L’Année psychologique
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La représentation des scènes visuelles en mémoire : les apports
de la cécité au changement
Emmanuelle Boloix
L’Année psychologique / Volume 107 / Issue 03 / September 2007, pp 459 - 487
DOI: 10.4074/S0003503307003053, Published online: 03 June 2009
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Emmanuelle Boloix (2007). La représentation des scènes visuelles en mémoire : les apports de la cécité au
changement. L’Année psychologique, 107, pp 459-487 doi:10.4074/S0003503307003053
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L’année psychologique, 2007, 107, 459-487
La représentation des scènes visuelles
en mémoire : les apports de la cécité
au changement
Emmanuelle Boloix*
Laboratoire Parole et Langage, CNRS UMR 6057, Aix-en-Provence
RÉSUMÉ
Cet article pose la question de la représentation des scènes visuelles en
mémoire. Plus particulièrement, il propose une synthèse des études
comportementales qui se sont intéressées aux déterminants cognitifs de la
représentation des scènes visuelles en mémoire. Deux facteurs, impliqués
dans la représentation des scènes visuelles, sont ainsi dégagés : l’intérêt
sémantique des informations visuelles portées par la scène (
i.e.
dans quelle
mesure l’information visuelle permet d’appréhender la scène), et leur perti-
nence par rapport à la tâche qui incombe à l’observateur (
i.e.
dans quelle
mesure l’information visuelle est la cible d’une tâche de recherche visuelle
de type). Ensuite, cet article examine la question du niveau de détail porté
par nos représentations visuelles, et tente de départager les deux conceptions
dominantes de la littérature (les représentations visuelles sont hautement vs.
pauvrement détaillées). Enfin, il leur propose une hypothèse alternative : dif-
férents niveaux de représentation sous-tendent la perception des scènes
visuelles.
The representation of visual scenes: New insight from change
blindness studies
ABSTRACT
This paper deals with the representation of visual scenes. The paper proposes a review of
recent works involving either change blindness paradigm or eye movements recordings
having shown that visual representations of scenes rely on cognitive factors: semantic interest
(i.e. what visual information is useful to extract the meaning of the scene) and task-relevance
(i.e. whether visual information is relevant to the task) of visual information. Moreover, this
paper disentangles the two main issues about the degree of detail of representation stored in
memory (high vs. poor). Finally, an alternative to the highly vs. poorly detailed representa-
tion issues is proposed. This issue states that scene perception relies on different levels of
representation of scenes.
*Correspondance : UFR Psychologie, Sciences de l’Éducation, 29, av. Robert Schuman, 13621 Aix en Provence
cedex 1. E-mail : [email protected]
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Emmanuelle Boloix
L’année psychologique, 2007, 107, 459-487
La question de la représentation en mémoire des scènes visuelles complexes a
rencontré un regain d’intérêt avec la résurgence du phénomène de cécité
au changement (Di Lollo, 1980 ; McConkie & Zola, 1979 ; O’Regan,
2001 ; Pashler, 1988 ; Phillips, 1974 ; Rensink, 2001, 2002 ; Simons, 2000 ;
Simons & Ambinder, 2005 ; Simons & Levin, 1997 ; Simons & Rensink,
2005). La cécité au changement fait référence à la surprenante difficulté
de détecter (McConkie & Currie, 1996 ; Phillips, 1974 ; Scott-Brown,
Baker, & Orbach, 2000), de localiser (Fernandez-Duque & Thornton,
2000 ; Smilek, Eastwood, & Merikle, 2000) ou d’identifier (Mondy & Col-
theart, 2000 ; Watanabee, 2003) un changement opéré sur une scène
visuelle pendant une interruption visuelle (e.g. un clignement de pau-
pière, une saccade oculaire…). En effet, lorsque le changement est
concomitant avec une interruption visuelle, le réflexe de fixation, inéluc-
tablement engendré par la modification opérée dans la scène, est court-
circuité : l’attention n’est plus orientée vers la localisation du changement
sur la base de ce facteur exogène, et la réussite de la détection des change-
ments ne peut plus s’appuyer que sur des processus mnésiques pour
déterminer quel item de la scène a été changé
1
. Aussi, ces dernières années
ont vu la cécité au changement être utilisée comme un moyen d’étudier la
représentation en mémoire des objets et des scènes visuelles (Simons
& Levin, 1997 ; Simons, Mitroff, & Franconeri, 2003).
La cécité au changement est un phénomène robuste, qui se manifeste dès
que le changement réalisé sur la scène est masqué par une interruption
visuelle, que cette interruption soit le fait d’une saccade oculaire
(Carlson-Radvansky & Irwin, 1995 ; Irwin, 1992 ; McConkie & Currie,
1996 ; McConkie & Zola, 1979 ; Verfaillie & De Graef, 2000), d’un cligne-
ment de paupières (O’Regan, Deubel, Clark, & Rensink, 2000), ou qu’elle
résulte au contraire d’une intervention expérimentale comme un décalage
de l’image par rapport à sa position d’origine (Blackmore
et al.
, 1995),
l’insertion d’un masque local
2
(O’Regan, 2001 ; O’Regan, Ren-
sink, & Clark, 1999) ou global
3
(Pashler, 1988 ; Phillips, 1974 ; Rensink,
O’Regan, & Clark, 2000 ; Simons, 1996), une coupure dans la dynamique
de la scène
4
(Levin & Simons, 1997), ou même quand il n’y a pas, à pro-
prement parler, d’interruption visuelle, à condition que la survenue du
changement se fasse graduellement, de sorte à ne pas attirer l’attention de
manière exogène (Auvray & O’Regan, 2003 ; Simons, Franconeri, &
1
Lorsqu’au contraire, le changement n’est pas concomitant avec une interruption visuelle, l’attention est auto-
matiquement dirigée vers la région du changement, lequel est immédiatement détecté (Blackmore, Brelstaff,
Nelson, & Trocianko, 1995 ; Rensink, O'Regan, & Clark, 1997).
2
Qui recouvre quelques zones de la scène seulement.
3
Qui recouvre l’intégralité de la scène.
4
Cette méthode implique le même procédé de changement de plan que celui utilisé au cinéma.
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Reimer, 2000). La cécité au changement se retrouve quels que soient les
changements effectués sur la scène (addition, délétion, changement de
couleur, déplacement, ou rotation d’un objet de la scène, Aginsky & Tarr,
2000 ; Blackmore
et al.
, 1995 ; Cole, Kentridge, Gellatly, & Heywood,
2003 ; Mondy & Coltheart, 2000 ; O’Regan
et al.
, 1999), et se manifeste
autant sur du matériel visuel simple (figures géométriques, dispositif de
lettres ou de chiffres…, Becker & Pashler, 2002 ; Di Lollo, 1980 ; Fer-
nandez-Duque & Thornton, 2000 ; Landman, Spekreijse, & Lamme,
2003 ; Phillips, 1974 ; Scott-Brown
et al.
, 2000 ; Stolz & Jolicoeur, 2004 ;
Thornton & Fernandez-Duque, 2000 ; Tijus & Reeves, 2004) que plus
complexe, qu’il soit statique (dessins de scènes naturelles ou de formes
complexes et ambiguës, photographies de scènes naturelles… Blackmore
et al.
, 1995 ; McConkie & Currie, 1996 ; Mondy & Coltheart, 2000 ;
O’Regan
et al.
, 1999 ; Simons & Ambinder, 2005 ; Simons
et al.
, 2000 ;
Tatler, Gilchrist, & Rusted, 2003 ; Werner & Bjorn, 2000 ; Williams &
Simons, 2000), ou dynamique (Levin & Simons, 1997 ; Shinoda, Hayhoe,
& Shrivastava, 2001 ; Wallis & Bülthoff, 2000), voire plus écologique
encore dans le cas des cécités au changement observées dans des interac-
tions avec le monde réel (Angelone, Levin, & Simons, 2003 ; Levin,
Simons, Angelone, & Chabris, 2002 ; Simons, Chabris, Schnur, & Levin,
2002 ; Simons & Levin, 1998). Enfin, le phénomène de cécité au change-
ment ne semble dépendre ni des durées de présentation du stimulus
(Rensink
et al.
, 2000), ni de la durée ou de l’apparence du masque visuel
utilisé (Rensink
et al.
, 2000 ; Shore & Klein, 2000 ; Tijus & Reeves, 2004).
Enfin, il se retrouve quel que soit le type de réponses recueilli, qu’il
s’agisse de réponses explicites (report verbal du changement détecté,
latences de détections…, Mitroff & Simons, 2002 ; Shinoda
et al.
, 2001 ;
Simons, 1996), ou implicites (saccades oculaires en direction du change-
ment perçu, rapidité de la réponse à une autre tâche…, Fernandez-
Duque & Thornton, 2000 ; Hayhoe, 2000 ; Mitroff, Simons, & Franconeri,
2002 ; Thornton & Fernandez-Duque, 2000).
Toutes les études sur la cécité au changement s’entendent sur un point :
l’attention focalisée sur un objet est requise pour que son changement
puisse être détecté (Hollingworth, Williams, & Henderson, 2001 ; Levin,
Simons
et al.
, 2002 ; Mondy & Coltheart, 2000 ; Noë & O’Regan, 2000 ;
Noë, Pessoa, & Thompson, 2000 ; O’Regan, 2001 ; O’Regan
et al.
, 2000 ;
O’Regan
et al.
, 1999 ; Rensink, 2000c, 2000d, 2002 ; Rensink
et al.
, 1997,
2000 ; Scholl, 2000 ; Simons, 2000 ; Simons & Ambinder, 2005 ;
Simons & Levin, 1997 ; Williams & Simons, 2000), mais bien que néces-
saire, celle-ci n’est pas un facteur suffisant à la représentation en mémoire
des informations visuelles. Ainsi, la détection des changements n’est pas
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systématiquement assurée lorsque l’objet du changement est focalisé par
l’œil et/ou l’attention, comme en témoignent plusieurs recherches (Levin,
Simons
et al.
, 2002 ; O’Regan
et al.
, 2000 ; Simons & Levin, 1998). Par
exemple, dans la recherche menée par O’Regan et collaborateurs, 40 %
des changements survenant sur des objets visuels pourtant focalisés par
l’œil ne sont pas détectés par les participants, et les recherches sur la
cécité au changement menées dans le cadre d’interactions avec le monde
réel
1
montrent que près de la moitié des participants ne s’aperçoit pas
qu’une autre personne s’est substituée à celle avec laquelle ils s’entrete-
naient alors même qu’elle est la cible de leur attention.
Par conséquent, le parti pris des expériences sur la cécité au changement
a été le suivant : puisque les changements ne s’accompagnent pas de fac-
teurs exogènes susceptibles d’accaparer les traitements attentionnels et de
favoriser leur détection, alors on peut considérer que les changements qui
ont été détectés par les participants témoignent des informations qui ont
été focalisées par l’attention et représentées en mémoire de façon suffi-
samment précise pour soutenir la détection de leur changement. Ainsi, les
facteurs de la détection des changements sont le reflet des facteurs de
la représentation en mémoire des informations visuelles (Simons &
Ambinder, 2005 ; Simons & Rensink, 2005). Aussi, les sections suivantes
proposent une synthèse des facteurs influençant la représentation des
informations contenues dans les scènes visuelles en mémoire.
LES FACTEURS INFLUENÇANT LA REPRÉSENTATION
EN MÉMOIRE DES OBJETS VISUELS
Récemment, il a été mis au point des paradigmes permettant d’étudier
quels sont les objets de la scène qui sont traités en détail et représentés en
mémoire, autant du point de vue de la qualité de leur représentation et de
leur rapidité d’accès : le paradigme « flicker » et le paradigme « muds-
plash ». Ces deux paradigmes permettent une perception quasi continue
de la scène.
1
Classiquement, dans ces expériences, l’expérimentateur va à la rencontre d’un piéton et lui demande le chemin à
suivre pour se rendre à un point X. Pendant que le sujet donne ses indications, le contact visuel entre l’expérimen-
tateur et le sujet est brièvement interrompu par le passage de deux compères transportant une vitre opaque. Pen-
dant cette interruption visuelle, l’expérimentateur est remplacé par l’un des compères. Alors que les deux
personnes interchangées diffèrent par leur physionomie, leurs vêtements, leur couleur de cheveux et leur voix, rares
sont les participants qui rapportent, a posteriori, un changement d’interlocuteur, même lorsqu’ils sont directement
questionnés sur ce point (Levin, Simons
et al.,
2002 ; Simons
et al.
, 2002 ; Simons & Levin, 1998).
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