Le rôle du travailleur social en Centre de Cure Ambulatoire en

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MEMOIRE DU DIPLÔME SUPERIEUR EN TRAVAIL SOCIAL
Ecole Supérieure de Travail Social
Le rôle du travailleur social en Centre de
Cure Ambulatoire en Alcoologie
Comment s’exerce son action dans le cadre du dispositif
spécialisé de prévention et de soins ?
Mémoire présenté par :
Catherine Gallo
Sous la direction de :
Elisabeth Vidalenc
Février 2005
MEMOIRE DU DIPLÔME SUPERIEUR EN TRAVAIL SOCIAL
Ecole Supérieure de Travail Social
Le rôle du travailleur social en Centre de
Cure Ambulatoire en Alcoologie
Comment s’exerce son action dans le cadre du dispositif
spécialisé de prévention et de soins ?
Mémoire présenté par :
Catherine Gallo
Sous la direction de :
Elisabeth Vidalenc
Février 2005
A Matthieu
Je remercie chaleureusement tous ceux qui m’ont aidée, soutenue, tout au long
de la rédaction de ce mémoire.
Du désir à la réalisation, j’ai parcouru un long chemin.
Il a fallu beaucoup de patience à ma famille pour me laisser le temps de
travailler, d’évoluer, et je lui en sais gré.
Durant ces trois années, nos formateurs nous ont appris à « déconstruire » nos
savoirs, à prendre du recul par rapport à notre expérience, à formaliser notre
pensée. Ils m’ont permis de progresser et je leur en suis reconnaissante.
A Jeanne Balland, une pensée toute particulière pour sa fine perception des
intempéries qui perturbent le voyage, pour son écoute attentive et
thérapeutique.
Je remercie mes camarades de leur présence chaleureuse, de leur humour,
petite musique sans laquelle « on peut vivre… mais pas si bien ».
Je remercie enfin ma directrice de mémoire, Elisabeth Vidalenc, pour sa
pédagogie, pour le soin qu’elle a apporté à m’orienter dans une juste direction.
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION
p. 4
PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE LA RECHERCHE
p. 12
I- APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE
p. 12
I-1 L’alcool : données générales
I-1-1 Définitions
I-1-2 La notion de dépendance
I-1-3 Quelques données épidémiologiques
p. 13
p. 13
p. 14
p. 16
I-2 Une histoire de la lutte contre un « fléau social »
I-2-1 Les précurseurs
I-2-2 Le tournant des années 1950
I-2-3 Une nouvelle implication de l’Etat à partir de 1970
I-2-4 L’évolution du dispositif spécialisé à partir de 1998
p. 16
p. 17
p. 18
p. 18
p. 21
I-3 La complexité du réseau actuel de prise en charge des personnes vivant
p. 25
avec un problème d’alcool
p. 26
I-3-1 Les réseaux de professionnels non spécialisés
p. 26
I-3-2 Les associations d’anciens malades
p. 26
I-3-3 Le dispositif de soins ambulatoires et de prévention
p. 28
I-3-4 Les soins hospitaliers
p. 29
I-3-5 Les centres de cure
p. 29
I-3-6 Les centres de post-cure
I-4 L’organisation du Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie
p. 31
I-5 Le Centre A. R.
I-5-1 Une équipe pluriprofessionnelle
I-5-2 La fonction, le rôle et les tâches du travailleur social
I-5-3 L’exercice du travail social en équipe pluriprofessionnelle
p. 32
p. 36
p. 33
p. 37
I-6 Le Congrès de Nîmes (juin 2004) : une instance de réflexion sur
le travail social en alcoologie
p. 41
II- APPROCHE THEORIQUE
p. 44
II-1 Définitions des concepts
II-1-1 Institution et Organisation
II-1-2 Stratégie
p. 44
p. 44
p. 45
II-2 Le choix des modèles théoriques
p. 46
II-3 L’analyse stratégique selon M. Crozier et E. Friedberg
II-3-1 Les quatre principes de l’analyse stratégique
II-3-2 L’intérêt de l’analyse stratégique
II-3-3 Les postulats de la stratégie des acteurs dans une organisation
p. 47
p. 47
p. 47
p. 48
2
II-3-4 La zone d’incertitude
II-3-5 Les jeux de pouvoir
II-3-6 La méthodologie de l’analyse stratégique
p. 48
p. 49
p. 50
II-4 L’action du travailleur social fondée sur la légitimité de compétence
selon H. Hatzfeld
p. 52
II-5 Les dimensions cachées d’une organisation : le regard clinique
d’E. Enriquez
II-5-1 Le niveau mythique
II-5-2 Le niveau « social-historique »
II-5-3 Le niveau de l’organisation
p. 55
p. 55
p. 56
p. 57
II-6 La mise en œuvre des stratégies du travailleur social
II-6-1 De nouvelles stratégies à envisager
p. 58
p. 58
Synthèse de la problématique et hypothèse
p. 61
p. 62
DEUXIEME PARTIE : LA RECHERCHE
p. 63
I- METHODOLOGIE ET CONDITIONS DE REALISATION DE L’ENQUETE
p. 63
I-1 Les étapes préliminaires à l’enquête
I-1-1 Le choix de l’objet de recherche
I-1-2 L’outil méthodologique : l’entretien semi-directif
I-1-3 Les entretiens exploratoires
I-1-4 Les critères de choix des personnes interrogées
I-1-5 Le guide d’entretien
I-1-6 Les limites de la recherche
p. 63
p. 63
p. 63
p. 63
p. 64
p. 66
p. 66
I-2 Les conditions de réalisation de la recherche
I-2-1 Le cadre de l’entretien
I-2-2 Le déroulement des entretiens
p. 67
p. 67
p. 68
I-3 La méthodologie pour l’analyse des données
I-3-1 La méthodologie d’analyse du contenu
I-3-2 La difficulté de l’analyse catégorielle
p. 68
p. 68
p. 69
II- L’ENQUETE
II-1 La reconnaissance interne
II-1-1 Les missions du CCAA
II-1-1-1 Les textes
II-1-1-2 Le modèle théorique des CCAA
p. 71
p. 71
p. 71
p. 71
p. 73
p. 75
II-1-2 Le type d’organisation du CCAA
II-1-2-1 Le rôle spécifique du travailleur social par rapport
p. 75
aux autres intervenants en CCAA
p. 82
II-1-2-2 Le mode de fonctionnement du CCAA
3
II-1-3 L’évaluation des activités en interne
p. 84
II-1-4 Conclusion de la reconnaissance interne
p. 84
II-2 La reconnaissance externe
II-2-1 L’identité du CCAA et l’orientation institutionnelle
p. 88
p. 89
II-2-2 L’identité professionnelle du travailleur social
II-2-2-1 Le positionnement du travailleur social par rapport
aux autres métiers de « la relation d’aide
individualisée »
II-2-2-2 Le positionnement du travailleur social par rapport
aux formations universitaires
II-2-2-3 L’ambiguïté de l’identité du travailleur social
II-2-2-4 La représentation du travailleur social en CCAA
auprès du public
II-2-3 Les relations du travailleur social avec l’organisme
gestionnaire
p. 90
II-2-4 Les actions transversales : réseau et partenariat
II-2-4-1 Le réseau des travailleurs sociaux en alcoologie
II-2-4-2 Les réseaux thérapeutiques
II-2-4-3 Les réseaux d’insertion tissés avec les autres
secteurs du travail social
II-2-4-4 Le partenariat contractualisé avec les associations
p. 95
p. 95
p. 96
p. 97
p. 91
p. 91
p. 92
p. 93
p. 94
p. 99
II-2-5 L’évaluation des activités en externe : statistiques, comptes
rendus, présentation de résultats
p. 99
II-2-6 Conclusion de la reconnaissance externe
p. 100
III- ANALYSE DES RESULTATS A PARTIR DES INTERVIEWS
p. 101
III-1 La position du travailleur social dans son cadre organisationnel
III-1-1 L’incertitude et la contingence de « l’ordre local »
III-1-2 Les divergences dans l’approche du soin
III-1-3 La cohésion des CCAA
III-1-4 Les groupes de parole de travailleurs sociaux
p. 101
p. 101
p. 102
p. 103
p. 103
III-2 Les différents types de stratégies du travailleur social
p. 105
III-3 Quelques réflexions sur les conditions de réussite de ces stratégies
p. 106
CONCLUSION GENERALE
p. 110
BIBLIOGRAPHIE
p. 115
ANNEXES
4
« Ne te demande pas ce qu’on a fait de toi.
Demande- toi ce que tu fais de ce qu’on a fait de toi ».
Les Sages (L’Express, décembre 2004)
INTRODUCTION
La question du rôle du travailleur social dans une équipe de soins est née de notre
expérience d’assistante sociale dans un centre d’alcoologie désigné actuellement sous le
terme de Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA). La fonction du travailleur
social en alcoologie, dont l’objectif principal est la réinsertion du malade alcoolique, se
situe dans une zone intermédiaire entre le champ "médico-psychologique" et celui de
l'action sociale généraliste.
Dans le cadre de ce mémoire, nous utiliserons le terme de « travailleur social » parce que la
fonction, telle qu’elle se présente en centre d’alcoologie, peut faire appel à plusieurs
professions sociales : la plus courante est celle d’assistant de service social mais on
rencontre également des éducateurs spécialisés, des conseillers en économie sociale et
familiale et aussi des « visiteurs sociaux » que nous définirons plus loin.
La mission de ce type de structure est de prévenir le consommateur des risques encourus
par l'usage abusif de l’alcool et de soigner le sujet devenu dépendant. La personne qui vient
consulter peut être un buveur occasionnel, un buveur excessif, un alcoolo-dépendant ou
encore un membre de l’entourage qui vient demander conseil.
L'objectif principal de l’institution est de permettre au buveur de prendre conscience qu'il
risque de briser les liens qui le maintiennent inséré dans le tissu social, ou de chercher,
avec lui, à les rétablir lorsqu'ils sont rompus. L'abstinence n'est pas une finalité mais un
moyen d'action pour soigner cette "pathologie de la liberté", cette "maladie de la relation"
qui définit l'alcoolisme.
Expérience professionnelle
Notre approche du travail social au sein d’une équipe de soins s’est construite à partir de
plusieurs expériences : la formation en alcoologie dans le cadre de séminaires
d’enseignement spécialisé, notre travail au quotidien en centre d’alcoologie, l’échange
entre travailleurs sociaux à l’intérieur d’un groupe de parole.
La formation qualifiante proposée par les séminaires de l’Association pour la Recherche et
l’Enseignement en Alcoologie et sur les Toxicomanies (AREAT) nous a permis d’aborder
de façon approfondie la problématique alcool.
5
L’AREAT est un creuset pédagogique, un lieu de rencontre de plusieurs professions
médico-psycho-sociales qui exercent leur métier dans le même champ, l’alcoologie. Audelà de la formation didactique proprement médicale et psychologique et de l’introduction
à différents outils thérapeutiques (analyse transactionnelle, systémique), les stagiaires sont
confrontés à l’épreuve de « l’itinéraire » de leur propre alcoolisation. Cette réflexion,
menée en petits groupes pendant douze jours et relatée à l’ensemble des participants, fait
émerger nos représentations, notre expérimentation du produit, nos préjugés. Cette
formation a pour but de donner du sens à nos pratiques professionnelles quotidiennes,
d’affermir nos positions non seulement grâce à l’apprentissage de notions théoriques mais
aussi à travers une nécessaire déconstruction de nos préjugés, de nos savoirs empiriques,
de nos représentations de l’alcool et du malade alcoolique.
Dans ce contexte de formation, notre position de « professionnelle en alcoologie » a trouvé
ses fondements sur le plan des savoirs et de notre relation au patient. Cependant, ce travail
en groupe pluriprofessionnel n’avait pas pour objectif de délimiter le cadre de la fonction
de travailleur social en alcoologie.
L’objet du travail social en alcoologie, c’est-à-dire l’accompagnement social du sujet
alcoolique, se trouvait défini mais pas les modalités de cet accompagnement. La
délimitation d’une zone d’intervention entre le médico-psychologique et le social restait
encore silencieuse.
Un deuxième enseignement nous a été donné par l’expérience du travail en équipe. En
découvrant cette discipline nommée « alcoologie », nous avons appris que la maladie
alcoolique était une pathologie de la relation, de la communication que l’on pouvait
soigner en mettant en synergie les actions de plusieurs intervenants au sein d’une équipe
pluriprofessionnelle (médecins, infirmière, psychologue, secrétaire, assistante sociale).
Le travail social en centre d'alcoologie s'inscrit en effet dans une démarche commune à une
équipe dont la mission est de prendre soin de toute personne concernée directement ou
indirectement par un problème d'alcool.
L’objectif commun de l'équipe d'une telle structure est de travailler à "l'élucidation des
rapports entre l'homme et l'alcool", ce qui, dans cette optique, donne un rôle important à la
parole et à l’écoute, en tant qu’outils thérapeutiques.
L’intérêt du travail en équipe, c’est la richesse que peuvent apporter les approches
différenciées du sujet alcoolo-dépendant, selon la fonction qu’occupe chaque intervenant.
6
« C’est de la différence de perception des situations entre les membres de l’équipe que peut
émerger le respect de la complexité de la situation. Le travail en équipe permet de partir de
l’individuel (relation d’aide) et du commun (vie d’équipe) pour arriver au collectif
(décisions, valeurs)… »1.
Le travail en équipe, groupe restreint, implique la nécessité de se fixer des règles,
« d’effectuer sans cesse sa propre réorganisation » selon Sartre (Critique de la raison
dialectique, tome 1, 1960)2.
Or, à travers notre expérience, nous avons pu observer les difficultés auxquelles l’équipe
s’expose lorsque ces règles ne sont pas respectées.
En effet, comment l’équipe peut-elle rester solide, s’adapter et évoluer si les tâches restent
imprécises et non délimitées, si les fonctions des membres et les rôles distribués ne sont
pas bien différenciés, si les différentes perceptions d’une situation ne peuvent s’exprimer et
être entendues ?
Si les membres de l’équipe n’effectuent pas en permanence un travail sur eux-mêmes, le
risque qui guette l’organisation, lorsqu’elle est bien rôdée, comme le dit Sartre, peut être
soit l’inertie, la bureaucratie où les formalités prennent le pas sur les objectifs, soit les
conflits de compétences avec des initiatives individuelles contraires aux tâches fixées.
Ce travail est difficile à réaliser au quotidien dans la mesure où les membres de l’équipe
ont tendance à adopter parfois une attitude de « défense de territoire ». Et la juxtaposition
des différentes fonctions entraîne souvent des problèmes de positionnement dans l’équipe
et de coordination entre les intervenants.
Cette difficulté à coordonner les fonctions à l’intérieur d’une même équipe et à trouver sa
place peut conduire à un sentiment d’isolement pour certains membres de l’équipe.
C’est pour cette raison que nous avons créé en 2001 une instance de réflexion : un groupe
de parole de travailleurs sociaux oeuvrant dans le champ de l’alcoologie. Ce partage entre
« pairs » sur nos diverses perceptions de la place du travail social en alcoologie nous
apparaissait alors comme un espace de parole où nous pourrions dire ce que nous faisions,
pourquoi et comment nous le faisions.
Nous avons donc évoqué les différentes étapes de la construction de notre fonction : la
formation spécifique en alcoologie et l’expérience du travail en équipe d’une part, le
1
2
VIDALENC E., Le Défi du Partenariat dans le Travail Social, p.32
cité par ANZIEU D., la Dynamique des groupes restreints, p.59
7
partage de savoirs et compétences dans un groupe de parole de travailleurs sociaux, d’autre
part.
Nous verrons à présent comment s’est élaborée notre problématique et quelles sont les
questions qui se sont posées.
Constats et hypothèses de travail
Si l'on considère qu'un centre d'alcoologie est un lieu de soins qui prend en compte la
personne dans sa globalité, nous pouvons en déduire que ce type de structure se situe non
seulement dans le champ de l’intervention médicale - c’est la notion de cure- c’est-à-dire le
travail d’intervention ponctuelle, technique, qui définit généralement l’activité du médecin,
mais aussi dans celui du « soin social » - c’est à dire la notion de care. (H. Mintzberg)3.
L’équipe ne cherche pas à changer l’individu mais l’aide à prendre conscience de ce que
signifie pour lui la conduite à risque qu’il a adoptée. Cette conduite est le résultat d’une
vaste problématique qui dépend étroitement de la situation biologique et psychosociale,
individuelle et familiale, personnelle et professionnelle du patient.
Si l’approche médicale et psychologique de la pathologie alcoolique est indiscutable dans
un centre d’alcoologie, l’approche sociale est moins évidente.
Le travail social repose en effet sur des missions et des moyens. Ces missions sont-elles
intégrées par tous les membres de l’équipe ? Le rôle du travailleur social est-il reconnu par
son organisation ? La structure donne-t-elle au travailleur social les moyens nécessaires
pour exercer son action ?
Cette recherche portera ainsi sur la position professionnelle du travailleur social au
sein de son équipe de soins et par rapport à son environnement, et sur les conditions
dans lesquelles sa parole s’exprime et son action s’exerce.
Nous avons choisi cet axe parce qu’il pouvait donner un sens à la pratique du métier. Le
rôle et les tâches du travailleur social restent soumis à la nature de la structure, c’est-à-dire
à sa connotation médicale, et aux contraintes de la taille restreinte d’une équipe de soins
extra-hospitalière. Mais le travailleur social ne dispose-t-il pas cependant d’une certaine
marge d’autonomie et de négociation pour organiser son travail ?
L’exercice de ce métier en structure spécialisée interroge deux notions :
3
CABIN P., « Nous vivons dans le culte du management » in : Les Organisations p. 93
8
- la profession, à laquelle le travailleur social a été formé et qui le qualifie par l’acquisition
de savoirs théoriques et de savoirs d’action validés par un diplôme
- la capacité du travailleur social à s’adapter à un contexte particulier, ce qui implique
l’acquisition de nouveaux savoirs en rapport avec la finalité de l’action. En l’occurrence, la
formation en alcoologie permet l’acquisition de connaissances sur le mécanisme de la
dépendance, la clarification des représentations personnelles de l’alcool, l’approche de
divers outils thérapeutiques pour soigner la pathologie.
Cette démarche de professionnalisation permet au travailleur social d’articuler ces
nouveaux savoirs avec ses connaissances de telle sorte qu’il devient capable de développer
des compétences pour l’action.
La phase exploratoire de ce mémoire comprend trois aspects : une analyse de
l’organisation actuelle de notre structure de travail, trois entretiens exploratoires, une
étude du cadre institutionnel.
L’analyse de notre structure nous a conduit à poser plusieurs questions:
- le cadre de travail est-il bien défini ?
- comment peut-on envisager la prise d’initiatives lorsque la délégation précise des tâches
et des responsabilités n’est pas formalisée ?
- l’organisation du travail des « permanents » (secrétaire, infirmière, psychologue,
assistante sociale) permet-elle de prendre en compte les orientations actuelles des
institutions médico-sociales qui placent « l’usager au centre du dispositif » ?
- quelles sont les possibilités de développement des compétences des intervenants pour
favoriser à la fois le déploiement des activités du centre et la reconnaissance de leur
travail?
Ces questions concernent directement l’activité du travailleur social et contribuent à
nourrir notre réflexion sur le rôle de cet acteur dans ce type de structure. Le rôle du
travailleur social se définit selon quatre axes :
- un travail relationnel avec la personne,
- une position d’interface entre le patient et les soignants,
- une position de médiation entre le patient et les partenaires sociaux extérieurs,
- un rôle de représentation de l’ensemble de la structure à l’extérieur ou de coordination de
projets dans lesquels l’organisation est impliquée. Ce quatrième axe est important pour
l’implication du travailleur social dans une structure de soins.
9
Si ce rôle de représentation n’est pas clairement reconnu par son organisation, comment le
travailleur social pourra-t-il être identifié par ses partenaires extérieurs ? Il nous semble
d’autant plus nécessaire d’interroger cette position interne que l’ensemble des
professionnels des structures de soins sont aujourd’hui fortement sollicités par les pouvoirs
publics pour intervenir dans la formation en alcoologie et le soutien des travailleurs
sociaux « de première ligne », c’est-à-dire directement confrontés, dans leur pratique
quotidienne, aux problèmes de désocialisation et d’exclusion d’un public en difficulté avec
l’alcool.
Si le travailleur social de l’équipe ne participe pas pleinement à ces interventions, ne
risque-t-on pas d’occulter la dimension sociale de la problématique alcool 4 ?
Le centre d’alcoologie est une structure de soins qui se définit comme « plurielle »5, c’està-dire pluriprofessionnelle. L’action du travailleur social du centre ne peut-elle trouver tout
son sens dans sa dimension d’interface, de vecteur de communication entre le médical et le
social, à l’intérieur de l’organisation comme à l’extérieur, et ceci dans le respect des
différentes fonctions ?
La question centrale qui sous-tend notre réflexion vise la finalité de l’action du travailleur
social. L’effort global de la prise en charge du malade alcoolique lui permet-il de sortir de
la dépendance au produit et de trouver les ressources nécessaires pour « mieux vivre » ?
Dans la mesure où l’alcoolisme est considéré comme une « pathologie sociale », on peut
penser que le rôle du travailleur social est particulièrement important dans
l’accompagnement du patient et la modification de la représentation de la maladie
alcoolique par son environnement.
Au terme de cette exploration effectuée dans un contexte particulier et sur une seule
structure, il s’avérait indispensable de confronter notre perception personnelle de la
position du travailleur social à l’intérieur d’une équipe de soins à celle d’autres
professionnels pour vérifier la validité de notre objet de recherche.
Nous avons alors interrogé des travailleurs sociaux exerçant leur métier, soit dans un autre
champ (CMP)6, soit dans un autre secteur de l’alcoologie (unité d’alcoologie hospitalière).
Nous souhaitions repérer les points forts et les point faibles caractérisant leur
positionnement professionnel.
4
5
6
HELFTER C., Vers une « sanitarisation » du travail social in : ASH, (2340), pp. 35-38
Conférence de consensus 1999, 2002
Centre Médico-Psychologique
10
Nous avons aussi interrogé un cadre socio-éducatif hospitalier, ayant exercé la fonction
d’assistante sociale en CSST7. Il s’avère que ce type de questionnement se retrouve dans
ces entretiens.
Mais cette enquête exploratoire reste toutefois assez limitée et ne permet que d’introduire
la recherche.
Enfin, nous avons cherché à repérer le rôle du travailleur social spécialisé en alcoologie
dans les circulaires législatives, les décrets d’application des lois et les quelques articles
relatifs à l’accompagnement du malade alcoolique rédigés par des travailleurs sociaux.
Dans les années 1980, il semble que les travailleurs sociaux occupaient une place effective
au sein de la Société Française d’Alcoologie, constituant un groupe de réflexion8. Mais à
l’heure actuelle, seulement 3% des membres de cette association sont des travailleurs
sociaux. Il y a lieu de chercher la cause du déclin de la représentation de la profession
dans cette instance.
Le contexte institutionnel donne une place légitime au travailleur social en mentionnant la
nécessité d’un accompagnement social dans la prise en charge du malade alcoolique en
centre d’alcoologie. Mais il ne délimite ni sa fonction ni son rôle. Est-ce une richesse ou un
frein au développement de son action ? Il se peut que cette imprécision dans les textes
favorise la souplesse de fonctionnement des structures. Mais n’engendrerait-elle pas
néanmoins des difficultés ?
Ainsi cette exploration nous a permis de problématiser notre question de départ.
Dans le cadre de ce mémoire, à travers une approche essentiellement organisationnelle,
nous avons voulu étudier la tension qui caractérise la position du travailleur social pris
dans un jeu d’interactions, et repérer les stratégies qu’il développe pour accroître la
reconnaissance de son rôle.
Nous proposons donc de vérifier l’hypothèse suivante :
Dans un Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie, le travailleur social construit
diverses stratégies qui ont pour objectif de faire reconnaître son rôle en interne et en
externe.
7
Centre Spécialisé de Soins aux Toxicomanes
11
A l’issue de notre recherche, il se pourrait que les résultats de l’enquête effectuée dans le
cadre d’entretiens semi-directifs viennent démentir le fait que le travailleur social
développe des stratégies. Cela signifierait que son rôle est bien reconnu par son
organisation ou qu’il n’en a pas perçu la nécessité.
Dans une première partie, nous construirons la problématique de notre objet de recherche :
la position du travailleur social en CCAA, au sein d’une équipe de soins
pluriprofessionnelle.
Une approche socio-historique nous permettra, tout d’abord, de situer, dans sa complexité,
le contexte institutionnel et organisationnel de la prise en charge de l’alcoolisme en France.
Puis, dans une approche théorique, nous étudierons l’intérêt que l’analyse stratégique peut
avoir pour repérer la position du travailleur social en centre d’alcoologie et les difficultés
qu’il peut rencontrer dans la mise en œuvre de ses stratégies, selon le contexte de son
organisation. Nous nous référerons au modèle proposé par M. Crozier et E. Friedberg.
Dans ce chapitre consacré au modèle stratégique, nous introduirons également l’analyse de
la notion de compétence, développée par H. Hatzfeld.
En complément de cette grille de lecture, nous procéderons à une approche clinique,
proposée par E. Enriquez, approche qui complète la démarche stratégique dans la mesure
où elle veut intégrer les dimensions historiques, institutionnelles d’une structure.
E. Enriquez va même jusqu’à évoquer la dimension « pulsionnelle » d’une organisation,
introduisant ainsi le rôle de l’inconscient dans les actions entreprises.
Dans une deuxième partie, nous présenterons la méthodologie utilisée pour vérifier notre
hypothèse, c’est-à-dire le choix de l’entretien semi-directif auprès de six travailleurs
sociaux exerçant leur activité en CCAA du secteur public, rattaché à un hôpital et en
CCAA du secteur privé, dépendant d’une association. Nous avons effectué un septième
entretien auprès d’un directeur administratif de CCAA privé qui nous donnera son point de
vue sur le rôle du travailleur social en équipe de soins.
Puis nous analyserons le contenu de cette enquête et ses résultats.
8
POTIER A., « Le Travail social contre la dépendance alcoolique » in : ASH (1371) p. 23
12
PREMIERE PARTIE : LE CADRE DE LA RECHERCHE
I- APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE
Avant d’aborder la définition de l’alcoolisme, nous dirons quelques mots de l’histoire de
l’alcool.
Le mot « alcool », tout d’abord, « provient de l’arabe « Al kohl » qui désigne à la fois le
fard qui embellit les yeux et l’esprit du vin - peut-être même ce qui, dans le vin, farde le
regard et transforme la vision du monde »9.
Comme d’autres produits toxiques psychotropes10, l’alcool joue un rôle important dans
l’histoire des civilisations sur le plan religieux. Mais son usage engendre des réactions
radicalement opposées de glorification ou d’abomination. La glorification apparaît dans les
cultures judéo-chrétiennes tandis que des réactions provoquées par les abus aboutissent à
des interdictions, notamment dans les civilisations musulmanes (VII° siècle).
Dans les pays de culture judéo-chrétienne, jusqu'à la fin du XVIII° siècle, c’est
« l’ivrognerie », considérée comme un péché qui est repérée et punie comme tel, et non la
consommation abusive d’alcool. Il faut attendre la Révolution pour que l’on trouve le
premier mot de prévention dans la Convention de 1793 : « la protection de la santé est un
devoir d’Etat ». S’amorce alors une prise de conscience de la nécessité de protéger les
individus contre les grands fléaux11.
Le début du XIX° siècle est marqué par une augmentation massive de la consommation
d’alcool
en
raison,
notamment,
du
développement
des
communications,
du
perfectionnement de la distillation, de l’amélioration de la conservation et du stockage du
vin.
Puis la première révolution industrielle fait apparaître le problème d’un prolétariat, ayant
recours à l’alcool pour combattre la faim et la fatigue. Par ailleurs, l’eau est le plus souvent
polluée, la fièvre typhoïde sévit ; les boissons alcoolisées issues de fruits sont assimilées à
l’alimentation et même recommandées.
L’alcoolisation va devenir régulière et remplacer les ivresses intermittentes et violentes de
la période précédente. Parmi les travaux scientifiques de l’époque, nous retiendrons ceux
9
NATHAN T., De l’Ivresse à l’Alcoolisme, p. 7
cf. définition , p.14
11
PAUTROT Y., « Les Mesures Sociales » in : Alcoologie-Cours d’été 1993
10
13
du docteur suédois Magnus Huss qui vont aboutir à la description des troubles causés par
l’alcool et à la formulation, en 1849, du concept d’alcoolisme chronique.
Après avoir replacé brièvement l’histoire de l’alcool dans celle des hommes, nous
donnerons, en premier lieu, quelques éléments d’explication sur le fait social que
représente aujourd’hui l’alcoolisme, sur l’histoire, en France, de la lutte contre ce
phénomène, et sur la nature du réseau actuel qui a été mis en place pour la prise en charge
des personnes vivant avec un problème d’alcool. Et nous conclurons cette approche sociohistorique sur la présentation du Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie et sur le
fonctionnement de celui dans lequel s’exerce notre activité.
I-1 L’alcool : données générales
Nous donnerons dans ce chapitre les définitions de l’alcoolisme, de la notion de
dépendance et des indications sur les données épidémiologiques du fait social que
représente l’alcool.
I-1-1 Définitions
Ces définitions permettent de situer les risques encourus par l’individu qui s’alcoolise.
L’alcoolisme est un « état pathologique lié à une consommation d’éthanol qui, par sa
fréquence et/ou son intensité, est dangereuse pour l’individu 12.
« Il y a alcoolisme lorsqu’un individu a, en fait, perdu la liberté de s’abstenir de boire »13.
« Les alcooliques sont des buveurs excessifs dont la dépendance à l’égard de l’alcool est
telle qu’elle présente soit un trouble mental décelable, soit des manifestations affectant leur
santé physique ou mentale avec autrui et leur bon comportement social et économique, soit
des prodromes (signes précurseurs d’une maladie) ; ils doivent être soumis à un
traitement »14.
« L’alcoolique est celui qui est dans l’impossibilité de boire modérément : dès qu’il prend
un verre, il ne peut plus s’arrêter »15.
12
Glossaire d’alcoologie, Haut Comité d’Etudes et d’Information sur l’Alcoolisme
FOUQUET P., cité par BARRUCAND D. in : Alcoologie
14
Organisation Mondiale de la Santé
15
ARCHAMBAUD J-C., « Comprendre et traiter les alcooliques »
13
14
La lecture de ces définitions appellent quelques commentaires. Il convient de distinguer
« le buveur occasionnel », le « buveur excessif » et le « buveur alcoolo dépendant ». Ces
distinctions ne sont pas gratuites. Elles conditionnent la réponse qui sera apportée à la
personne qui s’interroge sur sa consommation d’alcool et le type de prise en charge qui en
découlera. Cette diversité du public explique la complexité du dispositif de prévention et
de soins à mettre en place dans une société où l’alcool reste évidemment un produit licite.
I-1-2 La notion de dépendance
Comme le dit le docteur P. Fouquet, est alcoolique celui qui a « perdu la liberté de
s’abstenir de boissons alcoolisées ». Cette définition désigne l’alcoolo-dépendant. Il s’agit
donc d’une double perte de liberté : de boire et d’arrêter de boire librement. La prise de ce
produit toxique, l’alcool, lui fait perdre la liberté de contrôle, l’abstinence aliène sa liberté
de consommer16 .
On distingue deux types de dépendance :
- la dépendance physique, c’est le champ du toxique (du grec, toxicon, poison).
Caractérisée par le syndrome du sevrage (malaises intenses, hypersudation,...) survenant
après quelques heures ou quelques jours d’abstention d’alcool et disparaissant rapidement
avec... une prise d’alcool. C’est elle qui est responsable des complications graves du
sevrage : les crises d’épilepsie, le delirium tremens. C’est un phénomène tardif, lié à une
consommation continue, régulière et excessive.
Les effets de l’alcool ne sont pas évaluables a priori : la vulnérabilité reste individuelle,
non prévisible et s’exprime sur le long terme.
Le patient consultant décrit au médecin le syndrome de manque, en particulier le matin, qui
l’oblige à calculer sa consommation pour être le moins souvent possible en état de manque.
- la dépendance psychique, c’est le champ de la psychotropie. Un produit psychotrope ou
substance psycho-active est une substance d’origine naturelle ou synthétique qui peut, par
son action sur le système nerveux central, modifier l’activité mentale, les sensations et les
comportements17. L’alcool répond à cette définition, sa consommation est susceptible de
modifier les rapports au monde environnant en levant globalement ses inhibitions. Cette
16
17
KIRITZE-TOPOR P., Comment aider les alcooliques et ceux qui les entourent, p.82
DEBOCK C., « Sociologie des Addictions », in : Les Passions Dangereuses p.12
15
dépendance précède la dépendance physique, pour certains de manière très précoce , ce qui
traduit la vulnérabilité et les inégalités des individus face au produit.
La rencontre avec « l’alcool-drogue » fait prendre à tout consommateur un risque, là
encore individuel, mais qui n’est lié, cette fois, ni à la quantité, ni à la durée de
l’intoxication. Ce risque se nomme la tolérance, il se traduit par la nécessité d’augmenter
les doses pour obtenir les mêmes effets.
Outre les vertus pharmacologiques de l’alcool et le fonctionnement du cerveau, de
multiples facteurs personnels, sociaux et culturels interviennent dans l’évaluation des effets
de l’alcool.
La dépendance psychique trouve ainsi ses racines dans une rencontre entre un sujet et un
psychotrope, à un moment donné de son histoire.
Le risque peut avoir été pris vingt ans auparavant, dans le cadre de son milieu de travail,
par exemple. Si la majorité de la population s’arrête de consommer quand le seuil de
tolérance est atteint, environ 10% continue et pour ceux-là, la rencontre avec l’alcool a
pour conséquence, très tôt, le passage d’une alcoolisation avec contrôle possible, à un autre
état où le patient n’est plus capable de s’arrêter.
Les théories neuro-biologiques expliquent le mécanisme de la dépendance qui serait
d’ordre purement biologique. Le manque de l’alcoolique correspondrait à la destruction
d’une partie du système de protection et l’apparition d’un vide cellulaire lié à l’absence
d’alcool qui peut s’apparenter au phénomène de la douleur.
Bien qu’extrêmement succincte, l’approche de ces théories se justifie dans notre étude car
elle permet de mettre en rapport des données scientifiques avec les réactions d’une société
qui considère l’alcoolo-dépendant comme un individu en état de mensonge, sans volonté,
alors que la volonté ne peut rien en face du mécanisme bio-chimique.
Ces théories ont le mérite de pouvoir déculpabiliser en partie le consommateur et de sortir
des jugements moraux. Le risque serait de s’en servir pour le déresponsabiliser.
C’est pourquoi la sortie de la dépendance implique une nouvelle organisation de la vie où
l’alcool n’aurait plus sa place. Dans cette optique, la recherche d’un substitut est la « voie
royale pour traiter les désordres de la dépendance », nous dit A. Memmi18, mais cette voie
est difficile à trouver par le patient comme par les soignants et le travailleur social, tant
18
MEMMI A., La Dépendance, p. 189
16
cette démarche est tributaire de la communication, d’une juste définition des mots et des
idées qu’ils véhiculent. L’élucidation d’un tel problème ne se trouve ni dans la suppression
pure et simple du produit, ni dans la permissivité, mais dans la construction d’un projet
réaliste.
I-1-3 Quelques données épidémiologiques
La consommation d’alcool en France est un problème de santé publique qui se traduit en
premier lieu par des chiffres19.
En France, 5 millions de personnes sont exposées par leur consommation d'alcool à des
difficultés d'ordre médical, psychologique et social (chiffre qui ne prend pas en compte
l'entourage familial), 2 millions sont alcoolo-dépendants psychiques ou physiques.
Le coût social serait actuellement de l’ordre de 18 milliards d'euros, soit environ 1% du
PIB (Direction Générale de la Santé et Direction des Hôpitaux).
Chaque année, l'alcool provoque 40 à 50 000 morts. L'abus d'alcool est impliqué dans 33%
des accidents de la circulation et 80% des rixes et des violences familiales.
La lutte contre les conduites d’alcoolisation revêt de multiples aspects et nous ne
présenterons dans ce mémoire qu’un aperçu de la réponse apportée aux problèmes de
santé, individuels ou familiaux, liés à une consommation excessive d’alcool ou à une
alcoolodépendance.
Ceci nous conduit, tout d’abord, à traiter de l’évolution des politiques de santé publique
avant de décrire la situation actuelle de prise en compte du problème.
I-2 Une histoire de la lutte contre un « fléau social »
En matière de lutte anti-alcoolique, l’initiative privée a précédé l’intervention des pouvoirs
publics. Elle a contribué à la sensibilisation de l’opinion publique et des politiques, à
l’implication de l’Etat, ainsi qu’à la modification de l’approche de l’alcoolisme.
19
Rapport ROQUES, juin 1998
17
I-2-1 Les précurseurs
La législation antialcoolique a commencé à s’esquisser au XIX° siècle avec deux
dispositions fondamentales : la loi de 1838 sur l’internement des aliénés, et la loi de 1873
sur la répression de l’ivresse publique. On ne s’intéressait alors qu’aux atteintes à l’ordre
public occasionnées par l’abus d’alcool.
Cependant, au milieu du XIX° siècle, apparaît une prise de conscience de la pathologie
alcoolique vue sous l’angle de la neuropsychiatrie. Elle se concrétise le 12 mars 1872, par
la création de « l’Association française contre l’abus des boissons alcooliques », le plus
ancien organisme de prévention de l’alcoolisme, connu aujourd’hui sous le nom
d’Association Nationale de Prévention de l’Alcoolisme et des Addictions (ANPAA). Son
objectif était de réagir au développement du fléau et à ses incidences, tant au plan sanitaire
que social.
Se multiplient alors les études scientifiques qui permettront de lancer une action
d’éducation sanitaire, changer les mentalités et combattre deux idées antagonistes : les
boissons alcooliques ont des vertus hygiéniques d’une part, et l’alcoolisme est un « vice »
d’autre part.
Presque à la même époque naissent les mouvements d’anciens buveurs qui veulent
sensibiliser l’opinion publique et les politiques. Très prosélytes, ils prônent l’abstinence ou
la tempérance dans une société où la consommation d’alcools forts augmente, en
particulier l’absinthe. La pédagogie de leurs campagnes est basée sur la peur, montrant
l’ivrogne dans toute sa dégénérescence. L’âge d’or de ces associations aux origines
diverses (à caractère confessionnel, mais aussi à l’initiative du patronat ou des ouvriers) se
situent au début du XX° siècle. Nous n’en citerons que quelques unes : les Alcooliques
Anonymes, venus des Etats-Unis, Croix d’or, Croix bleue, Joie et santé, Santé de la
Famille des Chemins de Fer français, Amitié PTT,… ou encore la Fédération
Interprofessionnelle pour le Traitement et la Prévention de l’Alcoolisme et des autres
Toxicomanies (FITPAT). Ces organismes sont toujours très actifs à notre époque.
Sous cette pression, le ministère de l’Instruction Publique introduit, en 1897, des cours de
sensibilisation aux dangers de l’alcoolisation dans les écoles. Et des mesures sont prises
pour commencer à réglementer la production, la distribution et l’offre de boissons mais pas
encore pour prendre en charge les malades alcooliques.
18
I-2-2 Le tournant des années 1950
Cette époque est marquée par une évolution des volontés politiques et la mobilisation des
professionnels de santé.
La loi relative aux alcooliques présumés dangereux pour autrui est votée le 15 avril 1954 :
c’est une loi d’assistance jugée alors comme « révolutionnaire » dans la mesure où elle
s’intéresse à l’alcoolique en tant que malade. L’alcoolisme n’est plus seulement le
symptôme d’une maladie mentale. Il n’est plus considéré uniquement comme un trouble de
l’ordre public mais il devient un problème sanitaire. Cette loi ne répond pas à toutes les
formes d’alcoolisme mais c’est une étape déterminante.
En novembre 1954 est institué le Haut Comité d’Etude et d’Information sur l’Alcoolisme
(HCEIA).
En novembre 1966, lors du symposium international de Gand, le docteur Pierre Fouquet,
donne vigueur à un terme employé pour la première fois en 1903 : « l’alcoologie »20.
En 1978 est créée la Société Française d’Alcoologie, sous la présidence de Pierre Fouquet.
L’alcoologie est définie comme une discipline consacrée à tout ce qui a trait, dans le
monde, à la relation de l’homme à l’alcool : « production, conservation, distribution,
consommation, avec les implications de ce phénomène, causes et conséquences, soit au
niveau collectif, national et international, social, économique et juridique, soit au niveau
individuel, spirituel, psychologique et somatique » 21. Les pouvoirs publics prennent alors
conscience que la prise en charge des malades alcooliques reste insuffisante si la
pathologie n’est prise en compte que sur le plan médical et non pas également sur le plan
social. Il faut donc développer des moyens.
I-2-3 Une nouvelle implication de l’Etat à partir de 1970
Les pouvoirs publics s’intéressent tout d’abord au problème de la toxicomanie.
La loi du 31 décembre 1970 - dite couramment anti-drogue- manifeste deux soucis: l'aide
et la répression, en offrant aux délinquants toxicomanes une alternative à l'incarcération à
travers le soin. Il s'agit de la mesure d'injonction thérapeutique.
Notons toutefois que cette loi renforce l'image négative du drogué héritée du 19° siècle et
qu'elle est profondément contradictoire dans ses termes : « elle définit le drogué comme un
20
Exposé intitulé « Eloge de l’alcoolisme et naissance de l’alcoologie »
21
Définition du HCEIA in : Cours AREAT 1993
19
délinquant responsable devant la loi et comme un malade irresponsable car victime de sa
maladie...» 22 et donc incapable de contrôler les conséquences de ses actes.
La distinction entre usage et abus ne concerne que la consommation d’alcool.
Le toxicomane est un délinquant de fait. L'alcoolo-dépendant ne le devient que s'il a
commis un délit sous alcool.
Selon les termes de la loi de 1970, comme nous l’avons dit, l'individu en proie à l'alcool est
à la fois un "délinquant responsable" et un "malade irresponsable" qui ne jouit plus de sa
liberté. La dépendance physique soulève la question de la liberté de disposer de son
corps23. Et comme le dit Pascale Ancel24, le législateur pose les limites de cette liberté en
considérant que l'usage de ces substances portant atteinte au libre-arbitre est contraire aux
impératifs d'autonomie et de dignité de la personne humaine. Le travailleur social peut
alors se demander à quel moment il lui faut intervenir, s'ingérer dans la vie d'autrui... avant
qu'il ne soit trop tard. D'une façon générale, la question du droit de regard de la société sur
l'individu est clairement posée.
Par cette loi, les pouvoirs publics institutionnalisent la lutte contre l’alcoolisme en mettant
en place un dispositif spécialisé permettant d’assurer un accueil de proximité et une
approche globale du problème, notamment en s’intéressant à ses causes.
La circulaire du 23 novembre 197025 introduit la création des consultations d’hygiène
alimentaire. Les trois objectifs de cette circulaire sont : l’amélioration de la prise en charge
des pathologies de la nutrition, dont la maladie alcoolique, la réponse aux besoins des
« gros buveurs d’habitude », sans problème psychiatrique lourd et une alternative de soins
aux consultations d’hygiène mentale pour ceux que l’étiquette psychiatrique rebute.
La circulaire du 31 juillet 197526 prévoit l’ouverture des Centres d’Hygiène Alimentaire
(CHA). Elle précise les principes et modalités de traitement du « buveur excessif » et
définit la composition et le rôle de l'équipe médico-sociale. Les CHA sont définis comme
des postes d’accueil, d’écoute et d’urgence, ouverts en permanence.
22
23
DEBOCK C., « Sociologie des addictions » in : Les Passions Dangereuses, p. 15
C. Debock cite une phrase étonnante du préambule de la loi du 31 décembre 1970: "A une époque où le droit à la santé
et aux soins est progressivement reconnu à l'individu, en particulier par la généralisation de la sécurité sociale, il paraît
normal en contrepartie que la société puisse imposer certaines limites à l'utilisation que chacun peut faire de son propre
corps, surtout lorsqu'il s'agit d'interdire l'usage de substances dont les spécialistes dénoncent unanimement l'extrême
nocivité", idem, p.15
24
ANCEL P., et GAUSSOT L., Alcool et Alcoolisme, p. 47
25
Circulaire DGS/1252/MS du 23 novembre 1970
26
Circulaire DGS/2226/MS du 31 juillet 1975
20
La circulaire du 15 mars 198327 élargit les missions du CHA et les transforme en Centres
d’Hygiène Alimentaire et d’Alcoologie (CHAA), structures d’accueil, de soins, de
prévention et de recherche assurant le suivi ambulatoire de toute personne confrontée à un
problème d'alcoolisation et qui deviennent ainsi de véritables lieux d’intervention
thérapeutique.
La circulaire précise que l’accompagnement du malade alcoolique doit être « médical,
relationnel et social ». Le souci des pouvoirs publics est de mettre en place des structures
ouvertes à tous, localement implantées de façon à faciliter la collaboration avec des
partenaires diversement impliqués (organismes sociaux, justice, médecine du travail et
scolaire). Dans le volet social, il est indiqué que « l’équipe pluridisciplinaire du CHAA,
par l’intermédiaire de ses travailleurs sociaux, peut aider à la resocialisation grâce à
d’étroites collaborations avec les autres structures sociales de la cité ». Mais, dans
l’ensemble, la circulaire reste très vague sur la composition de l’équipe et ne donne aucune
directive, en dehors du fait que le nombre de ses membres doit rester limité.
« L’équipe du CHAA doit être pluridisciplinaire, regroupant des personnes pouvant avoir
des formations professionnelles variées (parmi lesquelles peuvent notamment être citées
celle d’éducateur, de psychologue, de diététicien, de conseiller conjugal...etc.) ou ayant une
expérience personnelle (anciens buveurs, visiteur social) ». Comme le remarque H.
Bergeron28, ce qui prime, c’est le désir de créer une spécialité, l’alcoologie, en dépassant la
notion de catégorie professionnelle et statutaire. Cette période marquée par
l’antipsychiatrie explique cette volonté de constituer une discipline autonome. Et la
circulaire de 1983 traduit cette orientation en sortant les CHAA de l’enveloppe budgétaire
psychiatrique pour en faire une compétence de l’Etat.
Pour tous les acteurs de l’alcoologie, il y a là la possibilité de développer une stratégie de
valorisation par la spécialisation. Nous verrons si les travailleurs sociaux spécialisés ont pu
réellement se saisir de cette opportunité pour obtenir une reconnaissance de leur activité.
Si les missions des CHAA s’élargissent sensiblement, les objectifs de santé publique
restent cependant imprécis, les budgets restent précaires et les moyens alloués faibles.
Parallèlement aux CHAA s’organise la prise en charge à l’intérieur des hôpitaux, engagés
27
Circulaire DGS/137/MS 2.D. du 15 mars 1983
BERGERON H., Dispositifs spécialisés « alcool » et « toxicomanie », santé publique et nouvelles politiques des
addictions p. 8
28
21
par la circulaire du 28 mars 1978 à créer des unités hospitalières d’alcoologie comprenant,
outre le service de cure, des consultations externes.
I-2-4 L’évolution du dispositif spécialisé à partir de 1998
Dans le milieu de l’alcoologie et de la toxicomanie, deux axes de réflexion apparaissent
pour inciter les pouvoirs publics à prendre de nouvelles orientations. Ils portent d’une part,
sur les problèmes de financement des CHAA, et d’autre part, sur l’extension de la notion
de dépendance.
- Le budget des CHAA
La pérennité des CHAA restait fragile en raison de leur mode de financement. La loi - dite
« contre les exclusions » du 29 juillet 1998 apporte une réponse à cette question en
renforçant le statut juridique des CHAA devenus Centre de Cure Ambulatoire
en
Alcoologie (CCAA) en leur donnant une base légale et un financement stable (par le
régime d’assurance maladie et non plus par la DDASS-Etat). L’orientation « curative » du
centre d’alcoologie est ainsi nettement soulignée. « Sont considérées dès lors comme
institutions sociales et médico-sociales, au sens de la loi du 30 juin 197529, tous les
organismes publics ou privés qui, à titre principal et d'une manière permanente, assurent
des soins ambulatoires et des actions d'accompagnement social en faveur des personnes
présentant des consommations à risque ou nocives ou atteintes de dépendance alcoolique ».
Ces personnes sont exonérées du ticket modérateur, les consultations sont donc gratuites.
- La prise en charge des malades dépendant d’un produit licite ou illicite
Le réseau de prise en charge du malade toxicomane se développe, mobilisant des crédits
importants avec des outils plus élaborés qu’en alcoologie, notamment au niveau de
l’hébergement thérapeutique. S’élabore alors toute une réflexion sur la notion de
dépendance, en général, et sur la pertinence des dispositifs de soins. Faut-il continuer à
distinguer le malade alcoolique du toxicomane, pour quelles raisons, et sinon faut-il
imaginer la création d’un lieu unique de soins ?
Pour comprendre l'évolution des représentations, il convient de comparer l'image du
malade alcoolique à celle du « drogué ». Aujourd'hui, la notion d'alcoolo-dépendance entre
29
Loi n° 75-535 du 30-06-1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales
22
dans le champ de l'addiction, terme utilisé dans tous les textes et qui signifie dépendance à
une drogue.
Addiction est dérivé du substantif latin addictus qui signifie esclave pour dette, quand
celle-ci ne pouvait être remboursée, et du verbe addicere qui renvoie au droit romain de
donner par jugement une personne à une autre. La métaphore de l'individu insolvable et de
la contrainte par corps éclaire bien les enjeux relationnels des conduites addictives
contemporaines. Ce mot, repris par la langue anglaise pour signifier « dépendance
aliénante », est employé en France avec la même signification.
L'introduction de ce concept dans les sciences humaines correspond au désir de jeter des
ponts entre des conduites pathologiques différentes mais qui ont souvent une origine
identique. Ainsi l'utilisation de ce concept permet de se focaliser non plus sur le produit
mais sur les fondements de la dépendance.
Deux rapports sont venus nourrir la réflexion des pouvoirs publics pour aboutir à une prise
en compte globale des phénomènes de dépendance, quelque soit le statut légal ou culturel
du produit, et à des mesures concrètes.
L’objectif du rapport Roques -juin 1998- est de "faire changer le regard" de la France sur
son "fléau" atavique, l'alcool. En comparant le potentiel neuro-toxique de l'alcool à celui de
l'héroïne et de la cocaïne, le professeur Roques replace le débat sur des bases scientifiques
et contribue à faire émerger une prise de conscience par rapport à la dangerosité de l'alcool.
Ce rapport s'appuie sur des données statistiques30. Conséquence directe de cette étude :
l'extension des compétences de la Mission Interministérielle à la Lutte contre la Drogue et
la Toxicomanie (MILDT) à l'alcool, permettant le démarrage d'une politique pragmatique.
Le rapport Parquet-Reynaud -mars 1999- évalue le dispositif de soins en soulignant la
gravité du problème, sous-estimée jusqu'alors, et l'incohérence de la prévention. Ce rapport
reprend les conclusions d'une évaluation faite par la société d'audit TEN, en 1993, qui
soulignait que le réseau de soins et de prévention existait, qu'il était même particulièrement
performant, mais qu'il était méconnu et insuffisant. Le rapport soulignait que les CHAA
étaient répartis de façon inégale sur le territoire (dix départements seulement, en 1999 en
étaient pourvus, ce qui ne permettait de toucher que 2 à 3% de la population concernée soit
1 à 2 millions de personnes) et travaillaient avec des moyens fort divers. Négligeant les
constats positifs de l'existant, ce qui n'a pas manqué de soulever des critiques, le rapport
Parquet-Reynaud préconise:
30
citées p.16
23
- la mise en place d'un centre d’alcoologie par département au minimum
- une meilleure information du public sur les usages à risque
- une meilleure formation des professionnels (médecins, para-médicaux, travailleurs
sociaux) au repérage et à la prise en charge des buveurs excessifs, « bien avant que
n'apparaissent la dépendance et les complications (cirrhoses, psychoses...) »
- une action
préventive en direction des jeunes de moins de 15 ans (programme
d'éducation à la santé dans l'Education Nationale).
Les constats de ce rapport sont confirmés par le Comité de la Lutte contre la Drogue et les
Toxicomanies dans le cadre d'un plan triennal adopté en juin 1999, qui met l'accent sur la
nécessité d'une approche globale des phénomènes de dépendance, alcool inclus, les
impératifs d'une approche de santé publique primant sur le "tout répressif". Le
gouvernement décide alors un rapprochement des structures de prise en charge "alcool et
toxicomanie", la création en trois ans de 20 nouveaux "réseaux ville-hôpital" coordonnant
l'activité des médecins libéraux et hospitaliers, la création de 20 nouvelles équipes de
liaison en milieu hospitalier, ainsi que 50 consultations supplémentaires en alcoologie…
La mobilisation des pouvoirs publics s'accentue lors du vote de la loi de Rénovation de
l'Action Sociale et Médico-Sociale du 2 janvier 2002 (révision de la loi du 30 juin 1975)
qui fait entrer officiellement les CCAA dans le champ médico-social en devenant des
CSAPA31 afin de souligner que ces structures sont destinées à toutes les victimes de
dépendances toxicomaniaques.
En réalité, cette loi n’a pas pu imposer la prise en charge de toutes les formes de
dépendance en un même lieu de soins. Les praticiens s’y sont opposés en donnant pour
raison que les patients toxicomanes et alcoolo-dépendants offrent des profils trop
différenciés. Cette opposition souligne la divergence entre la vision des praticiens de
terrain et celle des politiciens.
Cependant, les CCAA sont concernés par les innovations générées, en principe, par cette
loi qui fixe les droits et les devoirs fondamentaux des usagers et les moyens pour les
garantir (participation des intéressés au projet, livret d'accueil, charte des droits, contrat de
soins). Cette loi organise les partenariats nécessaires entre l'Etat, les départements et les
établissements, et elle donne des outils pour adapter l'offre aux besoins. Cette réforme se
définit comme une loi de liberté. Elle favorise les capacités d'innovation des institutions
31
En janvier 2003, le ministre de la santé est revenu sur la décision de regrouper les deux types de structures, CCAA et
CSST (centre de soins spécialisés pour toxicomanes) sous la dénomination commune de CSAPA, ce qui souligne les
fluctuations de la prise en charge des dépendances : le terme de CSAPA disparaît…
24
médico-sociales et elle responsabilise tous les acteurs, grâce à une rénovation de la
coordination entre la création de centres, leurs programmations, les modalités de
financement, l'évaluation des prestations fournies, le contrôle, la coordination des acteurs.
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
oblige chaque intervenant à faire face à ses responsabilités. Cette loi a pour objectif
d’établir de nouveaux rapports de confiance entre les malades, leurs familles, les
associations de défense et les professionnels. Elle inscrit dans le Code de la Santé Publique
des droits qui, jusque là, ne se trouvaient que dans les règles déontologiques ou dans la
jurisprudence. L’accès au dossier médical fait désormais partie des droits des malades. Ce
dernier point pose question aux professionnels de santé, en particulier en centre
d’alcoologie dans la mesure où, dans certains cas extrêmes, ceux-ci peuvent être interpellés
par la famille, en particulier lorsqu’un patient se suicide.
Le projet de loi de Santé Publique de mai 2003 a deux objectifs : régionaliser la politique
de santé et « bâtir une véritable politique de prévention ». Parmi les cinq priorités retenues
par le ministre de la santé figurent les conduites addictives.
Aujourd’hui, le dispositif spécialisé, dont font partie les CCAA, est reconnu comme
pertinent en tant que lieu de soins, lieu d’analyse et d’expertise, centre d’un travail en
réseau et d’une coordination à l’échelon départemental et régional. Les modes de soins en
centre d’alcoologie permettent une amélioration dans 30% des situations à un an de prise
en charge. La spécificité de cette alcoologie ambulatoire repose sur une approche globale
replaçant le patient au premier plan dans son intégrité, dans son histoire et dans son
devenir32.
La stabilité du financement de ce type de structures est à présent garantie par la loi de
1998.
Pour conclure la présentation de l’évolution historique de la prise en charge des problèmes
d’addictions, nous évoquerons l’existence de conférences de consensus. Quatre se sont
déroulées depuis 1998, à la demande de l’Agence Nationale d’Accréditation et
32
Conférence de Consensus, 1999
25
d’Evaluation Sanitaire (ANAES)33 et sous l’égide de la Société Française d’Alcoologie. La
finalité de ces conférences est de pouvoir évaluer les résultats des activités et pratiques
professionnelles sur des critères universellement reconnus après avoir fait l’état des lieux
des connaissances scientifiques et des multiples dispositifs de prise en charge. Ces
conférences ont pour but de fixer les objectifs, les indications et modalités de sevrage et
d’accompagnement du sujet dépendant (alcool, drogues, tabac), les modalités
d’accompagnement après sevrage, ainsi que les recommandations de pratique clinique qui
s’adressent, en principe, à tous les métiers de l’addictologie. Mais nous verrons que, dans
la réalité, le volet social est le plus souvent occulté.
En reprenant toutes les étapes de la prise en charge de l’alcoolisme en France, nous avons
voulu souligner qu’il s’agit là d’un problème de société. Le regard porté sur le problème
est en perpétuelle évolution. Il est fonction du contexte socio-économique et des
représentations de cette pathologie. L’intention des pouvoirs publics comme des structures
de prévention et de soins est de travailler non seulement sur l’accompagnement des
personnes vivant avec un problème d’alcool mais aussi sur la modification des
représentations de l’alcool par la société : l’alcoolo-dépendant est un malade et non pas un
être « dégénéré ». Reste encore la question de la distinction à opérer entre alcoolique et
toxicomane dans la diversification des approches.
I-3 La complexité du réseau actuel de prise en charge des personnes vivant
avec un problème d’alcool
Dans le cadre de ce mémoire, nous nous focalisons sur le dispositif de prise en charge des
personnes en difficulté avec l’alcool, en laissant de côté celui qui concerne les toxicomanes
bien que nous soyons conscients du regard global qui est posé aujourd’hui sur toutes les
formes de dépendance à un produit toxique.
Nous verrons donc la multiplicité des interlocuteurs susceptibles d’apporter une réponse au
malade alcoolique.
33
L’un des objectifs de l’ANAES, créée en 1996, est d’établir l’état des connaissances, de créer un référentiel de celles-ci
dans le domaine médical (au niveau de la science) et de la technique (méthode)
26
I-3-1 Les réseaux de professionnels non spécialisés
Ces réseaux associent divers professionnels (médecins généralistes et spécialistes,
psychologues, pharmaciens, personnels hospitaliers, travailleurs sociaux, professionnels de
la Justice…). Les réseaux sont centrés sur la prise en charge directe du patient, sur
l’orientation du patient vers une structure spécialisée, sur la coordination à établir avec les
structures spécialisées ou sur les échanges interprofessionnels.
I-3-2 Les associations d’anciens malades
Nombreuses en France, d’origine et de taille variée, leur objectif principal est d’aider les
buveurs dépendants à devenir et rester abstinents, et leurs familles à comprendre le
problème. Elles fonctionnent de manière relativement discrète par rapport à l’extérieur
mais elles peuvent intervenir au sein des hôpitaux, des CCAA. Certains mouvements ont
ouvert et gèrent des centres de post-cure ou de réadaptation.
I-3-3 Le dispositif de soins ambulatoires et de prévention
Il a pour missions la prévention, le soin et l’accompagnement social, la liaison avec les
autres intervenants sanitaires et sociaux en amont et en aval du soin, l’information, la
sensibilisation et la formation de tous les publics. Ce dispositif spécialisé comprend deux
principaux types de structures :
- les Centres de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA), composés
d’équipes pluriprofessionnelles, orientés vers le soin et l’accompagnement social de toute
personne concernée directement ou indirectement par un problème d’alcool. Il n’y a pas de
lits d’hospitalisation.
- les Comités Départementaux de Prévention en Alcoologie et
Addictologie (CDPAA) dont la mission essentielle est la prévention, mission qui s’exerce
en direction de tous les publics, sur de multiples lieux (établissements scolaires,
entreprises).
Ils sont à 80% gérés par l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et
Addictologie (ANPAA).
Le tableau suivant montre que les CCAA peuvent être de statut privé ou public.
27
Le secteur associatif est prédominant (40% des CCAA sont gérés par l’ANPAA).
Dans le secteur public la plupart des CCAA sont gérés par des hôpitaux.
Forme juridique des structures gestionnaires des CCAA34
Statut
Organismes
Nombre en France
Privée
ANPAA
87
Associations
45
Autres
4
Sous-total
Publique
134
Hôpital
51
Commune
11
DDASS
3
Sous-total
65
Total : 201
L’activité du dispositif spécialisé de soin et de prévention s’exerce souvent de façon
décentralisée, dans des lieux accessibles aux usagers, ouverts (pour certains) de façon
permanente ou pour des périodes de temps limitées.
Le nombre de professionnels salariés dans les structures de prévention et de soins peut être
estimé à environ 1700 personnes. La plupart exerce leur activité dans ce secteur à temps
partiel. Le nombre de salariés en ETP serait de 925 en 1997, dont 38,8% appartiendrait au
secteur sanitaire, 15,8% au secteur social , ces deux catégories exerçant en CCAA, et
18,5% en secteur prévention.
Evolution des catégories dans l’ensemble du personnel du dispositif spécialisé de 1994 à
1997 (structures de prévention et structures de soins)
Sanitaire (CCAA) :
1994
1995
1996
1997
37,1
33,5
34,4
38,8
16,8
17,5
18
15,8
19,6
20,4
20,6
18,5
médecins, infirmiers, aide-soignants,
diététiciens, psychologues
Social (CCAA) :
Assistants sociaux, éduc. spé.,visiteurs sociaux
Prévention :
animateurs, délégués ou directeurs
28
Dans le tableau ci-dessus, on peut noter que la catégorie sociale (15,8% du personnel des
CCAA) a tendance à diminuer au profit de la catégorie sanitaire et que le secteur social
comprend plusieurs professions. On distingue les assistants sociaux, les éducateurs
spécialisés et, spécifiquement pour l’ ANPAA, les visiteurs sociaux, catégorie regroupant à
la fois éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs et un personnel non diplômé composé
en général d’anciens malades devenus professionnels en alcoologie et de personnes non
diplômées mais avec expérience dans le secteur social.
Depuis juillet 2004, l’ANPAA a adopté la convention collective 1966 et les visiteurs
sociaux vont disparaître. Ceux qui ne sont pas diplômés sont invités à bénéficier de la loi
sur la validation des acquis par l’expérience.
Dans le cadre de ce mémoire, la multiplicité des professions sociales nous conduit à parler
des « travailleurs sociaux ». Cependant, aucune statistique ne nous permet de distinguer la
proportion de chaque profession à l’intérieur de la catégorie des « sociaux ».
A côté de ce dispositif et en coordination avec lui, d’autres structures interviennent.
I-3-4 Les soins hospitaliers
Les soins hospitaliers s’articulent autour :
- de consultations d’alcoologie dans les hôpitaux généraux ou psychiatriques au sein des
services de médecine interne, de psychiatrie, de gastro-entéro-hépatologie ou aux urgences.
- d’unités spécialisées en alcoologie (avec hospitalisation) qui peuvent être une unité
fonctionnelle dans le cadre d’un service de médecine ou de psychiatrie, proposant un
sevrage (une semaine). A la suite de ce séjour hospitalier, le patient peut être orienté vers
une autre structure avec prise en charge globale, en hospitalisation (cure d’environ trois
semaines) ou en consultation ambulatoire.
- d’équipes d’alcoologie de liaison réunissant médecins, infirmiers, assistants sociaux
formés à l’alcoologie, destinées à accompagner les patients et à soutenir les équipes
soignantes dans la mise en place des projets de soin. Elles ont pour mission d’assurer un
lien avec le milieu hospitalier, le dispositif spécialisé et les professionnels de santé de ville.
34
Source : le dispositif spécialisé de la lutte contre l’alcoolisme, DGS, 1999
29
Le dispositif, relancé en 1996, prévoit la création d’une équipe par région : en 1998, on
n’en compte que 18 mais une centaine était prévue en 2004.
I-3-5 Les centres de cure
Les centres de cure sont des lieux avec hébergement spécialisés dans le traitement de la
dépendance à l’alcool qui accueillent des personnes venues pour effectuer un sevrage
(durée moyenne de séjour : trois semaines)35. L’admission dans ces établissements se fait
sur prescription médicale, les frais sont couverts par l’assurance maladie. En 1993, il en
existait 11 en France. A l’heure actuelle, les CCAA travaillent en étroite collaboration avec
les centres de cure. Leur sont adressés les patients pour qui une période d’éloignement des
conditions de vie quotidienne est salutaire. Il s’agit d’une hospitalisation dans un cadre
différent de l’unité d’alcoologie d’un hôpital. La mission du centre de cure est, en premier
lieu, le sevrage physique du patient. Cependant, les services disposent d’équipes
pluridisciplinaires médico-psycho-sociales qui permettent d’aborder le problème de la
dépendance sous ses multiples facettes, comme dans les structures ambulatoires. Le temps
que le malade peut consacrer à réfléchir sur sa trajectoire personnelle dans l’alcool, et aussi
l’accompagnement spécialisé dont il peut bénéficier sur place sont des atouts importants
dans ce type de structure de soins. L’inconvénient majeur, c’est l’angoisse que génère la
perspective de la sortie de l’établissement ; d’où la nécessité d’articuler le séjour avec un
suivi en CCAA, en amont et en aval de la cure dite « fermée ».
I-3-6 Les centres de post-cure
Ces centres sont réservés aux personnes ayant suivi une cure de sevrage en milieu fermé ou
en ambulatoire. S’il apparaît une difficulté à maintenir l’abstinence, si la détresse
psychologique et/ou sociale s’avère trop importante, une post-cure, orientée vers la
redynamisation, peut être proposée au patient. En 1999, le rapport Parquet-Reynaud en
répertorie 25 en France. Ils sont parfois intégrés aux centres de cure. Comme ceux-ci, ils
peuvent être gérés par des associations à but non lucratif, par les collectivités publiques ou
des collectivités locales. D’autres sont à but lucratif.
35
Actualité et dossier en santé publique n°4, septembre 1993
30
L’admission se fait sur prescription médicale et le dispositif est également financé par
l’assurance maladie. Les centres de consolidation proposent des séjours de courte durée (1
à 2 mois). Les centres de réadaptation (jusqu’à 6 mois) sont réservés à des personnes
beaucoup plus atteintes physiquement, psychologiquement et socialement par la maladie
alcoolique. Ils visent la réadaptation sociale et quelquefois professionnelle. Dans les deux
cas, l’accompagnement est diversifié (prise en charge médicale, psychologique, groupes de
parole, ateliers, ergothérapie…) mais, à l’heure actuelle, le problème de « l’après postcure » reste cruellement posé.
Notons qu’il existe enfin des centres d’hébergement et de réinsertion sociale qui assument
une fonction proche de celle des centres de post-cure mais ces centres non médicalisés sont
financés à partir de crédits d’aide sociale.
Nous avons, à dessein, inséré le dispositif ambulatoire au cœur de la trame pour souligner
la complexité de ce réseau institutionnel dans lequel le centre d’alcoologie joue un rôle
essentiel. Les dispositifs se complètent et répondent aux besoins d’un public dont la
typologie est extrêmement variée. Il existe de multiples entrées pour étudier les
caractéristiques de cette population : la catégorie socioprofessionnelle, l’histoire familiale,
l’origine géographique, l’âge…. Parmi ces critères, la trajectoire du patient, de son
« itinéraire » et de sa rencontre avec l’alcool nous semble particulièrement pertinentes.
Qu’il soit professeur d’université ou agent de sécurité, mère de famille sans emploi ou
chauffeur-livreur, le patient fait l’expérience de la dégradation lente, progressive,
insidieuse de tous les liens sociaux jusqu’au moment où il risque de basculer dans
l’exclusion, sous quelque forme que ce soit et quelque soit son origine sociale.
La variété de l’offre de soins permet de répondre aux besoins de la personne, à tous les
stades de sa trajectoire dans l’alcool. Toutefois, on peut se demander si les problèmes notés
dans le rapport d’évaluation Parquet-Reynaud36ont été réglés : notamment, les difficultés
pour les médecins de ville et les services hospitaliers non spécialisés à diagnostiquer l’abus
d’alcool, la carence dans ces deux secteurs de la formation en alcoologie, l’insuffisance
quantitative des structures de prise en charge des dépendants, la difficulté pour tous les
secteurs à travailler en réseau.
36
cf. p.22
31
I-4 L’organisation du Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie
Nous avons choisi d’étudier le fonctionnement d’un des éléments du système
institutionnel, le centre d’alcoologie qui relève à la fois du modèle hospitalier et du modèle
associatif.
Nous avons vu qu’il n’y a pas d’organisation unique qui couvre le problème des conduites
d’alcoolisation, mais une multiplicité d’acteurs institutionnels relativement autonomes.
L’observation du centre d’alcoologie permet d’évaluer la pertinence de ce dispositif dans
l’intérêt des usagers, sa coordination avec les autres types de structures et d’examiner les
« processus par lesquels (les intervenants) ajustent leurs comportements et coordonnent
leurs conduites dans la poursuite d’une action collective », ce que E. Friedberg définit sous
la notion d’ « action organisée »37.
La structure d'un centre d'alcoologie se définit comme une unité simple, de taille restreinte,
ne disposant pas de lits d'hospitalisation et fonctionnant avec une équipe de salariés
réduite. Centrée sur la pathologie de l'alcoolisme, son activité s’exerce en équipe
pluriprofessionnelle, caractérisée par des fonctions distinctes mais animée par des
croyances communes. On peut parler de "solidarité organique", pour reprendre le concept
de E.Dürkheim,38 fondée sur la différenciation et la complémentarité des tâches. Les tâches
accomplies sont à dominante relationnelle.
Trois points forts caractérisent un centre d'alcoologie aux yeux des patients : l'existence
d'un accompagnement spécifique par des spécialistes de la question, une écoute, un travail
en équipe et en réseau39.
Dans le cadre de ce mémoire, nous étudierons le jeu des interactions au sein de
l’équipe de soins, et plus particulièrement le rôle du travailleur social dans ce réseau
de relations.
Nous partirons des constats résultant de l’observation du CCAA, cadre de notre action de
travailleur social. Et nous confronterons notre perception de la situation à celle que nous
avons pu recueillir dans les entretiens exploratoires réalisés auprès de travailleurs sociaux
en unité hospitalière, en CMP et en CSST. Nous citerons à plusieurs reprises le discours
d’un cadre socio-éducatif hospitalier ayant exercé la fonction d’assistante sociale en CSST
pendant une dizaine d’années ( que nous nommerons ici Madame D. )
37
CIVARD-RACINAIS A., et DORTIER J-F., « La Dynamique de l’Action Organisée » in : CABIN P., Les
Organisations p. 51
38
DURKHEIM E., De la division du travail social
39
STEUDLER F., THIRY-BOUR C., Histoire et Fonctionnement des CHAA, p. 9
32
I-5 Le Centre A. R.
Le CCAA dans lequel nous travaillons est une unité extra-hospitalière, implantée en plein
cœur d’une ville de la Région Parisienne. Créé par une association de santé mentale,
dépendant d’un hôpital psychiatrique en 1984, sa gestion est passée sous le contrôle d’un
hôpital général de proximité en 1997. L’organisation de ce centre relève d’une double
logique : sanitaire (fonctionnement hospitalier) et médico-sociale (en référence à la loi du 2
janvier 2002).
1-5-1 Une équipe pluriprofessionnelle
L'équipe se compose de six personnes.
- deux médecins à temps partiel :
Le médecin psychiatre est praticien hospitalier. Il assure la responsabilité du centre, le
suivi médical psychiatrique des patients, la coordination avec la Direction Hospitalière, la
coordination avec l’organisme de tutelle (CPAM) et la responsabilité des actions de
prévention.
Le médecin généraliste est vacataire. Il assure le suivi médical des patients, la coanimation du groupe de parole mensuel (avec l’infirmière) pour les patients suivis au
centre.
- quatre "permanents" :
La secrétaire est contractuelle. Elle est responsable de l’accueil, des communications
téléphoniques, des relations avec les services administratifs de l’hôpital, de la maintenance
du centre et de la tenue du fichier informatique.
L’infirmière (IDE) également thérapeute familiale est rattachée à la filière soins de la
fonction publique hospitalière. Elle est chargée du premier entretien avec le patient, de
l’orientation des patients vers les intervenants de la structure, du suivi ambulatoire du
patient en période de sevrage physique en appui à la consultation médicale, de
l’enregistrement des dossiers, des entretiens de couple ou famille (en raison de la formation
qualifiante complémentaire qu’elle a reçue), de l’accueil des personnes adressées par le
juge d’application des peines dans le cadre d’une obligation de soins, de la co-animation
du groupe de parole (avec le médecin généraliste), de l’encadrement de stagiaires
infirmiers et des interventions/formations en alcoologie en Institut de Formation aux Soins
Infirmiers (IFSI).
33
Le psychologue est contractuel. Il assure le suivi psychothérapeutique individuel des
patients, la mise à jour du fichier informatique avec la secrétaire et l’encadrement de
stagiaires psychologues.
Le travailleur social est, en l’occurrence, une assistante sociale (DE) rattachée à la filière
socio-éducative de la fonction publique hospitalière. Elle assure l’accompagnement social
des patients qui lui sont adressés par les autres intervenants, participe à l’accueil de tous les
patients en tant que permanente, assure la coordination avec le partenariat extérieur, la
formation des stagiaires assistants sociaux (accueil ponctuel et stages de formation initiale,
en qualité de moniteur de stage), les interventions/formation en alcoologie dans les écoles
de service social.
I-5-2 La fonction, le rôle et les tâches du travailleur social
Notre recherche étant centrée sur la spécificité de la position professionnelle du travailleur
social au sein d’une équipe d’alcoologie ambulatoire, nous n’évoquerons celle des autres
intervenants qu’en rapport avec celle du travailleur social.
Sa fonction principale est la réinsertion du patient ou la prévention de sa désinsertion par la
médiation administrative, la recherche de centres de cure et post-cure, la recherche de
logement, de formation, d’emploi. Il participe également à l’élaboration de projets visant
le rétablissement du lien social et la réactivation des facultés cognitives du patient.
Son action s’exerce auprès de la personne et aussi auprès de son environnement, dans la
mesure où il participe, comme ses collègues, à la modification de la représentation sociale
de la maladie alcoolique.
Au sein de cette équipe pluriprofessionnelle, le travailleur social est le seul élément -avec
la secrétaire- qui ne travaille pas dans le champ proprement dit du soin. Cette spécificité
mérite d'être notée dans la mesure où son champ d'intervention est centré sur les aspects
économiques et psychosociaux de la vie du patient et non sur l'aspect purement médical du
problème de la dépendance.
Son rôle, défini comme « un ensemble de normes et d’attentes qui régissent le
comportement d’un individu du fait de son statut social ou de sa fonction dans un groupe »
(Grand Larousse) tient pour partie de ce que l’on attend de lui et de ce qu’il introduit ou
souhaite y introduire.
Le travailleur social dans ce centre n’est amené à suivre que 10% des consultants
composant la file active du centre (environ 320/an), dans la mesure où les patients ne sont
34
pas tous en difficulté sociale, qu'ils sont déjà suivis par un autre service social, ou qu'ils
sont en mesure d'envisager de façon autonome la prise en charge de leurs problèmes.
Il peut être sollicité pour des personnes en difficulté mais qui ne sont pas forcément en
situation de grande précarité. Dans ce cas, le risque est présent mais la situation n'a pas
encore basculé.
En outre, le travail social s'inscrit dans une activité pluriprofessionnelle. Conformément
aux normes propres à cette structure, le travailleur social n'intervient qu'en deuxième
intention pour permettre au patient de prendre en compte la dimension médicale du
problème qui l'amène à consulter, avant d'aborder toute question d'ordre social. Il peut y
avoir un effet négatif à ce protocole de principe : quand l'orientation du patient vers le
service social est trop tardive, sa situation déjà dégradée devient, de ce fait, difficile à
rétablir40.
Le fonctionnement de la structure, orientée vers le soin, souligne la nécessité d'une
constante vigilance de la part du travailleur social vis-à-vis des situations évoquées en
synthèse hebdomadaire ou de façon informelle, pour aller "vers" l'information interne.
L'intérêt du poste, c'est de pouvoir disposer de toutes les éléments sur le contexte médicopsychologique du patient. La présence d’une équipe pluriprofessionnelle permet au
travailleur social de mieux cerner le rapport à la dépendance et de cibler sa propre action,
dans le cadre des missions du centre, en fonction de l’évolution de la personne.
C’est en tout cas un atout auquel les patients peuvent être sensibles : « Vous, au moins,
vous connaissez mon dossier, je n’ai pas besoin de répéter mon histoire… », nous disentils.
Cependant, le fonctionnement de ce centre d’alcoologie pose quelques questions. A quelles
étapes de la trajectoire du patient le travailleur social doit-il intervenir, qui décide de son
intervention, et quel est le champ proprement dit du travailleur social ?
Il faut tenir compte du fait que, dans un tel système, tous les acteurs entendent participer au
soin, au sens large du terme. C’est la notion de care que H. Mintzberg41 oppose à la notion
de cure, c’est-à-dire au travail d’intervention ponctuelle, technique, qui définit
généralement l’activité du médecin.
40
L’infirmière qui assure tous les premiers entretiens, oriente les patients vers les différents intervenants : or, à côté de la
demande de soins, elle est amenée -de par son rôle- à évaluer les problèmes sociaux. Bien souvent, ces problèmes
n’apparaissent pas au premier contact et le patient ne va être orienté vers le service social de la structure qu’au cours du
suivi médico-psychologique.
41
CABIN P., « Nous vivons dans le culte du management » in : Les Organisations p. 93
35
Les tâches du travailleur social comportent ainsi plusieurs aspects :
- un travail relationnel avec la personne
La médiation administrative est l'une des modalités essentielles de l'accompagnement
social en alcoologie dans l'élaboration d'un projet, en aval et en parallèle de la demande de
sevrage. A la différence de la relation médico-psychologique, il s'agit d'une relation
orientée vers le "faire ensemble" sans oublier une position partagée avec les soignants,
celle de « l’être avec »42.
Nous avons eu l’occasion d’observer à maintes reprises la signification symbolique de
l’accompagnement social individualisé : par exemple, il nous est arrivé, en tant que
travailleur social, d’accompagner un patient à un « photomaton », démarche qui lui était
impossible d’accomplir seul en raison d’un visage défiguré par une allergie
médicamenteuse. Le soutien éducatif apporté, ce jour-là, a été le point de départ d’une
réinsertion qui passait par la régularisation d’une situation administrative bloquée par le
caractère infranchissable de la première étape.
Cependant, la relation ne se traduit pas exclusivement par le « faire ensemble ».
L’expérience prouve que le rôle du travailleur social s’évalue aussi et même davantage
dans la qualité de la relation que dans les solutions proposées et mises en œuvre. De même
que ses collègues, le travailleur social peut développer, stimuler chez le patient des
aptitudes à résoudre lui-même ses problèmes, réveillant au fil des entretiens un certain
dynamisme.
Il n’est pas rare de constater qu’après plusieurs mois de recherche d’emploi dans différents
secteurs explorés et sollicités sans succès avec l’aide du travailleur social, c’est finalement
le patient qui trouve un emploi, de façon autonome.
- une position d'interface entre le patient et les soignants
Le travailleur social traite des problèmes générés par la pathologie alcoolique mais qui
sortent du champ proprement médical. Les soignants attendent donc de son intervention
une certaine technicité (administrative, juridique) qui leur permet de se focaliser sur
l'aspect proprement médical et psychologique de la dépendance.
- une position de médiation entre le patient et les partenaires extérieurs
42
VIDALENC E., op-cit, p. 34
36
Le travailleur social spécialisé se situe au coeur d'un réseau en étoile (entourage, médical,
administratif, juridique, éducatif, associatif, social…). Son action a pour but de permettre
au patient de retisser des liens avec son environnement, et aux partenaires extérieurs de
modifier leur perception de la maladie alcoolique. La méconnaissance de l'alcoolodépendance chez certains travailleurs sociaux non spécialisés entraîne parfois des réactions
de rejet. L'entrée dans un CHRS peut être refusée à une personne en raison de son
alcoolisme, l'intervention du travailleur social en centre d’alcoologie est alors susceptible
de lever des barrières, de rassurer des partenaires soucieux d'être soutenus dans leur propre
démarche.
- un rôle de représentation de l’ensemble de la structure à l’extérieur, ou de coordination
de projets dans lesquels la structure est impliquée. Ce rôle que nous avons souligné en
introduction, n’est pas repérable dans notre fonction, à l’heure actuelle.
I-5-3 L’exercice du travail social en équipe pluriprofessionnelle
Il s’agit ici d’examiner la position professionnelle du travailleur social à travers les
interactions de l’équipe qui comportent à la fois des aspects positifs mais aussi des freins à
l’exercice du travail social.
Dans cette optique, nous confronterons notre expérience à celle de Madame D.43 déjà
citée, interrogée dans le cadre d’un entretien exploratoire.
Les aspects positifs du travail en équipe
L’intérêt de cette organisation, c’est la richesse apportée par les approches différenciées du
patient, selon les fonctions occupées.
Comme le dit E. Vidalenc, « l’équipe de travail est le lieu de validation du professionnel, et
aussi le lieu d’émergence d’une certaine objectivité par croisement entre les différentes
subjectivités présentes »44.
De la collaboration avec les intervenants émerge le sens du travail social qui s'appuie sur
l'analyse clinique. Le travail en équipe s'exprime dans les échanges informels et dans la
synthèse hebdomadaire. La réunion de synthèse hebdomadaire permet de faire circuler des
informations concrètes sur les patients, d'évoquer les questions qui se posent sur la place et
43
cf. p. 31
44
VIDALENC E., op-cit, p. 54
37
le rôle de chacun. Les réactions des uns et des autres renseignent non seulement sur les
patients mais aussi sur les rôles et les statuts respectifs.
Ces synthèses permettent au travailleur social d’apporter des informations à l’équipe, de
s’enrichir des savoirs théoriques et du savoir-faire de ses collègues, d'émettre des
hypothèses sur les besoins des patients. Le travailleur social peut prendre du recul par
rapport aux situations difficiles. Il évalue avec ses collègues le risque de manipulation du
patient lorsque celui-ci le sollicite pour trouver un lieu de cure, un hébergement, un secours
financier...le plus vite possible.
A la différence du travailleur social de secteur, le travailleur social spécialisé bénéficie
d’un regard pluriel pour faire face à la souffrance des personnes suivies par le service.
Ce constat de qualité d’un véritable travail d’équipe rejoint celui de Madame D. : son
intégration dans une équipe pluriprofessionnelle constituée et prenant en charge le patient
« dans toute sa dimension et dans toute sa précarité » a été très positive. Elle souligne son
rôle d’accompagnement social, de formateur (personnel AP-HP et formation initiale des
infirmiers et sociaux), d’intervenant dans des colloques sur la toxicomanie, au même titre
que ses collègues. Il y avait donc un vrai travail d’équipe avec reconnaissance de la
fonction sociale et partage des responsabilités. Dans ce CSST, elle a pu bénéficier d’une
totale liberté de fonctionnement dans des échanges qui lui permettaient de solliciter autant
que d’être sollicitée, et d’être, à l’occasion, le représentant de son équipe.
Les freins rencontrés dans le travail en équipe
Ces freins sont de nature institutionnelle et organisationnelle.
1) Ces freins sont liés en premier lieu au champ d’action du CCAA.
En effet, les missions du centre d’alcoologie sont centrées sur l’accompagnement du
patient . Ceci peut limiter l’action du travailleur social au suivi exclusif de la personne sans
l’élargir à son environnement.
Nous sommes là confrontés aux contraintes d’une logique institutionnelle, rappelées par le
Conseil Supérieur du Travail Social lorsqu’il évoque « le malaise des travailleurs sociaux
désireux de prendre en compte la globalité de la personne, amenés à imaginer des actions
avec leurs partenaires locaux, en réponse à une demande sociale qui évolue, sans qu’ils
38
puissent nécessairement s’appuyer sur le soutien déterminé de leur Institution employeur
qui les cantonne trop souvent dans des missions institutionnelles »45 .
Par exemple, c’est à ce titre que le responsable médical du centre peut s’opposer à
l’intervention du travailleur social auprès des enfants, responsabilité qui, effectivement, ne
relève pas du champ de mission du centre d’alcoologie mais plutôt de celui de l’Aide
Sociale à l’Enfance, du service social scolaire ou du service social de polyvalence.
Le travailleur social peut alors prendre contact avec un organisme extérieur mais son
intervention s’arrêtera à ce stade et il n’y aura pas de continuité de l’accompagnement
social du patient dans sa globalité.
Par ailleurs, le manque de précision dans les textes sur les missions du travailleur social en
CCAA conduit de nombreux responsables de centres, et ceci est vrai pour le nôtre, à
limiter le champ d’action du travailleur social aux personnes qui sont assujetties aux
minima sociaux, oubliant par là que la notion de précarité est bien plus vaste au sens social.
Madame D. pose comme postulat que « le fait de prendre des produits toxiques modifie
profondément, pour celui qui le prend, le rapport à la réalité, et l’intervention sociale est
justifiée dans cette distorsion du rapport à la réalité....quelque soit le statut social, les
facultés intellectuelles, les moyens...de la personne. Si ce principe n’est pas appliqué en
équipe pluriprofessionnelle, le service social en structure de soins n’a pas sa raison
d’être ».
2) Ces freins sont liés également à la logique de l’organisation, telle qu’elle découle des
textes.
Les structures de soins ambulatoires mettent en place des équipes de professionnels à
compétences différenciées, avec, en particulier dans les centres d’alcoologie, une forte
connotation médicale qui donne autorité aux médecins. Il en résulte que ceux-ci peuvent
intervenir non seulement dans leur champ d’action mais aussi dans celui du travail social
qui n’est pas normalement de leur ressort.
Cette tendance des médecins à s’investir dans le domaine social est constatée dans notre
centre. Elle s’explique en particulier par le fait que, contrairement à leur spécialité qui
exige des outils précis, le travail social semble être considéré par eux comme un secteur
45
L’Intervention Sociale d’Aide à la Personne, CSTS 1996, p. 28
39
d’activité n’exigeant pas de compétence technique spécifique, mis à part la médiation
administrative.
Nous reprenons ici le constat de Madame D. : « dans certaines structures, le médecin
« prescrit du social » en disant au patient d’aller voir le travailleur social pour qu’il lui
trouve un logement... » En empêchant le travailleur social de faire son propre diagnostic,
Madame D. estime qu’il y a là une grave méconnaissance de la logique de l’autre, du
principe de coresponsabilité. En effet, si le travailleur social ne peut pas faire sa propre
évaluation d’une situation qui réclame un accompagnement au sens large du terme, il n’a
plus la liberté d’établir ses propres priorités qui peuvent éventuellement être différentes de
celles du professionnel médical.
Dans ce schéma, selon Madame D., il n’y a pas, au départ, une volonté de poser le travail
pluriprofessionnel dans toute son amplitude. « Le diagnostic social a ses propres
indicateurs...il doit être posé seulement par le travailleur social, et, à partir de là, se
dessinent les modalités et le rythme d’une prise en charge à condition que les acteurs
médico-sociaux se fassent confiance, reconnaissent la logique de l’autre ».
Cette méconnaissance par l’équipe soignante des critères spécifiques de l’intervention
sociale peut conduire à des conflits d’objectifs.
Par exemple le travailleur social peut, dans certains cas, contester la priorité donnée au
sevrage si aucune démarche de réinsertion (logement, travail) n'est accomplie en amont.
L'équipe de soins de notre centre répond alors qu'il lui faut inverser la proposition, que la
vocation première du centre est de répondre par le soin à la souffrance générée par la
pathologie alcoolique.
Mais, en même temps, le travailleur social doit faire face à la demande croissante d’un
public qui se précarise et pour qui une offre de soins n’a pas de sens si les besoins
primaires ne sont pas satisfaits.
Il peut arriver également que le travailleur social adopte la position inverse, en privilégiant
le soin par rapport à toute action d’insertion.
La finalité du centre d'alcoologie est bien l'accès du patient à l'autonomie, quelle que soit
la fonction du consultant. Mais les objectifs intermédiaires et les moyens pour les atteindre
diffèrent selon le poste que l'on occupe à l'intérieur de l'équipe. Les soignants reçoivent le
patient, quel que soit son état de dépendance, dans l'alcool, le déni, la rechute, l'abstinence.
Quand au travailleur social, il reste disponible au patient mais il va éviter de se substituer à
40
lui dans la formulation, la réalisation de son projet . Aussi lui arrive t-il de différer la mise
en oeuvre du projet, si le patient n'est pas en état de se l'approprier, de le discuter.
La logique de l’organisation implique aussi que le travailleur social n’a pas le monopole de
l’accompagnement social. Par exemple, dans notre centre, les premiers entretiens d’accueil
du patient sont assurés par l’infirmière. L’attribution de cette tâche est variable d’un centre
d’alcoologie à l’autre. Dans le cas présent, c’est donc l’infirmière qui établit, pour les
autres membres de l’équipe, le premier diagnostic de la situation du patient (évaluation
bio-psycho-sociale).
De plus, l’infirmière du centre qui a également une qualification de thérapeute familiale,
est investie, de ce fait, du suivi du couple et de la famille du patient.
Il en résulte que le travailleur social, au sein même de son centre, n’a pas la prise en charge
globale de la situation sociale du patient ; d’où la nécessité d’une bonne coordination entre
les participants et un soutien actif du responsable médical. Or ce soutien n’est pas toujours
acquis. Ce type de structure se caractérise par un mode de fonctionnement collégial où
l'affectif et les jeux d’alliance interviennent beaucoup dans la régulation des interactions,
où la confiance dans les compétences de l'autre est perpétuellement interrogée.
Ainsi l’équipe est, certes, un centre de ressources pour le travailleur social, mais c’est
aussi un lieu de déstabilisation qui souligne la singularité de sa position professionnelle.
Seul professionnel du secteur social en structure à dominante médico-psychologique, la
place du travailleur social est soumise à des contraintes. Il lui faut non seulement susciter
l’intérêt des ses collègues mais aussi justifier le bien-fondé de ses interventions pour
préserver une « pensée autonome et non soumise ». Il lui est demandé de s’expliquer sur
les raisons qui le font intervenir de telle manière auprès d’un patient, s’il a pris le risque de
s’écarter, dans une situation précise, de la règle générale qui prévaut dans
l’établissement46.
En conclusion de l’analyse de l’expérience professionnelle du travailleur social dans un
CCAA, nous pensons que la nature même de son activité diffère de celle de ses collègues
et que l’évaluation de son travail exige des critères qui ne sont pas identiques à ceux du
46
FUSTIER P., Le Travail d’Equipe en Institution, pp. 144-145
41
secteur médical. Or cette évaluation est nécessaire pour légitimer la place occupée par le
travailleur social dans le système institutionnel. Mais comment faire évoluer la notion
d’évaluation dans un secteur où seuls les indicateurs biologiques sont pris en compte ?
C’est sur cette question qu’a débouché la réflexion des travailleurs sociaux réunis au
congrès d’addictologie, en juin 2004.
I-6 Le Congrès de Nîmes (juin 2004) : une instance de réflexion sur le travail
social en alcoologie 47
Ce congrès concernait tous les acteurs du champ des addictions : non seulement les
médecins mais aussi les infirmiers, les travailleurs sociaux, les secrétaires, les
psychologues. Bien que le terme « addictologie » ait été utilisé dans les textes proposés, il
a surtout été question de l’accompagnement du malade alcoolique.
Le sujet présenté était ainsi formulé : « En pratique quotidienne, l’addictologie évolue, les
acteurs de tous les métiers s’adaptent et innovent. De son côté, la communauté scientifique
cherche, expérimente, écrit, trouve des consensus, propose des connaissances validées.
Comment concrètement, ces deux pôles, la science médicale et les métiers de terrain,
s’articulent-ils ? ».
Notons en premier lieu non seulement la diversité des métiers mais aussi celle des
organisations représentées. Ainsi l’atelier des travailleurs sociaux reflétait la multiplicité
des acteurs institutionnels. Il nous semble intéressant de rapporter quelques éléments de
leur réflexion dans la mesure où, quelque soit la structure d’appartenance, il est ressorti de
ce congrès un consensus sur le sujet qui nous intéresse : la place du travailleur social au
sein d’une structure de soins en addictologie.
Deux sujets principaux ont été abordés.
- D’une part, les participants étaient invités à évaluer l’impact des conférences de
consensus et des recommandations cliniques, textes à portée scientifique et
méthodologique, rédigés par un groupe d’experts ( en majorité des médecins).
Question 1 : Comment sont-ils portés à votre connaissance ? Deux tiers des participants
répondent qu’il les ignorent.
Question 2 : Comment sont-ils reçus ? Les travailleurs sociaux répondent qu’ils regrettent
que ces textes ne s’adressent qu’aux médecins sans faire allusion au travail
47
« Métiers de l’addictologie et recommandations cliniques », 9-10-11 juin 2004
42
d’accompagnement réalisé par les professionnels du travail social mais ils ajoutent que,
dans la mesure où ils sont repris en équipe, ces textes peuvent constituer un point de départ
à une réflexion spécifique sur leur pratique et leur positionnement dans les équipes.
Question 3 : Comment sont-ils utilisés par les travailleurs sociaux ? La majorité des
participants répondent qu’ils ne se les approprient pas, faute d’information, faute de volet
social dans ces textes et de participation à leur élaboration.
- D’autre part, la réflexion portait sur la contribution à apporter pour faire évoluer ces
textes et améliorer leur efficacité.
Question 1 : Comment modifier l’élaboration des textes ? Le groupe souhaite que les
travailleurs sociaux y participent, en étant représentés significativement dans les groupes
de travail, en réfléchissant au préalable sur les représentations réciproques des métiers, en
élargissant la bibliographie -exclusivement médicale- sur lesquels ces textes s’appuient, et
en mettant le patient au cœur de ces travaux.
Question 2 : Comment améliorer la diffusion de ces textes ? Les participants demandent
qu’ils soient adressés directement aux acteurs concernés.
Question 3 : Comment renforcer la dimension pédagogique de ces textes ? Un langage
accessible à tous (travail de définition, d’explicitation) est requis. Le groupe propose de
remplacer la notion de soins par la notion de santé et de bien-être !
Question 4 : Comment faire évoluer la notion d’évaluation ? L’atelier considère que la
résistance bien connue des travailleurs sociaux à l’évaluation et en particulier aux
statistiques, doit être combattue pour que leur travail soit scientifiquement reconnu.
Cependant il serait nécessaire de modifier les critères de validation qui sont, à l’heure
actuelle, exclusivement quantitatifs. Référence est faite aux travaux réalisés par deux
collègues, à la demande de la SFA, et dont les propositions utilisant uniquement des
critères qualitatifs ont été refusées par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation
Sanitaire (ANAES) 48.
Ce congrès souligne plusieurs points :
- les recommandations cliniques restent fondamentalement orientées sur l’aspect médical
de la pathologie alcoolique
48
LAMBERT G., « Les Moyens socio-éducatifs » in : Alcoologie et Addictologie (23-2) pp. 183-189
43
- les travailleurs sociaux sont invités, par des manifestations de ce type, à donner leur avis
mais ils ne peuvent le faire qu’à la condition que les recommandations soient adaptées à
leur champ de compétences.
En conséquence, à l’heure actuelle, ces recommandations sont difficilement intégrables
dans les pratiques quotidiennes des travailleurs sociaux.
.
En conclusion de cette approche socio-historique, nous avons pu mettre en évidence
plusieurs points :
- l’importance du problème de santé publique que représentent les conduites
d’alcoolisation en France
- la prise en compte progressive par les pouvoirs publics de la notion de dépendance qui
conduit à une autre vision de la personne en difficulté avec l’alcool.
- le faible poids du social dans les instances de réflexion institutionnelles. Le travailleur
social dans un centre d’alcoologie est ainsi confronté à une absence de texte réglementant
sa fonction. Il n’y a pas non plus de véritable volonté institutionnelle pour établir un
observatoire social dans lequel le travailleur social aurait un rôle d’expertise.
- la complexité du réseau actuel de prise en charge du malade alcoolique et l’importance
du CCAA dans ce dispositif
- la diversité des fonctions dans un CCAA. Il manque un véritable consensus sur les
modalités d’action au sein même de l’organisation.
- enfin, la difficulté particulière de la fonction de travailleur social en CCAA. Le
professionnel a besoin d’être soutenu par les membres de son équipe et de se coordonner
avec les organismes et réseaux extérieurs.
Comment le travailleur social peut-il développer son action dans ce contexte ?
Avant de présenter l’enquête que nous avons menée auprès de travailleurs sociaux en
CCAA, nous poserons le cadre théorique auquel nous nous référons pour mieux
comprendre les mécanismes de fonctionnement dans ce type d’organisation.
44
II- APPROCHE THEORIQUE
Nous avons dit que l’accompagnement social en alcoologie est un travail relationnel avec
le patient et un travail sur l’environnement de celui-ci. Il est fondé sur des règles
communes à tous les intervenants de l’équipe : la participation du patient sujet acteur, la
prise en compte du facteur « temps », la nécessité du décloisonnement et de l’ouverture des
structures, le respect de la confidentialité.
La finalité de l’action en CCAA, c’est la réinsertion du patient sous toutes ses formes. Les
outils du travailleur social sont les moyens socio-éducatifs mis en œuvre pour
l’accomplissement de la mission. Ces moyens sont principalement l’évaluation préalable
de la situation, la médiation administrative, le conseil et le soutien, le contrat adapté à un
logique de processus, ainsi que le travail en équipe et l’intervention de réseaux.
Dans ce cadre vont s’élaborer les stratégies du travailleur social, sa manière d’organiser
son action pour arriver à un résultat. Ces stratégies personnelles ont pour but d’accroître
son influence. Leurs modalités dépendent des valeurs du travailleur social, de la perception
qu’il a de sa place et des moyens d’influence dont il dispose.
Les stratégies vont se développer dans un cadre organisationnel dont nous démonterons les
mécanismes pour comprendre la logique des conduites, les conflits de rationalité, les
oppositions et les alliances entre individus, les processus de pouvoir et les mécanismes de
régulation des interactions.
L’objectif de la recherche théorique est d’analyser le cadre structurel dans lequel les
stratégies du travailleur social peuvent se construire, et de définir la manière dont elles
peuvent se traduire dans le centre d’alcoologie et au niveau institutionnel.
II-1 Définitions des concepts
II-1-1 Institution et Organisation
Les stratégies des travailleurs sociaux s’inscrivent dans des cadres institutionnels et
organisationnels que nous définirons en premier lieu.
L’institution peut se définir comme :
45
- une « norme ou pratique socialement sanctionnée, qui a valeur officielle, légale;
organisme visant à les maintenir »
- « l’ensemble des formes ou des structures politiques, telles qu’elles sont établies par la loi
ou la coutume et qui relèvent du droit public » (Grand Larousse 1992).
L’organisation peut se comprendre comme :
- « l’action d’organiser, de structurer, d’arranger, d’aménager »
- un « groupement, association, en général d’une certaine ampleur » (idem).
Selon H. Mendras, l’institution est « un ensemble de normes qui s’appliquent dans un
système social et qui définissent ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas dans ce
système »49, l’institution est ainsi ce qui fonde l’action, lui donne du sens.
Pour E. Enriquez., l’institution « a une fonction d’orientation globale, intervenant donc au
niveau du politique : des projets, des choix et des limites que la société (citoyens,
dirigeants) se donne»50.
La notion « d’institution » doit ainsi être distinguée de la notion « d’organisation ».
« L’organisation apparaît comme une modalité spécifique et transitoire de structuration et
d’incarnation de l’institution » (E. Enriquez)51.
J. Beillerot précise : « on s’accorde volontiers pour estimer que le but unique de toute
institution est de soumettre l’individu....Pour autant, l’institution donne sens aux actes, elle
évite de reconnaître les choses dans leur seule dimension utilitaire ou fonctionnelle parce
qu’elle inclut les finalités, les valeurs et les références idéales. Ainsi elle ne pourra pas être
réduite à l’organisation »52.
II-1-2 Stratégie
La stratégie est tout d’abord un concept militaire : c’est « l’art de faire évoluer une armée
sur un théâtre d’opérations jusqu’au moment où elle entre en contact avec l’ennemi ».
Cette définition rejoint celle de la position de défense -la position stratégique- qui désigne
« l’emplacement de troupes, d’installations et de constructions militaires ».
49
BOUMARD P., Autour du mot « institution » in : Connexions n°6 (1973)
ibid
50
51
ibid
52
ibid
46
La stratégie est aussi « un ensemble d’actions coordonnées, de manœuvres en vue d’une
victoire ».
La stratégie est enfin une « manière d’organiser un travail, une action, pour arriver à un
résultat ».53
Ces définitions introduisent la connotation du combat, de la défense d’un territoire, de la
nécessité d’organiser l’action, de la coordonner à celle des autres, de négocier, et ceci dans
l’objectif d’arriver à un résultat satisfaisant pour l’acteur.
II- 2 Le choix des modèles théoriques
Nous nous référerons à trois approches théoriques :
- le modèle de l’analyse stratégique, défini par M. Crozier et E. Friedberg, pour repérer le
comportement des travailleurs sociaux en CCAA face aux autres acteurs de leur
organisation, sachant que « tout système social, et l’organisation en est un, peut être
compris à partir de l’action des différents agents qui le composent ».
- la stratégie de chaque acteur fondée sur la reconnaissance de leur compétence selon H.
Hatzfeld
- la sociologie clinique, d’inspiration psychanalytique, qui est une approche de
« l’inconscient » des organisations développée par E. Enriquez.
Dans le cadre de ce mémoire, à travers ces approches stratégique et clinique, nous
tenterons de repérer la tension qui caractérise la position professionnelle du travailleur
social, point de rencontre entre l’extérieur (l’environnement) et l’intérieur (le lieu de
soins). Nous étudierons les conditions dans lesquelles sa parole s’exprime et son action
s’exerce.
Ces approches nous paraissent complémentaires et la seule analyse psychologique des
relations à l’intérieur d’une équipe, grille de lecture fréquemment utilisée, ne nous semble
pas suffisante pour définir la position professionnelle des travailleurs sociaux.
53
Définitions du dictionnaire Le Robert (1995)
47
II-3 L’analyse stratégique selon M. Crozier et E. Friedberg
L’analyse stratégique fait partie de la théorie des organisations qui a « pour objectif
principal l’adaptation des acteurs aux objectifs et à la structure organisationnelle ainsi que
celle de l’organisation aux variations de son environnement »54.
Le modèle promu par M. Crozier et E. Friedberg s’inspire de l’approche classique de la
bureaucratie développée par M. Weber, fondée sur la rationalité, l’objectivité et la
formalisation qui caractérisent l’organisation bureaucratique. L’intérêt du modèle réside
dans le fait de montrer comment, dans toutes les organisations et à tous les niveaux, les
individus se comportent en stratèges. Le modèle proposé qui met l’individu au centre de
l’analyse des phénomènes sociaux fait écho au modèle de la prise en charge du malade
alcoolique qui considère le patient comme un sujet acteur.
II-3-1 Les quatre principes de l’analyse stratégique
L’analyse stratégique promue par M. Crozier et E. Friedberg rejette l’idée d’un modèle
universel de l’organisation.
Leur théorie repose sur quatre principes :
- l’acteur en organisation est un stratège, disposant d’une marge d’action (zone
d’autonomie) grâce à la maîtrise d’une zone d’incertitude
- cet acteur a un comportement rationnel, mais cette rationalité est toujours « limitée »
- le pouvoir est une relation d’échange qui se négocie
- les interactions entre les acteurs, c’est-à-dire leur manière d’utiliser leurs marges de
liberté, de faire des choix, de jouer avec les règles, d’élaborer des plans, des alliances… en
jouant sur l’équilibre entre le maintien et le changement, aboutit à la construction d’un
système d’action concret, plus ou moins stable que l’analyse stratégique a pour but de
mettre à jour. Les stratégies sont toujours contingentes.
II-3-2 L’intérêt de l’analyse stratégique
L’analyse stratégique est particulièrement adaptée à notre objet de recherche :
54
Encyclopédie Universalis
48
- elle intègre les notions de zone d’incertitude et de contingence essentielles dans le
fonctionnement d’une organisation. Ainsi M. Crozier développe le postulat de
l’économiste américain F. Ansof (1968) : « la stratégie est devenue essentielle car
l’environnement est imprévisible ».
- elle comprend la notion de jeux de pouvoir ; la conduite d’un individu, d’un acteur, va
être fonction des possibilités qui s’offrent à lui de tisser des alliances, des coalitions.
L’acteur saisit ces opportunités qui vont correspondre à ses objectifs et satisfaire ainsi ses
intérêts .
II-3-3 Les postulats de la stratégie des acteurs dans une organisation
Selon M. Crozier, l’analyse de la stratégie d’un individu dans une organisation s’articule
autour de trois postulats qui se retrouvent dans les centres d’alcoologie :
- l’acteur refuse d’être traité comme un simple « moyen » au service d’une organisation.
- l’adhésion au projet de service sous-entend que chaque individu poursuit ses objectifs
propres. Il défend son autonomie et sa liberté.
- sa stratégie est réfléchie mais limitée dans le temps et contingente parce qu’elle doit
s’adapter au contexte.
II-3-4 La zone d’incertitude
Dans toute organisation, il existe des zones d’incertitude dans la répartition des tâches des
différents acteurs. Le degré d’incertitude dépend, d’une part, des finalités de l’organisation,
d’autre part, de la manière dont elle structure les relations. Par exemple, la fabrication d’un
produit fait appel à des procédures précises contrairement au travail social qui s’exprime
dans le champ des sciences humaines. Moins on précise les procédures, plus on crée des
zones d’incertitude.
Plus les zones d’incertitude sont importantes, plus l’individu disposera de marge
d’autonomie, ce qui lui permettra d’asseoir son pouvoir stratégique et de développer ses
compétences.
Pour augmenter son pouvoir, sa marge d’autonomie, et mieux contrôler celle des autres, M.
Crozier pense que l’acteur cherche à se comporter de telle sorte que les autres ne puissent
49
pas deviner son jeu, misant sur l’imprévisibilité de sa fonction. C’est cette zone
d’incertitude qui crée la dépendance des uns par rapport aux autres.
Mais, pour M. Crozier, la vraie préoccupation de la personne dans une organisation n’est
pas la recherche du pouvoir ou la préservation de l’autonomie en tant que but de l’action,
mais plutôt la façon dont la personne va pouvoir s’affirmer, travailler avec d’autres et
coopérer . En conséquence, « la question n’est pas tant de nier la présence du pouvoir dans
les relations humaines mais de savoir comment la gérer »55.
II-3-5 Les jeux de pouvoir
L’analyse stratégique se fonde sur la notion de jeux de pouvoirs entre acteurs.
En ce qui concerne notre étude, ces jeux de pouvoirs peuvent s’exercer aussi bien dans
l’organisation qu’au niveau institutionnel
1- Dans l’organisation les relations de pouvoir jouent un rôle essentiel dans les rapports
que le travailleur social établit avec ses collègues.
Le terme « relation » inclue une réciprocité : par exemple, si le travailleur social se plaint
du comportement autocratique du chef de service ou du chevauchement des tâches à ses
dépends, il pourrait se demander ce qu’il fait pour entretenir ou modifier la situation et
pour négocier. La relation de pouvoir est alimentée par des ressources, des compétences
que l’individu développe pour asseoir son propre pouvoir stratégique. « Tout pouvoir
s’appuie sur la légitimité dont aucun pouvoir ne peut se passer », nous dit M. Crozier. On
voit combien la définition dépasse la place dévolue par les statuts et fonctions.
2- Si les relations de pouvoir ont une grande importance à l’intérieur d’une organisation
telle qu’un centre d’alcoologie, elles s’exercent aussi à l’intérieur du cadre institutionnel.
Pour illustrer cette situation, nous avons constaté lors du congrès d’addictologie que les
réformes sont proposées, les textes élaborés par des experts sans solliciter la participation
de tous les acteurs concernés. Il en résulte, selon les travailleurs sociaux, que « les
capacités d’autonomie, de communication, les capacités d’action et d’initiative requises
pour vivre dans cette société ne sont pas développées »56. Ainsi, ce manque de concertation
lié à un défaut d’ordre méthodologique ou à une volonté politique pourrait avoir pour
55
56
CROZIER M., « Le Pouvoir confisqué » in : Les Organisations, p. 155
CROZIER M., op-cit, p. 157
50
conséquence de bloquer toute perspective de changement en profondeur du travail social.
Les travailleurs sociaux sont donc invités à participer à l’élaboration de ces réformes et à
leur application pour être acteurs de ce changement.
II-3-6 La méthodologie de l’analyse stratégique
L’hypothèse de E. Friedberg repose sur la rationalité des acteurs, rationalité limitée,
contextuelle et culturelle. Elle renvoie au passé de la personne et aux contraintes et
opportunités du présent, « c’est-à-dire à la situation d’interaction dans laquelle la personne
se trouve ». Ce présent transforme l’identité de l’individu. Pour mettre en évidence la
structure et les règles du jeu particulières du contexte, E. Friedberg met entre parenthèses
le passé des personnes, pendant la durée de l’analyse, ce qui lui permet de considérer leur
comportement comme le seul produit de leur calcul présent.
Pour dépasser les blocages, tant au niveau de l’organisation que de l’institution, l’analyse
stratégique propose une méthode qui consiste à déceler en commun les failles du
fonctionnement. Il s’agit d’organiser des entretiens qualitatifs approfondis pour faire
travailler les gens sur des problèmes concrets, puis de délibérer, c’est-à-dire choisir des
solutions en instaurant un dialogue capable de faire apparaître oppositions et problèmes
réels. Ces échanges et négociations font naître des opportunités, des comportements
nouveaux.. Le consensus apparaît alors comme une construction à partir de discussions à
tous niveaux de responsabilité. Faire participer les acteurs est un type de management qui
ne gomme pas les relations de pouvoir et les conflits mais qui les dévoile pour impulser
une dynamique de changement.
La notion d’action organisée
Cette notion développée par E. Friedberg dans son ouvrage, le Pouvoir et la Règle57,
permet de saisir les processus de coopération à l’œuvre dans les organisations.
En effet, il faut, d’après E. Friedberg, démontrer la logique de la conduite des acteurs pour
comprendre la dynamique des organisations.
57
CIVARD-RACINAIS A., et DORTIER J-F., op-cit, pp. 51-52
51
La notion nous intéresse dans la mesure où elle facilite la compréhension des conduites et
stratégies des différents acteurs d’un CCAA, ce qui implique de connaître les structures et
règles du jeu sur lesquels repose « l’ordre local ».
Dans ce schéma d’analyse, le terme « organisation » désigne à la fois un état et une
dynamique. L’état renvoie à un objet social (le CCAA), la dynamique « aux processus par
lesquels les individus ajustent leurs comportements et coordonnent leurs conduites dans la
poursuite d’une action collective ».
L’action organisée existe partout où les hommes doivent se coordonner pour réussir leur
coopération. L’objet de la démarche est une réflexion sur les conditions et les mécanismes
de la régulation d’action d’un ensemble d’acteurs interdépendants, mais aussi relativement
autonomes.
La notion de pouvoir et « d’ordre local »
E. Friedberg insiste sur le fait que le pouvoir n’est pas seulement une capacité à faire faire ;
il structure les relations et, en particulier, il est créateur de règles. Face aux incertitudes,
aux conflits qui perturbent l’action collective, le pouvoir est là pour stabiliser les
interactions, permettant l’action dans la durée.
Nous avons vu qu’il n’y a pas d’organisation unique pour couvrir les problèmes des
conduites d’alcoolisation, mais une multiplicité d’acteurs institutionnels relativement
autonomes. Ainsi, à l’intérieur d’un CCAA, il n’y a pas de modèle unique qui indique la
composition d’une équipe : la dominante est médicale mais le choix des autres intervenants
et la prépondérance d’une fonction sont déterminés par le libre-arbitre de la direction, par
le projet fondateur, par l’évolution du projet de service.
Mais au-delà du désordre apparent dans le fonctionnement d’un CCAA, il y a en fait des
régularités profondes qui correspondent à « des équilibres de pouvoir, des chasses gardées,
des rapports de concurrence, des partages implicites de rôles. Pour connaître les conduites
et stratégies des uns et des autres, il faut connaître cet « ordre local » et les structures et les
règles du jeu sur lesquelles il repose ».
L’approche organisationnelle devient alors l’étude de notions centrales telles que « le
contexte d’action, de négociation, et d’échange politique58, et surtout « d’ordre local », par
58
E. FRIEDBERG entend par « échange politique » le mécanisme de base –distinct de l’échange économique- qui
désigne les termes de l’échange, c’est-à-dire les contreparties que j’accepte de donner pour obtenir quelque chose. De ces
échanges politiques émergent les ordres sociaux.
52
lequel est introduit un minimum de régularité et de stabilité dans les négociations entre les
intéressés ».
Conclusion de l’analyse stratégique
Critiquée pour son aspect utilitariste, cette approche organisationnelle se veut simplement
méthodologique. Il s’agit de découvrir les caractéristiques spécifiques d’un contexte
d’action, sa structure, ses enjeux et ses règles du jeu.
L’intérêt de cette approche est de considérer chaque contexte d’action dans sa singularité et
d’en analyser le fonctionnement. Il est nécessaire de toujours mettre en doute l’uniformité
des organisations : tous les CCAA ne sont pas identiques. Pour découvrir les différences,
les logiques d’action des acteurs et les caractéristiques de « l’ordre local » sont
reconstruites. La méthode comparative permet de révéler les spécificités des contextes
d’action, de distinguer de la contingence locale ce qui relève de régularités plus profondes.
L’approche organisationnelle n’apporte pas de solution : « elle met simplement en
évidence les structures de coopération entre un ensemble d’acteurs et la logique de
fonctionnement qui en découle ». Elle peut déclencher chez l’individu un autre
raisonnement sur le champ d’action, être un facteur de changement à la condition que les
résultats de l’analyse lui soient communiqués.
II-4 L’action du travailleur social fondée sur la légitimité de compétence selon
H. Hatzfeld
H. Hatzfeld s’inscrit dans le schéma de l’analyse stratégique en introduisant la notion de
légitimité de compétence. Pour cet auteur, la notion est fondamentale pour la pratique du
travail social. Cette notion se distingue en la complétant de la légitimité institutionnelle,
fondée sur des règles de droit et de la légitimité démocratique conférée au travailleur social
par le soutien du public auquel il s’adresse.
« La légitimité de compétence se fonde sur des faits, des résultats concrets, sur son
efficacité (celle du travailleur social)»59.
59
HATZFELD H., Construire de nouvelles légitimités en travail social, p. 114
53
La compétence, fondement de cette légitimité, est à la fois une construction sociale,
s’appuyant sur la qualification professionnelle et une construction individuelle, propre à
chaque individu dans une situation professionnelle.
Cette notion de compétence est donc plus large que la seule notion de qualification qui lui
est souvent associée.
La qualification est une notion qui « renvoie plutôt aux savoirs scolaires et au travail
prescrit alors que la compétence se définit plutôt par rapport à l’action concrète, à ce qui
est exigé de l’opérateur pour qu’une performance soit atteinte dans une situation réelle »60.
Dans le monde du travail, la tendance actuelle serait de raisonner en terme de compétence
parce que le système qualification-classification est bureaucratique et rigide, même s’il
propose des règles formalisées qui ont le mérite de protéger les plus faibles.
La compétence indique la mise en œuvre d’une ou plusieurs capacités pour accomplir une
tâche déterminée dans une situation donnée, en utilisant des savoirs et/ou des
connaissances issus non seulement de la qualification mais aussi de l’expérience61.
Les compétences se construisent ainsi à partir des savoirs, connaissances et capacités de
l’individu. Ainsi pour R. Bourdoncle, la notion de compétence renvoie plus « à l’action
avec sa finalité et son efficacité qu’à la connaissance, qu’elle mobilise mais sans s’y
réduire »62.
Enfin H. Hatzfeld complète cette définition de la compétence par deux caractéristiques :
l’art de la mise en œuvre des connaissances et des techniques, et aussi la « mobilisation »
de l’individu pour savoir se responsabiliser, travailler en équipe et se former. Cette
construction de compétences est finalement un « savoir combinatoire » qui permet de
mobiliser à la fois des « ressources incorporées (connaissances, savoir-faire, qualités
personnelles, expérience) et des réseaux de ressources de son environnement... » (Le
Boterf, 1997).
Ainsi, nous dit H. Hatzfeld, la légitimité de compétence est fondée « sur un ensemble de
connaissances théoriques et pratiques, et de capacités relationnelles permettant de
caractériser une situation et de formuler des propositions »63.
60
61
JOBERT G., « De la qualification à la compétence », in : SH (20)/HS
WITTORSKI R., séminaire DSTS 4, ETSUP, février 2004
62
BOURDONCLE R., « Autour des mots : professionnalisation, formes et dispositifs » in : Recherche et
Formation (35), p.124
63
HATZFELD H., op-cit. p. 118
54
L’auteur précise que l’introduction de cette légitimité fondée sur des compétences
spécifiques dérange quelque peu les conceptions anciennes des assistants sociaux qui ont
longtemps admis que leur titre suffisait à asseoir leur légitimité, ce qui n’est plus le cas.
Cette conception de la légitimité a tendance à prévaloir. Elle « varie en fonction des
métiers (des travailleurs sociaux) et plus encore des transformations de leurs rôles et du
cadre dans lequel ils interviennent »64.
A partir de cette approche théorique de la compétence, H. Hatzfeld donne quelques
exemples par lesquels le travailleur social peut démontrer ses compétences :
- le travailleur social peut contribuer à réguler les dysfonctionnements, en faisant remonter
à l’employeur des informations et des connaissances sur les problèmes sociaux (rôle
d’observation sociale mentionné dans l’entretien exploratoire avec Madame D.)
- il peut exercer une activité de conseil auprès des usagers, mais aussi auprès des
organismes et fournir un conseil personnalisé sur les problèmes sociaux, ce qui implique
une bonne connaissance de la diversité des situations
- il peut s’investir dans le montage de projets en partenariat, ce qui suppose l’acquisition
d’une méthodologie globale d’analyse et de projet
- et enfin en ce qui concerne « les pratiques de médiation (qui) restent l’outil essentiel pour
tisser des liens au sein de la société », il peut établir des connections entre les différents
réseaux. Même si les travailleurs sociaux n’en ont pas l’exclusivité, la médiation étant une
compétence partagée par divers acteurs, H. Hatzfeld pense que « leur position d’interface
entre l’économique et le politique, leur fonction d’agents spécialisés du social, leur confère
une responsabilité particulière : celle de contribuer à la régulation autonome de la
société »65. Dans notre champ d’action, la médiation permet, en effet, d’appréhender la
situation des patients dans sa globalité, d’introduire une certaine cohérence dans
l’organisation de leur vie et par conséquent une meilleure intégration dans leur cadre
social.
64
ibid, pp. 209- 214
65
HATZFELD H., op-cit, p. 213
55
II-5 Les dimensions cachées d’une organisation : le regard clinique
d’E.Enriquez
Si l’analyse stratégique peut être une grille de lecture opérationnelle pour étudier les
mécanismes qui régissent les relations entre les acteurs d’un CCAA et les jeux de pouvoir,
l’approche clinique que nous avons également retenue propose une démarche qui se veut
plus large dans la mesure où elle entend intégrer les dimensions historiques,
institutionnelles et pulsionnelles d’une structure. Nous pensons que ces deux approches
peuvent être adoptées conjointement.
Cette approche permet de révéler certaines dimensions cachées : les mythes fondateurs, le
contexte historique, les conflits psychiques… qui règlent ou dérèglent la vie des groupes.
Le CCAA est une organisation qui peut être analysée comme le produit d’une culture et
d’un imaginaire. « Une organisation n’est pas seulement un ensemble d’individus guidés
par des intérêts, des contraintes et des jeux de pouvoir. C’est aussi un système culturel,
symbolique et imaginaire »66.
Un CCAA n’est-il pas aussi le lieu où se confrontent plusieurs cultures, celles des
médecins, des infirmiers, des secrétaires, des psychologues et des travailleurs sociaux,
culture qui elle-même se subdivise en plusieurs « familles », notamment celle des
assistants sociaux, des éducateurs spécialisés etc... ? Les modes de cohabitation de ces
différents groupes culturels, qui ne vont pas sans poser de problèmes, ne sont-ils pas en
lien direct avec les jeux de pouvoir qui s’exercent dans la structure ?
E. Enriquez distingue plusieurs niveaux d’analyse. Nous retiendrons trois « instances » que
nous pouvons appliquer à notre champ d’observation : l’instance mythique, « socialehistorique » et organisationnelle.
II-5-1 Le niveau mythique
Les textes et les personnages fondateurs de l’alcoologie ont donné du sens à l’institution,
l’ont légitimée et valorisée. Ils ont fixé des normes de conduite, des valeurs et des rites.
Parmi les grandes figures de l’alcoologie, citons l’exemple du docteur Haas, figure
66
DORTIER J-F., « Les dimensions cachées des organisations » in : Les Organisations, p. 68
56
charismatique, fondateur de l’unité d’alcoologie de St-Cloud il y a cinquante ans et de la
Société Française d’alcoologie, en 1978, avec le docteur P. Fouquet.
Plusieurs idées-force ont été portées par lui :
- il a introduit en particulier la notion de « maladie » alcoolique à prendre en charge par
une équipe pluriprofessionnelle
- il a revendiqué la rupture avec les savoirs psychiatrique et psychanalytique du malade
alcoolique. Son savoir était empirique et intégrait la pratique de terrain, l’expérience propre
aux malades. De cette conviction ainsi que de son expérience du compagnonnage et de la
force de solidarité du groupe face à l’adversité (il a été déporté) est né son intérêt pour les
groupes d’anciens buveurs. Le Dr. Haas va mêler les anciens patients que l’on nomme les
« rétablis » aux activités du service. Durant toute sa carrière, il se montrera très attaché à
faire vivre cette idée de la coopération nécessaire entre rétablis et soignants.
Aujourd’hui encore, l’image du Dr. Haas, chef de service autocrate mais capable de
galvaniser son équipe, reste encore très présent dans l’organisation de l’unité d’alcoologie
et du CCAA intra-muros de l’hôpital de Saint-Cloud.
Cependant le caractère sacré du mythe peut être contesté et provoquer des conflits internes
entre les membres du groupe, certains restant inconditionnellement fidèles au père
fondateur, d’autres se référant à des normes différentes, sans pour autant remettre en cause
la valeur du personnage.
L’instance mythique existe dans le monde de l’alcoologie, elle suscite des conflits, liés à
l’évolution de prise en charge de la pathologie, qui peuvent ne pas toujours être exprimés
ouvertement.
II-5-2 Le niveau « social-historique »
Selon E. Enriquez, toute organisation est confrontée aux changements sociaux. Depuis
1975, l’évolution des dispositifs de soins en alcoologie est soumise à celle du contexte
socio-économique, en particulier à l’apparition de la notion d’exclusion. « L’organisation
doit donc s’adapter aux grandes mutations de la société tout en conservant son unité »67.
Nous avons vu que les CCAA sont sollicités pour répondre aux besoins d’un public
diversifié, y compris les personnes très désocialisées. Or il arrive que certains médecins en
CCAA n’adhèrent pas aux préconisations des pouvoirs publics qui leur demandent d’aller à
57
la rencontre de ces populations qui nécessitent une aide mais qui n’ont pas de demande
explicite68. Il y a donc là encore une source de conflits importante entre les acteurs qui
veulent maintenir la mission traditionnelle du CCAA, fidèles au principe que le soin
alcoologique ne s’impose pas, et ceux qui sont prêts à s’ouvrir au changement.
Les contraintes peuvent aussi être imposées par les changements de statut d’une structure,
par exemple lorsque celle-ci, gérée par une association, passe sous la tutelle administrative
d’un hôpital. L’autonomie de gestion disparaît alors et les problèmes de communication
avec l’administration peuvent freiner le développement de l’organisation et la motivation
des intervenants.
II-5-3 Le niveau de l’organisation
C’est un troisième niveau d’analyse qui nous permet d’observer les principes et les
orientations d’un CCAA au moment de sa création, ce qu’ils sont devenus au fil du temps à
travers les projets de service, les changements de direction. L’évolution se lit aussi dans les
jeux d’alliances qui nouent et dénouent les liens des membres d’une équipe. Les départs
(décès, retraite, démissions…) et les arrivées de nouveaux collègues font varier les
alliances. Des différences vont apparaître, par exemple, entre les comportements des
« anciens » marqués par un devoir d’allégeance au chef, une fidélité à un ordre ancien et
ceux des « nouveaux », soucieux d’analyser les dysfonctionnements et d’innover.
L’approche clinique nous intéresse parce qu’elle révèle à la fois le poids des événements et
les réactions des acteurs face aux mouvements, aux zones d’incertitude d’une organisation.
Pour reprendre les termes d’E. Enriquez, « la sociologie clinique….tient compte aussi bien
du rôle du sujet humain que de celui des groupes sociaux et de la complexité de leurs rôles.
Si l’individu (comme la société et les groupes organisés) se définit d’abord par la clôture,
par l’instauration d’une membrane protectrice, il est capable de s’ouvrir à lui-même, à
67
ibid, p. 69
La loi sur les exclusions a prévu la création de « consultations avancées » auprès de populations qui nécessitent une
aide mais n’exprime de demande ni auprès du dispositif spécialisé ni auprès du dispositif général de soin, à l’exception
des urgences hospitalières. La mission des CCAA est double : former en alcoologie le personnel des institutions qui
accueillent ce public en grande difficulté sociale (CHRS, foyers de jeunes travailleurs, boutiques-solidarité, foyers
Sonacotra…) et aller à la rencontre de ces personnes afin de faire émerger une demande de soins.
68
58
autrui, au monde. Il peut aimer la servitude volontaire69 comme vouloir être « créateur
d’histoire ». L’être humain comme les groupes sociaux sont considérés à la fois dans leurs
aspects de rationalité élargie, de sagesse, de réflexion, de réflexivité, de folie
autodestructrice et de folie créatrice, de jeu, de mouvement. L’être humain doit donc être
considéré à la fois comme sapiens, demens, ludens70. L’approche clinique prend en compte
ces différents aspects, leurs dimensions et leurs combinaisons »71.
Ces regards stratégiques et cliniques portés sur le fonctionnement d’une organisation nous
semblent complémentaires : l’analyse stratégique nous incite à focaliser notre attention sur
la situation, c’est-à-dire sur un ensemble de relations plutôt que sur des personnes, pour
mieux découvrir les caractéristiques spécifiques d’un contexte d’action, sa structure, ses
enjeux et ses règles du jeu. Elle peut être utilement complétée par une réflexion sur les
phénomènes d’organisation qui prend en compte les mythes, le contexte historique et les
conflits psychiques.
II-6 La mise en œuvre des stratégies du travailleur social
Les stratégies de chaque acteur dans une équipe sont limitées par celles qu’élaborent les
collègues. Mais la difficulté de la mise en œuvre des stratégies du travailleur social vient
aussi de sa position dans un dispositif institutionnel et organisationnel complexe où sa
place n’est « pensée » ni par les politiques, ni par les organisations locales.
Ces nouvelles stratégies pourront
ainsi se développer d’abord pour promouvoir
l’accompagnement social, et ensuite pour participer plus activement aux nouvelles
orientations de la santé public en matière d’alcoolisme.
II-6-1 De nouvelles stratégies à envisager
Dans le cadre de son métier traditionnel, d’après F. Dubet, le travailleur social est en partie
responsable de ses difficultés de positionnement à l’intérieur d’une équipe et face aux
autres corps professionnels.
69
On peut rappeler ici le Discours de la servitude volontaire d’E. de La Boétie (1574) qui pose la question énigmatique :
comment se fait-il que les hommes combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ?
70
C’est à dire comme un être qui pense, qui est fou et qui joue.
59
F. Dubet préconise des changements dont le travailleur social sera lui-même acteur
72
: il
faut qu’il apprenne à défendre la notion de métier, en sachant affirmer des compétences
spécifiques à partir desquelles il pourra être évalué (en particulier, écrire ses pratiques pour
formaliser ses compétences). Cela signifie qu’il s’accorde avec son service sur des
objectifs, refuse de tout faire, mais s’attache à ce qu’il fait.
La nécessité d’évaluation concerne d’ailleurs l’ensemble de l’organisation et résulte du
passage, pour les structures médico-sociales, d’une logique institutionnelle à une logique
de services qui devrait imposer de rendre des comptes tant au niveau individuel qu’au
niveau collectif. Or dans le système actuel, cette logique de services n’a pas été intégrée
dans les critères d’évaluation. C’est en effet l’organisation tout entière qui va être évaluée
au regard des prestations qu’elle offre à l’usager « au cœur du dispositif », et non chaque
fonction ce qui, d’après F. Dubet, entraîne le risque de passer complètement à côté des
activités d’une profession, en l’occurrence la fonction de travailleur social.
Les activités du travailleur social peuvent ne pas être prises en compte dans les critères
d’évaluation de l’organisation parce qu’elles ne sont pas appréhendées de façon mesurable.
En conséquence, pour retrouver une légitimité, c’est au travailleur social de construire les
propres critères d’évaluation de ses activités, d’apprendre à négocier ce qu’il fait à
l’intérieur du projet de service. Mais actuellement, son action peut difficilement s’inscrire
dans le cadre institutionnel.
Par ailleurs, M. Autès et F. Dubet soulignent que les nouvelles politiques de santé publique
se fondent davantage sur l’action collective territoriale, la conduite de projets, à partir
d’une réflexion globale sur une problématique donnée, alors que les structures médicosociales s’orientent plutôt vers une logique de services. En particulier, l’arrivée des
politiques territoriales a bousculé le travail social sur les situations individuelles, mode
d’intervention considéré limité en efficacité.
Ces actions collectives territoriales sont portées actuellement par les nouveaux métiers du
social, et non pas par les travailleurs sociaux traditionnels qui n’ont pas l’habitude de ces
pratiques collectives.
Pour illustrer le propos de F. Dubet, prenons l’exemple d’un partenariat qui s’est instauré
entre un CCAA et une Commission locale d’insertion (CLI) : les travailleurs sociaux de la
71
72
ENRIQUEZ E., cité par DORTIER J-F., Les Organisations, p. 70
DUBET F., Le Déclin de l’Institution, p. 16
60
CLI sont confrontés à des problématiques de santé concernant des bénéficiaires du RMI.
Les services instructeurs et les prestataires constatent en effet la souffrance des personnes
et le faible recours aux soins de ce public, l’alcoolisation étant l’un des problèmes
soulevés. Le CCAA local est alors sollicité par le responsable de la CLI, en tant qu’expert
ou « structure-ressource ». Le responsable médical du CCAA évalue le problème au cours
de quelques réunions, incluant travailleurs sociaux d’insertion, associations. Un étudiant de
3° cycle en sociologie sera alors engagé par l’hôpital employeur du CCAA sur un budget
de prévention alloué par le Conseil Général, pour réaliser l’étude des besoins du public
concerné. Le projet, tel qu’il est conçu, exclue donc le travailleur social du CCAA de son
élaboration et de sa mise en œuvre.
Les professions sociales se trouvent ainsi concurrencées par ces nouveaux métiers
correspondant à des postes attribués à des diplômés de l’université et « présentés comme
en rupture par rapport au travail social traditionnel »73.
Le travail social risque de se trouver alors isolé puisque une séparation est en train de se
créer entre les fonctions de gestion et de suivi individuel, organisées autour de
l’accompagnement et de l’insertion, et les fonctions d’ingéniérie et de développement
local. Dans cette coupure, on voit le paradoxe du travail social, comme le dit M. Autès, qui
est à la fois « identifié et immobilisé ».
Ainsi actuellement, le travail social traditionnel n’est pas pris en compte, légitimé, dans
l’action collective qui a une dimension plus politique.
Comme le dit M. Autès, la structure du travail social devrait être double : le travailleur
social exerce son activité dans « une logique professionnelle d’intervention parcellaire et
individualisée»74, mais il devrait également être amené à remplir des fonctions de
développement local dans une logique de projets.
Dans la réalité, ces dernières fonctions ne sont pas assurées par lui.
D’après M. Autès, cela correspond à une stratégie politique implicite, stratégie de
disqualification du travail social, qui veut rompre la structure double du travail social dans
le but de réduire son efficacité. Les pouvoirs politiques reprocheraient ainsi au travail
social de ne pas s’inscrire dans la modernité alors qu’ils ne lui en donnent pas les moyens
et le divisent.
73
74
AUTES M., Les Paradoxes du Travail Social, pp. 145-146
AUTES M., Les Paradoxes du Travail Social, p. 6
61
Néanmoins, la loi sur l’exclusion souligne peut-être un changement dans les orientations
politiques puisqu’elle donne une responsabilité particulière au travail social spécialisé en
alcoologie dans les interventions collectives auprès de populations désocialisées.
Dans cette même orientation politique et en se situant dans la logique d’H. Hatzfeld,
comme dans celle de F. Dubet, G. Lambert recommande aux travailleurs sociaux en
alcoologie de s’engager plus directement dans des démarches de santé communautaire, de
développement social local afin d’inscrire leur action « dans l’orientation voulue par la loi
sur les exclusions »75. Ce mode d’intervention commence à trouver sa place en alcoologie.
Cette animation collective (groupes de parole, actions de prévention, consultations
avancées…) est une nouvelle démarche susceptible de responsabiliser le travailleur social
et de lui donner de nouvelles opportunités stratégiques76.
Synthèse de la problématique et hypothèse
La compréhension d’une organisation à la lumière de l’approche théorique repose sur
plusieurs notions que nous avons tenté d’analyser. Quatre d’entre elles nous semblent
particulièrement importantes pour comprendre le mode de fonctionnement du CCAA. et
peuvent se traduire de manière suivante :
- le CCAA est un équilibre de pouvoirs. Chaque membre de l’équipe utilise ses marges de
liberté d’une manière rationnelle, en s’appuyant sur les règles formelles et informelles de la
structure.
- le CCAA est une organisation où les zones d’incertitude sont importantes, ce qui favorise
le développement des jeux de pouvoir
- les freins limitant l’action du travailleur social peuvent se situer tant au niveau de
l’organisation elle-même qu’au niveau institutionnel.
- pour développer son action et obtenir une reconnaissance interne et externe, le travailleur
social s’appuiera sur ses compétences, notion distincte de la qualification.
75
LAMBERT G., op-cit
76
cf. note 68
62
Nous considérons que la finalité de l’action d’un centre de soins est le rétablissement de la
communication de la personne alcoolo-dépendante avec son environnement.
Du fait de son caractère transversal bio-psycho-social, la fonction du travailleur social se
réfère à de multiples champs : administratif, juridique, sociologique, psychologique,
médical … Le travailleur social en centre d’alcoologie ne pourrait-il être alors l’acteur
central d’une politique globale de l’action sociale en matière d’alcoologie, tant à l’intérieur
de sa structure qu’au niveau institutionnel ?
Quelles sont les conditions dans lesquelles sa parole pourrait s’exprimer et son action
s’exercer ?
L’analyse du contexte socio-historique qui situe l’action du travailleur social dans un
cadre institutionnel et organisationnel complexe et l’approche théorique qui permet de
comprendre les ressorts de l’action de chaque intervenant, nous donnent des éléments pour
formuler notre hypothèse :
Dans un Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie, le travailleur social construit
diverses stratégies qui ont pour objectif de faire reconnaître son rôle en interne et en
externe.
63
DEUXIEME PARTIE : LA RECHERCHE
I- METHODOLOGIE ET CONDITIONS DE REALISATION DE L’ENQUETE
I-1 Les étapes préliminaires de l’enquête
I-1-1 Le choix de l’objet de recherche
L’objet de notre recherche, la position professionnelle du travailleur social en centre
d’alcoologie, nous semblait intéressant dans la mesure où il correspond à une des
préoccupations majeures de l’ensemble des travailleurs sociaux en alcoologie. Ces
préoccupations nous sont apparues dans le cadre de groupes de parole entre travailleurs
sociaux constitués pour analyser les pratiques professionnelles.
Notre recherche s’était orientée initialement sur le groupe de parole comme outil de
consolidation de la position professionnelle de ces travailleurs sociaux. Mais au fur et à
mesure du développement de notre étude et après plusieurs entretiens exploratoires, nous
avons préféré cibler notre sujet non pas sur le fonctionnement du groupe de parole mais sur
les stratégies des travailleurs sociaux, objet de recherche qui nous semblait correspondre à
un réel questionnement de la profession.
I-1-2 L’outil méthodologique : l’entretien semi-directif
Le choix d’une méthodologie d’enquête répond à une double préoccupation :
- ne pas oublier d’aborder des sujets importants ce qui excluait le principe de l’entretien
non directif
- favoriser l’expression d’une parole libre pour nous permettre de collecter le maximum
d’informations et avoir ainsi un aperçu le plus large possible des différentes dimensions de
notre sujet.
Cette double nécessité nous a conduit à choisir un mode d’entretien semi-directif avec des
questions sur des sujets bien cernés, comme par exemple, leur perception du volet social à
l’intérieur des textes, les points précis sur l’organisation de leur centre d’alcoologie et des
64
questions plus ouvertes concernant leur rôle, leurs difficultés, les relations avec leurs
collègues, leur formation.
Pour compléter
l’entretien semi-directif, nous nous sommes reportés à deux compte
rendus de réunions d’un des groupes de parole auxquelles ont participé deux des
interviewés.
Ces deux réunions ont eu lieu en octobre 2002 et en juin 2003, l’ensemble des entretiens
de juin à octobre 2004.
I-1-3 Les entretiens exploratoires
Nous avons interrogé trois assistantes sociales exerçant en milieu extra et intra-hospitalier :
la première en CMP, la seconde en unité d’alcoologie hospitalière et la troisième que nous
avons déjà citée (Madame D.), précédemment assistante sociale en CSST, et actuellement
cadre socio-éducatif dans un Centre Hospitalier Universitaire.
La seule consigne était de répondre à une question très générale : que pensez-vous du rôle
du travailleur social en équipe pluriprofessionnelle ?
L’objectif était de confronter les expériences sociales hors du champ de l’alcoologie et
hors du milieu organisationnel que représente le CCAA avec notre propre perception du
positionnement du travailleur social en équipe de soins. Nous avons pu ainsi confirmer nos
axes de recherche.
En effet, le contenu de l’entretien avec le cadre socio-éducatif nous a permis de constater
que notre objet de recherche est considéré par notre interlocuteur comme la question
fondamentale posée dans son cadre d’action quotidien : « Quand je travaille dans des
pratiques de supervision avec des collègues, de quoi parle-t-on ? Qu’est-ce qui est
renvoyé ? C’est la place du travailleur social au sein d’une équipe » .
I-1-4 Les critères de choix des personnes interrogées
Pour obtenir un échantillon assez représentatif, nous avons souhaité retenir les critères du
statut du CCAA, de son département d’implantation, du sexe du travailleur social, de
l’ancienneté dans la profession et dans le métier, de la formation initiale et
complémentaire.
Nous avons donc interrogé six travailleurs sociaux et un cadre administratif dont la
position distanciée nous paraissait a priori intéressante.
65
Le tableau suivant présente les 7 personnes interviewées :
N°
Statut du
entret CCAA
ien
(Région)
1
Associatif
Ancienneté
Ancienneté
dans la
profession
12 ans
Expérience
Origine
dans le
Professionnelle
culturelle
métier
autre
12 ans
ANPAA
Profession
Directeur
Cadre
administratif
commercial
A.S. (D.E)
A.S. DDASS-
Sexe
française
H
française
F
F
(Dordogne)
2
Hospitalier
15 ans
11 ans
(R P)
3
Hospitalier
Etat
20 ans
5 ans
(Gard)
T.S.
T.S hôpital,
anglaise
diplômée en
associations
sud-africaine
G.B.
britanniques,
Afrique Noire
4
Associatif
30 ans
1 an
A.S. (D.E)
A.S.
latino-
ANPAA
Am.Latine,
américaine
(RP)
A.S. France:
H
A.S.E, hôpital
5
Associatif
3 ans
3ans
A.S. (D.E)
Secrétaire
française
F
5 ans
3 ans
T.S. non
Prof.maths
française
H
française
F
ANPAA
(RP)
6
Associatif
ANPAA
diplômé
(RP)
7
Hospitalier
(RP)
17 ans
17 ans
A.S. (D.E) +
thérapeute
familiale
Pour situer notre recherche dans un cadre historique, nous aurions souhaité interroger
également deux assistantes sociales, ayant travaillé au développement des centres
d’hygiène alimentaire en alcoologie (CHAA) dans les années 1980 en région parisienne.
Malheureusement la première, engagée dans d’autres fonctions, a considéré que son
expérience était trop ancienne, et la seconde était déjà partie en retraite.
66
I-1-5 Le guide d’entretien
Pour conduire nos entretiens et formuler nos questions, nous nous sommes appuyés sur les
trois entretiens exploratoires et sur les comptes-rendus de deux réunions de groupes de
parole.
Les questions portaient sur le contexte institutionnel, le contexte organisationnel et sur la
notion de compétence. Au travers de ces questions, les personnes interviewées ont été
amenées à exprimer leur positionnement en termes de stratégies personnelles.
Ces questions ont été présentées au début de chaque entretien pour que l’interviewé ait
connaissance des sujets sur lesquels il était invité à s’exprimer.
I- Sur le « volet social » à l’intérieur des textes relatifs à la prise en charge de la personne
en difficulté avec l’alcool :
- que pensez-vous des textes publiés sur le sujet, en particulier la loi sur les exclusions de
1998 qui consolide le CCAA en lui donnant le statut d’institution médico-sociale et la loi
du 2 janvier 2002 qui responsabilise tous les acteurs du CCAA?
- comment les centres d’alcoologie organisent-ils leur action à l’intérieur de ce cadre
législatif ?
II- Sur les fonctions du travailleur social :
- que pensez-vous du rôle du travailleur social à l’intérieur et à l’extérieur du CCAA ?
- comment analysez-vous la délimitation des fonctions et des rôles à l’intérieur et à
l’extérieur du CCAA ? Pouvez-vous caractériser vos relations avec les membres de
l’équipe et en particulier avec vos responsables médical et administratif ?
III- Que pensez-vous des notions de qualification et de compétence ?
La troisième question était plus ouverte pour permettre aux interviewés d’engager une
réflexion plus personnelle.
I-1-6 Les limites de la recherche
Les limites de cette recherche tiennent en premier lieu au statut de l’interviewer qui
pourrait dévier l’analyse, et en deuxième lieu à la nature de l’échantillon des personnes
interrogées.
67
- la position d’acteur et de chercheur de l’interviewer
Nous avons pris conscience que cette position délicate pouvait entraîner un manque de
distanciation. Le risque était d’orienter les discours par notre propre connaissance des
sujets abordés. Par ailleurs, la personne interviewée pouvait se sentir jugée dans ses propos
par un pair. Ces risques ont été écartés, d’une part, par une recherche de neutralité dans les
questions posées, et, d’autre part, par l’assurance, dès le début des entretiens, d’une
parfaite confidentialité sur l’ensemble de leur contenu.
- la validité de l’échantillon
Notre échantillon a été constitué pour nous permettre de connaître la position de
travailleurs sociaux dans plusieurs contextes de CCAA, avec des formations et des
qualifications différentes.
C’est ainsi que nous avons interrogé quatre assistants sociaux, deux travailleurs sociaux
non diplômés mais avec une forte expérience dans divers secteurs du social et un directeur
administratif de deux centres d’alcoologie.
De plus, deux des personnes interviewées font partie de centres établis en province, ce qui
nous a permis d’échapper au contexte spécifique de la région parisienne.
Nous aurions pu craindre que la diversité des personnes et des situations nous conduisent à
des visions hétérogènes du métier, ce qui n’a pas été le cas.
Cette étude pourrait être prolongée par une enquête auprès de représentants des autres
professions intervenant dans le domaine de l’alcoologie pour avoir connaissance leur
propre représentation du travailleur social en CCAA.
I-2 Les conditions de réalisation de la recherche
I-2-1 Le cadre de l’entretien
Les RV. ont été fixés par téléphone, en nous adressant directement à la personne intéressée
et en nous situant d’emblée à notre place d’étudiante en DSTS. Nous n’avons rencontré
aucune difficulté pour obtenir ces entretiens.
Cinq entretiens (1, 2, 5, 6, 7) ont eu lieu dans les établissements des interviewés. Un
sixième (4) a eu lieu pour des raisons de confidentialité dans les locaux d’une association
68
extérieure. Le dernier (3) s’est tenu dans un café, à l’issue du Congrès d’addictolologie de
Nîmes (juin 2004).
I-2-2 Le déroulement des entretiens
Les conditions des entretiens étaient, dans l’ensemble, favorables à la concentration. Même
lorsque ces entretiens ont eu lieu dans le cadre professionnel, le choix des lieux n’a pas eu
d’incidence sur la confidentialité et la liberté d’expression.
Ces entretiens ont tous été d’une durée moyenne d’1h45 pendant laquelle les personnes
étaient entièrement disponibles.
Dans tous les interviews, les entretiens se sont terminés à l’initiative de l’enquêteur. Dans
trois situations, les personnes interrogées auraient voulu poursuivre la discussion.
Bien que les entretiens aient été enregistrés sur magnétophone, une libre communication
s’est établie immédiatement. Ils ont tous été considérés comme une expérience
enrichissante pour l’interviewé autant que pour l’enquêteur.
Les personnes interrogées ont toujours été très réactives et nous avons eu le sentiment que
l’objet de recherche correspondait à un réel questionnement sur leur métier.
Pour notre part, nous nous sommes attachés à présenter les questions de manière très large,
sans orienter le discours, pour que les interviewés puissent évoquer également des
questions connexes qui leur tenaient à cœur, ce qui a permis d’enrichir le sujet traité.
En ce qui concerne la nature de leur discours, à une exception près (1), les personnes ont
toujours associé aux informations qu’elles donnaient, des interprétations personnelles,
expression de leurs attentes ou de leur satisfaction.
Une personne (7) a même été assez déstabilisée en découvrant par elle-même des éléments
dont elle n’avait jamais pris conscience.
Nous n’avons pas eu le sentiment que les personnes cherchaient à dissimuler des
informations soit par crainte d’être jugées, soit par crainte de transmettre des informations
confidentielles ou compromettantes.
I-3 La méthodologie pour l’analyse des données
I-3-1 La méthodologie d’analyse du contenu
69
- retranscription des entretiens
Ces entretiens enregistrés ont été retranscrits intégralement (15 pages en moyenne), en
tenant compte au maximum des hésitations, des temps de réflexion nécessaires à la
conceptualisation, des expressions traduisant les doutes, l’amertume mais aussi
l’enthousiasme et les espoirs de la personne interviewée.
Les entretiens et les lignes ont été numérotés pour indiquer la référence de la citation ou du
thème évoqués. Exemple : 1 (l’interviewé)/ 24-33 (le discours) ou : 1 (le thème évoqué par
l’interviewé 1).
- grille d’analyse
Une grille d’analyse préliminaire a été construite sur la base d’unités thématiques et
d’indicateurs élaborés empiriquement selon notre connaissance du sujet, les entretiens
exploratoires et interviews, et à la lumière des bases théoriques.
Les textes ont été découpés selon l’ordre d’apparition de ces unités thématiques (79 unités
thématiques) .
La grille d’analyse a alors été finalisée en classifiant et numérotant l’ensemble des unités
thématiques par catégories et sous catégories (cf. Annexe A).
- retranscription des discours
Tous les enregistrements ont été rangés transversalement selon les sujets (thèmes et
catégories) en repérant ce qui d’un entretien à un autre se référait au même sujet et en
recherchant une cohérence thématique inter-entretien, de façon à pouvoir procéder à une
analyse comparative transversale, point par point .
Lorsque le thème était particulièrement important par rapport à notre recherche, nous
n’avons pas voulu le fractionner pour ne pas perdre la cohérence du discours (par exemple
les thèmes « délimitation des tâches » et « défense du métier » repris en annexes B1 et B2).
I-3-2 La difficulté de l’analyse catégorielle
Les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés sont essentiellement d’ordre
méthodologique :
- éviter qu’un thème ne se retrouve dans plusieurs rubriques
- prendre tout en compte pour ne pas avoir à revenir à la transcription initiale des
enregistrements
- garder la stabilité du découpage d’un entretien à l’autre
- analyser en parallèle les sept retranscriptions
70
- ne pas perdre l’architecture cognitive et affective du discours de ces personnes qui est
ici détruite par la classification thématique.
Cette méthodologie d’analyse du contenu des enquêtes nous a demandé un très fort
investissement en temps. Mais elle nous a permis d’éviter de nombreux écueils et la
rédaction de notre chapitre « Enquête » s’est trouvé grandement facilitée par le repérage
thématique que nous avons pu ainsi effectuer.
71
II- ENQUETE
A travers l’enquête que nous avons réalisée, nous avons analysé les conditions dans
lesquelles le travailleur social peut trouver la reconnaissance de son rôle à l’intérieur et à
l’extérieur de son équipe.
II-1 La reconnaissance interne
Les entretiens effectués auprès de travailleurs sociaux en centres d’alcoologie hospitaliers
et associatifs nous permettent de repérer leur position professionnelle en interne à travers
deux indicateurs significatifs :
-
les missions du CCAA
-
le type d’organisation ou contexte d’action dans lequel évoluent les intervenants
d’une même équipe.
II-1-1 Les missions du CCAA
II-1-1-1 Les textes
Parmi les textes qui définissent les missions du centre d’alcoologie, nous avons choisi de
retenir les deux lois récentes auxquelles se sont souvent référés nos interlocuteurs.
En donnant aux CCAA le statut d’institution médico-sociale et en leur assurant un budget
pérenne, les orientations de la loi sur les exclusions de 1998 ont permis de renforcer la
stabilité de ces structures qui étaient auparavant précaires et de rassurer ainsi leur
personnel.
La loi de rénovation des institutions sociales et médico-sociales du 2 janvier 2002 a créé
une rupture en redonnant à l’usager une place centrale dans le dispositif de soins. Le
législateur a voulu par là responsabiliser la personne, en l’occurrence le patient, le rendre
acteur du changement de sa situation en lui donnant des droits mais aussi des obligations à
respecter.
L’un des interviewés (1) considère cette évolution comme quelque chose de très positif
pour l’institution, pour les soignés et les soignants, en particulier pour les travailleurs
72
sociaux. En effet, l’introduction de la notion de « contrat de soins » responsabilise non
seulement le patient mais aussi le travailleur social en affirmant son rôle de médiateur, de
lien entre le patient et les autres membres de l’équipe, de vecteur entre le patient et les
organismes extérieurs.
La loi du 2 janvier 2002 affirme l’intérêt d’une prise en charge globale de la personne, ce
qui correspond tout à fait aux orientations du travail social.
Cette loi a également institutionnalisé le rôle du travailleur social dans les centres
d’alcoologie dans la mesure où elle inscrit dans les missions du CCAA la triple prise en
charge médico-psycho-sociale du patient, trois volets devant figurer désormais dans les
projets d’établissement. (5/ 39-40).
En règle générale, les travailleurs sociaux interrogés dans nos entretiens affirment que si
ces lois reconnaissent leur place dans ces organisations, cela signifie que ces structures ont
effectivement pour vocation d’apporter du soin sur un plan qui n’est pas exclusivement
médical.
Mais le rôle du travailleur social, de l’avis de tous, n’est pas précisé dans ces textes. Pour
certains interviewés, c’est un problème parce que leur rôle peut dès lors être limité à des
tâches purement administratives (1) ou les amener à intervenir en « électrons libres », c’est
à dire comme un professionnel à la fois éloigné de son groupe de référence (le corps des
assistants sociaux, des éducateurs spécialisés…) et plus ou moins inséré dans son groupe
d’appartenance (l’équipe) (5) . D’autres ne le regrettent pas : « moi, je trouve que ce n’est
pas plus mal comme ça parce que je suis quelqu’un qui pense que plus on veut délimiter
les choses, plus on les appauvrit » (2/18-20).
Tous les travailleurs sociaux regrettent également que ces textes aient institutionnalisé le
pouvoir du médecin, seul responsable du projet thérapeutique dans ces structures médicosociales. Il en résulte un déséquilibre des répartitions des fonctions dans la réalité des
pratiques.
Une des personnes interrogées le dit de façon plus directe : « le législateur a mélangé ou
confondu les structures à visée hospitalière et les structures à visée ambulatoire, ce sont des
gens qui ont réfléchi dans une démarche hospitalière, c’est-à-dire dans une démarche de
lieu fermé et non ouvert » (1/ 24-33).
73
Notre interlocuteur considère, pour sa part, que le législateur a voulu donner à ces
structures ambulatoires le cadre qui, précisément, manquait jusqu’alors. Mais il l’a fait en
privilégiant la connotation médicale et sanitaire (création de postes d’infirmiers et même
d’aides-soignants), au détriment de ce qui faisait le pluralisme de l’équipe, au sens défini
par la circulaire du 15 mars 1983, intervenant dans des champs d’activité variés « sanitaire,
social, culturel, etc... ». Et, sur ce point, la loi, d’après lui, ne favorise pas la
reconnaissance du travail social dont le champ de compétences ne se trouve toujours pas
précisé.
II-1-1-2 Le modèle théorique des CCAA
Place du volet social
La question du modèle de référence en CCAA est centrale dans le positionnement du
travail social. Elle traduit les jeux de pouvoirs qui imprègnent toutes les interrelations et
qui peuvent mettre en difficulté le travailleur social dans l’exercice de sa fonction.
Deux situations se présentent fréquemment :
1) soit l’approche médicale et psychologique n’est pas prégnante et la prise en charge du
patient est vraiment globale, ce qui permet au travailleur social de trouver sa place (2 et 6) ;
2) soit l’approche par la pathologie est prédominante, le travailleur social se trouve alors
en position incertaine (1, 4, 5) dans la mesure où il peut contester cette dominante médico
psychologique.
Un professionnel va même jusqu’à dire que « l’approche de la personne en difficulté avec
l’alcool par la pathologie ne peut pas marcher ». (1) D’après cet interviewé, le malade
alcoolique n’est pas un malade comme les autres. Ce qui signifie que l’intervenant,
quelqu’il soit, doit avant tout centrer son approche thérapeutique sur « ce qui va bien chez
le patient » et non pas se polariser sur sa pathologie. Sans ignorer l’importance du
diagnostic médical, cette approche aurait pour conséquence de vouloir limiter, dans le
temps, l’intervention du médecin et, en revanche, de pouvoir renforcer celle du travailleur
social.
Si les complications de la maladie alcoolique exigent une prise en charge proprement
médicale, il n’est pas certain en effet que tous les patients consultant en centre d’alcoologie
nécessitent un suivi médical sur le long cours, ce qui est pourtant le cas dans les faits.
L’un des interviewés considère également que les patients sont trop souvent adressés au
psychothérapeute qui aurait tendance à faire prévaloir le principe que « tout ce qui n’est
pas psychanalyse n’est pas vrai… n’est pas sérieux (4/ 439-440) ».
74
Selon l’interviewé (1), la thérapie d’inspiration psychanalytique peut freiner le travail
social dans la mesure où il l’empêche d’avoir une approche globale (par exemple, la
rencontre des familles). Cette approche pourrait traduire une méconnaissance du volet
social de l’accompagnement du patient et aller jusqu’à la négation des compétences du
travailleur social (5/488-489).
La personne interrogée (5) va même plus loin : la prégnance du modèle psychanalytique
peut être telle que le psychologue va nier l’utilité du recours au médecin quand une analyse
est en cours. «Lorsque la théorie est posée…on n’a besoin de personne…même pas du
médecin... ça a été un grand problème d’équipe …le responsable médical a failli
démissionner » (5/557-559).
Cette différence d’approche est d’autant plus difficile à gérer « qu’il faut savoir aussi à
quelle école le psychothérapeute appartient, l’école comportementaliste ou l’école
psychanalytique…et même en ce qui concerne les médecins, certains sont très axés sur
l’aspect biologique, d’autres sur l’aspect psychosocial, d’autres, enfin, suivent un courant
psychanalytique (4/34-37). La psychologie est actuellement elle-même divisée, en
différents courants…il y a la psychologie évolutive...la psychologie expérimentale…la
psychologie sociale…c’est un champ très vaste et il faut savoir où le psychologue
travaille » (4/313-315).
Ainsi, en général, d’après les personnes interrogées, l’approche sociale de la problématique
alcool de la personne n’est pas suffisamment développée dans les CCAA. Pourtant, le
travailleur social pourrait être considéré comme le moteur de l’équipe dans la prise en
charge sociale du patient (1). En effet, selon nos interlocuteurs, l’éventail des activités et
des
connaissances du travailleur social lui permet de conduire le patient vers une
démarche volontaire de soin, de l’amener à changer son regard sur lui-même et sur son
environnement en abordant ses relations avec sa famille, son travail, son cadre social.
Il ressort de trois entretiens (1, 4, 5) que la divergence entre l’approche médico –
psychologique et l’approche sociale tient aussi à la définition de la notion de précarité.
Pour certains médecins, la précarité est l’état de l’individu qui a déjà basculé dans
l’exclusion, alors que pour le travailleur social, la notion de précarité s’applique à toute
personne abusant d’un produit toxique, quelque soit son niveau d’insertion dans la société,
dans la mesure où son rapport à la réalité sociale est déjà dévié. A ce titre, le travailleur
social peut intervenir dès lors qu’il y a un problème lié à l’alcoolisation de la personne,
75
« quelque soit son niveau de difficultés, ses moyens intellectuels et financiers » (1/300304), et pas uniquement pour régler des problèmes d’insertion, au sens économique du
terme, lorsqu’il est bien souvent trop tard77.
II-1-2 Le type d’organisation du CCAA
Pour mieux comprendre le problème de positionnement des travailleurs sociaux tel que
l’expriment ceux que nous avons interrogés, il y a lieu d’analyser comment fonctionnent
ces petites structures pluriprofessionnelles.
II-1-2-1 Le rôle spécifique du travailleur social par rapport aux
autres intervenants en CCAA
Il est intéressant de constater que les personnes interviewées ont une image assez cohérente
de leur rôle au sein de leur équipe. Elles considèrent que le travailleur social doit être le
moteur de l’équipe dans sa dimension sociale, être le lien entre les patients, les différents
professionnels de l’équipe et l’extérieur afin d’assurer effectivement une prise en charge
globale de la personne et poser ainsi un « diagnostic social » au même titre que le médecin
et le psychologue posent le leur.
En application de ces principes, nos interlocuteurs pensent que le travailleur social pourrait
avoir des actions spécifiques bien définies et structurelles.
Parmi les plus souvent citées, nous retrouvons les tâches suivantes : assurer le premier
entretien des patients à leur arrivée, effectuer l’évaluation et l’accompagnement
psychosocial du patient au moyen de la médiation administrative, animer seul ou en
partenariat des ateliers avec des malades ou d’anciens alcooliques.
De plus, le travailleur social pourrait effectuer des missions de prévention par des
consultations avancées par exemple en CHRS78 ou dans diverses associations et construire
et entretenir un réseau avec des partenaires extérieurs.
77
LAMBERT G. , et al. « Evaluation de la précarité sociale en alcoologie » in : Alcoologie 1999 ; 21 (2)
« Il est nécessaire de distinguer les notions de précarité sociale et de pauvreté. La précarité sociale correspond
à la fragilisation de l’individu face à un système social qui lui échappe et dont il risque de se trouver
progressivement désinséré, voire exclu. Cette fragilisation peut s’opérer à travers diverses dimensions
(emploi, revenu, logement, système relationnel). La pauvreté a des définitions monétaire (…), matérielle
(…), ou subjective (…) p. 350
76
A une exception près (6), la réalité de leur activité est bien différente. Pour reprendre
l’exemple du premier entretien, la majorité des travailleurs sociaux n’en a pas la
responsabilité. La non-attribution de cette compétence serait un obstacle pour réaliser
l’évaluation et l’accompagnement psychosocial du patient dans la mesure où le patient ne
leur est pas orienté dès le départ (1, 2, 4, 5, 7).
En ce qui concerne l’animation des ateliers et la pratique des consultations avancées (6),
l’implication du travailleur social n’est pas, en général, sujette à discussion dans l’équipe,
mais ces activités ne figurent pas dans tous les projets de service des CCAA. Quant à la
participation du travailleur social aux réunions des partenaires extérieurs pour une
coordination des interventions, trois interviewés soulignent leur difficulté à sortir du
centre, ce qui signifierait que le travailleur social ne peut pas jouer son rôle de
représentation de la structure à l’extérieur ou n’est pas mandaté par l’équipe pour ce type
d’actions (1, 2, 4).
Seules les tâches de type administratif semblent être une fonction généralement exercée par
le travailleur social : « l’assistant social est-il là pour régler les problèmes administratifs
que présente le malade alcoolique ou bien est-il là pour faire partie d’une équipe dans sa
dimension bio-psycho-sociale ? » (4).
Au delà des raisons constamment évoquées du positionnement du social par rapport aux
acteurs médicaux et psychothérapeutiques dans le CCAA, cette distorsion entre le métier
tel qu’il est souhaité par le travailleur social et la réalité de son rôle au sein de l’équipe a,
d’après les entretiens, plusieurs causes structurelles principales :
- une mauvaise répartition des tâches liée à l’absence de définition de fonction
- un problème de formation du travailleur social, compte tenu des compétences spécifiques
de plus en plus demandées dans les interventions sociales, ce qui peut le mettre en
difficulté face à d’autres professionnels plus spécialisés qui relèvent du paramédical,
(relaxologue, kinésithérapeute, ergothérapeute) ou du social (animateur socio-éducatif,
conseillère en économie sociale et familiale), ou qui ont des compétences particulières en
psychologie (thérapie familiale)
- un manque de temps dû à la dispersion de son activité ou à l’organisation des CCAA.
78
cf. note 68
77
- un problème d’organisation et de répartition des tâches au sein du CCAA ?
D’après les personnes interrogées, la position du travailleur social par rapport à ses
collègues tient en premier lieu à un problème d’organisation dans les CCAA
En effet, un CCAA est composé de 4 à 8 personnes, rarement plus, et de surcroît avec
seulement 2 ou 3 permanents. De ce fait, dès qu’une personne s’absente, l’équipe est
fragilisée. « Cela nous oblige à être pluridisciplinaire et donc à ne pas être enfermé
exclusivement dans nos propres missions » (2/143-147).
Ce principe de pluridisciplinarité79, présent dans tous les textes législatifs, est d’ailleurs
appliqué par l’ensemble des responsables des CCAA .
L’une des applications de ce principe se retrouve particulièrement dans les modalités
d’accueil du patient : « la première visite » au centre d’alcoologie.
Le premier entretien est sans doute la phase la plus importante de l’approche du patient.
« L’entretien a pour but de déceler les points faibles, les atouts et les possibilités de ces
malades, et surtout connaître son parcours…et c’est là, la base » (4/213-220).
Il peut être ainsi conduit à deux, de manière systématique par le médecin et travailleur
social dans l’équipe 7 et occasionnellement dans l’équipe 6, ou alors indifféremment par la
secrétaire, l’infirmière, le travailleur social, le médecin généraliste ou le psychothérapeute
dans les autres équipes.
Dans la réalité de la plupart des situations, ou bien l’attribution de cette tâche n’est pas
formalisée, le principe de la polyvalence de « l’alcoologue » primant alors sur la fonction
et dans ce cas, chacun est supposé pouvoir l’assumer ; ou bien la connotation médicale
prévaut sur le social, et c’est l’infirmière ou le médecin qui sont désignés.
Les aspects sociaux de la situation du patient qui risquent de le conduire à l’exclusion
passent alors relativement inaperçus et bien souvent le travailleur social n’est interpellé que
lorsque la situation s’est fortement dégradée. Se pose une nouvelle fois la question du
moment où le travailleur social peut et doit intervenir.
Un autre exemple concerne les interventions en thérapie familiale, qui est une des
applications de l’approche systémique, particulièrement utilisée en alcoologie. Conduite
79
Nous reprenons le terme pluridisciplinaire de notre interlocuteur pour rester fidèle à la citation mais nous
avons utilisé dans ce mémoire le terme pluriprofessionnel qui correspond mieux à la réalité de la composition
d’une équipe de CCAA.
78
par un psychothérapeute, une infirmière, un travailleur social ou un médecin ayant reçu
une formation qualifiante complémentaire spécifique, cette intervention est, dans ses
modalités d’action, différente de l’approche de l’accompagnement social des familles
concernées par l’alcoolisation d’un proche.
Dans le modèle systémique, la famille est considérée comme un système dans lequel
l’alcool vient perturber le fonctionnement global de la famille et de chacun de ses
membres.
La thérapie familiale a pour principaux objectifs d’aider le patient à retrouver une place
adéquate dans la famille, d’améliorer la communication et notamment l’expression des
sentiments de chacun. C’est un outil thérapeutique qui permet de travailler à la résolution
des conflits sans violence, de renforcer les sentiments positifs pour ressouder les liens
familiaux, de donner aux parents les ressorts psychologiques pour qu’ils assument leurs
rôles parentaux et notamment leur rôle de protection des enfants.
L’accompagnement social des familles a une autre perspective plus opérationnelle :
expliquer la pathologie du patient à ses proches, les amener à repérer les conséquences de
ce comportement sur le conjoint, les enfants, les proches, et agir concrètement auprès des
institutions qui prennent soin des enfants.
Les frontières entre ces deux champs sont, en fait, très floues et le risque de
chevauchement entre les actions du thérapeute familial et celles du travailleur social est
permanent, sauf si celui-ci a reçu une formation en thérapie familiale, ce qui n’est vrai que
dans une situation observée lors des entretiens (7).
La seule différence notoire entre les deux fonctions, c’est le champ dans lequel s’inscrit
l’action du professionnel. Le thérapeute familial fait venir le couple, la famille dans un
espace d’entretiens clos. Il se situe dans le champ du soin (cure).
Le travailleur social « non thérapeute familial » peut se déplacer, ne serait-ce que pour
contacter les partenaires qui s’occupent de la famille. Il se situe dans le champ du « soin
social » (care).
Mais dans la réalité, le thérapeute familial est amené, dans ses entretiens avec la famille, à
aborder des questions qui relèvent du champ du travailleur social.
Cette interférence des membres de l’équipe dans le champ du social repose aussi sur une
confusion des rôles qui peut être générale.
Une des personnes le dit avec un certain humour : « le médecin peut faire de la
psychothérapie, il peut faire du médical ou du social, le psychologue aussi, … dans pas mal
79
de CCAA les infirmiers, quand il y en a, font du social. Donc tout est mélangé, comme une
maladie mentale » (4/71-72).
Selon l’avis exprimé par l’ensemble des personnes interrogées, le problème majeur vient
des relations avec le psychothérapeute. « Les psychologues font des psychothérapies, mais
en général, ils ne font que des entretiens de soutien » (4/32-34). Le psychothérapeute va
alors s’occuper de la situation par rapport à l’emploi, par rapport à la formation, à la
situation familiale, domaines de compétences qui relèvent spécifiquement du travailleur
social.
Et s’ils exercent effectivement en tant que psychothérapeutes de formation analytique, ils
risquent d’imposer leur modèle à l’ensemble de l’équipe : « il y a une psychologue ici qui
s’opposerait à ce que vous, travailleur social, alliez voir la famille : « on a le patient, tu
n’as pas à aller voir la famille. Parce que, dans ce que tu vas me traduire, tu vas fausser
mon jugement. La psychologue ici est très lacanienne…, et là, on a le problème du travail
d’équipe qui n’est plus un travail en équipe : cela s’appelle de la juxtaposition ». (1/754759)
Malgré ces obstacles, dans trois centres, la présence de plusieurs professions est considérée
comme une force, et l'empiètement sur le champ du « social » est perçu par les personnes
interrogées de façon plus nuancée.
« Voilà, ce n’est pas ça qui est important, après tout...si la relation passe mieux avec le
médecin, pourquoi pas, moi, je m’en fous, mais ce qui me paraît important, c’est
qu’effectivement on soit dans le champ de la relation, et non pas dans le champ du soin
proprement dit » (1/ 238-242). Il y a ici, comme principe d’action, le respect de la notion
de relation qui laisse le choix du thérapeute au malade.
Dans ces centres, selon l’avis des professionnels interviewés, il y a une réelle confiance et
une bonne communication au sein de l’équipe.
La confiance réciproque et le respect du fonctionnement de l’autre prennent le pas sur un
comportement de défense de territoire et de guerre des fonctions. « On se fait confiance et
on arrive à écouter l’autre mais aussi à écouter le malade » (3/98-99). « La question
importante, c’est aussi la façon d’appréhender les choses...et de vouloir travailler avec les
autres...alors ça, ce n’est pas critiquable...il y a des médecins qui veulent fonctionner seuls
et des médecins qui « aiment » partager et accompagner la situation avec un autre
intervenant professionnel...en l’occurrence, moi » (7/298-301).
80
- un problème de formation du travailleur social ?
Ce problème de formation a été évoqué spécifiquement dans trois domaines revendiqués
par le travailleur social . En règle générale, tous les travailleurs sociaux en CCAA
reçoivent, dans le cadre de la formation permanente, une formation en alcoologie
indispensable à la compréhension de la problématique. Nous n’évoquerons donc que la
question des formation annexes.
1- les actions collectives (animation de groupes, consultations avancées …)
Le groupe de parole de patients permet de laisser s’exprimer, s’il est bien conduit, toutes
les
difficultés relationnelles ressenties par les membres du groupe ; en cela l’action
collective devrait être un élément essentiel du travail social.
Plusieurs travailleurs sociaux ont eux-mêmes exprimé l’importance d’une formation
spécifique pour assurer l’animation de ces groupes, tout en précisant que leur formation
initiale leur garantissait ces compétences. Le fait même qu’ils aient évoqué ce point permet
d’être plus réservé quand à l’affirmation d’une compétence totalement maîtrisée. Il est
d’ailleurs peu fréquent que le travailleur social assume seul l’animation des groupes.
L’animation se fait le plus souvent avec un autre intervenant, généralement formé à
l’animation collective.
2- la thérapie familiale
Nous avons déjà abordé ce thème à propos de la répartition des tâches en CCAA.
L’utilisation de l’outil systémique peut être un plus dans la formation du travailleur social
confronté aux nombreux dysfonctionnements que provoque l’alcoolisme d’un membre de
la famille. C’est une orientation de travail que le professionnel doit choisir lui-même. Mais,
d’après l’une des personnes interrogées (7), il est parfois difficile de cumuler cette fonction
avec les tâches qui relèvent du travail social proprement dit. En effet en tant que thérapeute
familiale, elle travaille régulièrement avec le groupe familial. En tant qu’assistante sociale,
elle est amenée à traiter des problèmes de la famille avec les partenaires extérieurs, ce qui
exige d’elle une vigilance particulière à l’égard des règles de confidentialité.
Cependant, cette formation complémentaire peut être extrêmement valorisée par l’équipe
et donc « un atout dans la stratégie de reconnaissance du travailleur social ».
81
3- les interventions extérieures
La participation des travailleurs sociaux aux congrès est essentiel pour affermir son image
à l’intérieur de l’équipe. Mais est-il formé pour cela ? Un intervenant l’a exprimé avec
humour : « quand je vais dans des colloques, je suis toujours très surpris. On veut la parole
mais à chaque fois qu’on nous la donne, on se plante…ça part dans tous les sens…il
faudrait peut-être qu’on apprenne à causer en public…à causer politique…à être rigoureux,
synthétique ! « (6/ 54-55).
L’analyse des pratiques professionnelles en groupe peut être alors une instance de
formation qui permettrait aux participants de formaliser leurs pratiques, de construire des
compétences individuelles et collectives, de modifier leur mode d’expression et d’être ainsi
plus persuasifs et reconnus au sein même de leur équipe.
- un problème de disponibilité ?
Il peut être lié tout d’abord aux contraintes géographiques et structurelles : de longues
distances à parcourir sur un grand département, un statut à mi-temps dans certains CCAA .
Il est aussi lié au fait que le travailleur social est le plus souvent un permanent dans
l’équipe et, à ce titre, il est naturellement désigné pour assurer l’accueil en l’absence de la
secrétaire, pour effectuer des tâches purement administratives ou logistiques, ce qui est
exprimé par plusieurs interviewés sous le terme de « mutualisation des tâches » à laquelle
échappent le plus souvent médecins et psychothérapeutes.
L’argument de la disponibilité doit surtout être associé au fait que les limites de l’action du
travailleur social dans ce type d’organisation sont très peu définies : évaluation
psychosociale, accompagnement individualisé, conseils aux familles, aux intervenants
extérieurs, travail en partenariat, animation de groupes, consultations avancées…. Au nom
du principe de la prise en charge globale de l’individu, le travailleur social, selon sa
sensibilité et ses propres centres d’intérêt, et pas seulement en fonction des limites
imposées par le responsable médical, s’investira dans tel ou tel domaine au détriment des
autres, ce qui rend encore plus flou le sens de son action auprès de ses collègues.
82
II-1-2-2 Le mode de fonctionnement du CCAA
1- les règles et procédures
La procédure se définit comme « un ensemble de règles qu’il faut appliquer strictement, de
formalités auxquelles il faut se soumettre, dans une situation déterminée »80. Quelles sont
les procédures qui prévalent dans les sept CCAA observés ? Et de quelle manière
interfèrent-elles dans le positionnement du travailleur social ?
En fait, il apparaît qu’il n’y a pratiquement jamais de procédures bien définies mais plutôt
des constantes d’action ou des règles implicites.
Par exemple, il n’existe pas de définition de fonction précise, ce qui se traduit comme nous
l’avons vu, par une mauvaise séparation des tâches, par l’absence de règles formalisées
pour le premier entretien ou de procédure sur le dossier du patient qui permettraient à
chacun d’être bien informé des problèmes révélés par le patient et de l’action de ses
collègues…
L’intervention d’une des personnes interviewées est symptomatique de cet état de fait :
« moi, je faisais la « photo psycho-sociale » du patient, après il y avait un entretien médical
et le médecin posait exactement les mêmes questions que je venais de poser, après venait le
psychologue qui faisait exactement la même chose » (4/ 230-232).
La hiérarchie interne dans les CCAA est également un problème latent. Mise à part
l’autorité reconnue du responsable du centre (généralement un médecin), il n’y a pas de
hiérarchie formelle entre les autres membres de l’équipe. Et pourtant, le plus souvent, un
pouvoir informel est exercé par les autres médecins ou par le psychothérapeute sur la
secrétaire, l’infirmière ou le travailleur social. Ce dernier admet difficilement cette
situation car elle soulignerait soit une hiérarchie de compétences, soit une hiérarchie liée à
l’importance de la fonction sous-entendant encore une fois que les problèmes sociaux sont
en arrière-plan des problèmes médicaux.
Cette hiérarchie tacite est d’ailleurs ressentie par certains travailleurs sociaux (4 et 5) lors
des réunions de synthèse.
80
Dictionnaire Hachette 1992
83
Ces réunions sont la seule instance bien définie et générale à tous les CCAA. Elles ont
pour objet de confronter les divers points de vue sur la situation des patients et / ou
d’analyser des problèmes organisationnels.
Mais, dans ces réunions de type collégial, il peut arriver que l’avis du travailleur social ne
soit pas pris en considération ou que le travailleur social ne soit pas sollicité dans une
décision à prendre par rapport à un patient (4).
2- les méthodes
La méthodologie du travail social est peu exprimée par les professionnels interrogés, ce qui
nous invite à penser, à la suite de S. Karsz, que les pratiques ne sont pas suffisamment
théorisées81.
Au même titre que pour les procédures d’action, il n’apparaît pas de méthodes bien
formalisées dans l’approche sociale du patient.
La seule référence clairement exprimée par les personnes interrogées est celle du « contrat
de soin » conclu avec le patient car inscrite dans les textes et bien formulée par un des
intervenants : « compte tenu de ce que vous avez dit (le patient)….à l’ensemble de
l’équipe… aujourd’hui, par rapport au point où vous en êtes, on vous propose d’en arriver
là… qu’est ce que vous êtes prêt à faire, à y mettre, et nous de même ?… » (1/710-718). Ce
contrat de soin sollicite l’action du patient lui-même, en premier lieu, en le
responsabilisant, mais aussi l’action de chacun des intervenants de l’équipe.
Toutefois, l’appropriation et l’application de cette notion ne nous semblent pas
généralisées dans tous les CCAA.
Ce qui apparaît clairement sans être jamais mentionné explicitement par les sept personnes
interrogées, c’est l’absence quasi totale de directives de l’organisme gestionnaire public ou
privé, hôpital ou association. On aurait pourtant attendu de ces organismes des instructions
tendant à assurer une cohérence dans l’action des CCAA, ainsi qu’une approche
méthodologique de la prise en charge psycho-sociale du patient.
L’exemple le plus significatif concerne les expériences de travail en groupe avec les
patients. Comme l’exprime l’un des intervenants (4), ces expériences souvent menées par
le travailleur social sont laissées à la libre initiative des CCAA : groupe de parole, atelier
81
KARSZ S. , « Pourquoi le travail social ? Définitions, figures, cliniques » in : Lien Social p. 21
84
de lecture, atelier budget, atelier jeux, atelier senteur animés par quelques professionnels
interrogés…. Quelle est l’efficacité relative de ces ateliers ? Comment ces initiatives
s’inscrivent-elles dans l’action générale des CCAA ou dans les orientations de la santé
publique en matière d’alcoologie ?
Dans la mesure où ces actions nécessitent un fort investissement en temps et ne font pas
l’objet d’un projet écrit et d’une évaluation régulière, elles risquent de ne pas être validées
par l’ensemble des membres de l’équipe et ne peuvent pas contribuer à valoriser l’image
du travail social.
Si l’absence de cadre formalisé dans les actions de l’accompagnement social peut être
parfois considéré comme un élément de liberté revendiqué par le travailleur social (2), elle
peut aussi contribuer à aggraver ce sentiment d’incertitude dans sa position.
II-1-2-3 L’évaluation des activités en interne
Cette absence de méthodologie explicite freine l’évaluation des activités du travailleur
social comme de celle de ses collègues.
En alcoologie, les statistiques portent sur les traitements, les profils de patients, le nombre
de consultations, ce qui donne une représentation des activités du service mais aucun
indicateur ne permet d’évaluer les activités respectives des intervenants, y compris celles
du travailleur social, ni le type d’actes posés pour chaque situation.
Il n’y a donc ni appréciation des résultats qualitatifs des actions engagées par le groupe, ni
de visibilité réelle du travail de chacun.
La notion d’évaluation commence cependant à pénétrer dans les centres d’alcoologie
dépendant du secteur privé. Le directeur d’un des sept CCAA l’exprime ainsi : « vous
aviez dit en début d’année quels étaient vos objectifs, est-ce que vous les avez réalisés ?
Est ce qu’on continue ? Sinon, que mettre en place en termes de formation ou
d’organisation… ? » (1/413-419).
Quatre professionnels interrogés ont exprimé le désir que leur activité soit évaluée, tout en
précisant que le frein à une évaluation des activités respectives des membres de l’équipe
venait principalement des médecins et psychologues qui justifient leur résistance en
avançant la difficulté de sa mise en place dans les thérapies médicales et
psychopathologiques.
85
II-1-4 Conclusion de la reconnaissance interne
En conclusion de ce chapitre concernant le problème de la reconnaissance du travailleur
social au sein de son organisation, il ressort des entretiens les enseignements suivants :
-
une absence de définition de son rôle dans les textes
-
une absence d’orientation de l’organisme gestionnaire
-
un modèle théorique de référence qui privilégie le plus souvent l’approche médicopsychologique
-
une organisation interne sans règle ni méthodes bien définies
-
une absence d’évaluation des activités
Il résulte de ces facteurs une fragilisation de la position du travailleur social dans sa propre
organisation ; c’est ce qui explique principalement ce malaise exprimé par la majorité des
personnes interviewées.
Lorsque le responsable du centre d’alcoologie est ouvert aux questions sociales, lorsqu’ un
climat de confiance règne au sein de l’organisation, ce qui est le cas dans trois des sept
centres concernés par l’enquête, le travailleur social peut avoir le sentiment d’avoir sa
place au sein de l’équipe et de remplir son rôle de façon satisfaisante.
Le poste de travailleur social dans un CCAA est une obligation définie dans les textes,
mais est-il une nécessité ressentie par les autres membres de son organisation ?
Cette interrogation amène deux autres questions qui sont latentes dans tous les entretiens
que nous avons menés :
Comment le travailleur social peut-il exercer sa fonction de façon autonome et sans
dépendre de l’assentiment de ses collègues ?
D’après les travailleurs sociaux, cette question est moins critique pour les autres membres
de l’équipe, en particulier, pour le médecin généraliste, le psychiatre ou le
psychothérapeute qui peuvent exercer leur métier sans forcément faire appel au travailleur
social. Le besoin de réciprocité ne serait donc pas manifeste.
86
Comment le travailleur social peut-il convaincre ses collègues de la nécessité et de
l’efficacité de son intervention ?
La réponse à ces deux questions est fondamentale pour que le travailleur social parvienne à
être reconnu de façon réelle et non purement formelle au sein de son organisation.
Même si ces deux questions ne sont pas aussi directement exprimées dans les discours, des
éléments de réponses peuvent être clairement identifiés :
1- le travailleur social réfléchit sur sa propre action pour réduire ses propres contradictions
- Quel va être le champ effectif de son action ?
Le volet de la prise en charge sociale du patient peut être sans limite.
Il est ainsi paradoxal que le travailleur social revendique la responsabilité du premier
entretien alors que, bien souvent, il ne dispose pas du temps nécessaire pour mener les
autres actions qu’il considère de son ressort.
Jamais les professionnels interrogés n’ont évoqué le besoin de réfléchir sur leurs priorités
en terme d’actions concrètes.
- A-t-il la compétence demandée pour mener à bien les actions qu’il engage ?
En particulier pour toutes les actions d’animation de groupe très souvent évoquées, n’a-t-il
pas besoin d’une formation spécifique et complémentaire ?
- A-t-il conduit lui-même une réflexion sur l’efficacité des actions qu’il engage, et ceci
sans attendre nécessairement un processus formel d’évaluation au sein de son
organisation ?
A cette question, nous pouvons répondre que les travailleurs sociaux, et en particulier les
personnes interrogées, participent à des groupes de réflexion de travailleurs sociaux que
l’on peut qualifier de groupes d’analyse de pratiques. Mais ce qui pose problème jusqu’à
présent, c’est la restitution de rapports de synthèses ou de recommandations susceptibles
d’être communiqués aux équipes du groupe d’appartenance et qui permettraient une
87
avancée de l’action sociale et l’affirmation de la compétence des travailleurs sociaux.
Ceux-ci commencent à prendre conscience de cette lacune dans leur méthode de travail.
2- le travailleur social engage une action vis à vis de son organisation
Cette action pourrait être menée dans deux objectifs : expliquer ce que le travailleur social
fait (le contenu du travail social est le plus souvent méconnu des autres fonctions), et de
cette façon, convaincre de son efficacité (5, 7).
Nous pourrions ainsi parler d’ une stratégie de positionnement ou d’identification.
- Comme nous l’avons vu dans toutes les situations rencontrées, il n’y a pas de définition
formalisée de la fonction.
Plutôt que de vivre cette situation tout en la contestant, et ainsi de gérer ses interventions
au gré des priorités définies le plus souvent par les autres membres de l’équipes, le
travailleur social va négocier avec son responsable et les autres membres de l’équipe une
répartition précise et formalisée des rôles et responsabilités.
- Le travailleur social peut être le moteur d’un processus de coordination avec ses
collègues, en instaurant, en particulier, le principe du rapport d’activité comportant une
description précise des actions engagées, leurs conditions de réussite et les résultats
obtenus.
L’instauration de cette procédure contribuera à éviter de façon permanente le besoin de se
justifier, de rechercher les informations auprès de ses collègues et de convaincre de
l’efficacité de son action, ce dont se plaignent la majorité des professionnels interrogés.
3- Le travailleur social va changer d’état d’esprit vis-à-vis de ses collègues
Deux intervenants ont souligné la nécessité d’avoir une stratégie mais sans l’appréhender
totalement .
L’ affirmation d’identité passe, pour l’un d’eux, par la capacité à s’opposer à des
orientations ou à des mesures qui seraient contraires à la perception de la situation
spécifique du patient par le travailleur social.
« Cette capacité de dire non, c’est sortir de la dépendance. Ca se travaille : pour les
88
travailleurs sociaux, ça permettrait de ne plus être dans la subsidiarité par rapport au
médical. Quand on sait dire non, que l’on soit malade alcoolique ou travailleur social…ou
directeur…, on sort de la dépendance » (1/737-738).
«La stratégie du travailleur social est défendable, il y a quelque chose à construire, c’est
vraiment mon sentiment….on sait bien qu’il y a toujours la fonction et la personne »
(2/360-365).
D’une manière générale, nous avons l’impression que les professionnels interrogés se
positionnent eux-mêmes dans une attitude soit rebelle (3 et 4), soit soumise (5 et 7) et
rarement adulte et proactive vis-à-vis de leurs collègues (selon la classification de l’analyse
transactionnelle). Deux intervenants sortent de ce cadre : l’un se présente comme le leader
de son équipe (2) et l’autre se qualifie « d’extra-terrestre », c’est à dire comme un
travailleur social « hors normes » ayant la chance d’être accepté comme tel (6).
Mais la faiblesse de notre échantillon ne nous permet pas de dire que ces deux personnes
sont représentatives de leur métier, tandis que les autres attitudes nous semblent plus
fréquentes.
Après avoir examiné les conditions dans lesquelles la parole et l’action du travailleur social
sont reconnues à l’intérieur de son équipe ou groupe d’appartenance, nous analyserons la
représentation de sa position par les instances extérieures.
II-2 La reconnaissance externe
Nous avons vu que tous les entretiens soulignent que le travailleur social dans son
organisation, le CCAA, n’a pas une position parfaitement identifiée et reconnue par ses
collègues.
Il en résulte une volonté maintes fois exprimée, de sortir du cadre strict du CCAA pour se
rapprocher du groupe de référence ou engager des actions de partenariat.
En effet, nous montrerons que pour mieux gérer les problèmes spécifiques de ses patients,
enrichir son expertise dans son domaine, rompre son isolement, pour assurer son statut par
rapport à ses collègues, le travailleur social cherchera des appuis dans ses réseaux
extérieurs.
Cette volonté de participation à des instances externes est exprimée dans tous les
entretiens.
89
Ces réseaux sont de nature structurelle, essentiellement l’organisme de tutelle (la CPAM),
l’organisme gestionnaire (l’hôpital ou l’association, plus rarement la municipalité), ou
fonctionnelle (le réseau de partenaires externes : réseaux thérapeutiques et réseaux
d’insertion).
Nous verrons que la position du travailleur social à l’intérieur de ces réseaux telle qu’elle
est ressentie par les personnes interrogées, n’est pas non plus parfaitement claire, ce qui
contribue à perpétuer ce malaise général ressenti chez le professionnel.
Mais il paraît aussi essentiel de s’interroger sur l’image des CCAA et à travers eux, celle
du travailleur social « alcoologue », auprès des personnes ayant un problème avec l’alcool.
Nous sommes donc conduits à nous interroger sur la reconnaissance externe du travailleur
social en utilisant plusieurs indicateurs :
- l’identité du CCAA qui donne une certaine orientation à l’activité du travailleur social
- l’identité professionnelle du travailleur social vis-à-vis de l’extérieur
- les relations du travailleur social avec l’organisme gestionnaire de rattachement
- les actions transversales du travailleur social
- l’évaluation des activités en externe
II-2-1 L’identité du CCAA et l’orientation institutionnelle
Sous le même terme CCAA, on trouve des centres qui peuvent être rattachés à un hôpital, à
une commune, à des associations privées telles que l’ANPAA. Ils n’y a donc pas d’unité
dans leur statut.
Ces organismes gestionnaires ne donnent en général aucune directive aux CCAA, il n’y a
donc pas d’unité d’action.
Quand aux textes, réglementations, recommandations des experts des conférences de
consensus, nous avons vu qu’ils concernent principalement les médecins et non pas
l’ensemble de l’équipe du CCAA.
Une seule constante se retrouve dans tous les CCAA : ce sont des structures de soins
ambulatoires pluriprofessionnelles.
Cette absence d’unité dans les centres est soulignée dans les entretiens mais certains y voit
l’avantage d’une plus grande liberté d’action par rapport à une structure hospitalière
90
beaucoup plus réglementée. « Le fait d’être une structure ambulatoire doit permettre
d’apporter des réponses qu’une structure hospitalière ne peut pas donner en raison de ses
contraintes. Le fait d’être ambulatoire doit nous démarquer de la structure hospitalière et
nous démarquer aussi dans les réponses » (1/524-527).
Deux autres travailleurs sociaux insistent sur la souplesse de fonctionnement de ce type de
structures dans lesquelles ils ont effectivement une place qu’ils n’auraient pas en milieu
fermé.
Cette diversité n’entraîne pas de problèmes particuliers pour les médecins dont les
missions sont claires.
Mais comme le précisent les travailleurs sociaux, l’orientation spécifique d’un centre
d’alcoologie peut amener des difficultés dans leur positionnement, par rapport au patient
ou par rapport à leur organisme gestionnaire, et dans leur propre action. Ainsi, dans un des
centres (7), la thérapie familiale est l’outil thérapeutique prédominant mais non exclusif
d’autres interventions sociales. L’hôpital reconnaît le travailleur social dans sa fonction
d’assistante sociale exécutant des tâches qui relèvent de l’action sociale généraliste mais
pas dans sa spécificité de thérapeute familiale en alcoologie.
Les conséquences de cette absence d’unité d’action entre les CCAA sont doubles :
1- la méthodologie d’intervention sociale peut être différente entre les travailleurs sociaux
de deux CCAA voisins, ce qui peut nuire éventuellement à leur collaboration ou à la
mutualisation des tâches .
Le même travailleur social (7) souligne qu’il ne peut, compte tenu de son orientation de
thérapeute familiale voulue par son centre, remplacer un collègue d’un autre centre
d’alcoologie pourtant rattaché au même hôpital.
2- l’image des CCAA peut être très trouble pour les personnes confrontées à un problème
d’alcool et qui chercheraient de l’aide (4, 7) puisque les réponses à leurs attentes peuvent
différer d’un centre à un autre.
II-2-2 L’identité professionnelle du travailleur social
Le travailleur social se positionne par rapport aux autres métiers relationnels, aux
formations universitaires, aux nombreuses professions sociales, au public.
91
II-2-2-1 Le positionnement du travailleur social par rapport aux
autres métiers de « la relation d’aide individualisée »
Le problème identitaire du travailleur social vient de la multiplicité des professions qui
sont aujourd’hui appelées à apporter une aide à la personne et qui vont empiéter sur le
champ traditionnellement réservé aux travailleurs sociaux.
Deux exemples ont été particulièrement développés dans cette enquête : celui des
psychologues et celui des infirmiers.
L’un de nos interlocuteurs estime que « l’arrivée en masse des psychologues sur le marché
du travail » (4/78-81), depuis les année 1980, ainsi que la recrudescence des situations de
détresse psychologique liées à la dégradation des conditions socio-économiques ont
contribué à créer des fonctions qui étaient antérieurement assurés par des travailleurs
sociaux (4).
La même personne (4) considère que la concurrence avec les infirmiers s’expliquerait par
l’évolution de leur carrière. La difficulté des conditions de travail à l’hôpital amène les
infirmiers à travailler en milieu extra hospitalier (CMP, CCAA...). Dès lors, la nature de
leurs activités change : les gestes techniques de la profession disparaissent et le travail
relationnel prend toute sa place. Les infirmiers seraient donc conduits à développer
d’autres compétences (animations d’ateliers, thérapie familiale...) qui vont concurrencer
celles du travailleur social.
II-2-2-2 Le positionnement du travailleur social par rapport aux
formations universitaires
Comme nous l’avons indiqué dans la première partie de ce mémoire, les fonctions
d’ « ingénierie sociale » et de développement local dans le cadre de projets montés en
partenariat avec des instances départementales ne sont pas assurées par des travailleurs
sociaux mais par des universitaires psychosociologues ou sociologues82.
D’où vient le problème ? Notre interlocuteur (4), très sensibilisé au problème de
qualification pense que l’institution accorde peu de confiance au travailleur social pour
mener de telles actions du fait d’un manque supposé d’expertise, position qu’il conteste
92
personnellement. Mais un autre interviewé (6) se demande, pour sa part, si les travailleurs
sociaux ont effectivement la formation requise pour remplir ce type de missions.
II-2-2-3 L’ambiguïté de l’identité du travailleur social
L’incertitude de la position du travailleur social en CCAA repose tout d’abord sur le fait
que, sous cette appellation, coexistent plusieurs professions correspondant à des diplômes
différents : assistant de service social, conseiller en économie sociale et familiale,
éducateur spécialisé, moniteur-éducateur.…
Dans le milieu associatif, il se peut également que certains professionnels exercent leur
activité sans diplôme social. Ainsi l’ANPAA a créé une catégorie socioprofessionnelle
particulière -les visiteurs sociaux- qui comprenait, jusqu’en juillet 2004, non seulement des
éducateurs spécialisés mais aussi des professionnels formés « sur le tas » ou anciens
malades. Comme l’ont souligné trois des personnes interviewées, cette diversité de statut et
de formation peut nuire à l’image du travailleur social (4, 5, 6). Mais cela dépend aussi du
contexte institutionnel. En effet, la culture associative peut admettre dans l’institution la
présence d’un professionnel « hors normes », tandis que la culture hospitalière est
beaucoup plus vigilante à la détention d’un diplôme social correspondant à l’exercice de la
fonction d’assistant socio-éducatif (assistant de service social ou éducateur spécialisé).
C’est la diversité de ces profils qui nous a incité à parler tout au long de ce mémoire, du
« travailleur social », sachant que l’imprécision du terme renvoyait à des formations
initiales différentes, voire aucune. Dans les faits, la profession d’assistant de service social
est prédominante mais il nous semblait impossible d’ignorer les autres qualifications qui
sont amenées à exercer les mêmes missions.
Quelque soit le statut du CCAA, il apparaît donc qu’il n’y a pas de norme imposée pour
l’exercice du travail social.
Le législateur laisse le champ ouvert dans le recrutement du professionnel social en
CCAA, ce qui sous-entend que l’accompagnement social n’est pas réservé à une profession
déterminée. Cette prise de position favorise la souplesse de fonctionnement du CCAA (2),
l’émergence d’une « culture alcoologique »83 mais elle peut aussi entraîner le maintien
82
83
cf. p. 60
cf. p. 20
93
d’une position de subsidiarité du social par rapport au médical dont les fonctions sont,
quant à elles, parfaitement définies (1, 4, 5).
Notre échantillon confirme cette diversité puisqu’il comporte une majorité d’assistants de
service social (2, 4, 5, 7), mais aussi une éducatrice spécialisée (mentionnée dans l’équipe
1), et deux travailleurs sociaux non diplômés (3, 6).
Le problème du diplôme est perçu de façon variable par les travailleurs sociaux interrogés.
D’une façon générale, tous les titulaires du diplôme d’assistant de service social sont
soucieux de défendre la profession mais ne sont pas hostiles à la présence des autres
diplômés en travail social à l’intérieur de l’institution, à la condition qu’ils présentent un
niveau de qualification analogue (éducateurs spécialisés, conseillers ESF).
Par contre, la reconnaissance des « non diplômés » est moins évidente. L’un des
interviewés leur refuse même complètement l’entrée dans le « sérail » (4).
Les deux travailleurs sociaux « hors normes » (3, 6) sont conscients de leur situation
précaire et comptent sur la passerelle proposée par la loi de validation des acquis par
l’expérience pour consolider leur position.
II-2-2-4 La représentation du travailleur social en CCAA auprès du
public
Par quelle démarche une personne désirant obtenir de l’aide pourra t-elle être mise en
contact avec un CCAA et plus particulièrement avec le travailleur social de cette
structure84 ? Si cette personne désire avoir surtout un soutien d’ordre social (problèmes
professionnels, familiaux) comment pourra-t-il être assuré de trouver dans ces centres
l’aide dont il a besoin tant les approches thérapeutiques des CCAA sont diverses
(orientation essentiellement médicale, psychanalytique, sociale) ?
Quelle image aura t-il du travailleur social si celui ci n’intervient qu’en arrière-plan du
médical alors que, pour le demandeur, c’est peut-être en premier lieu une aide sur le plan
social dont il aura besoin ?
En effet, ainsi que l’exprime l’ensemble des interviewés, d’une manière générale, la
volonté de l’institution est de provoquer une démarche de soins qui passe d’abord par la
84
Les résultats obtenus en moyenne nationale permettent de mettre en évidence l’origine de la démarche vers
le CCAA des nouveaux consultants accueillis en 2000: 33,6% (services administratifs et judiciaires), 28,8%
94
consultation médicale et /ou psychologique, l’orientation vers le social n’arrivant qu’en
deuxième intention.
II-2-3 Les relations du travailleur social avec l’organisme gestionnaire
D’après les travailleurs sociaux interrogés, les liens avec l’organisme gestionnaire
semblent à l’heure actuelle plus conflictuels dans le milieu hospitalier qu’à l’ANPAA. Ceci
tient vraisemblablement à la vocation plus « sociale » de cette association .
La loi de 1998 a renforcé la mission de soins de l’ANPAA, qui, jusque là, s’occupait
surtout de la prévention dans les écoles et dans les entreprises. Les comités départementaux
sont devenus des institutions médico-sociales avec une double mission de prévention et de
gestion des CCAA, ce qui donne plus de place au social selon l’interviewée (5), qui se sent
à présent soutenue dans ses initiatives par la directrice départementale de son CCAA.
A l’hôpital, l’ambiguïté de la situation des membres d’un CCAA est telle qu’ils peuvent
être soumis à une double hiérarchie : fonctionnelle par le responsable du centre,
administrative par un cadre socio-éducatif qui assure « la notation » de l’assistant socioéducatif fonctionnaire sans forcément connaître le contenu exact de son activité85 .
« Le cadre socio-éducatif n’est jamais venu visiter notre structure mais s’est imposé, à son
arrivée, pour la notation » (7).
Dans cet exemple, la position du cadre intermédiaire de l’organisme gestionnaire n’est pas
considérée comme un élément de soutien et de supervision, mais au contraire comme un
risque de déstabilisation du travailleur social, bien intégré jusqu’alors dans son
organisation où l’évaluation de son travail était faite en interne, par le responsable médical.
Dans le cas que nous citons, l’arrivée du cadre socio-éducatif (CSE) a introduit un débat
qui n’existait pas auparavant dans l’équipe, en révélant un désaccord entre ses propres
conceptions et celles du responsable du centre sur la manière de conduire
l’accompagnement social du malade.
Le travailleur social risque d’être la première victime de cette divergence de vue.
(services médicaux hospitaliers, spécialisés, généralistes), 10% (services sociaux et organismes à caractère
social), 9% (entourage proche du consultant)
85
Le principe d’un cadre pour cinq agents socio-éducatifs est retenu (circulaire n°93-37 du 20 décembre 1993)
95
Cependant cette situation n’est pas générale et, principalement dans le milieu associatif,
l’autorité de la direction administrative est souvent reconnue et acceptée par le travailleur
social. Il n’y a pas alors de lien hiérarchique officiel dans l’équipe avec le responsable
médical (5). Ceci permet au travailleur social de chercher un appui auprès de la direction
administrative et de le trouver pour lancer un projet. Ce constat se trouve vérifié dans le
discours, d’une autre personne (6) exerçant elle aussi en CCAA associatif. Le cadre
administratif est sa seule hiérarchie mais elle n’en parle pas, la régulation interne ne
nécessitant pas d’avoir recours à une autorité extérieure. Dans les deux exemples évoqués,
la direction administrative ne semble pas imposer des normes contraignantes aux
travailleurs sociaux.
Là aussi le travailleur social doit gérer sa double dépendance pour pouvoir être reconnu
non seulement dans son équipe mais aussi par son organisme gestionnaire.
Cette situation n’est pas très critique à ce jour puisque, comme nous l’avons vu,
l’organisme gestionnaire ne donne pas, en règle générale, d’orientations en matière de
politique de soins qui pourraient entrer en conflit avec celles qui sont préconisées par les
responsables des centres. La situation pourrait s’aggraver si les directeurs d’associations
s’orientaient véritablement vers une politique de soins moins médicalisée.
II-2-4 Les actions transversales : réseau et partenariat
De l’ensemble des discours des interviewés, nous avons retenu qu’ils considèrent tous que
leurs liens avec le partenariat extérieur sont fondamentaux ; et la plupart regrette de ne pas
pouvoir y consacrer plus de temps. L’un d’entre eux déclare : « on a besoin des travailleurs
sociaux pour une bonne raison : pour tisser un réseau, rien ne vaut les gens du sérail »
(1/609-610).
Le travailleur social construit donc des réseaux avec ses pairs, il participe à la construction
de réseaux thérapeutiques, il tisse des liens avec les autres secteurs du travail social.
II-2-4-1 le réseau des travailleurs sociaux en alcoologie
Tous les travailleurs sociaux interrogés participent à des groupes de réflexion entre
« pairs » sur leurs pratiques professionnelles. Deux exemples de groupes ont été cités : un
groupe homogène de travailleurs sociaux de cinq centres d’alcoologie dépendant d’un
même hôpital (2 et 7 en font partie) dans un premier cas, un groupe mixte de travailleurs
96
sociaux travaillant dans l’ensemble des secteurs de l’alcoologie sur une même zone
géographique (4, 5 , 6) dans le second cas.
Les travailleurs sociaux mettent l’accent sur plusieurs points :
- l’histoire et l’esprit de ces groupes sont très importants. Ainsi l’un des groupes a été créé
par une assistante sociale qui reste une « présence fédératrice, coordonnatrice » (7/465466).
- ces instances de réflexion régulières sont vécues comme des « bouffées d’air », comme
des opportunités pour « se repositionner » (7/354-361), pour demander le conseil des
collègues : « au sein de ces réunions… si j’ai un souci, je n’hésite pas à me tourner vers
une de mes collègues…je ne suis presque jamais seule dans une situation » (2/469-47).
- ces réunions ont aussi un effet positif sur le positionnement de retour dans l’équipe :
« parce que j’avais vu des collègues, parce qu’on avait échangé aussi les uns avec les
autres, eh bien finalement, j’ai parlé plus facilement en équipe de mon expérience au
travers de suivis communs » (5/ 425-430-431).
- ces réunions permettent d’analyser ensemble les pratiques pour les formaliser, pour
devenir ainsi force de propositions dans l’institution. Ceci est souligné par trois travailleurs
sociaux interrogés (5, 6, 7).
- la participation à ces réunions permet à certains travailleurs sociaux non reconnus dans
leur équipe ou au sein de l’institution de retrouver un équilibre (par exemple, une des
personnes interrogées (3) a pu démarrer une activité avec ses collègues des CCAA
associatifs de sa région, compensant ainsi sa mise à l’écart par ses collègues sociaux hors
alcoologie qui ne reconnaissaient pas son diplôme étranger).
Ces groupes de réflexion sont donc essentiels en tant que lieux d’échange d’expérience et
d’expertise. Il apparaît très clairement que le travailleur social y retrouve « ses marques »
et son identité.
II-2-4-2 les réseaux thérapeutiques
Il s’agit principalement de la mise en place d’une coordination avec les centres de cures,
post-cures alcoologiques et aussi avec les services intra et extra-hospitaliers généraux et
psychiatriques. La synergie des compétences médicales, psychiatriques et sociales sont
indispensables au bon déroulement du processus thérapeutique. Les travailleurs sociaux y
97
assurent le plus souvent un rôle déterminant de liaison au sein du réseau tissé autour de la
personne. Ils peuvent alors devenir les « vecteurs de ce processus ».
II-2-4-3 les réseaux d’insertion tissés avec les autres secteurs du
travail social
Les liens avec les collègues hors secteur alcoologie sont toujours ressentis comme une
nécessité.
De fait, la participation aux réunions d’informations générales de l’unité territoriale
(circonscriptions, ou espace territorial), les commissions d’évaluation technique et
d’insertion (CETI), le contact avec les associations de quartier représentent pour trois des
travailleurs sociaux (6, 5, 7) une part très significative de leur activité, leur permettant ainsi
d’être bien repérés, d’être sollicités et de représenter leur équipe à l’extérieur. Le travail en
réseau fait partie du quotidien de leur activité. Pour ces personnes, il semble essentiel de
rester en contact permanent non seulement avec les travailleurs sociaux des centres
d’alcoologie de leur association mais aussi avec les professionnels des autres institutions
(en particulier l’école, l’entreprise, les associations).
Ces contacts correspondraient d’ailleurs également à une demande de leurs collègues
extérieurs.
Les remarques que nous avons faites sur le travail en réseau auprès des autres secteurs du
social rejoignent les conclusions d’une étude réalisée par L. Bénichou en 199786 qui
montrait que 95% des travailleurs sociaux non spécialisés repéraient des conduites
d’alcoolisation excessive dans les populations qu’ils accompagnaient mais que 80%
d’entre eux éprouvaient des difficultés à engager un suivi relationnel avec ces sujets à
risque. Ces professionnels avaient donc besoin de l’information et du soutien que
pouvaient leur apporter leurs collègues des CCAA qui deviennent alors des « personnesressources ». Avec leur aide, les travailleurs sociaux extérieurs sont ainsi en mesure de
mieux comprendre la pathologie de l’usager et de l’orienter vers un centre de soins.
Toutefois, le travail en réseau pose parfois des problèmes : l’un des interviewés (5) émet
des réserves sur la qualité des relations qui se créaient entre partenaires. Il peut alors
s’établir un jeu de concurrence surtout lorsque le travailleur social alcoologue et son
86
BENICHOU L., Conduites d’alcoolisation, travail social et réseau
98
collègue non spécialisé interviennent ensemble dans une même situation. « Il y en a encore
trop qui cassent du sucre l’un sur l’autre en essayant d’enfoncer l’autre pour mieux
exister » (5/653-654).
Ces interviewés plaident pour la recherche d’une véritable solidarité qui permettrait au
métier, « à un moment donné, d’exister et d’être reconnu véritablement » (5/705-710).
Par ailleurs, le travailleur social se trouve souvent et une fois de plus en rivalité avec le
psychologue pour représenter son établissement à l’extérieur. Ainsi que l’a exprimé un des
interviewés (2), en règle générale, c’est au psychologue de la structure que revient
« historiquement » le rôle d’expertise dans l’accompagnement des patients au cours
d’interventions extérieures ou dans la mission de représentation du CCAA auprès des
différentes instances extérieures.
De ce constat émerge moins une revendication par rapport au collègue psychologue que la
reconnaissance d’un dysfonctionnement : « à une époque, c’était très actif et on avait au
moins une fois tous les deux mois une information un peu générale qui regroupait tous les
collègues un peu localement…alors ça, ça ne se fait plus du tout et il y a là un énorme
manque… on n’est plus du tout sollicité pour des réunions d’informations…que ce soit par
les espaces ou par d’autres structures » (2/340-350).
Mais souvent l’absence d’implication du travailleur social vient également d’un manque de
disponibilité (2). La contrepartie et l’effet pervers d’un investissement total du travailleur
social dans son centre peuvent être une absence de reconnaissance externe, et au delà, de
reconnaissance du rôle de la structure dans le développement territorial de l’action médicosociale, sur le long terme.
En synthèse de l’ensemble des réactions des interviewés sur ce sujet, la participation du
travailleur social à la constitution et l’animation d’un réseau d’insertion serait donc en
grande partie fonction de « l’ordre local » (liberté d’action du travailleur social au sein de
son organisation, présence ou non d’un psychologue dans cette équipe…), et non pas d’une
attribution formelle de cette fonction au travailleur social. Ceci souligne une fois de plus la
fragilité de la fonction du travailleur social résultant du manque de règles formelles.
.
99
II-2-4-4 le partenariat contractualisé avec les associations
L’exemple de la participation du travailleur social aux consultations avancées est une
illustration de sa reconnaissance externe. Il convient de noter toutefois qu’un seul
interviewé y fait référence (6), ce qui laisse à penser que les autres structures n’ont pas
encore mis en application les préconisations de la loi sur les exclusions. Cette personne
précise que son intervention porte sur deux volets : un appui donné aux équipes : « chaque
mois, je vais à la Mie de Pain où je fais une réunion d’analyse de pratiques avec les
travailleurs sociaux, à la pension de famille et dans le relais social », et une action directe
avec le public : « je reçois avec le travailleur social, à B.…on fait des entretiens à
trois…avec des gens qui veulent engager une démarche de soins en alcoologie » (6/461466).
Cette activité exprime la reconnaissance -à la fois externe et interne- du rôle du travailleur
social par ses compétences spécifiques, dans cette démarche très particulière de soutien et
de sensibilisation.
II-2-5 L’évaluation des activités en externe : statistiques, comptes rendus,
présentation de résultats
Au delà de la reconnaissance de compétences, telle qu’elle peut être perçue lors de la
participation des travailleurs sociaux aux groupes de réflexion extérieurs à leur
organisation, les CCAA et les travailleurs sociaux en particulier, doivent prouver
l’efficacité de leur action pour justifier de l’usage le plus approprié des ressources
budgétaires qui leur sont octroyées.
Il est ainsi demandé par le Ministère de la Santé et la CPAM à tous les centres d’alcoologie
de recenser le public consultant et de transmettre les résultats, en fin d’année.
Cette demande existait déjà lorsque le budget était alloué par la DDASS-Etat et que les
CCAA n’étaient pas encore considérés comme des institutions médico-sociales, mais une
plus grande rigueur est exigée à l’heure actuelle puisque leur fonctionnement est soumis,
depuis 1998, au contrôle du Comité Régional de l'Organisation Sanitaire et Sociale
(CROSS).
Cette évaluation ne va pas sans poser quelques problèmes compte-tenu des activités très
spécifiques de ces structures, souvent difficiles à comptabiliser, en raison également de la
100
culture des institutions médico-sociales encore peu familiarisées à raisonner en termes de
résultats.
Cette question de l’évaluation en termes quantitatif et qualitatif des activités du travailleur
social n’est abordée que dans un seul entretien (7), ce qui prouve qu’elle n’est pas encore
intégrée dans les normes de fonctionnement des CCAA ni dans les préoccupations du
travailleur social. Et pourtant, c’est un point important pour la reconnaissance externe du
travail social.
II-2-6 Conclusion de la reconnaissance externe
En synthèse de ce chapitre concernant le problème de la reconnaissance du travailleur
social en dehors de son organisation, il ressort des entretiens quelques constantes.
- La diversité des statuts et des orientations des CCAA nuit à l’unité d’action des centres
essentiellement sur le plan social.
- L’image du travailleur social en CCAA reste trouble pour le public intéressé et pour les
organismes extérieurs du fait de l’ambiguïté de sa qualification, de l’hétérogénéité de la
fonction de travailleur social dans ce type de structure et du peu de clarté de sa mission
compte tenu de l’orientation surtout médicale de ces centres.
- Le travailleur social occupe une position intermédiaire entre son organisme gestionnaire
et sa structure de travail. Cette situation peut être une source de tension mais également
une marge de manœuvre.
- Le réseau formé avec ses collègues et avec les organismes extérieurs est essentiel pour
son épanouissement personnel et pour le développement de son expertise mais
insuffisamment formalisé.
- Les actions transversales qui permettent au travailleur social de développer différents
réseaux, comme ses actions internes, ne font l’objet d’aucune évaluation effective.
De la même manière qu’ils s’efforcent de promouvoir leur rôle à l’intérieur de leur
organisation, la majorité des travailleurs sociaux de notre enquête engagent des actions de
partenariat et participent activement à l’ensemble des réseaux extérieurs. Mais là aussi, ils
font face à de nombreuses contraintes d’ordre structurel ou relationnel sur lesquelles ils
tentent d’agir, même si cette démarche reste souvent isolée et individuelle.
Par ailleurs la question de la compétence nécessaire pour animer un réseau et intervenir en
colloques a été en revanche très peu évoquée.
101
III- ANALYSE DES RESULTATS A PARTIR DES INTERVIEWS
L’analyse des discours des interviewés nous donne des indications sur leur position
professionnelle à l’intérieur de leur organisation et sur les types de stratégie qu’ils tentent
de mettre en place.
III-1 La position du travailleur social dans son cadre organisationnel
III-1-1 L’incertitude et la contingence de « l’ordre local »
Le CCAA est une organisation où les zones d’incertitude et de contingence sont très
élevées.
Ce type de structure traite en effet de problèmes humains par définition très variés,
imprévus, dont l’analyse est incertaine et les réponses aléatoires.
Compte tenu de ces zones d’incertitude, et selon l’analyse de Crozier, pour assurer son
équilibre et sa solidité, l’équipe se fixe des tâches précises et limitées, en différenciant en
son sein les fonctions attribués à ses membres, en leur distribuant des rôles et en utilisant
leurs compétences. L’interviewé (1) considère que la répartition des rôles et des tâches est
essentielle au bon fonctionnement d’une équipe. Cette délimitation claire permet alors au
travailleur social « d’ être le moteur de l’équipe dans la dimension sociale de la prise en
charge du patient » tout comme le médecin, l’infirmier, le psychologue et la secrétaire le
sont dans leurs domaines respectifs (1/ 456-457).
Parmi les personnes interrogées, la délimitation précise des rôles n’est réalisée que dans un
seul cas (6) ; elle est perçue comme un avantage pour la fonction du travailleur social. La
situation opposée est la plus fréquente. Elle est vécue par les interviewés (4, 5, 7) comme
un obstacle au positionnement du travailleur social à l’intérieur de son organisation. Seule
l’interviewée (2) considère que la répartition des rôles et des tâches dans l’équipe n’est pas
une nécessité. Elle va même plus loin en disant : « plus on veut délimiter les choses, plus
on les appauvrit » (2/ 18-20).
Comme cela a été exprimé dans les entretiens (4) et (5), cette pénurie de règles formelles
contribue à créer des risques de conflits liés aux relations interpersonnelles, à des enjeux de
pouvoir ou à des problèmes organisationnels.
102
III-1-2 Les divergences dans l’approche du soin
Les problèmes organisationnels ou relationnels masquent le plus souvent une divergence
plus fondamentale dans l’approche du soin donné au malade alcoolique
L’analyse des entretiens souligne plusieurs points qui éclairent l’origine de ces problèmes.
La méthode d’approche du patient par le travailleur social n’est pas forcément identique à
celles des collègues médecins, infirmiers, psychologues (1). La méconnaissance par
l’équipe soignante des critères spécifiques de l’intervention du travailleur social peut
conduire à des conflits d’objectifs et finalement à un certain cloisonnement (5/457-464) et
(7/304-308). La nature même de son activité diffère de celle de ses collègues.
Le travailleur social a besoin d’obtenir l’adhésion des autres membres de son équipe pour
développer son action et ne la trouve pas (4,5). Ce besoin n’est pas aussi réel pour les
médecins du fait de leur statut de responsable du groupe ou de leur expertise non contestée
dans leur discipline, ce qui est aussi le cas pour les psychologues.
L’évaluation d’une situation par le travailleur social peut être différente de celle de ses
collègues. Il peut faire entendre son point de vue, mais cette démarche est d’autant plus
difficile que sa position peut être interprétée précisément comme une contestation de l’avis
du médecin et de celui du psychologue qui font autorité.
Nous retrouvons ici l’analyse clinique d’ E. Enriquez. Le comportement du travailleur
social est lié à la confrontation de sa culture professionnelle avec celles de ses collègues,
aux jeux d’alliances qu’il noue avec les membres de l’équipe, en particulier avec le
responsable médical87. L’illustration de ce jeu d’alliances nous est donné par la plupart des
interviewés : pour certains, cette relation peut jouer en leur faveur (2, 3, 6, 7), pour
d’autres, l’absence d’alliance avec le responsable médical nuit à leur positionnement (4, 5).
De plus, les travailleurs sociaux interrogés ont souvent souligné la divergence entre leurs
aspirations et la réalité des tâches demandées. Ils considèrent l’accompagnement social
dans toute sa dimension, ce qui inclue la nécessité d’une évaluation sociale faite par le
travailleur social (1, 4). Dans la réalité, pour reprendre l’expression de Madame D.
(entretien exploratoire), les tâches quotidiennes du travailleur social correspondent le plus
souvent à l’exécution de « prescriptions sociales » : trouver un hébergement, un centre de
cure, résoudre des problèmes administratifs. L’interviewé (4) l’exprime ainsi :
87
cf. p. 56
103
« L’assistant social est-il là pour régler les problèmes administratifs que présente le malade
alcoolique ? Ou bien est-il là pour faire partie d’une équipe dans sa dimension bio-psychosociale ? » (4/21-24).
Le rôle indispensable de médiation conduit le travailleur social à utiliser ces moyens socioéducatifs mais il considère que la finalité de son action est bien plus large. Ainsi le regard
posé par certains collègues sur le travail social peut parfois apparaître quelque peu
réducteur et faire émerger chez le travailleur social un sentiment de dévalorisation.
III-1-3 La cohésion des CCAA
Les CCAA apparaissent néanmoins comme des unités assez solides.
Dans trois CCAA concernés par notre enquête (3, 4, 7), les membres du groupe évitent de
créer des situations ouvertement conflictuelles. Seule l’interviewée (5) est prête à prendre
le risque du débat. Elle décide de provoquer un changement en allant exprimer son
problème au responsable médical : « je me prépare à aller le voir, à lui faire part du peu
d’orientations (de patients vers le social)…il faut bien sûr l’apprivoiser…c’est une forme
de stratégie pour moi que d’aller poser la question » (5/502-510).
Dans deux situations (2, 6), la cohésion de l’équipe existe. Les travailleurs sociaux
l’attribuent à l’ancienneté de l’organisation (2) ou au pouvoir fédérateur du responsable
médical (6).
III-1-4 Les groupes de parole de travailleurs sociaux
Le travailleur social cherche son équilibre au travers des groupes de parole entre pairs.
L’importance accordée à cette activité menée à l’extérieur de l’organisation est clairement
exprimée par cinq interviewés (2, 4, 5, 6, 7). Lorsqu’ils n’ont plus ni le temps, ni la
possibilité d’y participer, ils le regrettent.
Les groupes de parole mettent en place un cadre permettant une discussion collective sur
les pratiques. Les travailleurs sociaux cherchent alors à faire ensemble un travail de
construction de compétences. Ces réunions peuvent ainsi avoir une influence sur les
représentations que les travailleurs sociaux du groupe se font de leur métier, et sur leurs
pratiques professionnelles respectives88. Pour une personne interrogée (5), le groupe de
88
Les fonctions de ce type de groupe de réflexion ont été étudiées par S. DEBRIS, dans son mémoire de
DSTS (ETSUP) : D’échanges en analyses. L’analyse des échanges, janvier 2000
104
parole auquel elle participe lui permet de mieux expliquer à son équipe le contenu de son
travail. Le groupe de parole aurait ainsi une fonction d’explicitation des pratiques et serait
un outil de légitimation du travail social par le groupe d’appartenance.
Ces groupes extérieurs peuvent contribuer à créer chez les travailleurs sociaux un modèle
de référence, de valeurs, d’attitudes qui fondent leur identité professionnelle.
L’un des points importants de la participation des travailleurs sociaux à ces groupes est la
possibilité de produire collectivement des projets formalisés destinés à être présentés aux
organisations et aux instances gestionnaires. Le groupe professionnel devient alors force de
propositions et consolide le positionnement de chaque participant.
Signalons cependant les risques liés à la participation à ces groupes extérieurs, susceptibles
de déstabiliser le travailleur social.
En effet les relations établies avec ses pairs ne risquent t-elles pas de lui donner une vision
du métier de plus en plus contradictoire avec celle de son groupe d’appartenance ?
L’un des interviewés (6) apprécie l’existence de ces groupes. Mais il fait remarquer que
ces réunions pourraient faire émerger un certain esprit corporatiste qui nuirait alors à
l’intégration du travailleur social dans son équipe. Le résultat de ce travail de réflexion
collective irait alors à l’encontre de son objectif de valorisation du travail social.
La participation du travailleur social à ces groupes extérieurs ne peut-elle pas également
devenir une source de frustration s’il s’aperçoit qu’un travailleur social, dans une situation
comparable, bénéficie d’un statut, d’une autonomie d’action et de responsabilités
supérieurs ?
Au terme de cette étude, un aspect particulièrement marquant ressort de l’ensemble des
analyses. Le travailleur social en centre d’alcoologie se trouve au centre de multiples
tensions tant sur le plan relationnel que sur le plan des objectifs.
En effet, son action intègre non seulement les préoccupations de ses patients, mais aussi
celles de son équipe, de son organisme gestionnaire, de ses collègues extérieurs également
spécialisés en alcoologie, ou des autres travailleurs sociaux.
Cette difficulté de positionnement du travailleur social l’amène à s’interroger sur le sens et
l’efficacité de son action.
Ce constat nous permet de valider notre hypothèse. Pour pouvoir gérer les tensions qu’il
subit du fait de sa fonction, pour trouver une cohérence à son action,
105
dans un Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie, le travailleur social construit
diverses stratégies qui ont pour objectif de faire reconnaître son rôle en interne et en
externe.
Mais ces stratégies sont, en règle générale, individuelles et circonstancielles. Comme nous
le verrons, la réussite de ces stratégies, de l’avis même des personnes interrogées, dépend
d’une remise en cause de leur propre action.
Par ailleurs, les discours indiquent que les travailleurs sociaux souhaitent une prise de
conscience collective de la nécessité de défendre le métier en définissant des stratégies au
niveau de la profession.
III-2 Les différents types de stratégies du travailleur social
Ces stratégies sont développées par chaque travailleur social pour lui permettre d’avoir une
action cohérente par rapport à sa mission d’accompagnement et de réinsertion du malade
alcoolique.
Plusieurs voies stratégiques sont repérables dans les discours des interviewés :
- Considérer que sa reconnaissance professionnelle passe avant tout par une intervention
directe auprès des patients, dans son organisation
Le travailleur social engage alors des actions
vis à vis de ses collègues et de son
responsable pour promouvoir le volet social des missions du CCAA auquel il appartient (2,
3, 5, 6).
- Chercher des appuis psychologiques et professionnels à l’extérieur et non pas à l’intérieur
de son organisation
Puisqu’il ne trouve pas une réelle sensibilité à la prise en charge sociale du patient dans sa
structure, il va chercher un soutien essentiellement auprès de ses « pairs » spécialisés en
alcoologie ou non, et auprès d’organismes qui font appel à lui parce qu’ils reconnaissent
sa compétence (4, 5).
- Chercher des alliances auprès de son organisme de gestion
Le travailleur social amène ainsi son organisme gestionnaire à exercer son influence sur les
orientations données par la direction médicale du centre d’alcoologie (5).
- Renoncer à assumer l’ensemble des missions de base attachées à sa fonction
106
Le travailleur social tente alors de développer son activité soit dans une spécialité
particulière (ex. thérapeute familiale) au sein de son organisation interne, soit dans des
activités à l’extérieur, actions de prévention par exemple (7, 6).
- Se conformer aux règles générales imposées par l’équipe sans chercher à les faire évoluer
ni à les contester
Pour éviter d’avoir à gérer une opposition entre une approche sociale et une approche
psychologique orientée sur le fonctionnement inconscient du patient et détachée de toute
recherche de résultats immédiats, le travailleur social choisit de se conformer à la culture
générale du groupe en adoptant le modèle thérapeutique en usage dans la structure (modèle
analytique, systémique...) (2, 7).
Ces stratégies sont mises en œuvre à la fois pour répondre à un besoin de reconnaissance
personnelle et pour une meilleure efficacité de l’action vis à vis des patients.
Dans cette optique, les travailleurs sociaux élaborent des stratégies visant la reconnaissance
du volet social, et donc de leur propre action, par les membres de l’équipe et par les
partenariats extérieurs.
III-3 Quelques réflexions sur les conditions de réussite de ces stratégies
A travers l’analyse des entretiens, quels sont les facteurs qui conditionnent la réussite de
ces stratégies ? Ce mémoire n’avait pas pour objet d’étudier ce point précis, mais les
discours des personnes que nous avons interrogées permettent d’apporter quelques
éléments de réponse :
- s’attacher à réduire la charge affective de son activité
Les interviews font apparaître l’importance de la dimension affective des interactions dans
l’équipe. D’après M. Autès, le comportement du travailleur social serait lié en partie à sa
situation professionnelle. Habitué à traiter de problèmes relationnels qui affectent
gravement la vie des usagers, il peut arriver qu’il se projette inconsciemment dans les
difficultés sociales des patients.
Le CCAA soigne des personnes. Comme ses collègues, le travailleur social cherche à
déculpabiliser le patient sans le déresponsabiliser. La charge affective est donc constante et
touche l’ensemble de l’organisation, en particulier les relations entre les individus.
107
En effet, n’est-il pas difficile pour un professionnel s’impliquant personnellement comme
un travailleur social, de conserver sa stabilité émotionnelle en toute circonstance, d’être
capable de dire « non » sans émotion ni agressivité à une « prescription » ou un avis d’un
membre de l’équipe avec lequel il ne serait pas d’accord ? C’est, en tout cas, la
recommandation de notre interlocuteur (1) qui soutient que « cette capacité de dire non
(permet) de sortir de la dépendance » et il ajoute que pour les travailleurs sociaux, cette
position « se travaille » et qu’elle leur « permettrait de ne plus être dans la subsidiarité par
rapport au médical » (1/739-745).
Si le travailleur social parvient à conserver une « bonne distance » par rapport au discours
du patient, à gérer son propre contre-transfert et à objectiver la situation de la personne à
laquelle il est confronté, il semble que ce travail de distanciation ne soit pas développé
dans les rapports qu’il établit avec l’équipe. Face à l’équipe, cette capacité d’objectivation
dénuée d’affect semble parfois disparaître pour faire place à un comportement de
justification.
- avoir le courage de provoquer le changement
Pour reprendre l’exemple donné par M. Crozier lors de l’étude des jeux de pouvoirs dans le
cadre de son analyse stratégique, si le travailleur social se plaint du comportement
autocratique du chef de service ou du chevauchement des tâches à ses dépends, il peut se
demander ce qu’il fait lui-même pour entretenir la situation ou pour la modifier et
négocier.
Selon les principes de l’analyse stratégique et des pratiques mises en oeuvre dans le
modèle systémique, nous avons constaté que le travailleur social tente d’instaurer un
dialogue capable de faire apparaître des oppositions et des problèmes réels et de faire naître
ainsi de ces échanges et négociations des comportements et opportunités nouvelles (5).
Mais la régulation des tensions n’est réalisable qu’à deux conditions :
- la possibilité pour les acteurs de confronter sereinement leurs points de vue au cours de
réunions par un échange oral essentiel pour mieux se connaître et s’apprécier (ce qui est le
cas dans les équipes 1, 2, 3, 6 ; relativement possible dans les équipes 5 et 7 ; absolument
impossible dans l’équipe 4).
108
Cet apprentissage de la communication, quand il est mis en œuvre, a pour effet de mieux
comprendre l’autre sur le plan de ses représentations, de ses émotions, des relations qu’il
instaure avec les autres.
- le soutien actif ou tacite du responsable du centre : celui-ci a-t-il la capacité ou la volonté
d’intervenir pour réguler les tensions, est-il neutre ou partisan, favorise-t-il la
concertation ? Les décisions sont-elles collégiales ou imposées par le responsable ou par
un sous-groupe ? Y a-t-il complète liberté d’expression ?
L’entretien (5) nous révèle une situation extrême. Un sous-groupe, en l’occurrence celui
des psychologues psychanalystes, peut prendre le pouvoir au détriment de celui du
médecin. « La théorie est posée…on n’a besoin de personne…pas même du médecin…ça a
été un grand problème d’équipe…le responsable médical a même failli démissionner à
cause de ça » (5/557-561).
Dans une organisation telle qu’un CCAA, la non-intervention du responsable médical pour
réguler les tensions peut être interprétée soit comme un aveu d’impuissance soit comme un
refus de s’impliquer et d’affronter les problèmes.
- se former pour communiquer et convaincre
Comme le dit F. Dubet, le travailleur social est en partie responsable de ses difficultés de
positionnement à l’intérieur d’une équipe et face aux autres corps professionnels89.
F. Dubet préconise des changements dont le travailleur social serait lui-même acteur, en
apprenant à défendre la notion de métier, en sachant affirmer des compétences spécifiques à
partir desquelles il pourra être évalué (en particulier, écrire ses pratiques pour formaliser ses
compétences). Cela signifie qu’il puisse s’accorder avec son service sur des objectifs, qu’il
refuse de tout faire, mais s’attache à ce qu’il fait.
Ce changement de position pour le travailleur social implique le recours à des arguments
concrets, fiables et précis. Or, d’après une des personnes interrogées (6), les travailleurs
sociaux ne savent pas synthétiser leur pensée, l’exprimer clairement et objectivement. Ce
jugement excessif est plus nuancé dans le discours des autres interviewés, notamment
lorsqu’ils sont habitués à animer des réunions à l’intérieur de la structure, ce qui est rare
89
cf. p. 58
109
(2), ou à représenter leur centre d’alcoologie dans des réunions extérieures (7 et
progressivement 5).
Toutefois, pour aller dans le sens de l’interviewé (6), l’ensemble des personnes interrogées
s’accordent pour attribuer une grande importance à la construction d’une attitude réflexive.
Cette mobilisation intellectuelle permettrait d’observer et d’évaluer la
pensée du
travailleur social pour la théoriser. Mais cela implique moins un changement
comportemental qu’une véritable formation en communication, en expression orale, en
animation de groupe.
- agir pour faire évoluer son métier, ses compétences, et parallèlement, pour faire évoluer
son organisation
L’évolution de la représentation du travail social en alcoologie implique l’apprentissage de
comportements nouveaux, l’acceptation de nouveaux objectifs, la remise en cause de son
métier.
Mais le CCAA en lui-même est-il une organisation capable d’évoluer ?
Ceci tient, encore une fois, à l’implication personnelle que chacun de ses membres met
dans la défense de ses compétences, notion qui est souvent confondue avec celle de
qualification pour reprendre la distinction de H. Hatzfeld. Plusieurs travailleurs sociaux
interrogés considèrent que leur métier est l’expression de leurs compétences (2, 3, 4,). Or,
comme nous l’avons vu dans l’analyse de
H. Hatzfeld, le métier détermine les
compétences à acquérir. Deux personnes interviewées ont mis en application ce principe
(6, 7). Le premier, n’ayant aucune qualification sociale au départ, s’est adapté au contexte
organisationnel. Par un processus d’auto-formation, il a acquis les savoirs nécessaires à
l’accomplissement de ses tâches. La seconde, titulaire d’un diplôme d’assistant de service
social, a répondu à la demande de l’équipe en complétant sa formation initiale par une
formation en thérapie familiale. En revanche, la position de l’interviewée (5) est un peu
différente : elle considère que son diplôme d’assistante sociale la qualifie mais elle est
désireuse de formations complémentaires pour mieux exercer ses missions et pour son
développement personnel.
Cette analyse des résultats sur la position du travailleur social à partir des interviews nous
ont permis de déceler les difficultés qu’il rencontre à l’intérieur de son équipe et les
110
conditions qui lui permettraient de mieux développer une stratégie tendant à valoriser le
volet social de l’action de son organisation.
CONCLUSION GENERALE
L’ensemble de notre recherche a porté sur la position professionnelle du travailleur social
au sein de son équipe de soins et par rapport à ses partenaires extérieurs, et plus
précisément sur les conditions dans lesquelles sa parole s’exprime et son action s’exerce.
Dans une première partie, nous avons analysé le contexte institutionnel et organisationnel
de l’activité du travailleur social en CCAA.
Nous avons voulu comprendre le fonctionnement de ces centres d’alcoologie à travers
plusieurs modèles théoriques. Ces modèles nous ont permis d’identifier les ressorts de
l’action des intervenants, les règles formelles et informelles à partir desquelles ils affirment
leur pouvoir, en utilisant à leur profit les zones d’incertitude. Par ailleurs, notre analyse a
mis en lumière les freins qui limitent le pouvoir du travailleur social, tant au niveau de
l’institution que de l’organisation. Nous avons vu également que le travailleur social est
lui-même en partie responsable de sa position professionnelle et de la reconnaissance de
son rôle ; il lui appartient en effet d’affirmer et de développer des compétences, à
l’intérieur comme à l’extérieur de son organisation, et d’engager une stratégie lui
permettant d’être mieux reconnu.
Dans une deuxième partie, nous avons effectué une enquête auprès de travailleurs sociaux
exerçant en CCAA hospitaliers et associatifs pour vérifier l’existence de stratégies mises
en œuvre par ces professionnels dans le but de faire reconnaître leur rôle par leur
organisation respective.
L’enquête a révélé qu’à l’intérieur de sa structure, le travailleur social n’est pas protégé par
un cadre fixe réglementant son action ; en conséquence, sa position dépend de « l’ordre
local »90. Les entretiens ont souligné également que le travailleur social s’interroge sur la
cohérence de ses actions et sur son positionnement au sein de l’équipe.
L’enquête a aussi montré toute l’importance que le travailleur social attache à sa
participation à des actions hors structure, en tant que représentant de la fonction sociale de
son centre. Mais là aussi, sa position est fragilisée en raison principalement du peu d’unité
111
dans les statuts et les fonctions, et dans les orientations thérapeutiques des centres euxmêmes.
Enfin, les outils d’évaluation des activités sociales tant en interne qu’en externe font
défaut.
Dans ce contexte organisationnel et institutionnel qui ne lui permet pas de trouver les
appuis nécessaires à son action, l’enquête montre que les travailleurs sociaux ont adopté
une démarche personnelle pour renforcer leur position et exercer pleinement leur métier.
Nous avons pu ainsi vérifier notre hypothèse.
Pour conclure cette étude, nous sommes conduits à nous interroger sur la nécessité de
repenser l’organisation de la structure de soins ambulatoires en alcoologie, de redéfinir la
place du social dans cette organisation, et de préciser la nature des compétences exigées en
matière de soins, de prévention et d’accompagnement social.
Dans le cadre d’un dispositif « repensé » pour reprendre l’expression de M. Autès, le
travailleur social pourrait avoir un rôle essentiel. En effet comme nous l’avons déjà
souligné, le travailleur social est au centre de plusieurs champs d’intervention :
administratif, juridique, sociologique, psychologique, médical. Il se trouve ainsi dans une
position « d’observation sociale » qui pourrait justifier sa participation à une action de
redéfinition des politiques et des organisations dans ce domaine.
Mais cette participation ne peut se réaliser qu’à la condition que le travailleur social ait une
réflexion toujours renouvelée sur ses propres pratiques et sur le rôle qu’il pourrait jouer
dans la modification du système actuel .
La réflexion du travailleur social sur ses pratiques pourrait alors s’élaborer au sein d’un
groupe de parole d’analyse des pratiques, dispositif qui existe déjà mais qui reste encore
peu fréquent.
A l’occasion de l’exercice d’analyse des pratiques, une compétence particulière est mise en
œuvre : la « compétence de processus ». Cette compétence tournée vers l’analyse de
l’action permet au professionnel d’être moins « rigide » selon les termes de R. Wittorski ;
dans la mesure où il réfléchit à son propre fonctionnement, il est incité à se remettre en
question.
De ce fait, cette compétence peut être valorisée par les organisations.
90
cf.p. 51
112
Ainsi, en nous référant au modèle de R. Wittorski, ce type de groupe de parole peut
contribuer à renforcer la position professionnelle des participants au sein de leurs
organisations respectives. En effet, ce modèle propose de « formaliser les compétences
implicites
produites
dans
l’action
et
ainsi
de
les
transformer
en
savoirs
d’action…communicables, validés par le groupe, transmissibles ». Il s’agit « d’une logique
de réflexion sur l’action ».
Ce modèle permet aussi au participant de « définir par anticipation de nouvelles pratiques »
à mettre en œuvre, de retour au travail. Il relève alors « d’une logique de réflexion pour
l’action »91.
Ainsi, grâce à l’analyse des pratiques, les travailleurs sociaux peuvent être acteurs de
changement à l’intérieur de l’organisation en devenant force de propositions.
A titre d’exemples, la réflexion du groupe peut porter sur plusieurs points.
1- La conduite de projets de santé communautaire, de développement social local
La participation du travailleur social à ce type d’action s’inscrirait dans « l’orientation
voulue par la loi sur les exclusions » selon M. Autès et G. Lambert 92.
Dans le cas contraire, ainsi que nous l’avons déjà exprimé, ces actions collectives seront
conduites par de nouveaux métiers avec des compétences différentes. Le travailleur social
risquerait alors d’être marginalisé au sein de l’action sociale.
Mais dans le champ du travail social, qui pourrait mener cette réflexion sur l’organisation
interne et externe du système de soins ?
2- La création d’un poste de cadre social intermédiaire au niveau institutionnel
Ces cadres intermédiaires auraient comme principale fonction la coordination des actions
des CCAA dans le domaine social.
Pour les structures hospitalières, nous avons vu dans l’enquête que les cadres socioéducatifs pourraient théoriquement jouer ce rôle. Mais dans la pratique, le plus souvent, ils
ne sont pas en mesure d’encadrer les travailleurs sociaux des CCAA. En effet, leur
domaine d’action est plutôt axé sur l’activité sociale intra-hospitalière et ils ne sont pas
toujours familiarisés au fonctionnement particulier de ces structures externalisées.
91
WITTORSKI R., « Analyse de pratiques et professionnalisation » in : Blanchard-Laville C. et Fablet D.,
Travail Social et Analyse des Pratiques Professionnelles, pp. 80-81
92
LAMBERT G., op-cit
113
Dans le milieu associatif, en particulier à l’ANPAA, les responsables administratifs ont
pour fonction d’encadrer l’ensemble des intervenants des équipes ambulatoires et non pas
spécifiquement les travailleurs sociaux. De ce fait, ils ne sont en mesure d’assurer ce rôle
de coordination des travailleurs sociaux.
3- La création d’un outil d’évaluation du travail social en CCAA
Les entretiens ont souligné le besoin de disposer d’un outil d’évaluation spécifique à
chaque fonction du CCAA.
En ce qui concerne le travail social, cette évaluation nécessiterait au préalable la
conception d’une grille et d’indicateurs communs à tous les professionnels sociaux en
CCAA. Cet outil permettrait de recenser toutes les actions réalisées dans le domaine social.
Il nous semble important que le projet soit porté par le groupe d’analyse de pratiques pour
disposer d’une base de négociation avec les organismes gestionnaires.
4- La création d’un référentiel métier
Pour pallier le manque de cohérence décelé dans les actions des travailleurs sociaux en
CCAA, il serait souhaitable de construire un référentiel métier. Ce référentiel pourrait être
élaboré au sein d’une commission composée de travailleurs sociaux, de cadres
intermédiaires et d’un consultant spécialiste de l’organisation. Il pourrait s’inspirer du
référentiel de compétences des assistants socio-éducatifs réalisé en 2003 dans le cadre de
l’Association Professionnelle des Services Sociaux Hospitaliers et de la Santé
(A.Pro.S.S.H.e.S.) 93.
5- La création de services sociaux départementaux spécialisés en alcoologie
Nous avons vu l’insuffisance de coordination entre les dispositifs d’alcoologie (prévention
et soins) et les différents secteurs du service social 94.
La création d’un service social spécialisé en alcoologie au niveau départemental
permettrait l’amélioration du travail en réseau, en application des politiques territoriales de
santé publique.
93
Le référentiel de compétences des Assistants socio-éducatifs a été élaboré de 1997 à 2003 par une
commission composée de cadres et assistants socio-éducatifs de différentes régions, avec la collaboration de
B. Blairon, consultant au Centre de Développement Professionnel Individuel et Organisationnel (C.P.I.O)
94
Nous avons connaissance de l’existence d’un service social spécialisé en alcoologie auprès du Conseil
Général du Calvados.
114
Notre espoir serait de voir se dessiner dans les années à venir une double évolution. Les
travailleurs sociaux en centres d’alcoologie pourraient changer le regard qu’ils portent sur
eux-mêmes et sur leurs structures afin de développer leurs propres stratégies ; les
organisations pourraient intégrer davantage l’action des travailleurs sociaux dans la
démarche globale de soins.
Nous n’avons pas voulu donner du travailleur social spécialisé l’image d’un militant, ni
celle d’un soliste, sourd à la musique de ses collègues, mais celle d’un professionnel à la
recherche de son identité.
Pour reprendre la métaphore de F. Dubet, nous souhaiterions que l’équipe fonctionne
comme un ensemble de musique de chambre qui, « du trio au quintette, réalise le miracle
consistant à donner à chacun sa pleine expressivité tout en construisant un ordre
collectif »95.
.
95
DUBET F., op-cit, p. 401
115
BIBLIOGRAPHIE
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LOIS, DOSSIERS D’ACTUALITE :
- Loi n° 75-535 du 30-06-1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales,
abrogée par l’ordonnance n° 2000-1249 du 21-12-2000 (à l’exception des articles 5 et 23,
du deuxième alinéa de l’article 32 et de l’article 34), qui lui substitue les dispositions
correspondantes du code de l’action sociale et des familles.
- Circulaire DGS/ 2266/ MS du 31-07-1975 relatives à la création de Centres d’Hygiène
Alimentaire
- Circulaire DGS/ 137/ MS 2.D. du 15-03-1983, relatives à la création des Centres
d’Hygiène Alimentaire en Alcoologie
- Décret n° 93-651 du 26-03-1993 portant statut particulier des Cadres Socio-Educatifs de
la Fonction Publique Hospitalière
- Décret n° 93-652 du 26-03-1993 portant statut particulier des Assistants Socio-Educatifs
de la Fonction Publique Hospitalière
120
- Circulaire n°93-37 du 20-12-1993 relative à l’application des décrets statutaires et
indiciaires des personnels socio-éducatifs de la fonction publique hospitalière
- Loi n° 98-657 du 29-07-1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions
- Décret n° 98-1229 du 29-12-1998 relatif aux centres d’alcoologie mentionnés à
l’article L.355-1-1 du code de la santé publique
- Circulaire (DGS) du 08-09-00 relative à la création de consultations avancées
- Loi n° 2002-2 du 02-01-02 de rénovation de l’action sociale et médico-sociale
(réformant la loi du 30 juin 1975)
- Loi n° 2002-73 du 17-01-02 de modernisation sociale. Dans son chapitre II relatif au
« développement de la formation professionnelle », la section première intitulée
« validation des acquis de l’expérience » (articles 133 à 146) pose les fondements de ce
nouveau droit
- Accord du 26-03-2003 relatif au transfert de l’accord d’entreprise de l’ANPAA du 28-031986 vers la convention collective nationale de travail des établissements et services pour
personnes inadaptées et handicapées du 15-03-1966
- Loi n° 2002-303 du 04-03-02 relative aux droits des malades et à la qualité du système de
santé, dite « loi Kouchner »
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- CAMBERLEIN P. (2001-2004), Analyse des institutions sociales et éducatives, DSTS 4ETSUP
ANNEXE A - GRILLE D’ANALYSE -
Catégories,
Sous catégories
1 Institutionnel
Dispositif de prise en charge
Thèmes
Principes et valeurs du CCAA
Dénominations : du CHA au CCAA
Circulaires, rapports d’évaluation, lois, textes, experts
Organisation réseau CCAA sur le département
Représentation de la maladie alcoolique
Hôpital ou ANPAA
Statistiques
Missions / Evaluation du dispositif
Budget
Projet d’établissement
Hiérarchie institutionnelle
Procédures
Relation Institution / CCAA
Objectifs / cadre d’action
Relations responsable CCAA – responsable institution
Evaluation
2- Organisationnel
Contexte
Principes fondateurs, valeurs, déontologie
Circulaires, rapports d’évaluation, lois , textes
Missions du CCAA
Hiérarchie
Taille équipe
Locaux
Projet de service, d’établissement
Représentation de la maladie alcoolique
Mode d’intervention thérapeutique
Modèles théoriques de référence
Equipe
Composition de l’équipe / statuts
Ancienneté
Repérage de l’équipe par le patient
Repérage de l’équipe par les partenaires
Rôles / tâches
Disponibilité
Qualification et compétences
Compétences extérieures
Fonctionnement du CCAA
Procédures (général)
Méthodes
Pouvoir formel et informel
Type de management
Délégation
Réunion de synthèse
Décisions collectives
Rapport d’activité
1
Réf.
1-0-0
1-1-0
1-1-1
1-1-2
1-1-3
1-1-4
1-1-5
1-2-0
1-2-1
1-2-2
1-2-3
1-2-4
1-2-5
1-2-6
1-3-0
1-3-1
1-3-2
1-3-3
2-0-0
2-1-0
2-1-1
2-1-2
2-1-3
2-1-4
2-1-5
2-1-6
2-1-7
2-1-8
2-1-9
2-1-10
2-2-0
2-2-1
2-2-2
2-2-3
2-2-4
2-2-5
2-2-6
2-2-7
2-2-8
2-3-0
2-3-1
2-3-2
2-3-3
2-3-4
2-3-5
2-3-6
2-3-7
2-3-8
ANNEXE A - GRILLE D’ANALYSE -
2
Activités connexes
Evaluation
2-3-10
2-3-11
2-4-0
Reconnaissance de l’autre
Coordination / Coopération
Délimitation des tâches
Mutualisation des tâches
Partenariat interne - externe
Statut
Formation initiale / formation complémentaire
Nouvelles compétences
Principes et valeurs
2-4-1
2-4-2
2-4-3
2-4-4
2-4-5
3-0-0
3-1-0
3-1-1
3-1-2
3-1-3
3-1-4
Attentes
3-1-5
Rôle spécifique
3-1-6
3-2-0
3-2-1
3-2-2
3-2-4
3-2-5
3-2-6
3-2-7
3-3-0
3-3-1
3-3-2
3-3-3
3-3-4
3-3-5
3-3-6
3-3-7
3-4-0
3-4-1
3-4-2
3-4-3
3-4-4
3-4-5
3-4-6
3-4-7
3-4-8
3-4-9
3-5-0
3-5-1
3-5-2
3-5-3
3-5-4
Relation entre les membres
de l’équipe (général)
3- position du TS
Identité
Relation TS / patient
Repérage du TS par le patient
Représentation de la maladie alcoolique par le TS
Interface patient/TS
Prise de RV / Accueil du patient
Activité de consultation
Activité de médiation
Relation TS / Equipe
Limites de l’action au regard du contexte et de la pathologie
Légitimation de l’action du TS par l’équipe (général)
Conflit de compétences (générale)
Relation avec responsable du centre
Relation avec les autres membres de l’équipe
Actions communes
Activités spécifiques
Relation TS / extérieur
Reconnaissance réciproque (général)
Relation avec le cadre (CSE, cadre administratif)
Relation avec les autres TS alcoologues
Relation avec les TS hors alcoologie
Relation avec les partenaires
Lien patient / partenariat
Consultations avancées
Groupes de parole
Compétences spécifique TS
Propositions du TS
Défense du métier
Compétences à développer
Construction d’une compétence collective
Evaluation des activités
ANNEXE B1 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 2-4-3
THEME
2-4-3
Délimitation
des tâches
1
c’est vrai qu’effectivement le médecin,
c’est vrai qu’un psychologue, il peut à
un moment donné empiéter mais voilà,
c’est pas ça qui est important, après tout,
si la relation passe mieux avec le
médecin, pourquoi pas, moi, je m’en
fous, mais ce qui me paraît important,
c’est qu’effectivement on soit dans le
champ de la relation, et non pas dans
une…un champ du soin proprement dit
238-242
savoir pour chaque fonction -médecin,
psychologue, TS- savoir repérer ses
limites, et savoir accompagner la
personne vers la personne effectivement
la plus compétente de l’équipe pour
essayer d’amener des éléments de
réponse à cette personne-là 257-260
il faut être vigilant à ne pas mélanger les
genres, les fonctions, mais il n’empêche
que la difficulté, c’est quand on est face
à une personne comme ça, elle va nous
amener sur des terrains qui ne sont pas
forcément de notre champ de
compétences. Mais il va bien falloir
quand même les entendre parce
que…parce que notre tête revient mieux,
parce que elle ne peut pas voir le travail
social, elle ne peut pas voir le médecin,
le psychologue, donc elle va confier ses
problèmes à une personne. C’est ça qui
est important, c’est lui permettre
effectivement dans chaque lieu, d’avoir
un espace de parole….Que au niveau,
après, des équipes, ce soit retravaillé au
niveau des équipes, et comment elle
peut médecin, psychologue, TS : voilà,
ça, c’est du champ social, moi, je n’ai
pas les compétences, je ne sais pas
répondre, avoir l’honnêteté de le dire, on
ne sait pas tout, et comment on peut
travailler …peut-être qu’effectivement,
ça veut dire qu’à un moment donné, je
suis peut-être utopiste, mais ça peut être
des entretiens à deux…par exemple.
Moi, je connais des structures qui font
ça 267-279...ça permet de passer le
relais… C’est pas systématique 283... Et
en plus, ça évite des manipulations.
Surtout chez les alcooliques.
288-289
2
Le rôle de l’AS à l’intérieur
d’un
CCAA,
...d’une
institution à l’autre, ça
varie…en fonction des
équipes
présentes,
de
l’historique des équipes 8185
Le fait qu’ici l’AS fasse le
premier entretien...93-94
(pour le 1°entretien), j’ai
deux
autres
collègues
permanents : le psy et
l’infirmière…me
remplacent
pour
des
raisons X… si je ne suis
pas disponible 102-103
notre infirmière qui est
arrivée il y a un an… pour
elle je sens bien…enfin je
fais plus que sentir parce
qu’elle le verbalise…et
c’est
très
bien
d’ailleurs…c’est vrai que
c’est difficile…plus elle
avance
dans
la
connaissance des patients,
plus elle se sent à l’aise
dans la spécification de son
rôle…alors qu’au début,
c’est difficile pour elle
parce qu’elle voyait des
visages, des histoires, des
noms,
mais…pour
raccrocher 110-115
les interrelations dans
l’équipe…
c’est
très
important…
pour
l’organisation d’un poste
137-140
on est intriqué dans…on ne
peut pas être à côté…ou se
sentir à distance de
l’organisation du service
dans lequel on travaille
141-143
Il y a un autre atelier…il y
a la création de la
deuxième séquence de 10
3
le chevauchement
des tâches… dans
le passé, j’ai eu pas
mal de problèmes
avec les infirmières
qui…
se
disent…donc…je
leur pose toujours
la question : quelle
formation ont-elles
suivie ? Et qu’ontelles fait de cette
formation ?
131134
Puisque je leur
rappelle
toujours
que
moi,
du
moment que le
malade
va
me
parler
de
médicaments,
j’arrête…ce n’est
pas parce que je ne
veux
pas
les
connaître, je les
connais mais je ne
veux pas en parler
avec
le
malade…parce que
si j’en parle, je vais
changer
ma
fonction.
Donc
c’est pareil…Et je
suis très stricte sur
ça 135-138
Dans les réunions
de synthèse, je
demande tout le
temps
à
mes
collègues que ce
soit
psy
ou
infirmière : qui fait
quoi, comment et
pourquoi ? Donc je
suis très claire…je
ne fais pas de la
thérapie, je fais un
accompagnement
social qui est très
large 138-141
1
4
Approche médicale, psy et sociale
et tout le monde fait tout 28-29
évidemment, nous, AS on ne peut
pas envahir le camp médical, ce
n’est pas notre compétence…et on
ne peut pas envahir peut-être le
champ
psychothérapeutique…..mais….le
médecin et le psy interviennent dans
le social…de plus en plus. 28-31
(les psy) font de la thérapie, en
général, ils ne font pas de la
thérapie, ils font des entretiens de
soutien 32-34
les textes sont là…mais après ça se
joue dans la répartition des tâches à
l’intérieur de l’équipe 38-39
la place de l’AS, je répète, n’est pas
très nette et le psy va s’occuper de
la situation par rapport à l’emploi,
par rapport à la formation, à la
situation familiale…parfois, le TS
peut être qq qui va intervenir sur le
plan du couple, de la formation, des
conseils par rapport au travail,
l’accompagnement
et
tout
ça…parfois non 47-50
c’est très flou ce que je te dis, mais
ça dépend des équipes 51
On ne peut pas dire qu’il y a une
application, que l’AS doit faire ceci
ou cela, non, l’AS c’est dans un
contexte. En résidentiel, en milieu
ouvert, ou en milieu hospitalier,
parce que là, c’est très différent du
centre de cure et post-cure, ou du
CCAA 51-54
Dans pas mal de CCAA les
infirmiers …quand il y en a…font
du social. Donc tout est mélangé,
comme une maladie mentale 71-72
(le médecin) peut faire de la
psychothérapie, il peut faire du
médical, biologique, social, etc
etc…Le psychologue aussi, il est …
hors normes… n’importe quelle
école, n’importe quel système…il
est psychologue 97-99
je sais pas…la formation dans
l’école d’infirmières, d’après ce que
j’ai compris dans les papiers, ne
font pas ça : ce sont des auxiliaires
médicales pour des trucs qu’elles
5
Au centre M., à l’époque, on a
cantonnée (l’AS) là où on
pouvait la cantonner…à savoir
soit dans les travaux de
secrétariat s’il n’y avait pas de
secrétaire à ce moment-là...soit
aller « faire du partenariat »
entre guillemets, parce que faire
du partenariat sans savoir ce que
font les collègues, sans avoir les
transmissions, moi, je dis : faut
être douée ! (rire)340-345
A V., jusqu’à une réunion
d’équipe…où là…j’avais eu
sans doute le temps de plus me
poser…on arrivait sur 2004…et
où finalement, on me dit : « mais
finalement qu’est ce que tu
fais ?............ !!! Tu as l’air très
occupée…mais qu’est ce que tu
fais ? 409-411
à V, par rapport, par ex à un
suivi …de soutien de type
psychosocial…que j’empiéterai
à un moment donné sur la
relation
psychothérapeutique
451-452
mais le contraire ...c’est à dire le
psychologue…peut empiéter sur
les tâches sociales ah ça, oui ,
par contre 454-457
à V le cloisonnement nous
provient essentiellement des
deux raisons au sein de l’équipe,
pour l’instant…qu’on retrouve
ailleurs, du reste… :1) les
médecins qui nous connaissent
mal… de toute façon, il n’y en a
plus qu’un…c’est dans la
méconnaissance, je fais pas dans
la mauvaise foi…c’est pas de la
mauvaise
volonté…
c’est
simplement qu’il ne sait pas ce
que je fais…un médecin d’ici .
2) les psychanalystes « nous
sommes les seuls à pouvoir
sortir le malade de là…même le
médecin ne sert à rien »…donc
l’AS, n’en parlons même
pas…on est là pour colmater des
brèches…donc des vraies deux
psychanalystes, je n’ai aucune
orientation 457-464
6
je vais pas empiéter,
l’autre n’empiète pas…
203
je pense pas que tout le
monde fait du social 216
il se peut très bien qu’un
jour…bon, jusqu’à présent,
ça se passe bien…qu’on
recrute un médecin …qui
n’ait pas compris ça…bon,
il va jouer l’AS en disant :
vous
n’avez
pas
d’hébergement, je vais
appeler… (rire) 523-526
A partir du moment où le
client aborde quelque
chose, je sais que c’est pas
de mon domaine…que ça
appartient au
psychologue…je dis : eh
bien écoutez, là, c’est
quelque chose que vous
pouvez tout à fait
reprendre avec votre
psychologue…j’entends,
ok, mais… ça s’arrête là et
on continue ce qu’on a à
faire 216-220
Donc, moi, je fais vraiment
du travail social ici 224
l’idée que tout le monde
fasse un peu tous les
ateliers…c’est
pour
pouvoir
bien
poser
l’indication…c’est à dire
qu’un
jour
ou
l’autre…c’est
pas
obligatoire…parce
que
c’est sur indication qu’on
envoie les gens vers les
ateliers…c’est
pas
systématique…dans la pc
350-353
7
il y a un risque de
chevauchement des
tâches...ou
d’ignorance...de
méconnaissance en
fin de compte...c’est
en permanence un
mélange 304-307-308
le médecin avec
lequel j’ai l’habitude
de
bosser...avec
lequel on a des
relations de thérapie
familiale...a un regard
très social sur les
situations et...donc,
ça, c’est plutôt positif
308-309-310
ANNEXE B1 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 2-4-3
il y a…un savoir de socle commun au
TS et au psychologue….Le psychologue
travaille sur le symptôme, le TS, il va
travailler sur tout ce qui est la
déformation
de
la
réalité….accompagner la personne pour
qu’elle se réinsère dans cette fameuse
réalité, de manière très pragmatique
322-325
Je vais vous expliquer comment on
fonctionne et quel est le rôle de
l’infirmière et celui du TS qu’il y a chez
nous. Pour parer un petit peu la
difficulté du positionnement dont je
parlais tout à l’heure, effectivement du
TS et de l’infirmière qui sont des postes
flous dans leurs actes quotidiens. D’un
commun accord avec l’équipe, ces deux
fonctions sont celles chez nous qui font
les premiers entretiens 479-483
Cette phase de contact, d’explication, de
rencontre, c’est le rôle pour moi, pour
nous, soit de l’infirmière, soit du TS
495-496
après, effectivement, il y a d’abord la
sensibilité de chacune des personnes qui
sont différentes, et puis il y a aussi des
approches différentes une approche
d’infirmière n’est pas forcément une
approche sociale. Mais ce qui permet
quand même de leur donner, à mon avis,
un positionnement clé dans l’accueil
des nouveaux arrivants. Ca, ça me paraît
important, et en tous les cas, de pouvoir
les situer avec une vraie place dans
l’équipe 503-508
on est dans une petite guerre de
fonctions qui rend la lisibilité des
fonctions parfois difficile… C’est vrai
pour les psychologues, les sociaux...
mais c’est vrai aussi pour les
secrétaires…. Parfois aussi pour les
directeurs 630-631
Comment on va faire en sorte que
chacun trouve sa place ? De temps en
temps, on va faire en sorte qu’il y ait des
réajustements dans l’équipe parce que
les choses bougent. Et des négociations.
Effectivement, les gens vont prendre du
pouvoir. Mais dans la douleur et aux
dépends de l’autre 632-635
séances
d’un
atelier
d’écriture qui vient de
s’ouvrir suite à l’arrivée de
l’infirmière…et là…bon,
c’est uniquement animé par
psy et infirmière…c’était
inclus dans le profil de
poste…on
souhaitait
justement qu’il y ait cette
participation au gp qui
existe depuis 12 ans et qu’il
y ait la création d’un atelier
en coopération avec le
collègue psy. Donc là, je
n’interviens
absolument
pas…d’abord,
je
ne
pourrais pas en termes de
temps…et il faudrait que je
laisse quelque chose…je ne
pourrais pas animer en plus
un autre 240-247
2
savent très bien soigner…mais c’est
pas la même chose. L’AS…mais
c’est la base même de notre
profession… L’entretien a pour but
de déceler, dès le premier entretien,
les points faibles, les atouts et les
possibilités de ces malades, et
surtout connaître son parcours…et
c’est là, la base… les médecins ne
savent faire ça, les psy ne savent pas
faire ça, les AS …du passé, je ne
sais pas actuellement exactement
comment sont formés….je te parle
de notre formation, à nous…des
« anciens combattants »…et on était
formé pour ça 213-220
le médecin va regarder surtout
l’aspect médical, le psychologue va
regarder surtout… bon… déceler
s’il y a des troubles de la
personnalité 221-222
nous, on va essayer de faire une
« photo » de la situation, savoir si
cet homme a été suivi ou pas …ou
cette femme…qu’a t-elle fait par
rapport à ce qu’on demande…bien
préciser la demande ; si c’est la
personne qui vient, si c’est
quelqu’un qui l’envoie…ça, on sait
le faire. A partir de là, on peut faire
des études de cas 222-226
moi, je faisais la « photo
psychologue sociale » du patient,
après il y avait un entretien médical
et le médecin posait exactement les
mêmes questions que je venais de
poser, après venait le psychologue
qui faisait exactement la même
chose…tu sais pourquoi... parce
qu’ils
ne
lisent
pas
le
dossier…parce qu’ils pensent qu’on
n’est pas capable (230
les psy, c’est une profession qui est
en train…c’est un problème d’offre
et de demande…un pb de
marché…on produit énormément de
psycho…donc les psycho, c’est une
masse puissante qui commence à
mordre dans les activités du travail
social 383-386
donc je ne travaille qu’avec une
des
psy qui
n’est
pas
fondamentalement et à fonds
dans la psychanalyse…elle est
beaucoup plus ouverte à d’autres
thérapeutiques. Donc j’ai trois
personnes
qui
m’orientent
bien…c’est
à
dire
deux
médecins et une psychologue
468-471
des collègues qui empiètent sur
mon travail ? oui…à savoir les
trois qui ne m’orientent pas 485486
le premier 486... c’est empiéter
par
méconnaissance
de
l’autre…on va essayer de se
débrouiller…un petit peu dans
l’idée
du
« libéral »…c’est
toujours la même histoire…et,
finalement, demander à l’autre,
c’est toujours embêtant…donc
en plus on ne sait pas trop ce
qu’il fait, comment il fait, où ça
commence et où ça finit, eh bien,
finalement, je vais peut-être le
faire (moi-même)…alors, ça , je
pense que c’est la première
option 488-493
La deuxième option, c’est…pour
les
2 psychanalystes, en
l’occurrence…c’est ne pas être
du tout attentifs…au problème
social…en ne lui donnant
aucune importance…c’est donc
très clair
493-495
(le troisième médecin) est plus
vers des problèmes de dettes ou
des problèmes d’ASE…, ça
vient
d’une
réelle
méconnaissance du travail social
500-502
ANNEXE B1 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 2-4-3
3
ANNEXE B2 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 3-5-1
THEME
3-5-1
Défense
du
métier
1
Il y va aussi de notre
responsabilité, je parle
en tant que personne, à
privilégier notre façon
de travailler. On
s’auto-conforte dans
cette position en même
temps 616-617
L’objectif du contrat
avec le malade, c’est
lui rendre sa capacité à
dire non, on s’en fout
qu’il continue de boire
ou pas…c’est pas notre
problème,
aujourd’hui…
Ca ne veut pas dire
qu’on va dire oui à
tout. Nous, en tant que
professionnel, on ne
peut pas vous proposer
ça, pour telle et telle
raison. On peut et on
doit le dire, ça 732-735
quand on sait dire non,
que l’on soit malade
alcooliq.a ou TS…ou
directeur…, on sort de
la dépendance 737-738
Cette capacité de dire
non, c’est sortir de la
dépendance. Ca se
travaille : pour les TS,
ça permettrait de ne
plus être dans la
subsidiarité par rapport
au médical.
Et l’avantage
fantastique, pour moi,
c’est qu’on sort du
produit. On sort de la
pathologie alcool. Ca
peut être intéressant de
ne plus parler alcool,
dans une structure qui,
normalement, est là
pour parler alcool. Par
contre, on va travailler
2
la stratégie du TS est
défendable, il y a
quelque chose à
construire, c’est
vraiment mon
sentiment….on sait
bien qu’il y a
toujours la fonction
et la personne…ça,
c’est partout…mais
je pense que les
CCAA permettent au
professionnel de
mettre sa touche
personnelle…dans sa
fonction 360-365
3
formation
d’adaptation ?…trois
ans…175 je leur ai
dit…vulgairement : « u…
y… » 181
je les dérange puisque je
fais…je me suis mise en
grève…toute seule (rire) je
leur fais des courriers…je
les force de me rencontrer
(rire)…donc je suis
…alors, à l’hôpital, ils n’en
peuvent plus ! Les
directeurs ne me
supportent plus…mais, tu
vois, c’est important, je
pense que justement, si
nous sommes dans un
mouvement, 218-221
il faut être dans un
mouvement aussi, parfois,
personnel…j’ai le soutien
aussi des malades…j’aime
mon travail…je trouve que
ces barrières, ces
étiquettes…221-223
4
Le problème, c’est qu’il n’y a pas…
actuellement, je dis bien…de
mobilisation des travailleurs
sociaux…en particulier des AS. Il y a
trente ans, l’ANAS était une
association puissante, il y avait des
commissions d’étude, il y a eu une
représentation dans toutes les
instances. Actuellement, ça se dégrade
et l’image de l’AS est noyée dans le
travail social. Et le travail social, on
ne sait pas actuellement exactement
ce que c’est 144-148
c’est notre faute, c’est notre faute
parce qu’on n’a pas su…bien préciser
ce qu’on fait et comment on le
fait…c’est pour ça qu’il faut être très
clair, très précis et se battre pour des
choses très simples. Faire un bilan
psychosocial, on sait le faire, conduire
l’animation d’un groupe à l’intérieur
d’une équipe, d’une réunion, ou avec
des patients…ça, on peut le faire…et
accompagner un patient ou bien…
l’adresser à d’autres services…c’est
pas pour nous pour faire un
( ?)…c’est en coordination et
travailler en réseau. Ca, on sait le
faire, c’est notre boulot de tous les
jours… 241-248
définir un profil de ce qu’on fait et
essayer quand même de défendre ça
avec des instances qui peuvent être de
discussion... travailler avec
l’ANAS…Mais il faut se bouger…je
suis un peu sceptique 263-265
Moi, je défends encore la profession
d’AS bien que je me sois occupé aussi
d’ autre chose dans la vie 272-273
l’AS, soit on le fait disparaître dans
une masse très vague…c’est du travail
social, soit on se dit : non, les AS vont
être là pour…et réfléchir 276-277
on va envoyer un mail à toute
l’association pour voir si le service
social à l’intérieur de l’association a
1
5
(dans les CC),ils sont au moins trois (AS)… à s’être
battus pour qu’à un moment donné, ça ne reste pas
seulement….ce que je disais tout à l’heure pour le
centre du M…une note sur un papier…c’est à dire
finalement, oui, ok, il y a une dimension sociale, et
puis point. 88-91
le travail social, ça passe par tout ce qu’on appelle
revalorisation de la personne etc… justement, c’est
là qu’il faut qu’on théorise un peu pour dire aux
collègues... 224-225
sur le centre M, on va dire que l’AS…enfin moi, je
venais en remplacement de congé longue
durée…donc je suis venue sur un poste déjà existant
d’une AS diplômée et qui occupait, en termes de
fonction, plutôt celle d’un secrétariat amélioré que
celle d’une assistante de service social…bon…elle
m’a dit au tél. que c’était « par choix » parce que le
travail social, elle ne s’y retrouvait pas 331-335
à M., quand j’ai commencé à taper dans la
fourmilière... 353
moi, j’avais tapé sur la table, lui (mon successeur) a
retapé plus fort 373
vu que la direction ANPAA est foncièrement à
fonds là-dedans…donc, c’est plutôt bien pour le
travail social…et l’avenir à l’ANPAA…du coup, on
a une place à part entière…à nous de la prendre…de
la revendiquer et de la prendre…maintenant il faut
voir comment…comment l’agencer…c’est pas
évident du tout… 378-381
à V, j’ai pris la décision avant mes vacances…je ne
lui ai pas dit mais je l’ai prise, moi…donc je me
prépare bientôt…de le voir entre quatre z’yeux…de
lui faire part du peu d’orientations qu’il me
donne…et de savoir pourquoi 502-505
c’est une forme de stratégie pour moi… que d’aller
poser la question… Vu que je le connais mieux, je
commence à comprendre son fonctionnement et il
me demande aussi beaucoup…donc je peux me
permettre de lui en demander aussi un peu 510-514
j’ai dit que je n’étais pas là pour faire les « bouchetrous » (rire)…et que si je le décidais (faire le
premier entretien), c’est que je le voulais
bien…donc, j’ai un peu jeter mon caillou dans la
mare…bon…c’est passé…apparemment 533-538
alors à V, par contre, je pourrais tout à fait en faire
un cheval de bataille en disant : « oui, je veux… ».
Et là, je peux... 544-546
alors moi, ce que je crois…mais alors là, c’est
presque une conviction…ce doit être mon côté
6
on n’est pas là où il
faudrait… pour expliquer
ce qu’on fait et pourquoi
on devrait le faire 50-51
chaque fois qu’on
demande aux gens de
terrain de s’exprimer, ça se
passe toujours très
mal…c’est
extraordinaire…quand je
vais dans des colloques, je
suis toujours très
surpris…on veut la parole
mais à chaque fois qu’on
nous donne la parole, on se
plante…ça part dans tous
les sens 51-54
il faudrait peut-être qu’on
apprenne à causer en
public…à causer
politique…à être
rigoureux, synthétiques…
54-55
quand certaines personnes
de notre groupe (de parole
de TS) défendent la notion
de qualification et de
diplôme avec un peu de
rigidité, on peut quand
même aussi
comprendre…158-160
7
Ca vaut le coup de se
battre ? ...ben
oui...même si parfois,
c’est
difficile,
frustrant...moi, je suis
passée par tous ces
sentiments-là...j’y
passe
encore
régulièrement...mais je
crois que le fait de se
questionner,
c’est
avancer...donc je pense
que ça vaut le coup,
oui...668-672
ANNEXE B2 - ANALYSE COMPARATIVE TRANSVERSALE - Thème 3-5-1
ses capacités à dire
non…avec quels outils
739-745
envie de faire quelque chose 279-280
toute profession qui n’est pas
défendue par ses membres est vouée
à... 358
c’est un problème fondamentalement
de lobby… les psychologues se sont
battus 388
on a laissé passer des choses…tu vois,
à une époque, souviens-toi, on sortait
avec le diplôme d’AS, on trouvait
facilement un travail…bon…il y en a
encore des offres… et si tu fais une
statistique dans les
ASH…actuellement il y a le triple
d’offres pour les éducateurs… il y a
d’autres professions spécialisées qui
avancent… pourquoi ? parce que c’est
une image différente… 399-403
les éducateurs ont beaucoup mieux su
défendre leur beefsteak en général
435
2
militant…j’aimerais déjà…pouvoir être…fière …de
dire que je suis une AS. Je n’en suis pas
systématiquement fière…dans le sens où….au
travers de tous les média possibles….à travers des
contacts que j’ai avec les partenaires… où il arrive
trop souvent que…pour le moins la compréhension
et pour le pire le rejet voire « l’assassinat » en direct
devant un patient se passe d’un professionnel pour
un autre…alors là je reste dans la paroisse des AS
634-639
un manque de solidarité dans le métier-même ? 640
cette reconnaissance, moi je suis convaincue que si
on la veut, il faut peut-être aller la chercher…c’est à
dire qu’il faut peut-être bouger un peu. 641-643
ce n’est pas simplement en se rassemblant à l’
ANAS et en racontant des tas de trucs qu’on va y
arriver. Au travers des média, quelque ils soient, si
objectifs soient-ils, ne serait-ce que dans les films,
l’AS est systématiquement « la vieille
chèvre »…643-646
si la spécificité, c’est d’avoir le discours de certains
collègues « ah et bien moi, je m’y connais, donc je
vous écrase parce que, en gros, vous me faîtes suer
parce que vous êtes une privilégiée »….c’est pas la
majorité, bien sûr que non…mais ça reste trop
fréquent….et ça, je pense qu’à un moment donné, il
faudrait s’unir avant de subir de se désunir… 664668
il faudrait se manifester déjà dans les média…ça
peut être des manifs dans la rue…moi, je n’ai jamais
vu une AS manifester 674-675
Ca peut être aussi par le biais de l’écrit, mais c’est
un autre type de reconnaissance…différent du visuel
de la manif 676-677
au bout de trois ans d’études… on a logiquement de
vrais savoir-faire…par ex, j’ai rencontré récemment
successivement trois CESF… une en post-cure, une
en demande de stage d’alcoologie, une en
mairie…elles ont fini par me dire toutes les trois
qu’elles ne savaient pas faire des entretiens, qu’elles
avaient la trouille de leur vie pour en faire… Elles
n’étaient pas formées à la conduite d’entretien ni à
la relation d’aide…alors par contre, elles sont
formées à des choses différentes de nous…c’est ce
que j’expliquais à ma directrice…elles savent très
bien gérer un budget… 683-689
il y a ça…le contenu des formations…après à
chaque formation de se battre si elle veut que le
contenu augmente…ou change…ou évolue 693-694
Toujours est-il que quand l’AS n’est pas capable de
faire un entretien de relation d’aide, ça m’inquiète
695-696
Nom : GALLO
Prénom : Catherine
Date du Jury : Février 2005
Formation : Mémoire du Diplôme Supérieur en Travail Social
Titre : Le rôle du travailleur social en Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie
Comment s’exerce son action dans le cadre du dispositif spécialisé de prévention et de soins ?
Résumé :
La fonction du travailleur social en alcoologie, dont l’objectif principal est la réinsertion du
malade alcoolique, se situe dans une zone intermédiaire entre le champ « médicopsychologique » et celui de l’action sociale généraliste. Exerçant sa fonction au sein d’une
équipe pluriprofessionnelle, le travailleur social se trouve confronté à de multiples tensions,
jeux de pouvoirs, divergences d’objectifs et d’approches du soin, qui le conduisent à
s’interroger sur le sens et l'efficacité de son action.
Cette recherche porte ainsi sur les conditions dans lesquelles s’exerce l’action du travailleur
social tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’une organisation à connotation médicale.
Notre étude souligne également la nécessité de redéfinir la place du social dans les structures
de soins ambulatoires en alcoologie et de préciser la nature des compétences exigées en
matière de soins, de prévention et d'accompagnement social.
En nous référant à plusieurs modèles d’analyse des organisations, nous avons mené une
enquête auprès de travailleurs sociaux en centres d’alcoologie afin d’identifier leur
positionnement professionnel et les stratégies qu’ils développent pour renforcer leur rôle et le
faire reconnaître par leur structure et les instances extérieures.
Les enjeux sont importants dans la mesure où les CCAA sont aujourd'hui fortement sollicités
par les pouvoirs publics pour intervenir non seulement sur le plan du soin mais aussi dans la
formation en alcoologie des partenaires extérieurs et dans la prévention. Si le travailleur social
ne participe pas à ces projets de santé communautaire et de développement social local, ne
risque-t-il pas d'être marginalisé au sein de l'action sociale?
Nombre de pages : 121
Volume annexe : 0
Mots-clés : alcoologie, organisation, stratégie
Centre de formation : ECOLE SUPERIEURE DE TRAVAIL SOCIAL 75014 PARIS
ERRATUM
-
p. 27 tableau bas de page, rajouter une ligne :
Commun :
secrétaires
et autres métiers
1994
26,5
1995
28,6
1996
27
1997
26,9
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