinence
de cette expe´ rimentation.
D’autres expe´ riences se profi-
lent et ne vont tarder a` voir le jour.
Par exemple : la mise en œuvre de
la mesure 42 du plan cancer qui
devrait permettre aux patients a`
tous les stades de la maladie, de
be´ne´ ficier d’un soutien assure´ par
des psychologues libe´ raux soit a`
leur cabinet, soit au domicile. Ce
suivi psychologique sera e´ gale-
ment totalement gratuit pour le
patient.
Psychologue clinicien : quelle
formation ?
Notre formation est universitaire,
sanctionne´ e par un DESS (3
e
cycle,
Master professionnel) en psycholo-
gie clinique et psychopathologie.
Les psychologues cliniciens
re´ alisent des psychothe´rapies
d’approches diffe´ rentes, s’appuyant
sur des re´fe´rencesthe´ oriques diver-
ses (techniques corporelles, TCC,
psychanalyse, etc.) et de dure´es
variables.
L’enseignement que nous rece-
vons, nous donne les compe´ tences
ne´ cessaires pour exercer aupre`s
d’adultes et d’enfants, comme sala-
rie´ s en institution ou en exercice
libe´ ral. Le domaine institutionnel
pre´fe´ rentiellement investi par les
psychologues e´ tait jusqu’alors la
psychiatrie.
Ce n’est qu’assez tardivement
que les psychologues se sont inte´-
resse´ s aux champs de la me´ decine
et s’y sont investis. En effet, notre
formation initiale ne nous y desti-
nait pas et ne nous y pre´ parait
encore que tre` s rarement et ge´ne´-
ralement superficiellement. C’est
donc progressivement que nous
nous sommes fait une place dans
les e´ tablissements de sante´en
nous consacrant soit au soutien
des e´ quipes hospitalie` res, soit a`
un travail clinique aupre`s des
patients et de leurs proches.
Si notre formation universitaire
nous forme a` un langage commun
avec les e´ quipes de psychiatrie, en
revanche, la communication avec
des e´ quipes hospitalie` res qui trai-
tent de pathologies organiques a
ne´cessite´ la recherche d’une
« langue commune minimum »
sans laquelle il est impossible de
secomprendreetdesaisirles
enjeux d’une situation patholo-
gique et d’un traitement. Dans
cette pratique, nous nous situons
au carrefour unissant le somatique
et la psyche´ , sans pour autant qu’il
s’agisse force´ ment de psycho-
somatique.
Les pratiques traditionnelles
Qui s’adresse habituellement au
psychologue installe´ en libe´ral ? Il
peut s’agir de confre`res, de me´ de-
cins, de spe´ cialistes divers, etc.
Enfin, il s’agit d’un choix mutuel
car le travail qui va s’engager est
suppose´ s’inscrire dans un temps
relativement long. Recevoir un
patient en cliente` le prive´ e suppose
plusieurs e´le´ ments. D’abord, un
cadre choisi par le the´ rapeute en
fonction de ses crite` res esthe´ tiques
et souvent the´ oriques. Ensuite, un
lieu unique et fixe : les places sont
de´ signe´esa` l’avance et ne sont pas
modifie´ es, l’environnement reste le
meˆ me autant que possible, etc.
Pour ce qui concerne la scansion
du temps, la dure´ e des se´ ances est
toujours identique et l’horaire des
rendez-vous est fixe. La dure´e du
traitement et la fre´ quence des
entretiens varient selon les prati-
ques. Qu’en est-il du paiement ?
Tout d’abord, en France, les consul-
tations de psychologue ne sont
nomenclature´ es par aucun des
re´ gimes d’assurance maladie. Le
montant des honoraires fait l’objet
d’un accord et d’un engagement
mutuel entre les interlocuteurs.
En milieu institutionnel, les
patients nous sont adresse´s soit
par un membre de l’e´ quipe hospi-
talie` re. On demande une consulta-
tion de psychologie sans que soit
mentionne´ un nom particulier.
Dans les lieux ou` il existe plusieurs
psychologues, le choix se fait
sur des crite` res tels que : une
spe´ cialisation particulie`re, la
charge de travail, le lieu pre´fe´ rentiel
d’exercice, etc. Le patient a cepen-
dant le choix d’accepter ou de
refuser la proposition de consulta-
tion avec un psychologue.
Dans le meilleur des cas, le
cadre est ame´ nage´ par le ou les
cliniciens. L’unite´ de lieu est pre´-
serve´ e dans la mesure du possible
mais on peut eˆ tre contraint de
passer d’entretiens dans un bureau
a` des entretiens mene´ s au chevet
d’un patient. Pour ce qui est de la
dure´ e de la prise en charge psy-
chologique et de la fre´ quence des
entretiens, cela est fonction de la
nature de la maladie, de son e´ volu-
tion, des traitements et des effets
secondaires des the´ rapeutiques
etc. Le cadre est ici modulable.
Enfin, le psychologue e´ tant sala-
rie´ de l’institution, il ne peut exister
aucun e´ change d’honoraires.
Pratique du psychologue
clinicien a` domicile dans le
cadre des re´ seaux
A
`une e´ poque ou` socialement on
note un e´ clatement des re´fe´ rents
ORIGINAL
3
familiaux et des repe` res culturels,
n’est ce pas une gageure que de
vouloir de´ velopper une pratique
destine´e a` maintenir chez elles et a`
leur demande, des personnes gra-
vement malades, le plus souvent en
phase palliative. C’est pourtant bien
la` , la vise´ e des re´ seaux dont il est
question ici.
Pour un psychologue habitue´a`
travailler dans les conditions tradi-
tionnelles de´crites ci-dessus, le
passage a` une pratique clinique au
domicile ne´ cessite une autre
conception de son travail.
La demande et son circuit
Dans la grande majorite´ des situ-
ations, la demande d’un soutien
psychologique e´mane soit dun
membre de l’e´ quipe du domicile,
soit de l’e´ quipe hospitalie`re ou de
l’e´ quipe de coordination du re´ seau.
Ce circuit est analogue a` celui des
institutions.
Dans une moindre mesure, la
demande est effectue´e par
l’entourage, et ce qui e´ tait alors
rarissime au de´ but de cette expe´-
rience par le patient lui-meˆme.
Ne´ anmoins, il est fondamental
que cette demande soit analyse´e
et discute´e en e´ quipe : qui
demande de l’aide et pour qui,
pour quel be´ne´ fice escompte´ ? Qui
souffre ? La demande de la visite
d’un psychologue au domicile ne
peut eˆ tre syste´ matise´e. E
´vitons la
«psychomania» de´ nonce´e par
M. Derzelle dans ce qu’elle appelle
le « palliativement correcte » [3].
Depuis la cre´ ation des re´ seaux
nous avons invente´ et codifie´le
circuit de la demande. Les psycho-
logues libe´ raux se sont re´ partis des
« territoires ge´ ographiques » en
fonction de leur lieu d’exercice. Si
le patient et/ou son entourage
demandent un soutien psycho-
logique a` domicile, l’e´ quipe de
coordination du re´ seau confie au
demandeur les coordonne´ es d’un
clinicien pour qu’il puisse le contac-
ter et convenir d’une rencontre. Les
re´ actions sont variables : l’appel
peut eˆ tre imme´ diat, dans les semai-
nes suivantes ou seulement apre`s
le de´ce` s du patient ou ne jamais
advenir. Certains re´ seaux offrent
aux cliniciens la possibilite´dere´ fle´-
chir et de re´ ajuster ce cadre nou-
veau de leur pratique au cours de
re´ unions d’e´ changes entre psycho-
logues libe´ raux, hospitaliers ou
des re´ seaux rompus a` la clinique
palliative.
L’entretien psychologique
Au cours d’un entretien psycho-
logique, il nous faut permettre
l’e´ mergence d’un lien psychique
qui autorise une relation a`lautre
en dehors de tout objectif. Nous
n’amenons pas l’autre vers un but
que nous pensons eˆ tre le mieux
pour lui. Pour se re´ aliser nous
offrons habituellement un lieu neu-
tre, un rythme re´ gulier des entre-
tiens et un paiement des honoraires.
Au domicile ces principes ne sont
plus d’actualite´. Il nous faut
«bricoler »un espace et un temps
ou` la parole peut quitter le champ
social et familier pour permettre au
patient une e´ laboration psychique,
c’est-a` -dire tenter de donner du
sens a` ce qui lui arrive.
Nous accueillons un discours
changeant, qui te´ moigne des
fluctuations psychiques lie´es a`
l’effraction que repre´ sente la mala-
die grave chez un Sujet. Cela est
d’autant plus pre´ gnant quand
l’e´ chappement the´ rapeutique se
profile. L’ambivalence, l’incohe´-
rence, les questions contradictoires,
voire insense´ es peuvent s’exposer
dans cet espace particulier. Il n’est
pas question pour l’autre de tout
dire ou de parler de la mort [11].
Nous devons ici tordre le cou a`des
ide´ es qui ont cours dans l’imagi-
naire collectif : il ne nous incombe
pas d’annoncer une mort immi-
nente ou de pre´ parer le patient a`sa
mort, ni les proches au de´ce` s d’un
parent. Nous ne savons jamais ce
qui va se passer dans un entretien.
La suite des rencontres au domi-
cile est de´cide´ e en fonction de
divers parame` tres : les consulta-
tions hospitalie`res, les se´ances de
chimiothe´ rapie, les passages des
intervenants du domicile et surtout
par l’e´ tat du patient, de sa fatigue et
de sa capacite´a`entrerenrelation.
C’est en discutant avec le patient et
son entourage que nous essayons
de trouver le moment le plus pro-
pice a` nos rencontres. Certains
patients nous demandent de venir
apre` s leur toilette quand ils sont
habille´ s dans un de´ sir de maintenir
un lien social, ou apre` s le kine´si-
the´ rapeute car ils se trouvent plus
re´veille´ s et sont installe´ s conforta-
blement dans leur fauteuil [11].
Notre exercice doit eˆ tre plas-
tique. Le patient est le guide des
formes que peuvent prendre ces
entretiens. Il s’instaure pour beau-
coup d’entre eux une ritualisation
de nos visites aussi bien dans les
temps de nos rencontres, que dans
l’ame´ nagement de l’espace...
Dans l’intimite´ de son cabinet
ou de son bureau, c’est le psycho-
logue clinicien qui assigne sa place
a` celui qui vient le consulter. Ici, les
roˆ les sont inverse
´ s : nous sommes
« invite´s » a` nous installer a` tel
endroit, parfois peu confortable.
De plus, contrairement a` l’exercice
classique du psychologue en libe´ ral
ou` la rencontre se de´ roule dans le
calme avec un minimum d’inter-
ventions exte´ rieures, au domicile
du patient, les interfe´ rences sont
fre´ quentes et parfois nombreuses,
sans que l’on puisse toujours bien
les limiter.
Comme nous l’avons de´ja` pre´-
cise´ , nous savons combien la mala-
die a` risque le´ tal impose des
bouleversements psychiques pour
le patient et son entourage. Nous
apprenons en travaillant au domi-
cile qu’il en est de meˆ me de l’espace
prive´ et de son ame´ nagement : le
salon, lieu collectif se transforme
progressivement en chambre
d’hoˆ pital, les odeurs meˆme de la
maison peuvent changer, le lit
me´ dical peut faire son apparition.
Il s’ope` re ce que Jean-Christophe
Mino nomme la « publicisation de
l’espace prive´ » [8]. Au «remue-
me´ ninges »habituel pour un psy-
chologue se joint un «remue-
me´ nage »ge´ne´ ralise´!
Dans sa pratique clinique habi-
tuelle le psychologue ne sait du
patient que ce qu’il veut bien en
dire. Au domicile, des informations
sur lui sont livre´ es sans qu’elles
ONCOLOGIE
4
soient porte´ es par le langage :le
de´ cor, les objets, les meubles, les
photos... Ce fait ne doit pas eˆ tre
ignore´ du psychologue mais ana-
lyse´ . Est-ce une aide ou une geˆne
pour nous ? Quelle(s) incidence(s)
sur notre neutralite´ne´ cessaire dans
ce temps d’e´ coute et de soutien a`
l’autre ?
Que faire de ces informations
qui peuvent induire chez le psycho-
logue des questions sur l’organi-
sation et l’histoire familiales ? Les
verbaliser aupre` s du patient ou
attendre qu’elles surgissent au
cours d’un entretien ? Une seule et
unique re´ ponse a` cette spe´ cificite´
du domicile n’existe pas. Chaque
psychologue devra dans cette ren-
contre toujours particulie`rea` l’autre
y trouver re´ ponse.
Autre particularite´ du travail a`
domicile, la confidentialite´du
suivi psychologique (et non du
contenu des entretiens, qui est
bien suˆ r respecte´ e) ne peut exister.
En effet, si le patient a un entourage
pre´ sent aupre` s de lui, la visite d’un
psychologue est « visible » de tous
et ce dernier rencontre fatalement
au moins l’un des proches. Ainsi,
tant dans l’exercice libe´ ral que dans
la pratique institutionnelle de notre
profession, l’entourage peut totale-
ment rester dans l’ignorance du
suivi psychologique et rare sont
les contacts avec un proche, sauf
dans le cas particulier de la clinique
infantojuve´ nile. Or, dans le cadre
du domicile, nous sommes souvent
amene´s a`e´ couter les proches, a`
de´ buter un entretien a` deux et le
terminer a` plusieurs parce que le
conjoint est rentre´ du travail ou les
enfants reviennent de l’e´ cole.
De plus, nous devons partager
des informations avec les autres
intervenants du domicile et avec
l’e´ quipe de coordination du re´seau.
Sont communique´ s les e´le´ ments
utiles au travail en e´ quipe dans le
respectdelaconfidentialite´et
lacceptationdsecret partage´ ».
C’est une pratique quotidienne pour
les psychologues qui exercent en
institution, mais elle est nouvelle
pour les psychologues libe´ raux.
Partager l’information utile afin
d’ame´liorer la qualite´delapriseen
charge et pour re´ pondre aux sollici-
tations re´gulie` res des autres pro-
fessionnels pour les e´ clairer a`lafois
sur ce qu’ils ne comprennent pas ou
sur les de´ cisions qu’ils doivent
prendre... Alors le partage et
l’e´ change doivent avoir cours. Pour
autant, la place du psychologue
reste particulie` re. En effet, tous les
autres acteurs du soin sont forme´sa`
des pratiques « techniques ». En
cela, les psychologues sont diffe´-
rents puisque leur seul outil pour
aller a` la rencontre de l’autre est
l’e´ change langagier. Contrairement
aux autres intervenants, nous res-
tons a`distanceducontactphysique
direct avec le patient sauf s’il
sinscritdansunlienouuncode
social.Enfin,lemodedepaiement
de nos visites est particulier dans ce
cadre des re´ seaux puisqu’il se fait
hors de la vue de nos patients et du
contexte de notre intervention.
Pre´ vention et anticipation
Le psychologue peut eˆ tre conduit
sur des chemins peu habituels
pour lui. Il nous est parfois
demande´de´ valuer la faisabilite´
du maintien au domicile du patient,
non pas dans sa dimension orga-
nisationnelle et pratique mais pour
re´ pondre a`lapre´vention des
conse´ quences psychopathologi-
ques de l’entourage. Meˆ me s’il est
aujourd’hui e´ vident que le maintien
au domicile ne doit jamais eˆ tre un
de´ fi ni pour les proches ni pour
l’e´ quipe du domicile, cette e´ valua-
tion reste difficile car labile dans le
temps. E
´valuer autant que ne´ ces-
saire et appre´ hender les ressour-
ces psychiques des proches restent
choses complexes. Il semblerait
que nous soyons compe´ tents en
ce domaine : re´ alite´ ou gageure ?
E
´valuer les ressources et les possi-
bilite´ s psychiques d’une famille,
pre´ venir certains incidents psychi-
ques, e´ viter une surcharge de souf-
france, anticiper les ruptures et les
hospitalisations dans l’urgence.
Voila` ce qui nous est parfois
demande´ . La litte´ rature scientifique
montre que la souffrance psy-
chique des familles se traduit
par des troubles du sommeil,
une asthe´ nie et des troubles
anxiode´ pressifs. Il semblerait que
les e´ tats de´ pressifs des proches
soient divise´ s par deux lorsqu’ils
be´ne´ ficient d’un accompagnement
psychologique [7]. En effet, l’e´ pui-
sement physique et psychique
des familles est l’une des premie`-
res causes de re´ hospitalisation en
urgence des patients [9]. Ces
re´ hospitalisations sont source
d’inconfort et de traumatisme
pour tous.
Soulignons aussi qu’apre`s le
de´ce` s d’un patient, ses proches
sont expose´sa`unrisquedede´pres-
sion. En effet, c’est de fac¸on natu-
relle que lui incombe le roˆle de
«re´fe´ rent », rarement mis en ques-
tion par l’entourage ou par les
intervenants au domicile. Soyons
attentif a` celui qui tel un soignant
«ge` re son parent malade avec
efficacite´ et sans de´ faillance ». Les
proches tiennent une place centrale
dans le maintien au domicile de leur
parent. Sans eux le de´ sir du patient
est bien souvent difficile a` honorer.
Nous avons e
´galement a`pre´venir
les incidences psychiques sur
l’entourage d’une application non
pense´ e du cadre le´gal re´ cent : no-
tamment en ce qui concerne la
personne de confiance (loi du 4
mars 2002) [6] et le roˆ le des proches
dans les de´cisionsd’arreˆtlimitation
the´rapeutique (loi du 22 avril 2005).
Pour ce faire, le temps de pre´-
sence du psychologue au domicile
est parfois temps de remise en
circulation d’une parole dans la
famille, une parole, parfois entra-
ve´ e par la maladie et le pronostic. Il
re´ initie une certaine mobilite´ psy-
chique dans les e´ changes fami-
liaux.
Nous accordons une place par-
ticulie` re aux familles avec des
enfants ou des adolescents. Il nous
faut leur permettre de maintenir le
lien ou de renouer le dialogue avec
leurs parents. Il est aise´ d’imaginer
a` quel point le parent malade risque
de se trouver dans l’impossibilite´de
tenir son roˆle de pe`re ou de me`re.
Ceci d’autant plus que l’enfant
jeune peut eˆ tre anime´a`sone´gard
de sentiments ambivalents. Il peut
montrer un agacement et une
agressivite´ envers celui qui n’est
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